Chapitre -Liminaire

La seconde confession helvétique

ou
Exposition simple et abrégée
de la doctrine chrétienne
dans sa pureté

de Henri Bullinger

Une nouvelle traduction en français moderne de Donald Cobb

LIMINAIRE

Après les rééditions, en français moderne, des confessions de La Rochelle et de Westminster, des catéchismes de Heidelberg et de Genève et des Canons de Dordrecht, pourquoi encore rééditer une confession de foi du XVIe siècle? Fort longue, de surcroît!

A cette question légitime, une seule réponse: à l’aube du XXIe siècle, l’Eglise a un urgent besoin de réfléchir sur sa nature et sa mission. En effet, à l’heure de l’individualisme roi, ces sujets ou dérangent ou sont jugés de peu d’importance, voire anachroniques. Et pourtant?

Le chrétien, dont le salut est personnel – Christ est mort pour le salut de quiconque croit –, ne fait-il pas partie d’un peuple, le peuple de Dieu? L’expression visible de celui-ci – avec ses imperfections, certes! – a aussi des richesses voulues par Dieu… à redécouvrir ou à mieux apprécier. La Seconde Confession helvétique, rédigée en 1566 par le réformateur H. Bullinger, de Zurich (1504-1575), un sommet parmi les confessions de foi classiques du XVIe siècle, peut nous y aider.

Cette confession offre des développements des plus complets et se distingue par son exposé sur la nature de l’Eglise et les ministères bibliques. Elle représente la maturation de la théologie réformée de la deuxième génération et reste un point de référence dans l’évolution de la tradition calviniste.

La nouvelle traduction, effectuée à partir du latin par D. Cobb, qui est proposée ci-après, met en valeur une confession de foi trop souvent oubliée par le protestantisme francophone.

Paul Wells

La Seconde Confession helvétique:

un joyau de la Réforme

Si la foi consiste à saisir les promesses de Dieu et, surtout, le Christ, qui est « la perfection » des fidèles, « leur salut et leur entière suffisance »1, elle ne pourra ni naître ni s’affermir sans une connaissance précise du Christ, de son œuvre, et de ce qui a motivé son envoi par le Père. Bref, elle doit s’appuyer sur un enseignement solide. Les réformateurs ont bien compris cela, et c’est pourquoi les XVIe et XVIIe siècles ont donné naissance à un nombre impressionnant de confessions de foi et de catéchismes – non pour verser dans un intellectualisme stérile, mais au contraire pour irriguer la foi de l’Eglise, afin qu’elle puisse être saine et robuste.

Parmi ces œuvres doctrinales, la Seconde Confession helvétique tient une place particulière. Henri Bullinger, successeur de Zwingli à Zurich, l’a composée en 1561 comme confession de foi personnelle2. Atteint par la peste en 1564, il décida de remettre sa rédaction au conseil de la ville comme testament spirituel, au cas où il décéderait. Ainsi, l’année suivante, lorsque Frédéric III, prince électeur du Palatinat, lui demande une confession de foi rendant compte de l’enseignement réformé, Bullinger, alors remis de sa maladie, a pu la lui faire parvenir sur-le-champ. A partir de ce moment-là, la Seconde Confession helvétique a commencé à étendre son influence, non plus seulement comme affirmation personnelle de Bullinger, mais comme déclaration magistrale des Eglises réformées.

Il n’est pas exagéré de dire que la Seconde Confession helvétique est la plus œcuménique des confessions de la Réforme. Elle est en tout cas « la plus imposante, en termes d’autorité, de toutes les confessions réformées provenant du XVIe siècle »3. Après avoir été voulue par Frédéric III comme règle de foi des Eglises réformées du Palatinat, elle a également servi à rassembler les protestants helvétiques: suite à la demande – formulée par Théodore de Bèze et adressée à Bullinger cette même année – d’une confession qui soit commune aux Eglises réformées de Suisse, elle a été effectivement reçue par la quasi-totalité de celles-ci. Elle a ensuite été adoptée, ou du moins reconnue, par les communautés réformées de France, d’Ecosse, de Hongrie, de Pologne, d’Angleterre et des Pays-Bas4.

Quels sont les traits distinctifs de cette confession qu’un savant a pu qualifier de wahres dogmatisches Meisterstück (« véritable chef-d’œuvre dogmatique ») de la Réforme?5 On peut souligner, tout d’abord, un fort christocentrisme. Une réflexion approfondie sur la centralité du Christ pour la foi se voit, en effet, non seulement dans le chapitre touchant à la personne et à l’œuvre du Christ (chap. 12), mais encore dans les affirmations traitant de l’élection, de la justification, de la foi et des sacrements, pour n’en mentionner que quelques-unes.

Les Saintes Ecritures ont toutes pour finalité de conduire au Christ, « l’accomplissement de toutes les promesses » de Dieu6. Le Christ est « notre unique médiateur (…), qui seul intercède pour nous » (5:3); c’est en lui que Dieu nous a élus à la vie éternelle et par lui qu’il a révélé ce choix. C’est donc en lui aussi que nous trouverons notre certitude, car il est le « miroir dans lequel nous contemplons notre prédestination »7. Notre justification aussi se fonde sur le Christ; non seulement parce que celui-ci s’est identifié à notre péché sur la croix, mais parce que, dans la justification, c’est sa personne même que reçoit notre foi. D’ailleurs, cette foi est vivante et s’exprime par une obéissance pratique précisément parce qu’« elle saisit le Christ qui est vivant et qui fait vivre »8. L’Eglise, quant à elle, est le rassemblement de ceux qui ont été « sanctifiés par le sang du Fils de Dieu » et écoutent sa voix. Son unité découle directement du Christ, du fait qu’il y a un seul médiateur, un seul berger et un seul chef du corps9. Cet attachement au Christ est encore visible dans les sacrements, dont le Christ est « le contenu principal et la vraie substance ». C’est en son nom que nous sommes baptisés, pour faire partie de son peuple10. Et puisque, dans la cène, ce n’est pas seulement le signe qui nous est donné, mais encore ce qu’il signifie, nous y recevons le Christ lui-même, afin qu’il fortifie et ravive notre foi11.

Nous trouvons donc dans cette confession les mêmes accents qui traversent l’Ecriture: notre vie entière se déroule « en Christ », dans l’union et la communion avec lui. Le leitmotiv de la Réforme brille ici de tous ses feux: Solus Christus, le Christ seul!

Autre trait distinctif: l’importance de l’Eglise. La centralité de l’Eglise pour notre rédemption et notre vie en Christ se perçoit déjà dans la longueur des chapitres: ceux qui touchent à l’Eglise et à ses ministres figurent parmi les plus longs de toute la confession. De plus, à la différence des autres confessions du XVIe siècle, plusieurs chapitres sont consacrés à la manière dont la vie de l’Eglise (et pas seulement celle du chrétien individuel) prend forme dans le concret. En tout, ces articles constituent pratiquement la moitié de la confession! A notre époque, où la spiritualité se décline presque invariablement à la première personne du singulier et où la quête spirituelle est menée de plus en plus en dehors des institutions « officielles » de la chrétienté, la Seconde Confession helvétique fournit un rappel salutaire que la promesse du Christ est de bâtir son Eglise et que celle-ci, avec ses pasteurs et prédicateurs, est l’instrument principal par lequel Dieu fait avancer son royaume dans le monde.

Essayons de résumer en quelques mots les caractères généraux de cette confession. En premier lieu, on peut relever la continuité avec le passé. La confession de Bullinger exprime peut-être mieux que toute autre le désir de la Réforme, non de rompre avec l’Eglise historique, mais de revenir aux racines de celle-ci. Les Pères de l’Eglise sont constamment cités, afin de montrer que la doctrine réformée se veut un retour à l’enseignement de l’Eglise ancienne, et que les réformateurs, loin d’emprunter des chemins inédits, ont voulu retenir, « d’une manière entière et inviolable, la foi chrétienne, orthodoxe et catholique » (10:18). Les condamnations des hérésies, qui ont sillonné l’histoire de l’Eglise – condamnations qui se retrouvent dans la plupart des chapitres de la confession –, expriment, quant à elles, le vœu de ne pas fermer les yeux naïvement sur quinze siècles de luttes doctrinales et spirituelles. La Seconde Confession helvétique, au cas où nous serions tentés de l’oublier, nous rappelle avec force que, puisque l’Eglise est une, il doit y avoir continuité, catholicité et unité de pensée.

La confession se caractérise également par lafidélité vis-à-vis de l’Ecriture.Alors que les autres confessions réformées se contentent d’affirmer, celle de Bullinger cherche à démontrer et, par là même, à convaincre. De la sorte, les citations bibliques sont insérées dans le document lui-même et en constituent une composante majeure. Cette exigence de fidélité à la Parole se voit encore dans le refus de toute spéculation métaphysique: la doctrine n’a pas pour tâche d’outrepasser, mais de retranscrire, d’organiser et d’expliquer les vérités de l’Ecriture. Deux exemples concrets illustrent bien cette perspective: les tentatives de rendre transparentes les « causes profondes » de la chute de l’homme, tentatives qui ont toujours agité l’Eglise, sont repoussées comme des quaestiones curiosas, des « questions oiseuses » (8:10). Et à l’éternelle tentation de spéculer sur un numerus clausus en rapport avec l’élection, la confession oppose le Christ lui-même, qui « ne répondit pas en disant que peu ou beaucoup seraient sauvés ou perdus; mais il a exhorté chacun à s’efforcer d’entrer par la porte étroite » (10:5). Bullinger, à la suite de Calvin, nous rappelle que nous avons à respecter les limites posées par l’Ecriture, et à mettre en suspens notre logique de créatures dès que nous voyons « la bouche sacrée de Dieu fermée »!12

De même, la Seconde Confession helvétique fait preuve d’une grande fermeté doctrinale. Sans basculer le moins du monde dans un quelconque extrémisme, elle affirme avec force et clarté les enseignements de l’Ecriture sans lesquels l’Eglise ne serait plus l’Eglise, et rejette les positions erronées qu’une Eglise ne peut recevoir si elle veut rester fidèle à l’Evangile. On pourrait avoir l’impression, en lisant les nombreuses condamnations des hérésies, ou des abus de l’Eglise de Rome, que la confession se retranche derrière une intransigeance dépassée pour notre temps plus éclairé, plus tolérant. Il faut pourtant avouer que ces prises de position ne proviennent pas du sentiment d’avoir une mainmise sur les vérités éternelles, mais, bien plutôt, de la conscience d’avoir été saisi par Celui qui est la Vérité! La dénonciation du faux – nous ferions bien de nous en souvenir à une époque où seule la « tolérance » semble avoir valeur de norme absolue – découle nécessairement de la confession du vrai! En réalité, la confession de Bullinger se présente comme un modèle de fermeté et de pondération: « Elle est aussi fermement réformée dans la doctrine qu’elle est modérée dans l’expression. »13

Enfin, et c’est peut-être là sa plus grande qualité, la confession est pétrie d’une spiritualité vivante et profonde. A maintes reprises, elle passe spontanément de l’enseignement à la doxologie. La doctrine n’y est pas davantage séparée de l’adoration que ne l’est la louange de son fondement objectif. Il n’est que de penser au chapitre touchant à la christologie, où Bullinger, ayant exposé l’entière suffisance de l’œuvre du Christ, est comme contraint de passer à l’adoration: « Aussi, que reste-t-il à faire sinon que, tous, nous lui accordions tout l’honneur, que nous croyions et reposions en lui seul, que nous méprisions et rejetions tout autre secours pour notre vie? » (11:17.) Nous pourrions encore penser aux répétitions dans les articles traitant de la justification par la foi ou du mystère de la cène, répétitions que l’on pourrait pardonner au lecteur moderne de trouver ennuyeuses ou inutiles, mais qui expriment, sans doute, la conscience que les mots ne suffisent pas à décrire l’indicible. Devant l’océan de la grâce n’en est-on pas souvent réduit à bégayer? Ainsi, tout au long de cette confession, transparaît un souci doxologique – et donc pastoral – très évident.

+
+ +

On a souvent rappelé que la dogmatique ne s’élabore pas indépendamment de la prédication, mais en vue d’elle. La Seconde Confession helvétique montre, très concrètement, les liens intimes et la profonde harmonie qui peuvent et doivent exister entre ces deux. Mais il y a plus: en mettant en lumière ces aspects de continuité, de fidélité, de fermeté dans la modération et de spiritualité vivante, la confession de Bullinger nous permet de mieux percevoir sa pertinence pour l’Eglise d’aujourd’hui. Au-delà de sa valeur historique, ce joyau de la Réforme indique – avec, il est vrai, ses faiblesses – le chemin qui conduit à la redécouverte d’une vraie spiritualité, car elle nous conduit au Christ, à celui qui est lui-même le chemin, la vérité et la vie.

C’est notre souhait que ce vibrant témoignage de la foi chrétienne puisse servir, aujourd’hui encore, à l’édification de l’Eglise et à l’avancement du royaume de Dieu.

Donald Cobb14

Avertissement

Les versets bibliques cités dans cette confession sont tirés, le plus souvent, de la version Louis Segond révisée (dite à la Colombe). Nous nous en sommes, parfois, écartés, pour suivre de plus près le texte latin de la Confession.

Nous avons parfois complété le texte en ajoutant, dans des notes en bas de page, des références bibliques lorsque la Confession, sans l’indiquer précisément, semblait y faire allusion.

La division des chapitres en sections numérotées a été empruntée à Niemeyer (Collectio Conf. Reform., Leipzig, 1840), reprise in Philip Schaff, Creeds of Christendom, tome II (Grand Rapids: Baker Book House, 1969), 237ss.

Le traducteur tient à remercier les personnes suivantes qui ont bien voulu relire le manuscrit et y apporter les corrections nécessaires:

  • MM. Roland Benoit, Pierre Courthial et Christophe Demierre,
  • M. et Mme Jean-Claude Nicolet.

1 Seconde Confession helvétique, 10.15.

2 Bullinger a vécu de 1504 à 1575. Il fut antistès (c’est-à-dire doyen des pasteurs) de l’Eglise de Zurich à partir de 1531, et l’un des principaux auteurs de la Première Confession helvétique, rédigée en 1536.

3 C.S. McCoy et J.W. Baker, Fountainhead of Federalism, Heinrich Bullinger and the Covenantal Tradition (Louisville: Westminster/John Knox Press, 1991), 17. Pour de plus amples détails concernant l’histoire de cette confession, voir J. Courvoisier, La Confession helvétique postérieure, reproduite in Confessions et catéchismes de la Réforme (éd. O. Fatio, Genève: Labor & Fides, 1986), 179ss.

4 Elle fait encore partie du Livre des confessions servant de base doctrinale aux Eglises presbytériennes des Etats-Unis d’Amérique (PCUSA).

5 Hagenbach, cité in Philip Schaff, Creeds of Christendom, t. II (Grand Rapids: Baker, 1969), 233.

6 17:11 et 16:1.

7 10:9. Cf. aussi 10:1, 2, 7 et 8. L’enseignement du Christ comme miroir de l’élection se trouve déjà chez Calvin (IC, III, xxiv, 5). Cet emprunt met en avant un autre aspect général de la Seconde Confession helvétique: une dépendance étroite à l’égard du réformateur de Genève.

8 15:3,4 et 6.

9 17:1, 2, 5, 6, 8, 11 et 12.

10 20:2 et 4.

11 19:4-5; 21:8 et 10.

12 Calvin, IC, III, xxxi, 3 (p. 396).

13 J. Courvoisier, op. cit., 192.

14 D. Cobb, qui a fait ses études à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, est pasteur et enseignant au service de la mission (Mission to the World) des Eglises presbytériennes d’Amérique (PCA).

Les commentaires sont fermés.