Samuel Vincent – Repère sur notre route

Samuel Vincent
Repère sur notre route

Roger GROSSI*

En une époque où triomphent une philosophie positiviste prétendant porter aux musées du passé le monde religieux, et un catholicisme conquérant mais profondément intégriste, tant au point de vue politique qu’au point de vue religieux, Samuel Vincent revendique une pensée libre, accueillante à toute recherche scientifique authentique, mais lucide sur les dérives d’un scientisme idéologique. Il est le signe d’une Eglise résolument tournée vers la modernité, mais aussi fortement attachée au mystère de la grâce révélée en Jésus-Christ.

Né en 1787, l’année même de l’Edit de tolérance, Samuel Vincent est l’une des personnalités protestantes de la première partie du XIXe siècle, qui par sa vie et par son oeuvre a profondément marqué le protestantisme français.

I. Sa vie

Petit-fils et fils de pasteurs du Désert, Samuel Vincent est né à Gajan le 8 septembre 1787. Pour s’être soumis au sinistre ambassadeur de la Terreur, Borie, Adrien Vincent son père ne pourra pas revenir exercer son ministère à Nîmes. Dans le cadre des nouvelles structures consistoriales établies par les Articles Organiques, Adrien Vincent exercera son ministère dans la seconde section de l’église de Sommières à Gajan. Samuel trouve là ses grands-parents maternels. Après sa formation primaire dans l’école du village, Samuel Vincent poursuivra ses études secondaires au collège d’Uzès, puis à celui de Sommières, avant d’être placé, à Montpellier, dans la pension des frères Daniel et André Encontre.

Il poursuit sa formation universitaire à Genève où il est accueilli comme premier étudiant en théologie du Comité genevois en faveur des jeunes protestants français.

Ses maîtres ne tardent pas à discerner en lui, en même temps que son humilité, ses solides qualités intellectuelles. Sa puissance de travail et la sûreté de son jugement. Ses études brillamment terminées, Samuel Vincent est ordonné pasteur le 6 octobre 1809. Il est appelé par l’Eglise de Nîmes pour y exercer le ministère de pasteur catéchète, ministère qu’il exercera du 2 décembre 1809 au 22 octobre 1815.

Il est alors nommé pasteur titulaire et poursuivra son service dans l’église de Nîmes jusqu’en 1837.
Il se marie avec une nîmoise Suzanne Peyront le 26 avril 1816. Le jeune couple aura la tristesse de perdre son premier enfant ,un garçon nommé Adrien. Ils auront par la suite trois filles que Samuel Vincent pourra suivre jusqu’à leur adolescence. Il mourra prématurément en 1837 à cinquante ans. Il était Président du Consistoire depuis 1830.

A) Son oeuvre littéraire, historique et religieuse

De 1815 à 1831 Samuel Vincent ne cesse de publier. Ses premières oeuvres concernent son ministre de pasteur catéchète et montrent les premiers axes de ses travaux. Il publie des catéchismes en 1815 et 1817. Atttentif à l’importance de la réflexion apologétique, il traduit de l’anglais et publie successivement: la Philosophie morale de William Paley et Preuves et autorité de la révélation chrétienne de Thomas Chalmers (1817-1819).

Soucieux de donner aux jeunes connaissance de leurs racines huguenotes, il réédite l’oeuvre d’Antoine Court La guerre des Cévennes, l’Histoire des Camisards. Une importante introduction exprimera le drame vécu par le peuple réformé lorsqu’il a connu l’exclusion et l’absence de toute présence pastorale.

L’essentiel de son oeuvre se situe entre 1820 et 1831. En 1820, il répond aux écrits et aux injustes attaques de Félicité de Lamennais dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion. Samuel Vincent publie deux ouvrages: Observations sur l’unité religieuse et Observations sur la voie d’autorité appliquée à la religion.

De 1820 à 1824, il lance une grande revue: Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée, revue à dimension européenne qui vise à ouvrir l’élite laïque protestante et le corps pastoral à la connaissance de tout ce qui se publie concernant les diverses sciences et, en particulier, les sciences religieuses. Cette revue, publiée en fascicules mensuels réunis en deux volumes annuels, manifeste une multiplicité de relations, très étonnante pour l’époque. Le souci catéchétique se manifeste encore par une publication en 1823 sur Principe de lecture à l’usage des écoles protestantes, suivis des éléments de la religion chrétienne et des prières. En 1829, paraissent les deux volumes intitulés: Vues sur le protestantisme français, ouvrages remarquables par la richesse de ses analyses. En 1830 et 1831, en collaboration avec son ami, son beau-frère et collègue, Ferdinand Fontanès, il lance une nouvelle revue Religion et christianisme, ce qui donnera encore quatre importants ouvrages. Paraissent encore deux volumes de Méditations religieuses, regroupant des textes parus en publications mensuelles.

B) Le protestantisme méridional au temps de Samuel Vincent

La législation anti-protestante en vigueur avant la révocation de l’Edit de Nantes et la répression permanente du protestantisme sur tout le territoire du Royaume ont terriblement affaibli le peuple réformé.
Malgré l’oeuvre étonnante des inspirés et des camisards, malgré le remarquable travail d’Antoine Court et de ses compagnons pour la restauration du protestantisme, malgré le courage et l’inlassable travail des pasteurs du Désert, le protestantisme méridional est terriblement appauvri, en nombre et en dynamisme spirituel, au seuil du XIX8 siècle.

Il a surtout souffert par l’absence de tout organe de formation, hors l’école des martyrs de Lausanne. Sans pasteurs, sans lieux de culte, sans ouvrages de piété, sans catéchismes, sans livres de louange pendant plus d’un siècle,
la piété s’est lentement affaiblie. Les Articles Organiques, par lesquels le Consulat et l’Empire ont institutionnalisé nos Eglises, auront en outre de lourdes conséquences. Les ministres sont fonctionnarisés, les paroisses prises en charge financièrement sont irresponsabilisées. Les structures d’unité et de discipline communautaire: synodes régionaux et nationaux sont pratiquement supprimées, création des Eglises consistoriales, structures géographiques sans signification spirituelle, qui sont confiées à des Conseils nommés en fonction de leur capacité financière plus que pour leur piété ou leurs charismes spirituels.

Le diagnostic que porte Samuel Vincent à son retour en France est douloureux. Il distingue dans le corps pastoral quatre types de ministres:
 

  • Ceux qui constituent une classe qu’on peut appeler l’ancien régime. Ils ont lu nos anciens théologiens, mais ils ne connaissent point les immenses travaux dont la théologie s’est enrichie depuis le XVIe et XVIIe siècles. La critique sacrée est pour eux une science suspecte… Il y a là une foule de choses qui leur déplaisent, qui les blessent même au vif… La confession de foi est calviniste mais presque tous ont adopté un système fort adouci. Ils sont arrivés à cet âge de la vie où les opinions ne varient plus. C’est du bronze; il ne faut pas prétendre les changer. Il faut les laisser passer.
  • La seconde classe se compose de pasteurs, en très grand nombre, qui ont assez réfléchi au protestantisme et à sa position en Europe pour faire consister son coeur dans la liberté d’examen… liberté infiniment chère ; ils sont tolérants. C’est sur eux que doivent reposer les espérances et les voeux de l’Eglise Réformée de France.
  • La troisième classe, peu nombreuse encore, est en relation avec les méthodistes. Leur manière de procéder en théologie est bien simple. Ils partent du principe de l’inspiration immédiate, absolue et complète de la Bible. C’est pour eux, dans le sens le plus direct « la Parole de Dieu>>… Ils risquent de ressembler aux catholiques… hors de l’Eglise pas de salut!
  • Il existe, enfin, une quatrième classe… peu nombreuse: ceux qui ne voient dans le ministère qu’un gagne-pain: « ils s’occupent, pour la plupart, de leurs propres affaires, ils n’ont pas le temps de songer aux progrès de la religion et au salut des âmes. Pourvu que le trimestre arrive, peu leur importe.>> « Puissent mes paroles retentir fortement aux oreilles de ceux qui sont encore assez jeunes pour les entendre et réveiller en eux le reste d’énergie et de vertu dont l’Eglise et la religion ont également besoin parmi nous.>>

Si le diagnostic est sévère, Samuel Vincent demeure plein d’espérance et tout son ministère va s’orienter vers cet unique objectif: travailler au renouveau du peuple réformé. C’est en demeurant comme un simple pasteur au sein de l’Eglise de Nîmes que Samuel Vincent s’attachera à travailler à la restauration des Eglises de France. Il refusera toute mission professorale.

C) Samuel Vincent et le catholicisme

Il découvre à Nîmes un catholicisme très préoccupé de retrouver sa puissance, en particulier dans le monde de l’enseignement et dans le monde hospitalier. Avec fermeté et un surprenant esprit oecuménique, il fait face à l’intolérance des clercs et du pouvoir. Inlassablement, il demandera le respect de la loi et l’application de la Charte. Il ne manifeste sa réprobation publique aux accusations de Félicité de Lamennais qu’après avoir été prié par ses amis suisses et français de répondre au célèbre pamphlétaire. Qu’était-il, lui, humble pasteur de province, pour affronter un prince de l’Eglise romaine? Ceux qui le connaissent savent combien il a horreur de toute polémique. Tout en admirant l’oeuvre de Lamennais, S. Vincent souligne l’aveuglement du prêtre et son ignorance profonde de la réalité de la Réforme. Il espère pourtant que Rome découvrira bientôt le chemin de son renouveau en revenant à l’Evangile. Ici s’éclaire la conception ecclésiologique de Vincent: pour lui, toutes les confessions sont des sectes, des réalités historiques contingentes, Rome, l’orthodoxie, le calvinisme, le luthéranisme, l’anglicanisme. Ce qui est important pour chacune de ces confessions, c’est la place centrale de Jésus-Christ. Ce qui est important, c’est que nous soyons tous des disciples du même Maître. S. Vincent pense que le monde attend la manifestation de l’unité chrétienne et que grand est le scandale des divisions et des animosités entre Eglises rivales ou concurrentes.

D) Samuel Vincent et les hommes du Réveil

Tant dans le catholicisme que dans le protestantisme, la venue en France des missionnaires étrangers méthodiste, vers 1820, a suscité des inquiétudes, des dénonciations au pouvoir politique, des oppositions populaires, souvent suscitées par les clercs. Samuel Vincent, au contraire, accueille ces frères comme des envoyés de Dieu pour aider au renouveau de la foi et de la piété du peuple de nos Eglises. Par eux, se manifeste un réel renouveau. L’amour de la Parole de Dieu, la joie du culte, la prière et la louange reprennent vie dans les paroisses. La vie communautaire, le souci diaconal grandissent. Les liens fraternels s’épanouissent. L’action des missionnaires est une vraie grâce de Dieu. Samuel Vincent soutient et défend les hommes du Réveil. Il exhorte les pasteurs réformés à rechercher dans leur vie personnelle, dans leur ministère, ce qui attire les fidèles et les incroyants vers ces hommes.
Par ailleurs, il prie les missionnaires étrangers d’aider au réveil de ce peuple réformé qui a donné tant de martyrs au temps de la persécution, qui a tant souffert, mais de se garder, en ces temps où beaucoup sont tombés dans la tiédeur et la médiocrité, de travailler à créer de nouvelles Eglises hors des Eglises réformées. Ainsi toujours respect du ministère de l’autre, ouverture fraternelle mais, en même temps, appel au même respect à l’égard de ceux que l’on est venu servir.

E) Samuel VINCENT à l’écoute de son temps

Du siècle des Lumières et des fracas de la Révolution et de l’Empire émergent beaucoup de ruines et d’interrogations. Samuel Vincent examine comment le pasteur peut annoncer l’Evangile dans ce contexte. Énumérons quelques-unes de ces interrogations: Comment concilier la liberté de recherche, l’esprit scientifique et la fidélité à la tradition? La religion appartient-elle à un monde révolu? En face des sciences et de leurs incessantes découvertes, comment la raison se situe-t-elle dans l’Eglise? Quelle relation établir entre raison et révélation? En face de l’optimisme humaniste et de l’incroyance qui souvent l’accompagne, y a-t-il une parole claire, une réponse des croyants? Quel message apporter aux sociétés et aux individus trouvant en eux passions, forces de violence et de destruction ? Comment assurer la moralité indispensable à toute vie sociale? Comment, à la différence du catholicisme, intégrer toutes les avancées sociales et politiques de la Révolution française? Comment concilier liberté et recherche de la vérité, vérité et religion, tolérance et religion, laïcité et pouvoir politique, Église et État? Y a-t-il une mission pour la philosophie dans la cité et une mission pour l’Eglise?

Dans le protestantisme de langue française, Samuel Vincent est l’un des hommes qui porte ce souci d’écouter, d’essayer de comprendre les défis du monde scientifique, comme il a été celui qui a entendu le défi catholique et y a répondu. Au sein d’un protestantisme menacé par de profondes divisions internes, Samuel Vincent est celui qui appelle à dépasser d’inutiles discussions pour essayer de discerner ensemble le ministère que le temps et Dieu placent devant l’Eglise.

Samuel va chercher une voie qui permettra de dialoguer avec les hommes de son temps tout en sauvegardant la fidélité à l’essentiel de la réforme, la fidélité à la révélation.

Et voici les questions concernant la vie du protestantisme français qui sont au coeur de la recherche pastorale de Samuel Vincent: Comment retrouver une structure administrative qui soit conforme au génie réformé? Comment éviter les déchirements théologiques au sein du petit protestantisme français? Comment restaurer la piété et la vie communautaire dans nos Eglises? Comment aider à la redécouverte de la vision de l’Eglise universelle et de sa mission dans les domaines biblique, théologique, missionnaire, apologétique, éthique?
 

II. Notre actualité et Samuel Vincent

Le monde a bien changé depuis le temps de Samuel Vincent. La Réforme, le siècle des Lumières et la Révolution avaient commencé à ébranler les institutions et les valeurs sur lesquelles reposait la chrétienté occidentale. Le XXe siècle a vu s’écrouler au cours de révolutions successives des pans entiers de valeurs et d’institutions antérieures. Aujourd’hui, reprenant de vieux discours, des voix nombreuses appellent nos contemporains au plaisir et à la jouissance personnelle. Ces appels comportent une philosophie qui oriente nos peuples vers l’eugénisme et l’euthanasie. Libérés de tous les tabous et, en particulier, de tous ceux que l’on impute au judéo-christianisme, femmes et hommes d’aujourd’hui peuvent décider si leur vie vaut la peine d’être vécue ou s’il vaut mieux y mettre fin. Ils peuvent aussi choisir s’ils veulent ou non mettre au monde des enfants et en viennent ainsi à se considérer comme les maîtres de la vie et de la mort. Par la science et par les techniques, ils travaillent à mettre en place les moyens pour faciliter cette course au bonheur et pour se protéger des risques de cette liberté.

Les nouvelles valeurs s’appellent: santé, satisfaction, protection, plein épanouissement de soi et, chose étrange, cette exaltation de la puissance de l’homme moderne va de pair avec la multiplication des drames individuels et familiaux, avec la croissance du mal-être. Jamais l’angoisse, la solitude, le besoin de remèdes n’ont été aussi grands. Ces réalités individuelles et familiales sont aggravées par le contexte national et international: le chômage, les guerres, les armements terrifiants, l’impuissance à résoudre les problèmes économiques et sociaux, l’incapacité du monde à progresser vers une authentique solidarité. L’inhumanité croissante des situations, l’exploitation des faibles: enfants, femmes, pauvres, tous ceux qu’on appelle « les sans voix>> sont notre ordinaire journalier. L’effondrement de grands systèmes politiques oppresseurs avait fait naître de grandes espérances. Nous assistons, hélas, à la montée des nouveaux nationalismes, aux volontés de puissance des riches, des intérêts catégoriels et régionaux, aux menaces des intégrismes religieux.

Après avoir abandonné les Eglises et pour beaucoup, du moins dans leur discours, la croyance en Dieu, aujourd’hui, beaucoup ne croit plus en rien, ni en l’homme, ni en la justice, ni à la famille, ni à la morale. Le doute s’est infiltré partout, la confiance en l’autre s’estompe. La nuit devient profonde. L’irrationnel devient dominant, les sectes pullulent, les croyances les plus primitives resurgissent, les média ridiculisent le monde politique, syndical et religieux. Partout, l’insécurité s’installe avec le mépris des faibles et le développement des gangs de la drogue, de la prostitution, du vol et de la violence. La démocratie est en danger avec la mise en question de la vertu, des compétences et du sérieux des élites. L’inquiétude monte dans les esprits et dans les coeurs et, surtout, dans la jeunesse; beaucoup se demandent d’où viendra l’espérance?

Comment oublier, dans ce tableau qui se voudrait simplement réaliste, la montée des menaces pour notre environnement: la terre, la mer, l’eau, l’air, tout ce qu’il faut essayer d’arracher à la pollution et à la ruine. Samuel Vincent peut-il, dans cette situation, nous apporter conseil et appui? Voici quelques perspectives que ce pasteur peut ouvrir devant nous:

i) Son premier message nous paraît être un appel à faire confiance à l’homme, à croire en l’homme et donc à ne pas succomber au doute, au découragement ou à la démission. Il nous appartient d’aider les hommes et, en particulier, les jeunes à croire en eux, en leur possibilités, en leurs capacités, en leur responsabilité de citoyens.

ii) Samuel Vincent s’est présenté à ses contemporains et à son Église comme un défenseur de la raison. Être chrétien ne nous conduit pas à renoncer à ce merveilleux instrument que nous partageons avec tous les hommes. Intelligence et raison nous aident à chercher cohérence et sagesse. Il n’est pas question que nous nous laissions aller à l’irrationnel, que nous renoncions à examiner les attentes des hommes et les richesses que la terre et le monde nous offrent. Les sciences nous conduisent à découvrir l’ordre et l’intelligence qui se lisent partout dans l’univers. Beaucoup d’énigmes demeurent et aussi des horreurs incompréhensibles, mais merveilles et beautés l’emportent sur les ombres. La raison nous conduit à cerner le réel, elle est une gr,ce de Dieu. Mais l’histoire nous enseigne que dans l’Eglise et hors de l’Eglise, la raison a pu être folle dans ses sottes prétentions.

iii) Samuel Vincent attire l’attention des Eglises sur l’importance d’une réflexion apologétique. L’objectif est de discerner les éléments positifs dans le discours de l’incroyant, puis de mettre en lumière les aspects irrationnels et scientifiquement sans valeur, idolâtres, idéologiques et donc sans valeur malgré leur prétention scientifique. Cette démarche nous paraît d’une grande urgence aujourd’hui. Dans les sciences de l’homme en particulier, combien d’affirmations qui ne sont que des justificatifs de comportements déviants et n’ont rien de scientifiques? Combien de propositions d’art de vivre sont présentées dans les médias qui, en fait, défigurent des réalités fondamentales: l’homme et la femme, le couple, la famille et l’enfant. Il est important d’entendre les mises en questions, les appels, les provocations et d’entreprendre, avec tous, les dialogues indispensables; mais il est essentiel que nous soyons là, témoins de notre éminente dignité d’hommes et de femmes appelés à découvrir ensemble le chemin de l’amour. Il est essentiel que l’Eglise soit aidée sur ce chemin par ceux de ses membres qui sont capables de porter, sur chaque discipline, un regard de critique lucide, capables de retenir la vérité et de rejeter tout ce qui est dérive idéologique.

iv) S. Vincent et F. Scleiermacher ont affirmé la réalité et l’importance fondamentale du fait religieux. En cette fin du XXe siècle, le besoin religieux se manifeste par un étonnant foisonnement de phénomènes spirituels: sectes, croyances antiques réactualisées, grands rassemblements populaires réunissant surtout la jeunesse pour de nouvelles formes de communion par la musique, les arts, le sport. Il nous appartient de chercher et de trouver la manière d’exprimer, pour notre temps, l’Evangile comme unique assurance redonnant aux hommes, par la grâce de Dieu, la joie de vivre.

v) Samuel Vincent, attentif au message prophétique des hommes de la Bible, souligne comment Dieu nous demande d’établir la différence entre le faux et le vrai prophète. L’histoire seule nous permet de distinguer l’un de l’autre. Ce que Dieu annonce se réalise. Ce qui vient de l’imagination des hommes est sans lendemain. Il y a là un chemin de réflexion intéressant pour nous. Il vaut la peine d’attirer l’attention des hommes sur un certain nombre de réalités historiques: Israël, la Loi et les Prophètes, Jésus de Nazareth et l’Evangile, la marche de l’Evangile dans l’histoire universelle. S. Vincent attire notre attention sur l’exigence du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de son peuple: c’est à l’amour qu’ils manifesteront que le monde « reconnaîtra ses disciples ».

vi) Comme en contrepoint, Samuel Vincent nous rappelle que nous sommes des « pauvres » vivant de la grâce de Dieu et non par le mérite des oeuvres. Nous ne pouvons être que des disciples émerveillés par l’oeuvre actuelle de Dieu dans nos vies concrètes de témoins de son amour. Dans la même ligne, Pierre Chenu, dans sa Brève histoire de Dieu, note:
 

Vous avez bien compris que cette brève histoire n’est pas, ne peut pas être, celle de Dieu, tellement hors d’atteinte, mais celle de ce qui s’est passé peut-être en nous, de la trace que nous croyons pouvoir déceler dans l’esprit, dans le coeur de ceux qui nous accompagnent. Cette brève histoire est tout au plus une introduction à notre histoire avec Dieu.

vii) Par l’accueil qu’il fait aux hommes du Réveil, par le souci qu’il apporte à tout ce qui concerne la vie des communautés chrétiennes – qualité de la prédication, place du silence, de l’adoration, de la prière, du chant, de la convivialité, de l’étude des Saintes Écritures – Samuel Vincent nous montre notre responsabilité pastorale quant aux signes visibles que nos communautés rendent publiquement à Dieu au milieu des hommes. Bien qu’il n’ait pas eu le temps d’écrire une théologie pastorale, toute son oeuvre offre une réflexion extrêmement précieuse pour nourrir les fidèles et les pasteurs de nos Eglises.

viii) Samuel Vincent étudie les besoins de ses contemporains, et cela ne signifie pas seulement les besoins spirituels. A l’heure où l’industrie commence à se développer dans le Midi, il analyse les conditions économiques et sociales de la vie des hommes, il s’interroge sur leur formation tant intellectuelle qu’affective et spirituelle. Il examine la responsabilité des clercs et des élites. Il sait que les hommes ont besoin de pain, d’amour, de culture, de sécurité, de travail, de vérité et de paix. Il s’interroge sur la signification concrète de l’ordre de Dieu: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Comment aider le peuple de Dieu à ne jamais dissocier l’amour de Dieu et l’amour du prochain? Aujourd’hui, comment servir pour que l’humanitaire et le caritatif ne deviennent pas des chemins d’assistanat, d’irresponsabilité tant pour les gouvernements, les peuples que pour les personnes? Comment agir pour que la multiplication des droits, cessant d’être accueil de la grâce, ne devienne chemin de servitude par la mise en place de redoutables carcans sociaux? Une réflexion diaconale est pour nous, aujourd’hui, d’une actualité journalière indispensable.

ix) Samuel Vincent a entrepris une réflexion ecclésiologique importante. Qu’est-ce que l’Eglise dans nos diverses confessions? Il les considère comme des structures historiques, nécessaires, mais accidentelles. Le Seigneur seul connaît le secret des coeurs. Mais, en ce temps où le dialogue oecuménique s’intensifie, il est essentiel de savoir quelle est la vision qui anime chaque Eglise et en particulier les grandes: l’Eglise Catholique romaine et l’Eglise Orthodoxe. Quelle est l’attente de chacune? A l’aube du XXIe siècle, est-ce le souci missionnaire et le souci diaconal qui sont au coeur de notre recherche ou la construction d’une immense structure institutionnelle?

x) Enfin, Samuel Vincent se présente à nous, non comme un maître qui défend une doctrine, mais comme quelqu’un qui se veut seulement témoin du Christ libérateur. Il appelle tous les hommes à une rencontre, à une écoute, à une découverte, à un partage dans la communion de tous ceux qui font route avec Jésus. Si restent ouvertes et sans réponse beaucoup d’interrogations, une certitude inébranlable demeure, source de joie et de liberté: l’amour de Dieu est annoncé au monde, source de renouveau et d’espérance. S. Vincent vient à nous avec une tranquille assurance: Dieu est à l’oeuvre dans le monde. Chacun peut le découvrir dans la réalité concrète de son existence. La vie est alors éclairée par le message du Christ, l’Evangile. C’est une grâce mystérieuse et libératrice à accueillir au jour le jour. Nos contemporains de route sont appelés à être les témoins ordinaires de cette réalité.


* R. Grossi est pasteur à la retraite de l’Eglise réformée de France et président de la Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard.

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