II Garder l’Eglise apostolique. I Tm 3:1-7 – Comment « garder l’église apostolique » ?

II Garder l’Eglise apostolique. I Tm 3:1-7
Comment « garder l’église apostolique » ?

Paul WELLS*

Cette parole est certaine: si quelqu’un aspire à la charge d’ancien, il désire une belle activité…
(1 Tm 3:1-7)

1 Timothée 3:1 nous présente une « parole certaine », la seconde de l’épître, après celle de 1 Timothée 1:15. Ces paroles ne sont pas inventées par Paul lui-même, mais citées par lui comme résumant la foi chrétienne sur des points de sotériologie ou d’ecclésiologie.

Ces paroles sont « fidèles », attribut souvent utilisé pour Dieu ou pour Jésus. Elles expriment donc la volonté de Dieu qui est que nous soyions fidèles comme lui.
L’enseignement des pastorales n’est pas moralisant, comme certains l’affirment. Son éthique est enracinée dans une théologie qui est tout à fait paulinienne.

I. Des objections…

A) On dit que cette parole n’a que peu de signification. Cette opinion néglige le fait que pour que la doctrine apostolique soit gardée, il faut la confier à des personnes compétentes. Il revient à l’Eglise de discerner qui, en son sein, a les dons nécessaires, tout comme un employeur exige des compétences pour un poste de responsabilité. C’est là une comparaison médiocre, bien sûr, mais pourquoi serions-nous moins exigeants dans l’Eglise qu’on ne l’est dans le monde, sous prétexte que nous sommes « entre frères »? Ne sommes-nous pas trop souvent tentés par la « politique des trois singes » – vois pas de mal, entends pas de mal et dis pas de mal – au détriment de la justice et de la vérité?

B) Cette parole n’instaure-t-elle pas une hiérarchie, une élite cléricale au-dessus du peuple? Nombreux sont ceux qui ont vu, dans ce passage, le catholicisme romain naissant, une institution qui commence à étouffer l’événement, un office qui supplante les charismes.

Il est vrai que ce danger existe toujours. Mais un autre problème peut surgir: celui de l’accaparement du pouvoir, du maintien obstiné, du refus de laisser sa place à un autre au moment propice. C’est ainsi qu’il arrive que, dans l’Eglise, des personnes insuffisamment compétentes restent trop longtemps en place.

Pourtant, selon le verset 15, l’Eglise est « la maison de Dieu » et « la colonne de la vérité ». Parfois difficile à croire en regardant autour de nous! L’Eglise se doit de veiller à faire preuve de discernement et à ne pas remettre l’autorité à tel ou tel de ses membres mu par l’ambition tandis que d’autres se satisfont de leur oisiveté. Autrement, elle plaira aux uns et aux autres, mais elle ne fera pas l’oeuvre du Seigneur.

L’Eglise est appelée à discerner les charismes et, là où elle les discerne, à les reconnaître. Herman Ridderbos affirme que tout dualisme entre le charisme et l’office est à rejeter. La relation entre les qualités de la personne et l’office à assumer est très étroite dans les Pastorales. Si on n’est pas pourvu des qualités souhaitables, il importe de le reconnaître en écoutant les autres et d’en tirer les conséquences[1].

C) Autre objection sérieuse: l’exhortation du premier verset – « désirer » un office -ne manque-t-elle pas de psychologie? Ne constitue-t-elle pas une incitation à l’orgueil?
Il ne faut pas oublier qu’au premier siècle, être responsable chrétien était loin d’être une sinécure C’était dangeureux. De plus, l’apôtre ne dit pas que le fait d’aspirer à être responsable soit l’indice d’une qualité personnelle; c’est cette tâche qui est de qualité: littéralement, c’est une oeuvre belle.

Pourquoi cette activité est elle belle? Parce que, selon Tite 1:7, l’ancien est oikonomos, intendant dans la maison de Dieu. Il est établi, dans l’Eglise, comme le gérant chargé d’assurer la succession du modèle apostolique.
 

II. L’évêque est un témoin vivant de l’action de la grâce divine

Paul a été intendant de la grâce, des mystères de Dieu, et Timothée est appelé à vivre selon le modèle de son père spirituel[2]. Lorsque Paul envoie Timothée à Ephèse, il lui rappelle d’où vient sa vocation. Timothée est « l’enfant » engendré par Paul, il a donc la même identité familiale que l’apôtre, et sa fonction est comparable. Celle-ci a les caractères suivants:

A) Un ministère placé sous l’autorité de Christ

Paul rappelle l’origine de son activité: « apôtre de Jésus-Christ par ordre de Dieu ». La grâce lui a été faite de porter la Parole de Dieu. La fonction apostolique implique:
* d’être choisi, envoyé par Christ. Timothée, le fils spirituel de Paul, est un envoyé de Christ avec sa parole[3]. Pasteurs et anciens sont appelés par Christ, choisis et envoyés par lui. Il convient de vérifier si cette vocation est réelle!
* d’être témoin oculaire de Jésus-Christ. Paul, sans doute, ne l’a pas été, mais il a reçu une vocation spéciale sur la route de Damas. Timothée est appelé à être témoin de Jésus-Christ à sa suite.

Sommes-nous aussi de vrais témoins pour reprendre la question célèbre de Kierkegaard à propos de l’évêque Mynster?[4] Beaucoup de choses peuvent détourner du témoignage fidèle: la bureaucratie de l’Eglise, nos ambitions et notre orgueil ou les soucis du siècle…
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Timothée, en vrai fils spirituel de Paul et comme ancien dans la communauté, est appelé à dépendre de l’Esprit. L’appel, le message et l’efficacité viennent de Jésus-Christ, de son autorité et de son ordre. L’autorité de l’ancien n’est autre que celle de la Parole et ne doit rien avoir de commun avec l’autoritarisme humain. Comme il est facile de se tromper sur notre autorité, de la justifier en se référant au texte sacré! Aussi faut-il redoubler de vigilance pour ne pas confondre notre autorité avec celle de la Parole. La notion de l’autorité qui prévaut dans certains milieux évangéliques conduit à une sorte d’autoritarisme malsain.
Il n’y a pas un seul « type » d’ancien qui correspondrait à un homme qualifié en relations humaines, « politiquement correct », urbain et à l’aise en public. En effet, Timothée était timide et disponible, Tite hardi et fonceur. C’est l’autorité de Christ, sa parole de grâce qui importent chez le responsable et non pas d’abord des considérations d’ordre psychologique, etc.
B) Un ministère qui requiert une expérience authentique de la grâce de Christ
Qui peut se sentir qualifié? La barre est placée tellement haut que personne n’a vraiment les qualités indiquées. D’où vient donc la capacité spirituelle nécessaire pour accomplir un tel ministère?

i) La seconde « parole certaine » est compréhensible à la lumière de la première En 1 Timothée 1:13-16, nous lisons quatre indications:

  • Dieu lui-même établit ses serviteurs dans son service;
  • Il appelle ceux qui sont naturellement pécheurs. Lorsque Paul écrit qu’il est le « premier des pécheurs », il veut dire que c’est ainsi qu’il se considère lorsqu’il s’examine devant Dieu. Comme l’a fait Martin Luther.
  • Dieu exerce sa miséricorde envers ceux qu’il appelle;
  • Les serviteurs de l’Evangile illustrent la grandeur de la grâce de Dieu en eux, grâce que Dieu exerce aussi envers tout le peuple de Dieu.

La belle activité de l' »ancien » suppose la belle action de la grâce de Dieu dans sa vie; l’ancien doit avoir conscience de la grandeur de la miséricorde de Dieu à son égard, de la transformation que la grâce a opérée en lui, de la responsabilité qu’il a d’exprimer, par la sainteté de sa vie, tout ce que Dieu a accompli pour chacun de ses enfants
Le service de l’ancien suppose, de sa part, une dépendance consciente de la grâce de Dieu, laquelle conditionnera tout, non seulement son attitude face à la Parole dont il est témoin, mais aussi tous les aspects de sa vie. Cette dépendance est la condition de l’obéissance, de la fidélité et du service. Si elle fait défaut, on est insuffisant et le ministère se transforme en fonction.

ii) Le « désir » de servir
Si un tel appel est reçu, il n’est pas prétentieux d’y répondre. Cette vocation est la plus belle qui soit: être témoin du plus merveilleux des Seigneurs, selon le modèle apostolique et avec la grâce qui est accordée à tout chrétien. Difficile, sans doute; aussi faut-il s’en souvenir face aux multiples découragements.
Paul n’a jamais sousestimé la dignité de son ministère: il exhorte Timothée à ne pas abandonner sa « belle activité ». Dans l’Eglise primitive, il y avait des sacrifices à consentir, des persécutions à subir, de fausses doctrines à dénoncer et des souffrances à endurer face aux critiques. Pour nous, il en est de même. N’oublions pas l’exemple de ceux qui nous ont précédés. Ayons comme modèle le courage d’un Luther, la persévérance d’un Calvin, l’abnégation d’un Wesley ou la fougue d’un Spurgeon!
Les mots episkopos et presbyteros évoquent un ministère de responsabilité: celui d’intendant de la Parole . Que cette mission soit notre premier souci et notre préoccupation constante, chaque jour de notre vie, et ne nous laissons pas accabler par rien. C’est là notre « belle activité »….

III. Les qualités requises

La description de l’ancien en 1 Timothée 3 a souvent été considérée comme une sélection partiale de qualités éthiques, triées arbitrairement sur le volet.
A la lumière du verset 16 du chapitre 1 et si l’on considère la filiation Paul/Timothée, ces qualités apparaissent plutôt comme le résultat de la « patience de Christ » et de l’ oeuvre de sanctification qu’il accomplit en ceux qu’il appelle.
Sujet de la grâce de Christ, le serviteur a pour vocation de marcher dignement, ce qui implique chez lui une absence d’orgueil et de recherche de soi. Remarquons les adjectifs:
 

A) « Irréprochable »

résume toutes les autres qualités. Ce terme concerne la réputation du responsable. Cette réputation est évaluée selon les critères de justice et de vérité. Nous, les calvinistes, avons parfois une réputation mauvaise, qui n’est pas toujours méritée. « Purs et durs », dit-on, comme en témoignent les opinions sur Calvin, les puritains, Spurgeon etc! Pourtant ce sont-là des serviteurs qui ont été choisis pour édifier le Royaume de Dieu.Comme il est difficile d’avoir une bonne réputation, dès lors qu’on n’est pas dans le vent du politiquement correct! Acquérir une bonne réputation n’est pas si aisé tandis qu’il est facile d’en détruire une: quelques minutes de critique, quelques rumeurs, quelques petits mots… La propension que nous avons à penser et à dire du mal des autres plutôt que du bien est énorme… Ne soyons pas avares de nos jugements positifs et de propos encourageants…
Avoir « bonne réputation » n’est pas incompatible avec souffrir l’opprobre pour Christ. « Etre irréprochable », c’est vivre selon l’Evangile et en accord avec son enseignement sur la sanctification.
 

B) Qualités positives et négatives…

i) Les attributs positifs. Le responsable est:

  • mari d’une seule femme = il n’est pas polygame ou adultère;
  • sobre et sensé = indique sa façon générale de vivre;
  • hospitalier et sociable = il est ouvert, ni renfermé, ni égoïste;
  • apte à l’enseignement = il a été lui-même disposé à se laisser enseigner.

Ces qualités concernent les relations que l’ancien établit avec les membres de la commmunauté de l’Eglise.

ii) Les attributs négatifs
La « modération », un tempérament équilibré indiquent que l’ancien n’est pas une personne emportée face au moindre problème ou à la moindre tentation. Il peut se contrôler et cherche la conciliation, si cela est possible, sur le fondement de l’Ecriture.

Le problème est que, souvent, nous ne sommes pas très conciliants. Nous nous « bagarrons » sur des points secondaires, des questions de personnes et nous avons tendance à nous séparer des autres. Pensons aux critiques de certains contre des évangélistes comme Billy Graham! Même si nous ne sommes pas d’accord avec ses méthodes, ne vaudrait-il pas mieux tout simplement nous taire à ce sujet? Pourquoi utiliser notre énergie dans des combats inutiles?

Ceci ne veut pas dire qu’il faut éviter de lutter pour la vérité. Veillons à éviter les compromis et la mollesse. Sachons discerner là où se trouve le véritable ennemi et combattons le bon combat!

« Adonné au vin » et « violent » sont des péchés « exemplaires » qui indiquent un manque de maîtrise de soi et rendent impossible d’être conciliant, pacifique et désintéressé. Si notre nature charnelle domine, nous ne serons plus capables de nous diriger dans le domaine privé de la famille. Il est alors probable que le même comportement peu édifiant se produira dans l’Eglise. Les nouveux convertis ont à apprendre cette modération, qui est un fruit de l’Esprit, afin que leur orgueil, leur manque de maturité spirituelle ne suscitent pas des occasions pour le diable.

Ces qualités négatives sont visibles de tous, et s’observent non seulement dans l’Eglise, mais aussi dans le comportement social de l’ancien, par ceux qui ne sont pas chrétiens.

Conclusion

Etre responsable dans le corps de Christ est la tâche la plus lourde, la plus riche en responsabilités, la plus exigeante et dangeureuse que l’on puisse imaginer. C’est une lutte spirituelle constante dans laquelle on risque de tomber à tout moment.

Les hommes politiques ont, certes, une rude fonction à exercer, mais celle-ci est peu de choses à côté d’une responsabilité dans l’Eglise de Christ dont l’exercice implique un combat spirituel avec ses tentations, ses découragements, les attaques de l’ennemi et le trouble causé par d’autres chrétiens.

Pour assumer de façon positive une fonction de responsabilité dans n’importe quelle Eglise chrétienne aujourd’hui, quatre qualités au moins sont nécessaires:

  • une vraie spiritualité quotidienne;
  • une théologie équilibrée et profonde;
  • une armure psychologique à toute épreuve;
  • une santé physique due en partie à l’observation du repos hebdomadaire.

Le ministère de la Parole suppose une vraie dépendance vis-à-vis de Christ, fruit d’une nature régénérée qui accomplit la sanctification progressive. Que les anciens dans nos Eglises sont facilement élus! Sans guère de références aux textes bibliques, ou de formation. Aussi comment s’étonner qu’il y ait tant de déceptions! Comme nos pasteurs sont aisément accueillis sans période suffisante d’observation pour mettre en évidence leurs qualités. Aurions-nous oublié le conseil que Spurgeon donnait à ses étudiants à propos du ministère: « faites autre chose, si c’est possible! »?
Trois points saillants ressortent de ce passage biblique sur le ministère chrétien:

Le privilège: le ministère de la Parole est une grâce que le Seigneur fait à ceux qui l’exercent. Dieu appelle et il pourvoit. Remerçions-le de sa grâce envers nous, vases de terre et serviteurs inutiles.

La lutte: Ce texte se termine par une référence aux « pièges du diable », ce qui n’est pas étonnant. Car les ministres de l’Evangile sont en première ligne dans une lutte spirituelle. Soyons vigilants à tout moment, car la régression spirituelle commence toujours en nos coeurs de façon imprévisible et subtile.

Nos dons: Nous n’atteindrons jamais à l’exemplarité. Comme les autres chrétiens, nous ne sommes pas statiques car la sanctification est une dynamique qui conditionne aussi notre attitude envers nos frères en Christ.


* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
[1] Voir 1 Tm 4:14; 1:18; 2 Tm 1:6; 2 Tm 2:24; Tt 1:6ss. Ces passages traitent des charismes liés au « leadership ».
[2] Voir1 Co 4:1-2; 16-17;1 Tm 1:1,2.
[3] Tite 1:9.
[4] Quand l’évêque danois Mynster est mort en 1854, il a été salué par son successeur H.L. Martensen comme témoin de la vérité. La réponse de Kierkegaard a suscité une controverse qui a précipité la mort du philosophe en 1855.

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