« Sacerdoce commun des croyants et ministères » ou « ministère de l’Eglise et ministères dans l’Eglise »

« Sacerdoce commun des croyants et ministères » ou « ministère de l’Eglise et ministères dans l’Eglise »

Charles NICOLAS*

Le double écueil du cléricalisme et de l’anticléricalisme

Les réformateurs ne nous ont pas seulement rendu l’Ecriture sainte et l’accès à la Parole de Dieu, les doctrines de la grâce et l’accès au salut; ils nous ont aussi rendu l’Eglise avec les deux doctrines complémentaires des ministères et du sacerdoce commun des croyants.

Comment les vivons-nous? Ce que nous observons ou vivons ne donne-t-il pas souvent une impression de tâtonnements, d’immaturité, de conflits non apaisés qui coûtent beaucoup d’énergie là où un puissant dynamisme devrait se développer? Pourquoi avons-nous tant de mal à trouver l’ordre que Dieu veut?

Certaines personnes, écrit John Stott, estiment que le clergé est de plus en plus marginalisé par la société séculière, et elles se réjouissent que l’on remette à jour la vision paulinienne du sacerdoce universel dans le corps du Christ. Elles se demandent si les ministres consacrés sont vraiment encore utiles et si l’Eglise ne se porterait pas mieux sans eux.

D’autres expriment un avis opposé. Que ce soit pour des raisons théologiques ou pragmatiques, ils mettent le clergé sur un piédestal ou, du moins, acquiescent quand il s’y place lui-même. Quand toutes les rênes du ministère sont entre ses mains, il en résulte deux conséquences pratiquement inévitables: le surmenage des responsables attitrés, ou la frustration des laïcs, ou les deux.

Tout au long de son histoire, l’Eglise a oscillé entre ces deux extrêmes, entre le cléricalisme (domination du clergé sur les laïcs) et l’anticléricalisme (le mépris des laïcs pour le clergé). Le Nouveau Testament nous met en garde contre ces deux tendances opposées.1

I. Le sacerdoce commun des fidèles

La notion de sacerdoce n’évoque certainement pas quelque chose de très clair dans l’esprit de nos contemporains – ni même, peut-être, chez beaucoup de chrétiens… Si l’un des objectifs de cet exposé est de souligner l’importance d’une participation commune de tous les chrétiens au sacerdoce, il importe d’en avoir une idée assez précise.

A) Un principe général

Tout ce qui existe sur la terre et, à plus forte raison, tout ce qui a été institué par Dieu, même si cela est provisoire, fait écho à quelque chose qui préexiste dans le ciel. Le soleil, par exemple, est un reflet créé de la lumière éternelle de Dieu. Un jour, il n’y aura plus de soleil… (Ap 21:23) C’est pour cette raison que tout a un sens, même si une part de mystère demeure (cf. le rapport entre le couple et l’union de Christ avec l’Eglise, en Ep 5:32).

Ce principe fonde, à la fois, le caractère second et passager (seul Dieu est éternel et absolu), mais aussi la valeur profonde de tout ce qui est créé ou institué.

Ainsi, avant d’être confié à des hommes particuliers (les lévites, puis les chrétiens), le sacerdoce appartient, éternellement, au Christ Jésus. « Demeurant pour l’éternité, Jésus possède un sacerdoce immuable » (He 7:24), sacerdoce préfiguré dans l’histoire par celui de Melchisédek, Roi de Justice, Roi de Salem, apportant du pain et du vin à Abram et recevant de lui la dîme de tout (Ps 110:4; Gn 14:18ss).

B) Qu’est-ce que le sacerdoce?

Le sacerdoce est, en rapport avec la nature de Dieu, un office nécessaire (un service, un ministère) de médiation et de sacrifice, la notion de sacrifice n’étant pas seulement liée à l’expiation mais aussi l’offrande cultuelle, à l’adoration (He 13).

Cette définition convient à la double dimension éternelle et temporelle du sacerdoce. Elle explique aussi le caractère universel du phénomène, observable, sous une forme ou sous une autre, dans toutes les religions.

En hébreu cohen, en grec hiéreus, le prêtre de l’ancienne alliance est attaché au service du culte et du temple (il offre les divers sacrifices); il est médiateur (entre Dieu et les hommes, entre les hommes et Dieu, Nb 3). Une fois par an, le grand prêtre apparaît dans son rôle de médiateur suprême, en officiant, le jour de l’expiation, pour le pardon des fautes du peuple (Lv 16).

Remarquons que le prêtre, sans pour autant être confondu avec le prophète, est chargé aussi de consulter Dieu par le maniement de l’éphod (1 S 30:7s), de l’urim et du tummim (1 S 14:36-42; Dt 33:8), pour connaître sa pensée. Il est donc aussi serviteur de la parole (Ex 4:16), chargé de répondre aux consultations des fidèles, d’instruire. « Les sacrificateurs, les lévites, fils de Tsadok, qui ont fait le service de mon sanctuaire… enseigneront à mon peuple à distinguer ce qui est saint de ce qui est profane, ils lui feront connaître la différence entre ce qui est impur et ce qui est pur. » (Ez 44:15, 23) Ils ont en plus le rôle de juge. « Ils seront juges dans les contestations, et ils jugeront d’après mes lois. » (V. 24)

Il est possible de dire que cette fonction était exclusive et revêtue d’une grande autorité. « Tu sépareras les lévites du milieu des enfants d’Israël, et les lévites m’appartiendront. » (Nb 8:14, 19, 23-24; Ex 39:27ss)

C) Déjà tout le peuple

Et cependant le prêtre est considéré comme un serviteur qui, s’il est proche de Dieu, demeure aussi et surtout proche du peuple puisqu’il doit aussi offrir des sacrifices pour lui-même.

« Que les sacrificateurs qui s’approchent de l’Eternel se sanctifient aussi, de peur que l’Eternel les frappe de mort. » (Ex 19:22) « Les souverains sacrificateurs devaient offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour leurs propres péchés, ensuite pour ceux du peuple. » (He 8:27)

Ainsi, tout en exerçant une fonction exclusive, le prêtre est associé au peuple et le peuple, sanctifié par lui,est aussi sanctifié avec lui; c’est tout le peuple d’Israël qui est saint parmi les peuples!

C’est dans cette perspective que, très tôt, le peuple d’Israël tout entier est appelé à être un royaume de sacrificateurs, d’une manière qui préfigure nettement le peuple de la nouvelle alliance.

« Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez entre tous les peuples, car toute la terre est à moi; vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël. » (Ex 19:5-6) « Puisse tout le peuple être composé de prophètes et veuille l’Eternel mettre son Esprit sur eux! » (Nb 11:29) Ces passages et leur contexte montrent la différence et la parenté qui existent entre la prêtrise et la prophétie.

Le prophète Esaïe annonce également le règne messianique avec la participation du peuple tout entier à la prêtrise.« Mais vous, on vous appellera sacrificateurs de l’Eternel, on vous nommera serviteurs de notre Dieu. »(Es 61:6; cf. 54:13)

D) L’unicité du Christ

L’unicité du Christ, le Saint de Dieu, est le fondement du sacerdoce commun des croyants. C’est le UN qui fonde le TOUS.

L’unicité de Dieu est déjà fortement affirmée dans l’Ancien Testament, et la personne de Moïse préfigure le conducteur unique du peuple. Le Psaume 23, mais aussi de nombreux passages où Dieu est comparé à un père (ou à une mère) parlent de la relation personnelle de Dieu avec chacun et donc, potentiellement au moins, avec tous.

« Ainsi parle l’Eternel: Voici, j’aurai soin moi-même de mes brebis et j’en ferai la revue… J’établirai sur elles un seul pasteur, qui les fera paître, mon serviteur David; il les fera paître, il sera leur pasteur. » (Ez 34:11, 23).

Cette proximité, cette attention personnelle trouveront leur accomplissement dans la personne du Christ Jésus, le bon berger qui vient pour chaque brebis que le Père lui donne, qu’il connaît, qu’il appelle par son nom. Il estle grand pasteur des brebis (He 13:20). « Vous étiez comme des brebis errantes, mais maintenant, vous êtes retournés vers le pasteur de vos âmes. » (1 P 2:25; cf. 5.4) Soulignons le caractère précis (chacun) et ample (tous) de cette œuvre. « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde… » (Jn 17:6)

E) Du un au tous

C’est donc parce qu’il y a un seul Seigneur pour tous que tous ont le même accès, la même participation, le même rang.

« Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et en tous. » (Ep 4:4-6)

Ce chapitre 4 d’Ephésiens est important pour notre sujet; nous y reviendrons2.

Il n’y a pas d’autre prêtrise aujourd’hui, écrit Calvin, que celle de Jésus-Christ et celle de tous les croyants unis à lui. Il est notre pontife, lequel étant entré au sanctuaire du ciel nous en ouvre l’accès. Il est notre autel, sur lequel nous mettons nos offrandes. En lui, nous osons tout ce que nous osons. En somme, il est celui qui nous fait rois et prêtres pour le Père3.

Cette forte affirmation s’appuie bien sur le témoignage des apôtres:

Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu; et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous (construisez-vous) pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ… Vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n’étiez pas un peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu. (1 P 2:4-5, 9 citant Ex 19:6).

Dans sa Théologie pastorale, Alexandre Vinet écrit: « Il peut y avoir des prêtres (hiéreus) dans les religions qui attendent le vrai et souverain prêtre; il n’y en a point dans la religion qui l’a reçu et qui croit en lui. Là, personne n’est prêtre parce que tout le monde est prêtre, et il est remarquable que ce mot ne soit appliqué qu’aux chrétiens en général. »4

F) Implications

Le sacerdoce commun des croyants devient une réalité par l’union avec Christ (signifiée par le baptême), et uniquement à cette condition. Il est porteur d’un grand nombre d’implications, propres au peuple de Dieu, parmi lesquelles on peut citer:

1. La liberté pour tous de s’approcher de Dieu, non seulement pour être secourus (He 4:15-16), mais aussi pour demeurer en sa présence (10:19-22) et s’offrir à son service: offrande et consécration de l’être tout entier (Rm 12:1ss).

2. Tous sont appelés à la sanctification, comme l’étaient les sacrificateurs (Lv 21:6; Jn 17:14, 19; 1 Co 1:2; 1 Jn 2:6).

3. Tous peuvent être appelés serviteurs de Dieu et se regarder comme tels. Esaïe déjà l’annonçait (Es 61:6). Les lettres apostoliques l’affirment sans équivoque. « Frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, travaillant de mieux en mieux à l’œuvre du Seigneur. » (1 Co 15:58) « Agissez comme des serviteurs de Dieu. » (1 Pi 2.15-16)

4. L’engagement de tous dans l’intercession: pour les frères dans la foi (Ep 6:18), pour les autorités et pour le monde (1 Tm 2:1-2)5.

5. La participation de tous à un certain ministère (service) de la parole, par la louange, le témoignage, la prophétie qui ont pour vocation de sanctifier le nom de Dieu et de participer à l’édification commune. « Vous êtes… un peuple acquis afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés. » (1 P 2:9; cf. 3:15)

6. La participation de tous, d’une certaine manière, à la direction de l’Eglise, associés aux orientations, aux décisions. « Les apôtres, les anciens et les frères… » (Ac 15:23)

7. Remarquons, enfin, que le tous sous-jacent à cette doctrine est clairement porteur d’une double dimension: individuelle, tous impliquant chacun pour sa part, et communautaire, tous indiquant l’engagement solidaire, l’unité du corps. Ces deux dimensions doivent constamment être rappelées.

Martin Luther a fortement appuyé cet enseignement si important:

Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique: il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres. Cela provient de ce que nous avons un même baptême, un même Evangile et une même foi, et sommes chrétiens de la même manière…6

C’est ainsi que doit se justifier et se développer la vision du ministère de toute l’Eglise, et c’est à cette fin que Dieu a aussi institué des ministères dans l’Eglise.

G) Le ministère de l’Eglise

Ce n’est pas en taisant le ministère de l’Eglise tout entière qu’on va sauver les ministères institués! Si la vision du ministère de toute l’Eglise est oubliée ou négligée, que devient celle des ministères qui sont établis précisément en vue de l’équipement des croyants pour leur ministère commun? Echapperait-on alors au risque de réduire l’Eglise aux seuls ministères reconnus?

Il faut donc rappeler, ouvertement, que l’Eglise de Jésus-Christ a un ministère à accomplir, en tant qu’Eglise: par l’unité qu’elle démontre, par la diversité de ses membres, par l’amour fraternel entre ses membres, par sa louange, par sa sainteté (cf. Jn 13:35; 17:21; Ep 3:10; 1 Tm 3:15; 1 P 2:4-9…).

Trois remarques peuvent accompagner ce point:

1. Le ministère de l’Eglise par son unité (Jn 17:21): il s’agit de l’unité spirituelle en Christ plus que d’une unité formelle ou institutionnelle (« tous parvenus à l’unité de la foi », Ep 4:13). On peut rappeler que la responsabilité de tous implique aussi celle de chacun, à la manière de Jn 15 (le cep et les sarments). C’est une réelle exigence.

2. Servir avec les dons que Dieu a accordés (1 P 4:10). Alain Schwartz démontre que les Eglises qui se développent le mieux sont celles où sont encouragés le service selon les dons et la formation de chacun dans sa tâche7. Il affirme que la réalité du sacerdoce universel n’est réellement vécue que si les chrétiens sont conscients du ou des dons qu’ils ont reçus de Dieu pour le servir. A ce sujet, il critique les deux tendances technocratique ou spiritualiste dans l’Eglise (p. 25): celle qui ne voit que par les structures et les projets établis et celle qui refuse toute forme d’organisation, tout engagement régulier ou planifié.

3. Nous avons entendu le professeur Kallemeyn critiquer l’ecclésiologie traditionnelle (romaine, ou celle des réformateurs) à cause de la part qu’elle ôte au ministère de l’Eglise tout entière, dans sa lecture d’Ephésiens 4:11.

• Compréhension traditionnelle:

– le perfectionnement des saints ministères établis, pour

– l’édification du corps;

– l’œuvre du ministère.

• Compréhension biblique:

– l’édification du corps.

Ministères établis, pour

– le perfectionnement des saints, pour

– l’œuvre du ministère.

L’édification du corps, cependant, pourrait être considérée comme étant, à la fois, la responsabilité des ministères établis d’une manière particulière et celle de tous les membres de l’Eglise8.

II. L’importance des ministères

« Ce sont choses grandement diverses et différentes, que la prêtrise et le ministère. Car la prêtrise est commune à tous les chrétiens, mais non pas le ministère. Aussi, n’avons-nous pas ôté les ministères dans l’Eglise quand nous avons rejeté la prêtrise telle qu’elle est en l’Eglise romaine. »9

« Le Nouveau Testament déclare sans ambages, dit Richard Baxter, que Dieu a voulu que certaines personnes veillent sur l’Eglise. Il ne fait pas de doute que la condition de l’Eglise dépend en grande partie de la qualité de ses ministres. »10

Dans sa Théologie pastorale, Alexandre Vinet s’attache, lui aussi, à démontrer la pérennité des ministères institués:

Les hommes inspirés (ceux de la Bible ou de l’histoire de l’Eglise?) qui ont reconnu ce ministère universel des croyants l’exerçaient eux-mêmes d’une manière spéciale, et ils n’ont pas été en contradiction avec eux-mêmes

A) Une double justification

1. Pragmatique

Les citations ci-dessus justifient l’existence des ministères dans l’Eglise par une sorte de nécessité qui s’observe. Dans l’histoire du peuple d’Israël, dans le Nouveau Testament, dans l’histoire de l’Eglise, il y a toujours eu des hommes choisis et établis parmi leurs frères. Le principe, à la fois pragmatique et philosophique, qui se trouve derrière ce constat est que l’Eglise, tant qu’elle sera sur la terre, aura besoin de ministères, de la même manière que les enfants ont besoin de parents (1 Tm 3:4), et les peuples de gouvernants. Ce principe combat l’idée progressiste selon laquelle l’Eglise et les hommes en général peuvent aspirer à s’émanciper de toute tutelle, de toute subordination, de toute discipline.

« Si quelqu’un aspire à la charge de surveillant, il désire une œuvre excellente. » (1 Tm 2:1) « Obéissez à vos conducteurs, et ayez pour eux de la déférence… » (He 13:17)

Ainsi, les ministères dans l’Eglise sont signes:

– de la faiblesse de l’Eglise et de ses multiples besoins;

– de l’amour et des soins attentifs que Dieu veut lui prodiguer.

Les reconnaître, c’est faire preuve:

– de sagesse, par prudence;

– de reconnaissance envers Dieu pour ses soins.

2. Fondamentale

L’importance des ministères dans l’Eglise semble tenir aussi d’une autre raison. La faiblesse de l’Eglise est durable, mais temporelle. En revanche, les soins pastoraux de Dieu pour son peuple semblent devoir durer jusque dans le Royaume de Dieu accompli, alors même qu’il n’y aura plus de mal ni de souffrance.

C’est pour cela qu’ils sont devant le trône de Dieu, et le servent jour et nuit dans son temple. Celui qui est assis sur le trône dressera sa tente sur eux; ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif et le soleil ne les frappera point, ni aucune chaleur. Car l’agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux sources des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. (Ap 7:16-17)

En d’autres termes, le verbe paître, porteur à lui seul de toute la vocation des ministères, n’est pas seulement lié à la nécessité de pallier les dangers ou de répondre aux besoins temporels; il est aussi le reflet de l’amour éternel de Dieu. Ce dernier point confère une signification encore plus grande aux ministères que Dieu donne à l’Eglise. Nous avons dit que le sacerdoce exercé sur la terre était un reflet du sacerdoce éternel exercé dans le ciel. Il en est de même pour les ministères!

B) La portée du verbe « paître »

Paître, c’est plus que donner de la nourriture. C’est prendre soin, comme on le fait pour ses enfants, pour les préserver, et les faire grandir (1 S 17:34-35; Ph 1:22-24; 1 Th 2:7-8). Et le premier berger, c’est Dieu lui-même (Ps 23).

Voici, le Seigneur, l’Eternel vient avec puissance, et de son bras il commande. Comme un berger, il paîtra son troupeau, il prendra les agneaux dans ses bras et les portera sur son sein. (Es 40:10-11)

C’est donc par délégation, c’est de la part de l’Eternel et en référence à lui autant que pour le peuple que des hommes seront chargés de veiller pastoralement sur ceux que Dieu aime. Dans l’Ancien Testament, les prêtres forment une caste attachée au service cultuel, mais leur fonction a aussi, nous l’avons vu, une dimension pastorale. De plus, il y a des anciens, établis par Moïse, et maintenus tout au long de l’histoire du peuple de Dieu.

Revenez, enfants rebelles, dit l’Eternel ; car je suis votre maître. Je vous prendrai, un d’une ville, deux d’une famille, et je vous ramènerai dans Sion. Je vous donnerai des bergers selon mon cœur, et ils vous paîtront avec intelligence et avec sagesse. (Jr 3:14-15)

Le roi lui-même est vu comme un berger. Les anciens venus oindre David déclarent: « L’Eternel t’a dit: Tu paîtras mon peuple d’Israël et tu seras le chef en Israël. » (2 S 5:1-3) On comprend la portée messianique de ces propos (cf. Ps 78:70-72), le Christ lui-même étant présenté comme un berger: « De toi, Bethléhem, sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple. » (Mt 2:6; cf. Jn 10)

C’est encore par délégation que les apôtres sont établis par le Seigneur: « Pais mes agneaux (…) Pais mes brebis » (Jn 21:15-17), que les anciens (ou évêques = sur-veillants) sont établis dans chaque Eglise, au fur et à mesure qu’elles naissent:

Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques (= surveillants), pour paître l’Eglise du Seigneur, qu’il s’est acquise par son propre sang (Ac 20:28)11.

C) Des ministères pour quoi?

« Etant donné qu’il ne peut y avoir de communauté chrétienne sans la Parole de Dieu, il en découle avec suffisamment de force qu’il faut avoir des docteurs et des prédicateurs qui s’adonnent à la Parole. » Cette citation est tirée d’un écrit de Luther intitulé: Qu’une assemblée chrétienne a le droit de juger toutes les doctrines, d’appeler, d’instruire et de destituer des prédicateurs12.

Nous avons déjà en partie répondu à cette question:

1. pour répondre à la faiblesse de l’Eglise;

2. pour manifester concrètement l’amour éternel de Dieu pour les siens;

3. en vue du ministère de toute l’Eglise.

Il faut maintenant insister sur ce troisième objectif et, pour cela, revenir au chapitre 4 de la lettre aux Ephésiens. Dans ce chapitre, les versets 10 à 16 apportent un éclairage précieux sur les ministères dans l’Eglise dans leur rapport avec le ministère de toute l’Eglise.

Nous pouvons affirmer ceci: bien que revêtant une extrême importance, bien que donnés par Christ et investis d’une partie de son autorité et de son ministère propre, les bergers et serviteurs de la Parole ne sont qu’un moyen en vue d’un objectif plus grand: le ministère de toute l’Egliseen tant que corps de Christ,ministère qui implique son unité (4:3-6, 13) et sa maturité (4:1-2, 14s), dans l’amour et dans la vérité.

C’est dans ce but que Christ a donné des ministères particuliers à son Eglise (4:11). On ne peut faire, ici, l’exégèse de tout ce passage, mais il faut souligner l’importance du verbe katartizô (v. 12), souvent traduit par perfectionnement, mais rendu plus justement par équipement: « … pour l’équipement des saints »13.

III. Ministère de tous et ministères particuliers: dépasser les blocages

L’équipement des saints en vue de leur propre ministère, individuel et communautaire, voilà la raison d’être des ministères institués.

Trois risques peuvent être repérés assez facilement:

– nier le ministère de l’Eglise, celui de tous les chrétiens;

– contester les ministères donnés dans l’Eglise, pour l’Eglise;

– oublier qu’ils ont une même source et un même but, Christ, et que, sans être confondus, ils sont étroitement associés.

Tel enseignant veut rétablir la vision du sacerdoce commun des croyants; mais pour cela, il conteste les ministères d’enseignement ou de direction. Tel autre veut défendre ces ministères établis, mais en niant toute participation des membres de l’Eglise à l’édification commune14.

A) La portée du vocabulaire

Il peut arriver que les mots utilisés dans nos traductions ne nous permettent pas de reconnaître à quel point les membres de l’Eglise se trouvent associés aux ministères établis.

En revenant sur ce passage important d’Ephésiens 4:11-12, nous lisons que le Seigneur a donné les ministères principaux (apôtres, évangélistes, prophètes, pasteurs et docteurs) « … pour l’équipement (katartismos) des saints, en vue de l’œuvre du ministère (diakonia), en vue de l’édification (oïkonomia) du corps ». Remarquons ces trois mots clés et examinons-en la portée.

1.Ministère(diakonia)

Ce mot, qui a donné « diaconat », implique une notion de service, dans le sens le plus simple et le plus pratique. Il est intéressant de constater qu’il s’applique de manière particulière (technique) aux diacres (Ac 6:3; Rm 16:1; Ph 1:1; 1 Tm 3:8), mais aussi à Christ (Rm 15:8; He 8:2), aux apôtres et aux autres ministères établis (Rm 15:16; 1 Co 3:5; 2 Co 6:3; Ep 3:7; Col 1:23; 1 Tm 1:12; 4:6).

Ce même mot est également appliqué à l’ensemble des chrétiens. Dans notre texte, Ephésiens 4:12, quand nous lisons: « en vue de l’œuvre du ministère », il s’agit bien du ministère global de tous les chrétiens, de l’Eglise servante de Dieu. Il y a aussi un ministère exercé par les membres du peuple de Dieu envers les membres peuple de Dieu: « Mettez-vous chacun au service (diakonia) les uns des autres… » (1 P 4:10, 11; 1 Co 16:15). Ce ministère-là est simplement celui de l’amour fraternel, propre au peuple de Dieu, distinct de l’amour que l’on doit à l’ensemble des hommes (Jn 13:34-35; 2 P 1:5-7)15.

Remarquons que le terme doulos (esclave) est lui aussi appliqué à Christ (Ac 3:13; Ph 2:7), aux apôtres (2 Co 4:5; Ga 1:10; Ph 1:1; 1 P 2:16), comme à tous les chrétiens (1 P 2:16).

2. Edification (oïkonomia)

Notons que le mot grec oïkia signifie la maison. La tâche désignée est celle de construire et de faire marcher la maison, avec tout ce que cela suppose de générosité, de constance, de dévouement, d’expérience. Il est possible, ici, d’associer à l’idée de ministère la charge des parents dans une maison. N’est-il pas demandé aux anciens de bien diriger leur maison (1 Tm 3:4)? Telle est la charge qui est confiée aux ministères dans l’Eglise, qui est la maison de Dieu16.

Dans le chapitre 4 de la deuxième lettre aux Corinthiens, Paul défend son apostolat, et demande: « Qu’on nous regarde comme des serviteurs (upérétas = subordonnés) de Dieu, des gérants (oïkonomos) des mystères de Dieu. » (4:1-2)

Mais ce qui est présenté comme une prérogative toute particulière se trouve appliqué par l’apôtre Pierre à tous les chrétiens: « Comme des pierres vivantes, édifiez-vous (oïkonoméô) pour former une maison… » (1 P 2:5) En d’autres termes, les chrétiens ne sont pas des pierres passives: elles sont assemblées et elles s’assemblent elles-mêmes pour former un édifice vivant! Comment le feront-elles? « Que chacun mette au service (diaconia) des autres le don qu’il a reçu, comme de bons intendants (oïkonomoï) des grâces variées de Dieu. » (1 P 4:10)Paul lui-même a écrit: « Encouragez-vous et édifiez-vous (oïkonoméô), fortifiez-vous mutuellement dans la foi. » (1 Th 5:11).

3.Equipement (katartismos)

Avec le verbe « paître » (poïmeneuô), le verbe « équiper » (katartizô) est un de ceux qui définissent le mieux la fonction propre des ministères principaux que Dieu donne à son Eglise. Nous avons déjà souligné ce que ce verbe a de dynamique: il s’agit à proprement parler de préparer en vue d’un service.

Ce principe permet d’introduire la notion dynamique de modèle. « Vous êtes les modèles du troupeau », dit Pierre aux anciens (1 P 5:3-5); tout modèle étant à la fois capital et … provisoire. « Le serviteur n’est pas plus grand que le maître, mais tout serviteur accompli(katartizô = équipé) sera comme son maître. » (Lc 6:40)

Ce mot « équiper » apparaît en Hébreux 13:21 où Dieu lui-même est celui qui rend apte, qui met en état (katartizô) en vue de pratiquer sa volonté (cf. 1 P 5:10).

En 1 Thessaloniciens 3:10, les apôtres se présentent comme ceux qui ont complété (katartizô) ce qui manquait à la foi des frères. C’est exactement ce que feraient le responsable d’une équipe d’ouvriers ou le chef d’une section, complétant l’équipement de leurs hommes avant le travail, avant le combat.

Il est intéressant de voir le même mot en Marc 1:19, où les disciples réparent (katartizô) leurs filets, avant de les lancer dans la mer: réparer, préparer, c’est le travail des ministères donnés par Dieu dans l’Eglise, parmi les saints!

Enfin, et à cause de cela, ce même verbe est aussi utilisé pour souligner la responsabilité de chaque chrétien, de tous! En 2 Corinthiens 13:9, nous lisons: « Ce que nous demandons dans nos prières, c’est votre équipement (katartisis) »: votre perfectionnement en vue du service. Et au verset 11: « Au reste, frères, équipez-vous (katartizô) et encouragez-vous »; le professeur Peter Jones propose: « travaillez à votre rétablissement ». Nous voyons clairement que ce qui fait l’objet de la préoccupation toute particulière des apôtres, des pasteurs, est aussi de la responsabilité de chacun.

Cela est confirmé par Galates 6:1: « Frères, s’il arrive que quelqu’un soit pris en faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le (katartizô) avec un esprit de douceur. » Remettez-le en état de poursuivre sa route et de remplir sa mission. Il s’agit en réalité d’un prolongement dans l’Eglise du ministère de Christ lui-même et de celui des pasteurs.

C’est ce constat qui nous permet d’utiliser l’expression « pastorat mutuel »: tous ne sont pas pasteurs dans l’Eglise; mais tous sont appelés à développer une attitude pastorale.

B) Le pastorat mutuel

La réalité du pastorat mutuel, loin de nier le pastorat confié aux pasteurs et aux anciens, le confirme et le prolonge. Il en est, à la fois, le fruit et le soutien. Nous en trouvons la trace chaque fois qu’apparaissent les expressions: mutuellement, réciproquement, les uns les autres, expressions qui s’appliquent, faut-il le rappeler, aux membres du peuple de Dieu. Nous pouvons l’illustrer aussi par quelques termes qui sont « techniquement » liés à la vocation pastorale:

1.Exhorter(parakaléô), dans le sens de consoler, d’encourager

Nous avons vu ce verbe ci-dessus (2 Co 13:11), associé au verbe équiper! Nous le trouvons aussi en 1 Th 4:18: « Consolez-vous – ou encouragez-vous – les uns les autres par ces paroles », c’est-à-dire dans le prolongement des paroles que moi, Paul, je vous adresse. En Hébreux 3:12-13, nous lisons: « Exhortez-vous les uns les autres, chaque jour, aussi longtemps qu’on peut dire: aujourd’hui! » et, en 10.25: « N’abandonnons pas nos assemblées, mais exhortons-nous réciproquement… »

Tout ne passe pas par la chaire! Tout ne se réduit pas à l’activité des docteurs, des pasteurs, des anciens, même si celle-ci demeure nécessaire et très importante.

2. Instruire (didaskô)

L’instruction est une tâche confiée en premier lieu aux ministères de la parole. En Actes 18:11, nous voyons Paul rappeler qu’il a instruit (didaskô) les Corinthiens pendant un an et six mois. Mais dans sa lettre aux Colossiens, il écrit: « Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment; instruisez-vous (didaskô) et exhortez-vous (avertissez-vous, nouthétéô) en toute sagesse. » (Col 3:16) Ici encore, nous constatons une réelle responsabilité collective, non pas confondue mais étroitement associée à celle des ministères établis17.

3. Avertir ou reprendre (nouthétéô)

Il s’agit là d’une prérogative des ministères pastoraux. L’apôtre Paul écrit aux anciens: « Durant trois ans, je n’ai cessé d’exhorter (nouthétéô) avec larmes chacun de vous. » (Ac 20:31) Observons que l’apôtre, en écrivant cela, présente son ministère comme un exemple pour les anciens à qui il dit, dans le même verset: « Veillez! », c’est-à-dire: faites dans l’Eglise ce que j’ai fait pour vous.

Nous retrouvons ce verbe dans un autre passage intéressant pour notre sujet, car cette fois, c’est à toute l’Eglise que l’apôtre s’adresse (1 Th 1:1): « Nous vous exhortons (parakaléô), frères: reprenez (nouthétéô) ceux qui sont paresseux(les déréglés, les négligents), encouragez (paramuthéô) les timides, soutenez (antéchéô) les faibles, soyez patients envers tous. » (1 Th 5:14) Ce seul verset suffirait à justifier la notion de pastorat mutuel qui est un des objectifs principaux des ministères institués, lesquels seront toujours nécessaires!

C) Distingués et associés

« Le ministère ecclésiastique, écrit Alexandre Vinet, serait la consécration, faite sous certaines conditions, de quelques membres du troupeau chrétien à s’occuper spécialement, mais non à l’exclusion d’aucun autre, de l’administration du culte et de la conduite des âmes… Que fait le ministre ? Il fait, mais habituellement, ce que doivent faire tous les chrétiens. Il le fait avec un degré d’autorité proportionné à ce qu’on peut supposer de connaissance et d’aptitude à un homme qui se consacre uniquement à cette œuvre. Mais il n’a aucune révélation particulière. »18

Les distinctions sont importantes, mais elles ne sont pas absolues. Ce principe est apparent, en maints endroits, dans le Nouveau Testament.

Nous avons déjà évoqué l’importance du service selon les dons que Dieu a accordés à chacun (1 Co 12; cf. 1 P 5:10). Paul insiste sur l’équipement spirituel de tous en vue de l’édification commune (12:7), tout en rappelant que tous ne sont pas prophètes, ou apôtres, ou enseignants (12:29). Le chapitre 13 sur l’amour parfait n’établit, lui, aucune distinction entre les chrétiens, qu’ils soient pasteurs ou pas!

Nous avons remarqué (Ac 15:1-2, 4:22-23…) que le Nouveau Testament associe à plusieurs reprises les apôtres, les anciens et toute l’Eglise aux décisions prises.

D’autres indices importants peuvent être relevés:

1. La lettre à l’Eglise de Philippes est adressée « aux évêques (= aux anciens), aux diacres et aux saints (= aux chrétiens) ». La même lettre adressée à tous, cela est extrêmement significatif, en matière de responsabilisation!

2. Pierre est apôtre, mais, quand il s’adresse aux anciens, il se dit lui-même « ancien comme eux » (1 Pi 5:1). Distingué et associé.

3. Dans le même passage, il adresse des recommandations spécifiques aux anciens, avant d’ajouter: « et tous, dans vos rapports mutuels, revêtez-vous d’humilité » (1 P 5:5). Tous, c’est-à-dire les anciens comme les autres.

4. Il est également intéressant de noter le passage du vous au nous, dans la première lettre de Jean: « Petits enfants, je vous écris afin que vous ne péchiez pas. Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat… »(1 Jn 2:1) Distingués au niveau du ministère, associés au niveau du salut.

5. Il est touchant, enfin, de voir l’apôtre Paul se comparer à une nourrice ou à un père, dans ses rapports avec les chrétiens de Thessalonique, chrétiens qu’il appelle peu après frères,indiquant alors la mesure d’égalité (1 Th 2:5-12). Là aussi, distingués et associés.

Alexandre Vinet indique avec justesse que les distinctions existent, mais qu’elles ne sont pas absolues.

« Si Paul trouve juste que les fidèles lui obéissent comme à leur conducteur spirituel (He 13:17), le sens où il l’entend laissent intactes la liberté et la responsabilité de ceux qui obéissent. »

De même, Calvin, traitant de la fidélité aux doctrines, écrit:

« Chaque membre est tenu d’apporter ce qu’il pense juste, à condition que cela se fasse décemment et par ordre, sans troubler ni la paix ni la discipline. »

Il est remarquable que les réformateurs aient su préserver l’honneur dû aux ministères établis tout en soulignant leurs limites et la part de responsabilité importante qui revient à chaque fidèle.

Conclusion

« Le ministère constitue-t-il un ordre dans l’Eglise? demande Alexandre Vinet; un ordre, oui; pas une caste… Les hommes inspirés qui ont reconnu le ministère universel (de tous) l’exerçaient eux-mêmes d’une manière spéciale. Ils ont aussi reconnu que le fidèle est directement enseigné de Dieu et que par conséquent il a son souverain pasteur dans le ciel… Ce sont là les vrais adorateurs du Père. » Il ajoute: « Les attributions du ministère (pastoral) sont distinctes mais n’ont rien d’absolument exclusif. On ne doit pas s’en passer s’il est là ou si l’on peut se procurer sa présence. Mais si l’on allait jusqu’à prétendre qu’il y a un acte, un seul acte, qui, nécessaire ou urgent, ne peut être accompli que par l’homme qu’on appelle pasteur, au point où, exercé par un autre membre du troupeau, le même acte fut nul de plein droit, alors on aurait virtuellement réintégré au sein du protestantisme le sacerdoce divin et, sous le modeste nom de ministres, nous aurions des prêtres. »19

Puisque Dieu lui-même sert son peuple, les ministères qu’il donne sont à la fois importants et seconds.

« Tous les titres honorifiques leur sont attribués. Ils sont appelés gardiens des âmes, pasteurs, docteurs, maîtres, conducteurs, serviteurs ou ministres de Dieu, dispensateurs des mystères de Dieu, sentinelles, hérauts, mais jamais prêtres… C’est un des cas où le silence des Ecritures en dit long. »20

Seconds et importants, c’est ce qui apparaît aussi au travers de cette citation de Richard Baxter:

« Si Dieu réformait seulement ceux qui dirigent l’Eglise et leur rappelait la nécessité de s’acquitter de leur tâche avec zèle et fidélité, le peuple chrétien serait certainement réformé lui aussi. Les Eglises prospèrent ou déclinent selon que ceux qui exercent le ministère sont à la hauteur ou chutent; il ne s’agit pas de richesses matérielles ou de renommée, mais de connaissance, de zèle et de capacité à accomplir l’œuvre. »21

La logique de ce principe est celle, si dynamique, de 2 Timothée 2:2: « Ce que tu as entendu de moi, confie-le à des hommes fidèles qui soient capables de l’enseigner aussi à d’autres. » C’est la logique de l’enfantement, c’est la logique du développement. N’aurons-nous pas soif de la voir se démontrer au milieu de nous?

Il importe donc que chacun prenne au sérieux la vocation que Dieu lui adresse. Chacun, c’est-à-dire tous!


1* C. Nicolas est pasteur de l’Eglise réformée évangélique de Vauvert (Gard). Cet article reproduit l’exposé fait à la Pastorale de Dijon en avril 2000.

J. Stott, Le chrétien à l’aube du XXIe siècle (Québec: Ed. La Clairière, 1995), vol. 2, 62.

2 Remarquons la portée du mot tous qui ne doit pas nous échapper: elle est, à la fois, englobante (il s’agit bien de tous) et restrictive (il s’agit du peuple de Dieu, et non pas de l’ensemble des hommes). Cette ampleur et cette précision sont une caractéristique des lettres du Nouveau Testament (cf. 1 Co 1:1-3).

3 I.C. IV 13; 17.

4 Une étude serait utile sur la portée du terme tous dans le Nouveau Testament, en rapport avec « le mystère caché de tous temps, et maintenant révélé ». « Ce mystère, c’est que les païens sont cohéritiers, forment un même corps et participent à la même promesse en Jésus-Christ, par l’Evangile ». (Ep 3:6) Ici, le mot tous n’apparaît pas, mais la même question se pose: quand nous lisons les païens, de qui s’agit-il? De l’ensemble des païens, comme une lecture rapide semble le suggérer? Ou des chrétiens qui sont appelés parmi les païens? Il est évident que la seconde réponse est la bonne, comme le confirment d’innombrables textes portant sur la même vérité. Lire, par exemple 1 Corinthiens 12:11-13.

Ce sens universel du mot tous correspond à la réalité du corps de Christ. Il ne doit pas être confondu avec le sens universaliste qui impliquerait tous les hommes. La pensée de l’apôtre est focalisée sur le corps de Christ et sur rien d’autre, comme cela apparaît aussi en 1 Corinthiens 15:22: « De même que tous meurent en Adam, tous revivront en Christ: Christ comme prémices, puis ceux qui appartiennent à Christ. »

Cette remarque est importante car si – comme c’est souvent le cas – on entend le mot tous – ou le mot frère – d’une manière universaliste, on détruit du même coup la notion même d’Eglise, celle du sacerdoce commun des croyants, celle des ministères avec leur nature propre et leur vocation…

5 Une étude serait utile à partir de Jn 17:9…

6 M. Luther, A la noblesse de la nation allemande, 1518.

7 A. Schwartz, Le développement de l’Eglise, 24.

8 De manière plus théologique, se pose la question de toute une série de textes du Nouveau Testament qui mandatent des hommes en vue d’un ministère donné, sans qu’il soit facile de déterminer qui est ainsi désigné: les seuls apôtres? les pasteurs? tous les fidèles? Il sera, sans doute, sage d’appliquer ici le principe: distinguer sans séparer, qui permet de reconnaître des ministères différents mais associés. Remarquer, par exemple, H. Kallemeyn contre L. Schummer, ce dernier appliquant 2 Corinthiens 5:20 (ambassadeurs pour Christ) aux apôtres et aux pasteurs seulement (La Revue réformée, n° 186); ou R. Barilier qui attribue également aux seuls apôtres un grand nombre de textes: Mt 4:21; 18:18; 28:19 et même le v. 20; Jn 15:16; Ac 1:8!

9 Confession helvétique postérieure, ch. 18.

10 The Reformed Pastor, 1656.

11 De ce qui vient d’être rappelé, nous pouvons déduire que les ministères principaux émanent de Dieu lui-même tout autant que de l’Eglise. Parlant de ces ministères, l’apôtre dira: « Christ les a donnés… » (Ep 4:11)

« Nous devons nous comporter selon l’Ecriture, écrit Luther, appeler et établir nous-mêmes parmi nous ceux que nous trouvons aptes à cette tâche et que Dieu a doués d’intelligence et ornés de dons à cet effet. » Calvin a aussi montré que les ministères de la Parole sont nécessaires à la vie de l’Eglise, qu’ils font partie de son être (et pas seulement de son bien-être…). Pour lui, il y a Eglise là où se trouvent des ministres fidèles à la Parole de Dieu! « Et même Dieu se fait en quelque mesure présent à son Eglise par eux, écrit-il, donnant efficace à leur ministère par la vertu du Saint-Esprit. » (IC IV, 2, 3).

12 M. Luther, Œuvres, tome IV.

13 Le mot perfectionnement a l’inconvénient d’avoir une connotation individualiste et d’attirer l’attention sur l’intérêt personnel de chacun. Remarquons que le mot édification, qui apparaît dans le même verset, a aussi pris un sens individualiste, alors que dans l’original il implique nettement une construction d’ensemble: « pour l’édification du corps ». Voir aussi 1 P 5:5: « Edifiez-vous pour former une maison spirituelle. »

14 Le pasteur Roger Barilier, par exemple, n’emploie pas l’expression « ministère de toute l’Eglise », car son souci est de préserver la prééminence des ministères d’autorité qu’il sent contestés. Il dit: « Les membres de l’Eglise concourent à l’exercice de cette fonction, chacun pour sa part, selon ses forces, ses dons, sa foi, mais cette fonction n’est pas la leur en particulier. Cela les préserve de se rengorger du titre de prêtre qui leur serait donné personnellement… » (La Revue réformée, n° 186, 50). On comprend son souci: l’individualisme protestant, l’esprit de contestation, l’orgueil spirituel. Mais cette approche semble faire de l’Eglise l’appui des ministères établis, et non l’inverse…

La préoccupation de l’historien Gabriel Mützenberg est différente car, pour lui, le risque est celui du cléricalisme. Dans sa Lettre ouverte à Jean-Paul II (brochure de l’APEB, 2000, 4), il écrit: « C’est dire que je suis, selon l’ordre divin du sacerdoce universel, prêtre et sacrificateur »; ce qu’il justifie en rappelant que, dans la nouvelle alliance, il n’y a qu’un seul souverain sacrificateur, Jésus-Christ.

Une recherche d’équilibre apparaît dans une autre brochure de l’APEB, Appel pour un Réveil (p. 5): « Chrétiens réformés, nous nous appuyons sur la grâce de Dieu qui a fait de nous un peuple qui lui appartient. Par Christ et la proclamation de son Evangile, Dieu nous fait entrer dans la communion de ceux qu’il appelle à lui. Il nous appelle à le servir, avec tous les croyants, dans sa fonction de prophète, de roi, de prêtre, pour sa seule gloire. Ainsi formée, son Eglise n’est pas une réalité spirituelle insaisissable. Christ a désigné des apôtres et, par leur intermédiaire, a donné à l’Eglise une forme visible, dans le monde présent. »

15 Une étude montrerait à quel point l’amour fraternel est spécifique, nécessaire pour édifier l’Eglise et porteur d’un puissant témoignage.

16 Calvin rappelle aux parents qu’ils doivent bien diriger leur maison, comme une petite Eglise. Les parents sont les pasteurs de leur maison!

17 En 1 Timothée 3:2, Paul réclame que les anciens soient capables d’enseigner, d’instruire (didastikô). Il est clair que cette attitude, nécessaire pour les anciens, est souhaitée pour tous les membres de l’Eglise, à des niveaux différents.

18 A. Vinet, Théologie pastorale.

19 Vinet, cité par Léonard, Histoire du protestantisme (Paris: PUF III), 207.

20 Charles Hodges, Systematic Theology (1875).

21 R. Baxter, The Reformed Pastor (1656).

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