Chapitre 17. De l’Eglise de Dieu, sainte et catholique, et du chef unique de l’Eglise

Chapitre 17. De l’Eglise de Dieu, sainte et catholique, et du chef unique de l’Eglise1

1. Dieu a voulu dès le commencement que les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. Il s’ensuit donc nécessairement qu’il y a toujours eu, qu’il y a maintenant et qu’il y aura jusqu’à la fin du monde une Eglise, à savoir une assemblée des fidèles, appelés ou rassemblés d’entre les hommes. Cette Eglise est la communion des saints, c’est-à-dire de tous ceux qui, par la Parole et le Saint-Esprit, connaissent réellement et adorent droitement le vrai Dieu en Christ leur Sauveur, et qui participent par la foi à tous les bienfaits offerts gratuitement par le Christ. Tous ceux-là sont citoyens d’une même cité, vivant sous un même Seigneur, ayant les mêmes lois; et ils participent tous aux mêmes bienfaits. Aussi l’apôtre les appelle-t-il concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu2. Il appelle « saints » les croyants qui sont sur la terre, et qui ont été sanctifiés par le sang du Fils de Dieu3. C’est donc en référence à tous ceux-là que doit se comprendre l’article du Symbole: « Je crois la sainte Eglise catholique, la communion des saints. »

2. Or, puisque, de tout temps, il y a un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus le Messie, ainsi qu’un seul Berger de tout le troupeau, une seule tête du corps et, enfin, un seul Esprit, un seul salut, une seule foi et un seul testament ou une seule alliance, il en découle par conséquent qu’il y a nécessairement une seule Eglise, que nous appelons catholique, vu qu’elle est universelle. Elle est répandue dans toutes les régions du monde, elle s’étend sur tous les temps et n’est limitée à aucun lieu ou époque particuliers. Nous condamnons donc les Donatistes, qui resserraient l’Eglise dans quelque coin de l’Afrique, et nous désapprouvons le clergé romain, qui prétend que l’Eglise de Rome est la seule qui soit véritablement catholique.

3. L’Eglise se partage, d’après certains, en différentes parties ou sortes. Non qu’elle soit déchirée ou divisée en elle-même! Mais elle est plutôt diverse à cause de la diversité de ses membres: en effet, elle peut être considérée comme Eglise militante ou comme Eglise triomphante. La première combat encore sur la terre et lutte contre la chair, le monde et le prince de ce monde, c’est-à-dire le diable, comme aussi contre le péché et la mort. La seconde, au ciel, est délivrée de ses combats et a triomphé de tous ses ennemis; elle vit dans la joie devant Dieu. Cependant ces deux Eglises ont entre elles une conjonction et une vraie communion.

4. De plus, l’Eglise militante a toujours comporté sur cette terre des Eglises particulières qui, néanmoins, participent à l’unité de l’Eglise catholique. Cette Eglise a été dressée d’une certaine manière avant la Loi au temps des patriarches, d’une autre manière sous Moïse par la Loi, et autrement encore en Christ, par l’Evangile. Deux peuples principaux y sont habituellement comptés, à savoir Israël et les nations, rassemblés tous deux dans l’Eglise (on distingue aussi deux Testaments, l’ancien et le nouveau). Cependant, ces peuples ont été faits, et sont, une seule société; ils ont un seul salut par l’unique Messie en qui, comme membres d’un seul corps, ils sont tous conjoints sous un seul chef. Et ils ont une seule foi, participant à une même nourriture et à un même breuvage spirituels. Toutefois, nous reconnaissons une diversité d’époques, et divers symboles du Messie promis et manifesté; or, les cérémonies étant abolies, la lumière brille sur nous d’un éclat plus vif encore et des dons nous sont accordés plus abondamment, avec une liberté plus entière.

5. Cette sainte Eglise de Dieu est appelée la maison du Dieu vivant, construite de pierres vivantes et spirituelles, bâtie sur une pierre inébranlable et un fondement hors duquel aucun autre ne saurait être posé4. C’est pourquoi elle est appelée la colonne et l’appui de la vérité5, ne pouvant tomber dans l’erreur, tant qu’elle est appuyée sur le roc, le Christ, et le fondement des prophètes et des apôtres. Par contre, il n’est pas étonnant qu’elle s’égare toutes les fois qu’elle délaisse celui qui, seul, est la vérité. Cette Eglise est encore appelée vierge et épouse du Christ, voire son unique, et bien-aimée. Car l’apôtre dit: Je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure6. L’Eglise est également appelée le troupeau de brebis, sous un seul Berger, le Christ7, et le corps du Christ, puisque les croyants sont membres vivants du Christ, leur Chef8.

6. La tête est ce qui, dans le corps, a la prééminence. C’est d’elle que le corps tire sa vie; c’est par son esprit que tout y est réglé et c’est d’elle que le corps reçoit croissance et grandit. De plus, il y a dans un corps une seule tête, qui est en harmonie convenable avec lui. Or l’Eglise, de même, ne peut avoir d’autre tête que le Christ. En effet, puisque l’Eglise est un corps spirituel, il faut qu’elle ait une tête spirituelle qui lui convienne. Et elle ne peut être régie par un autre Esprit que celui du Christ. Aussi Paul dit-il: Il est la tête du corps de l’Eglise. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier9. De même, il dit ailleurs: Christ est le chef de l’Eglise, qui est son corps et dont il est le Sauveur10; et encore: Dieu l’a donné pour chef suprême à l’Eglise, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous11. Et de même: Nous croîtrons à tous égards en celui qui est le chef, Christ. De lui, le corps tout entier bien ordonné et cohérent, grâce à toutes les jointures qui le soutiennent fortement, tire son accroissement, dans la mesure qui convient à chaque partie, et s’édifie lui-même dans l’amour12.

7. Nous rejetons donc la doctrine du clergé romain, qui fait de son pape le pasteur universel et le chef souverain de l’Eglise romaine, militante sur la terre, voire un véritable vicaire du Christ, ayant en l’Eglise — comme ils le disent — plein pouvoir et suprême domination.

8. En effet, nous enseignons que Christ le Seigneur est, et demeure, l’unique pasteur universel, l’évêque souverain devant Dieu le Père. Il remplit dans l’Eglise toutes les fonctions d’évêque ou de pasteur, et cela jusqu’à la fin du monde; par conséquent, il n’a pas besoin d’un vicaire qui supplée à son absence. Car le Christ est présent dans l’Eglise et, comme tête de celle-ci, lui donne la vie. Et il a strictement interdit aux apôtres et à leurs successeurs la primauté et la domination dans l’Eglise. N’est-il donc pas évident que ceux qui s’opposent à une vérité si manifeste, qui la combattent et introduisent dans l’Eglise un gouvernement contraire, doivent être mis au rang de ceux dont les apôtres du Christ — Pierre, Paul et d’autres — ont prophétisé?13

9. En écartant le chef romain, nous n’introduisons aucun désordre ni aucune confusion dans l’Eglise du Christ, puisque nous enseignons que le gouvernement de l’Eglise, tel que nous l’ont donné les apôtres, suffit pour tenir celle-ci en bon ordre. En effet, au commencement, alors qu’il n’y avait pas de chef romain censé maintenir l’Eglise dans l’ordre, celle-ci n’était nullement désordonnée ou remplie de confusion. Le chef romain, en conservant sa tyrannie et la corruption qu’il a introduite dans l’Eglise, empêche, combat autant qu’il le peut, et renverse de tout son pouvoir la juste réformation de l’Eglise.

10. Le reproche nous est fait qu’il y a, dans nos Eglises, plusieurs disputes et combats depuis qu’elles se sont séparées de l’Eglise de Rome, et que ce ne sont donc pas de vraies Eglises. Comme si, dans l’Eglise romaine, il n’y avait jamais eu aucune secte, aucune dispute, ni aucun combat; et ce au sujet de la religion même — non pas tant dans les écoles que dans les chaires sacrées, au milieu même du peuple! Nous le reconnaissons bien, l’apôtre a dit que Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix14, et: Puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et de la discorde, n’êtes-vous pas charnels?15 Cependant, nul ne peut nier que Dieu n’ait été dans l’Eglise apostolique, et que cette Eglise apostolique n’ait été la vraie Eglise; pourtant, il y a eu en elle des contestations et des disputes. Car l’apôtre Paul a repris l’apôtre Pierre, et Barnabas a eu un différend avec Paul16. Une grande contestation s’est élevé dans l’Eglise d’Antioche entre ceux qui prêchaient pourtant le même Christ, comme le rapporte Luc17. Il y a toujours eu dans l’Eglise de grandes contestations, et les plus excellents docteurs de l’Eglise ont eu des différends entre eux sur des questions qui n’étaient pas sans importance. Malgré ces contestations, l’Eglise n’a pas cessé d’exister. Car il plaît à Dieu de se servir des discordes qui s’élèvent dans l’Eglise pour la gloire de son nom, pour mettre en évidence sa vérité, et pour que se manifestent ceux qui sont approuvés18.

11. Du reste, comme nous ne reconnaissons pas d’autre chef de l’Eglise que le Christ, de même nous ne reconnaissons pas pour authentique toute Eglise qui se vante d’être la vraie. Mais nous enseignons que l’Eglise véritable est celle où se trouvent les signes et marques de la vraie Eglise: d’abord et surtout, la prédication légitime et sincère de la Parole de Dieu, telle qu’elle nous est transmise dans les livres des prophètes et apôtres, lesquels conduisent tous au Christ. Celui-ci, en effet, a dit dans l’Evangile: Mes brebis entendent ma voix. Moi, je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle; elles ne suivront point un étranger; mais elles fuiront loin de lui, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers19.

12. Or ceux qui sont tels, dans l’Eglise, ont une même foi, un même Esprit et, partant, adorent un seul et même Dieu. Ils le servent lui seul, en esprit et en vérité; ils l’aiment lui seul de tout leur cœur et de toute leur force, l’invoquant lui seul, par le Christ, leur unique médiateur et intercesseur, et ne cherchant par la foi leur justification et leur vie en nul autre que le Christ. De plus, parce qu’ils reconnaissent en Christ seul le chef et le fondement de l’Eglise, et étant ainsi établis sur lui, ils s’amendent jour après jour par la repentance, et ils portent avec patience la croix qui leur est imposée. Et se joignant à tous les membres du Christ par un amour sans hypocrisie, ils se déclarent ainsi disciples du Christ et persévèrent dans le lien de la paix et une unité sacrée. Ils participent aux sacrements institués par le Christ et transmis par les apôtres, n’en usant pas d’une autre manière que celle qu’ils ont reçue du Seigneur. Car ce que dit l’apôtre est connu de tous: Moi, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis20. Nous condamnons donc comme étrangères à l’Eglise véritable ces Eglises qui ne sont pas telles qu’elles devraient être (d’après ce que nous venons de voir) et qui, pourtant, se vantent d’une succession d’évêques, de l’unité et de l’ancienneté. Les apôtres nous ordonnent plutôt de fuir l’idolâtrie et Babylone, et de n’avoir avec elle aucune communion, à moins que nous ne voulions aussi avoir part aux plaies que Dieu envoie21.

13. Mais nous estimons à tel point la communion avec la vraie Eglise du Christ que nous nions que puissent vivre devant Dieu ceux qui n’ont pas de communion avec elle et s’en séparent. En effet, comme personne n’a été sauvé hors de l’arche de Noé, lorsque le monde a péri par le déluge, nous croyons de même qu’il n’y a aucun salut assuré en dehors du Christ, qui s’offre dans l’Eglise comme le bien des élus. Nous enseignons donc que ceux qui veulent avoir la vie ne doivent pas se séparer de la vraie Eglise du Christ.

14. Toutefois, nous n’enfermons pas l’Eglise entre ces limites au point de rejeter tous ceux qui ne participent pas aux sacrements — ceux en particulier qui s’abstiennent par une nécessité insurmontable et non par mépris. Nous ne rejetons pas davantage ceux dont la foi défaille par moment sans s’éteindre complètement, ou ceux encore dont la faiblesse est cause de certains vices ou erreurs. Nous savons en effet que Dieu a eu des amis dans le monde, en dehors d’Israël. Nous savons ce qui est arrivé au peuple de Dieu dans la captivité babylonienne qui l’a privé de ses sacrifices pendant soixante-dix ans. Nous savons ce qui est arrivé lors du reniement de Pierre et ce qui advient quotidiennement aux croyants, élus de Dieu, qui s’égarent et sont faibles. Nous savons, de plus, comment ont été les Eglises de Galatie et de Corinthe au temps apostolique, à qui l’apôtre reproche de nombreux et graves péchés, en les considérant pourtant comme des Eglises saintes du Christ.

15. Il arrive même parfois que Dieu, par un juste jugement, permette que la vérité de sa Parole, la foi authentique et le culte légitime de Dieu soient tellement obscurcis et défigurés que l’Eglise semble presque entièrement éteinte et n’avoir plus aucune apparence visible, comme nous voyons qu’il arriva au temps d’Elie et à d’autres époques. Cependant Dieu ne cesse d’avoir, dans ce monde ténébreux, ses vrais adorateurs, assez nombreux pour s’élever jusqu’à sept mille, et même davantage22. En effet, l’apôtre s’écrie: La solide base posée par Dieu subsiste, scellée par ces paroles: Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent23. D’où l’Eglise peut être appelée invisible; non que les hommes qui la composent soient invisibles, mais parce qu’elle est cachée à nos yeux, connue de Dieu seul, et se dérobe souvent au jugement des hommes.

16. D’autre part, tous ceux qui sont comptés au nombre de l’Eglise ne sont pas des saints ou des membres vivants et véritables de celle-ci. Car beaucoup sont des hypocrites: ils entendent extérieurement la Parole de Dieu et reçoivent publiquement les sacrements; ils semblent invoquer Dieu seul par le Christ, confesser le Christ comme unique source de justification, adorer Dieu, accomplir les devoirs de la charité et supporter, pendant un temps, les épreuves avec patience. Mais ils sont dépourvus de la vraie illumination intérieure de l’Esprit, de la foi et d’une sincérité qui procèdent du cœur, ainsi que d’une persévérance qui tienne ferme jusqu’à la fin. De la sorte, ils finissent d’ordinaire par être mis au grand jour. Car l’apôtre Jean dit: Ils sont sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas des nôtres; car, s’ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous24. Toutefois, bien qu’ils ne soient pas de l’Eglise, ils doivent être comptés au nombre de celle-ci tant qu’ils simulent la piété — tout comme les traîtres d’une nation, avant d’être découverts, sont comptés parmi les citoyens, ou comme l’ivraie et la bale s’entremêlent avec le blé; ou encore, comme des abcès et des tumeurs se trouvent dans un corps en bonne santé, alors qu’ils sont des maladies et difformités, plutôt que des membres véritables. L’Eglise de Dieu est donc comparée à juste titre à un filet qui ramasse toutes sortes de poissons, et à un champ où se trouvent l’ivraie et le blé25. Partant, il nous est absolument nécessaire de ne pas juger avant le temps et, ainsi, exclure, rejeter ou retrancher ceux que le Seigneur ne veut pas exclure ou rejeter, ou encore ceux que nous ne pourrions séparer de l’Eglise sans qu’elle en subisse des dommages. En outre, il faut également veiller, de peur que les impies ne s’affermissent et ne fassent du tort à l’Eglise pendant que dorment les hommes de foi26.

17. Nous enseignons, de plus, qu’il faut garder diligemment à l’esprit en quoi consiste principalement la vérité et l’unité de l’Eglise, afin que nous ne suscitions témérairement ni ne nourrissions des schismes dans l’Eglise. Cela consiste, non en des cérémonies ou rites extérieurs, mais bien plutôt en la vérité et l’unité de la foi catholique. Cette foi catholique ne nous est pas communiquée par des lois humaines mais par les Ecritures saintes, que résume le Symbole des apôtres. Par conséquent, nous lisons chez les anciens qu’il y a eu une gamme diversifiée de rites dans l’Eglise, mais qui n’étaient pas imposés; d’ailleurs personne n’a songé que l’unité de l’Eglise en était brisée. Nous disons donc que c’est dans les doctrines, la prédication uniforme de l’Evangile du Christ et les rites que le Seigneur a expressément communiqués que réside la vraie concorde de l’Eglise. Et nous mettons ici en relief, de façon particulièrement appuyée, cette affirmation de l’apôtre: Nous tous donc qui sommes des hommes faits, ayons cette pensée, et si sur quelque point vous avez une pensée différente, Dieu vous révélera aussi ce qu’il en est. Seulement, au point où nous sommes parvenus, avançons ensemble27.


1 L’alternance, dans ce chapitre, entre « tête » et « chef » s’explique par le fait que ces deux termes traduisent un seul mot latin (caput). Il en est de même, d’ailleurs, de kephale, dans le grec du Nouveau Testament. (N.d.t.)

2 Ep 2:19.

3 1 Co 6:11.

4 Cf. 1 Tm 3:15; 2 Co 6:16; 1 P 2:5; Mt 16:18; He 12:28; 1 Co 3:11.

5 1 Tm 3:15.

6 2 Co 11:2.

7 Ez 34 et Jn 10.

8 Cf. Col 1:24.

9 Col 1:18.

10 Ep 5:23.

11 Ep 1:22-23.

12 Ep 4:15-16.

13 2 P 2:1; Ac 20:29; 2 Co 11:13; 2 Th 2:8-9 et passim.

14 1 Co 14:33.

15 1 Co 3:3.

16 Ga 2:11.

17 Ac 15:2.

18 1 Co 11:19.

19 Jn 10:27-28 et v. 5.

20 1 Co 11:23.

21 1 Co 10:14, 21; 1 Jn 5:21; Ap 18:4; 1 Co 6:9.

22 1 R 19:18; Ap 7:4, 9.

23 2 Tm 2:19.

24 1 Jn 2:19.

25 Mt 13:26, 46.

26 Mt 13:25.

27 Ph 3:15-16.

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