L’offre générale de l’Evangile – Qui est sauvé ?

L’offre générale de l’Evangile
Qui est sauvé ?

La mort de Jésus-Christ et l’offre de l’Evangile

Paul WELLS*

Il y a quelque vingt ans, la foi chrétienne était l’objet d’un black-out, parce que jugée incongrue et dépassée. Dieu « était mort ». Aujourd’hui nos contemporains recherchent de nouvelles formes de spiritualité. Cette évolution ne semble cependant pas profiter à la foi chrétienne traditionnelle. Le retour du religieux n’est un retour ni à l’Eglise, ni à un intérêt pour la doctrine chrétienne.

Ce qui déplaît dans le christianisme, c’est son exclusivisme. Une foi qui se prétend la seule véritable ne peut être qu’impérialiste et, par conséquent, favorable aux exclusions sur la terre et dans le ciel: elle est fondamentalement intolérante. Son Dieu n’est pas universel mais sectaire. Oser affirmer qu’un seul chemin mène à un seul vrai Dieu, en passant par un homme, vivant dans un lointain historique, et par une croix, celle sur laquelle il a été crucifié, relève de l’inacceptable. C’est dénier aux autres religions tout accès à Dieu et ôter aux hommes de bonne volonté la possibilité d’être reconnus, si du moins Dieu existe. Pour la plupart des gens autour de nous, toute religion a sa part de vérité et d’erreur, et chacun sait que bien des non-croyants font plus pour les malheureux que bien des croyants.

Nombreux sont aussi les chrétiens qui butent sur cette difficulté et, bien souvent, renoncent à l’idée que le christianisme est une religion unique. Toutes les religions ont le même Dieu, « nous irons tous au paradis », car le parapluie de son amour nous couvrira tous. En conséquence, l’évangélisation devient une entreprise douteuse. Cette conception est loin d’être l’exception dans le protestantisme contemporain, qui est universaliste de façon explicite – l’enfer n’existe plus -, ou implicite; même si la Bible parle de jugement, le salut pour tous est une espérance.

Dans ces conditions, il faut avoir de solides convictions bibliques pour croire ce que le calvinisme historique a affirmé, à savoir la doctrine de la rédemption particulière: Jésus-Christ est mort dans une intention précise, celle de sauver non pas tous les hommes, mais son peuple, ses brebis, ses élus. Une telle affirmation semble, non seulement aux antipodes des attitudes modernes uni-mondistes mais aussi, pour beaucoup d’évangéliques, une incitation de se détourner de l’évangélisation. C’est pourquoi la suite de notre étude cherchera à montrer que, contrairement aux apparences, la notion de rédemption particulière est essentielle et constitue un puissant stimulant à l’offre universelle de la bonne nouvelle à tous.

I. L’offre universelle et la « rédemption particulière »

La question de la « rédemption particulière », selon R.L. Dabney[1], est une des plus délicates de la théologie calviniste, non pas en elle-même, mais à cause des controverses qu’elle soulève. C’est sur ce point des Canons de Dordrecht que se concentrent les attaques des défenseurs (arminiens) de la « rédemption universelle ».

Un premier problème est celui de l’imprécision du langage. J.I. Packer, comme Dabney, critique l’expression classique de rédemption limitée[2]. La rédemption n’est pas limitée; Dieu accomplit exactement ce qu’il veut dans le salut des hommes, sans limitations. D’ailleurs, même du côté de la « rédemption universelle », sauf si on veut affirmer que tous les hommes seront sauvés (universalisme du salut pur et simple), la rédemption est limitée, non par le dessein de Dieu, mais par la volonté humaine. Pour le calviniste, Dieu sauve des pécheurs. Chaque mot de cette affirmation a tout son poids.

En posant la question de la portée de la rédemption, on est au coeur de l’Evangile au sens, non seulement théologique, mais aussi pratique. La grâce de Dieu peut-elle être mise en échec? Christ est-il mort en vain? Un faux pas dans ce domaine a pour effet de changer tout le sens de l’Evangile. La « rédemption particulière » est le message de toute l’Ecriture; le modifier conduit à changer toute la doctrine biblique: aussi bien le sens de « particulier » ou « limitée » que celui de « rédemption ». Si on modifie le sens de la rédemption acquise à la croix, ceux de l’élection, du péché, de la grâce et de la persévérance des saints le seront également! Nous avons une religion différente! (Packer)

A) La doctrine de la « rédemption particulière »

Christ a-t-il accepté de mourir pour une épouse qu’il ne connaît pas, se mariera-t-il avec quiconque le choisira? Cette double question de C.H. Spurgeon situe bien le sujet. La volonté de Christ est-elle de sauver les siens ou de proposer le salut à une hypothétique volonté humaine?

La question de la « rédemption particulière » ne porte pas sur:

* la suffisance du sacrifice de Christ. Elle l’est pour toute créature et même pour celles qui auraient pu être créées;

* l’adaptabilité à tous. Elle correspond aux besoins de tous. Dans un sens objectif, le sacrifice de Christ concerne tout homme, au même titre;

* l’offre universelle. Le salut est porté à la connaissance aussi bien de l’élu que du non-élu lorsqu’ils entendent l’Evangile[3].

Cette doctrine a pour seul objet de préciser pour qui le Père a livré son Fils à la mort et pour qui le Christ s’est donné afin de le délivrer. En général, les réformés font leur la phrase d’Augustin relative à la rédemption: « suffisante pour tous, efficace pour les élus ». Ceci indique que la dignité et la valeur de la croix sont suffisantes pour tous les hommes, mais que, selon la volonté divine, cette oeuvre ne s’applique concrètement qu’au peuple de Dieu. La suffisance de l’oeuvre n’est pas révélatrice de la volonté de sauver tous les hommes.

Si la rédemption est particulière, cela est dû à l’intention de Dieu lorsqu’il a établi Christ comme substitut pour leur péché. Cette intention implique les considérations suivantes:

* la rédemption est une conséquence de l’élection et non l’inverse;

* l’amour de Dieu est spécifique et profond et non pas général;

* la mort de Christ est une transaction alliancielle et non un acte à la finalité imprécise;

* le sacrifice de Christ est efficace pour son peuple et non pour tous de façon indéfinie;

* les fruits de la mort de Christ sont la foi et le repentir de ceux qui croiront en lui et non une foi éventuelle.

La doctrine de la « rédemption particulière » rend compte de l’intention de Dieu et de Christ, selon laquelle Jésus est mort pour son peuple et uniquement pour lui, chaque individu en faisant partie sera inévitablement sauvé, personne d’autre ne recevant les bienfaits de la grâce spéciale.

B) Cette doctrine dépend de la nature de l’Alliance

C’est dans le contexte de l’alliance divine qu’il nous est possible de comprendre l’origine, la nature et les conséquences de la mort de Christ. En en sortant, l’arminianisme[4] oppose Dieu et l’homme en se concentrant sur la question de la capacité de la volonté humaine. Du côté réformé, également, lorsque la doctrine de l’alliance n’a pas été bien comprise, le rapport entre la « rédemption particulière » et l’offre universelle du salut en Christ a été faussé, avec pour résultat l’universalisme hypothétique d’Amyraut[5] d’un côté, et l’hypercalvinisme de l’autre.

La pensée réformée a distingué, et cette distinction nous semble être biblique, l’alliance « de rédemption », alliance éternelle entre le Père et le Fils pour sauver un peuple par la croix, et l’alliance « de grâce » qui en est le moyen historique de réalisation. F. Turretin[6] dit que les conditions de la médiation de Christ sont doubles. Christ est donné comme rédempteur des hommes; et des hommes sont donnés au Christ. Ces deux actes doivent concerner les mêmes personnes. Autrement, Dieu serait mis en échec. Pour accomplir l’alliance de rédemption, Jésus s’engage à accomplir deux actes:

* sa mort par laquelle il s’est donné comme garant et satisfaction des péchés des hommes (une transaction légale);

* et sa résurrection par laquelle il est le chef de la nouvelle humanité, de l’Eglise, des personnes qui lui sont données « en récompense ».

Selon Turretin, la raison, la portée et l’efficacité de ces deux actes de Christ sont les mêmes. Dans le premier acte, Christ s’est donné pour les hommes; dans le deuxième, il leur applique son salut. Cette façon de voir est-elle biblique? Ce n’est certes pas avec les écrits de l’apôtre Jean et, en particulier, le chapitre 17 de son évangile, que l’on va prouver le contraire! Tout ceci est vrai de l’alliance « de rédemption ».

Mais cette alliance « de rédemption » s’est réalisée historiquement. L’alliance « de grâce » est le mode de réalisation de la rédemption. Du point de vue de Dieu, la grâce de Christ va être appliquée aux élus. Mais, du point de vue de l’homme, ces élus font partie d’une masse de pécheurs de laquelle ils doivent être retirés. Répondront-ils et seront-ils sauvés? Oui, mais il leur faut entendre le même message que les autres afin de recevoir le salut qui est accompli, pour eux, en Christ. Ils doivent être appelés, accueillir Christ par la foi et se confier à lui. Pour atteindre cet objectif, Dieu a choisi l’annonce universelle, c’est-à-dire à quiconque, de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.

C) La « rédemption particulière » et l’offre de l’Evangile

L’arminien a deux réactions au moins face à cet exposé. Il considère qu’il y a là une perversion du langage biblique.

i) La Bible, en effet, ne dit-elle pas que Dieu aime le monde, que Christ s’est donné pour tous, qu’il est mort pour le salut de tous, etc.? Le calviniste lui semble coupable de se livrer à une amputation biblique. Cette opinion d’une séduisante simplicité est erronée. La Bible dit que Dieu aime l’Eglise, que Christ s’est donné pour beaucoup et qu’il est mort pour ses brebis. L’arminien explique alors qu’il s’agit de deux sortes d’amour, différents en degré. Rien n’est moins sûr. Aussi vaut-il mieux reconnaître simplement que, dans les deux cas, il s’agit du même amour et des mêmes bénéficiaires.

C’est pourquoi il est juste d’interpréter les termes généraux, les « tous » de l’Ecriture, à la lumière des termes restrictifs et non l’inverse. Il est impossible, comme le remarquent W. Cunningham et A.A. Hodge [7], d’expliquer en quoi consiste l’amour spécifique de Dieu pour les siens si nous affirmons, au départ, que cet amour est général. Dans ce cas, Dieu n’aurait pas plus d’amour pour une des brebis de Christ que pour le méchant loup qui ravage la bergerie!

ii) En deuxième lieu, la « rédemption particulière » décourage-t-elle toute annonce de l’Evangile? Au contraire. Sans elle, il n’y a aucune vraie annonce de l’Evangile possible. Dabney remarque que ce problème est du même type que celui de la souveraineté de Dieu et de la liberté humaine. Si Dieu, dans sa souveraineté, n’avait pas fait l’homme libre, celui-ci ne serait ni libre ni vraiment responsable. De même, si Christ n’avait pas sauvé les siens, l’offre de l’Evangile ne serait pas celle que nous trouvons dans l’Ecriture. Ceci est assurément vrai, mais assez théorique. Essayons d’être plus concret… Pourquoi la « rédemption particulière » rend-elle nécessaire une offre générale? « Je ne pourrais pas prêcher comme un arminien » a dit Spurgeon! Il donne trois raisons pour lesquelles la « rédemption universelle » des arminiens, malgré l’apparence, ne permet pas une annonce authentique de l’Evangile:

* Christ est mort pour sauver les perdus mais, en fait, personne n’est encore sauvé par la croix. Tout reste à appliquer:

« Je préfère croire à une rédemption qui est efficace pour tous ceux à qui elle est destinée qu’à une « rédemption universelle » qui n’est efficace pour personne tant que la volonté de l’homme ne la rend pas telle. »

* Si Christ n’est pas mort pour certains de façon précise, l’homme est l’architecte de son salut. C’est lui qui l’assure… par sa réponse. Cette réponse, qui va la donner? Personne peut-être… Qui le peut?

« Quelqu’un dira avec insistance que Christ est mort pour tous. Mais alors pourquoi tous ne sont-ils pas sauvés? Parce que tous ne veulent pas croire. Est-ce à dire que la foi serait nécessaire pour que le sang de Christ soit efficace pour la rédemption? Nous tenons cela pour un gros mensonge. »

*Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, mais son désir est impuissant. Il attend la réponse de l’homme:

« Si l’intention de Christ était de sauver toutes les créatures, ô combien il a dû être profondément déçu! »

Face à la « rédemption universelle », tout prédicateur devrait prendre sa retraite ou rechercher des moyens superpuissants pour faire passer son message… Heureusement, les conditions de la prédication réformée sont tout autres. A cause de la « rédemption particulière », des hommes et des femmes ont été réellement sauvés à la croix. L’offre générale n’implique pas, logiquement, la rédemption universelle.

L’offre est générale, c’est-à-dire présentée à tous ceux qui l’entendent, parce que Christ est le médiateur entre Dieu et les hommes en général (1 Tm 2:5). L’homme est « responsabilisé » par l’offre de l’Evangile, qui lui apprend qu’il ne peut pas prétendre au salut par sa propre force, et qui lui montre ce qu’il doit faire pour être sauvé. Lors de l’offre de l’Evangile, Dieu appelle de façon efficace et sauve ceux pour qui Christ est mort. Ainsi, dans l’offre générale de l’Evangile, Dieu est placé en position de souverain vis-à-vis de sa créature. Celle-ci se trouve dans une position normale vis-à-vis de Dieu et apprend que son devoir est de se confier à Dieu par la foi.

Pourquoi Spurgeon ne pouvait-il pas prêcher comme un arminien? Parce que c’est l’homme qui est demandeur, et non pas Dieu. L’arminianisme se trompe en assumant que la nature pécheresse est normale et que l’homme a la capacité de répondre librement; ainsi l’homme s’élève à la foi. Le calvinisme, quant à lui, place l’être humain qui entend l’Evangile devant sa responsabilité de croire et lui montre qu’il dépend de Dieu pour recevoir la foi comme don.

Nous allons maintenant considérer les deux aspects de la médiation de Christ selon l’Evangile: la présentation de Christ et l’appel des hommes et des femmes à Christ.

II. Christ présenté aux pécheurs dans l’Evangile

Quatre aspects de cette question sont à considérer: le fondement de l’offre générale de la rédemption en Christ, sa nature, son intention et ses conséquences.

A) Le fondement de l’offre de l’Evangile

Dans l’offre de l’Evangile, Dieu ne met pas sa souveraineté entre parenthèses. Il demande à toutes ses créatures de vivre par la foi. Aussi est-il normal que l’appel de l’Evangile procède et tire son efficacité de Dieu le Père lui-même. Paul dit que « c’est par Dieu que vous êtes en Christ-Jésus » et que c’est le Père qui « nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé. » (1 Co 1:30; Col 1:13).

Pourquoi cette action du Père? Elle a pour but de conduire à Jésus-Christ les hommes et les femmes qu’il lui a donnés en récompense. Jésus lui-même le dit: « Tout ce que le Père me donne viendra à moi… nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. » (Jn 6:37, 44) Cet acte du Père reflète ses attributs: sa souveraineté, sa liberté, sa grâce et son amour. L’Evangile, l’instrument par lequel les enfants de Dieu viennent à Christ, est l’expression de la volonté de Dieu de les sauver dans son amour. J. Murray affirme que l’amour est à la source de tous les dons que Dieu fait aux impies[8]. Derrière l’offre générale du salut se trouve l’amour de Dieu, non pas un sentiment vague envers le pécheur, mais une disposition favorable et réelle qui se concrétise dans le fait que Dieu indique à celui-ci le chemin du salut. « Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant?… N’est-ce pas qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive? »(Ez 18:23,32)

L’offre de l’Evangile n’a pas pour but de révéler aux hommes et femmes l’amour de Dieu. Elle est le moyen de cette révélation. Son but est le déploiement des attributs de Dieu: la gloire de Dieu lui-même qui est amour. La gloire de Dieu et la réalité de son amour envers ses créatures, qui s’expriment dans l’offre générale, doivent aussi déterminer dans quel esprit la prédication de l’Evangile doit être faite. Ne sommes-nous pas trop souvent coupables de n’éprouver pour Dieu qu’un amour froid et notre désir de voir des personnes venir à Jésus-Christ ne s’en trouve-t-il pas amoindri?

B) La nature de l’offre générale

Si Christ n’est mort que pour les siens seulement, comment présenter le Christ de l’Evangile? Packer parle de l’évangélisme moderne dont la structure est la suivante: « Dieu vous aime et a un plan merveilleux pour votre vie; Christ est mort pour tous les hommes; il veut être votre Sauveur; acceptez-le dans votre coeur. »

L’arminien pense que l’Evangile prêché par le calviniste n’est pas pour tous les hommes si Christ n’est mort que pour les siens, et le calviniste estime que, dans le système arminien, la rédemption est limitée. La mort de Christ n’est suffisante pour personne; la volonté du Seigneur de sauver est impuissante et dépend de la bonne volonté supposée du pécheur.

Quel problème l’arminianisme pose-t-il? Pour reprendre une distinction de Dabney, il repose sur une confusion à propos du mot « rédemption ». Le sacrifice de Christ ne fait l’objet d’aucune transaction; il est appliqué à tout individu sauvé. Si tous étaient élus, la nature du sacrifice serait la même pour tous. Dabney argumente que, dans le Nouveau Testament, si l’expiation du péché par le sacrifice de Christ est impersonnelle et juridique, la réconciliation est personnelle. Ainsi par l’appel efficace, l’expiation impersonnelle est appliquée de façon personnelle et positive et son destinataire est réconcilié avec Dieu. Dans la médiation de Christ, l’expiation est un acte unique et impersonnel tandis que la réconciliation est multiple et englobe les individus réconciliés. Cette distinction est une application pratique de ce qui distingue, comme le souligne A.A. Hodge, les alliances « de grâce » et « de rédemption ».

Lorsque Christ dit, en Jean 6:37, que les siens viendront à lui et qu’il ne les jettera pas dehors, il marque son intention de faire ce que veut son Père. Christ poursuit son action avec la ferme résolution d’attirer à lui tous ceux qui appartiennent au Père. Il est assez puissant pour sauver; la médiation formellement accomplie à la croix, se poursuit dans l’application du salut et dans l’intercession en faveur de ses enfants. Tous les siens viendront à lui et, comme le dit J. Bunyan, « Christ ne trouvera rien de déplaisant en eux »[9].

Dans l’offre générale, il existe deux applications de cette vérité. L’expiation présentée et offerte à tous, car le sacrifice de Christ est impersonnel. Dans la prédication de la croix l’amour de Dieu est annoncé à tous, sans allusion à l’élection ou à la non-élection des uns et des autres. C’est l’oeuvre de la croix que présente la prédication évangélique, car c’est là seulement que l’amour de Dieu est connu. Le prédicateur n’a aucun mandat pour aller au-delà et ajouter « Dieu vous aime » et encore moins pour affirmer que « la grâce de Dieu est pour tous sans conditions ». L’amour de Dieu s’exprime non pas directement envers les pécheurs, mais par la médiation de la croix. Les rapports entre Dieu et les pécheurs sont des rapports de jugement et de grâce qui ne s’éclairent que dans la perspective du Calvaire. Que savons-nous, en effet, de l’amour de Dieu, de sa grâce, pour X ou pour Y, pécheurs comme nous devant Dieu? Rien. L’un et l’autre ont peut-être un cancer, risquent de mourir dans six mois et être perdus éternellement. Qu’est-il urgent de leur dire?

En deuxième lieu, le prédicateur, comme Dieu lui-même le fait, a le devoir, dans ses déclarations, de se cacher derrière la croix. Il n’est pas qualifié pour administrer la grâce de Dieu. Il l’est, en revanche, pour proclamer le Nom du Dieu « riche en miséricorde ». L’annonce de l’Evangile a pour but d’interpeller des personnes, non de leur offrir une grâce personnelle. C’est Christ lui-même qui applique sa grâce individuellement; c’est sa tâche, et non pas la nôtre, de mener à bien son oeuvre. Soyons donc modestes, dépendants de Christ, plus soucieux que ne l’est un arminien de braquer le projecteur sur l’événement de la croix et plus désireux que lui de voir Christ poursuivre son oeuvre de réconciliation. Des pécheurs y acquiesceront à cause de lui et… malgré nous!

C) L’intention de l’offre de l’Evangile

Quelle est l’intention de Dieu lorsqu’il veut que l’Evangile soit présenté à tous les êtres humains, même à ceux qui ne croiront jamais? La quasi-totalité des attaques des arminiens contre la position calviniste se concentrent ici. Si Dieu offre sa miséricorde à tous, y compris à ceux qu’il sait ne pas devoir croire, comment éviter la conclusion que sa sagesse et sa puissance sont en défaut ou que sa sincérité est douteuse, demandent-ils?

K. Schilder[10] a défini, avec précision, le sens du mot « offre ». Il ne s’agit pas d’une interrogation qui appelle une réponse indifférente, comme « voulez-vous une autre tasse de café? ». L’offre de l’Evangile s’effectue selon les principes de l’alliance et aucun homme ou femme n’a le droit de répondre non. Voyons cela en détail.

Du côté divin, l’offre de l’Evangile n’est conditionné par rien; elle est absolue, sérieuse et bien intentionnée. Ce qui est proposé est précis: Dieu sauve, il sauve par grâce, il accomplit ce qu’il promet, sa Parole est certaine. Comme le dit Spurgeon, jamais une personne qui a pris Dieu au sérieux n’a manqué de Sauveur. L’offre de l’Evangile est celle d’un salut qui dépend de Dieu et non de l’homme, et qui s’accomplit là où l’homme reconnaît le Seigneur. Dieu s’engage à créer un coeur nouveau, à donner la foi et à régénérer tous ceux qui regardent vers lui pour leur salut.

Du côté de l’homme, comme le dit Bunyan, la promesse de Dieu est conditionnelle. Elle appelle à obéir, à se repentir, à recevoir le message et à se convertir. La conversion humaine est l’expression de la régénération opérée par Dieu. La réponse humaine à l’alliance tient compte des « si » et des « et ». « Si tu… » « viens et vois… » invitent l’accueil du message. Ainsi l’offre générale, fondée sur la capacité absolue de Dieu de sauver, comprend une exhortation lancée à l’homme pour qu’il reçoive l’Evangile dans les conditions indiquées. L’homme, en tant que créature, est appelé à accepter cette parole dans l’obéissance et la foi. Ainsi le caractère de l’offre est universel dans ce sens. Christ n’a jamais mis dehors une personne qui vient à lui en réponse à l’Evangile.

L’arminien objectera que, dans ces conditions, Dieu se moque du pécheur, parce que celui-ci ne peut pas, selon le schéma calviniste, donner une réponse positive. Et il est bien vrai qu’il ne le peut pas. Mais cette incapacité amoindrit-elle son devoir? Certes, non. L’homme ne vient pas à Christ, ne répond pas à l’appel parce qu’il ne veut pas. De cela il est responsable. Son attitude de refus face à l’offre de Dieu n’est ni normale, ni justifiée. Elle témoigne de la gravité de l’anormalité du péché, qui empêche de reconnaître la grandeur de l’amour de Dieu présenté dans l’Evangile. C’est pourquoi Packer dit que la compassion de Dieu envers les pécheurs les invite à avoir compassion d’eux-mêmes.

Si l’offre de Dieu était telle, on pourrait demander si elle est sincère, dira l’arminien. Si Dieu désire vraiment le salut des pécheurs, pourquoi ne l’accomplit-il pas en tous ceux qui entendent la bonne nouvelle? S’il ne le fait pas, c’est que sa compassion n’est qu’apparente. Ainsi, à propos de Matthieu 23:37: « Jérusalem, Jérusalem… combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes et vous ne l’avez pas voulu! », l’arminien estime que la compassion de Dieu est réelle, mais qu’elle est contrariée par la résistance de l’homme. Certains calvinistes n’ont pas su bien répondre à cette remarque. C’est ainsi que Calvin et Turretin ont affirmé que, dans ce texte, la compassion de Christ, due à son humanité et suscitée par sa souffrance, n’est pas de nature à lui permettre de sauver les Juifs, salut qui n’est pas dans le plan de Dieu. Avec d’autres, cette explication nous paraît dubitative.

Dabney propose une explication plus proche des textes qui, comme 1 Timothée 2, évoquent le désir de Dieu de sauver tous les hommes et sa compassion. La compassion de Dieu pour les perdus est réelle, sincère et profonde. Dieu peut, sans se contredire, désirer ce qu’il n’a pas décrété. Il existe en lui des raisons secrètes que nous ne connaissons donc pas, qui sont cachées dans son conseil non révélé et qui font que sa compassion ne se manifeste pas concrètement. W. Cunningham et J. Murray adoptent cette position lorsqu’ils disent qu’il peut y avoir, en Dieu, une velléité de réaliser ce qu’il n’a pas décidé dans sa volonté secrète. Dabney donne une illustration de cela: George Washington a signé la condamnation à mort de l’espion André; il a pleuré de compassion en le faisant, mais celle-ci a dû céder devant les raisons supérieures qui ont motivé sa décision.

Dans l’offre de salut par l’Evangile de la croix, Dieu manifeste sa compassion pour le pécheur, exprime son désir de le voir se repentir et offre sa grâce de façon authentique et réelle. Il y a là comme un paradoxe. L’expiation publique de l’expiation effectuée à la croix et l’amour de Dieu deviennent une occasion de perdition pour le pécheur. Combien grande est la perversité du péché! Quoi de plus dramatique que ce mépris de l’amour divin? « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. »(Jn 3:17)

« Ce verset affirme que la condamnation n’était pas l’objet initial de la mission de Christ… qui était plutôt de manifester, par le sacrifice de Christ, la compassion de Dieu envers tous. » (Dabney)

C’est pourquoi le prédicateur de l’Evangile ne peut pas avoir d’autre intention que celle de Dieu: à savoir la compassion pour les perdus, l’amour que Dieu a manifesté pour eux à la croix et son désir qu’ils soient sauvés. L’ennemi à affronter: la perversité du péché, qui est rébellion face à l’amour de Dieu. Utilisons donc toutes les armes à notre disposition pour démasquer cet ennemi, le destructeur de l’homme, et pour avertir ceux qui « préfèrent les ténèbres à la lumière ».

D) Les effets de l’offre générale de l’Evangile

Cunningham affirme que l’Ecriture n’établit pas de lien de causalité entre la valeur infinie du sacrifice de Christ et l’offre générale de l’Evangile. La « rédemption particulière », qui résulte de la volonté divine, applique et personnalise l’offre générale du salut. Dieu annonce le salut à tous en Christ et il projette sa lumière dans le coeur de certains individus. Ceux qui, à la lumière de Jean 6, sont donnés à Christ par le Père viendront à lui. De même Christ ne néglige pas le salut de ceux qu’il a reçus du Père. Sa mission est de communiquer sa grâce aux siens et de rendre effective leur venue. L’offre de l’Evangile qui conduit à la « vocation efficace » du pécheur réalise, dans son cas, la raison d’être de la croix:

* au don du Fils à la croix correspond le don de l’Esprit qui témoigne du Fils;

* à la compassion manifestée publiquement en livrant le Fils pour les pécheurs correspond l’amour indicible de Dieu pour ses élus;

* à la mort de Christ qui est en bénédiction pour toute l’humanité correspond la mort de Christ en tant que garant de la vie éternelle pour les enfants de Dieu;

* à la mort de Christ qui procure un temps de patience divine correspond, pour les élus, la justification, la propitiation et la foi.

De la même parole d’invitation procèdent deux résultats: la vocation efficace de certains pécheurs et la perdition d’autres. Mais l’Evangile n’est cause de perdition de personne: la perdition est un effet indirect du message de la croix dû à la dureté terrible du coeur de l’homme naturel. La mission du prédicateur est dramatique. Sait-il assez la gravité de la lutte spirituelle dans laquelle il est engagé, contre les puissances des ténèbres, celles qui règnent non seulement dans les lieux célestes, mais aussi dans les coeurs de ses auditeurs?

III. Ceux qui viennent à Christ

Celui qui trouve Christ trouve la vie. Comme le dit Bunyan, « il y a en Christ une telle gloire qu’une fois découverte, elle tourne le coeur vers lui et l’attire ». La proclamation de l’Evangile prend la forme d’une promesse offerte à tous. C’est ainsi que Jésus lui-même a prêché. Pensons aux sept affirmations qui commencent par « Je suis ». Jésus dévoile qui il est dans son rôle messianique et il ajoute une promesse à celui qui le reconnaît comme tel. La proclamation générale de l’Evangile revêt donc la forme de l’alliance, étant:

* annonce faite à tous;

*promesse de récompenses comme fruits de la grâce;

*invitation à respecter ses conditions;

*ordre de se repentir et de croire.

La prédication de la bonne nouvelle doit comporter ces aspects. C’est pourquoi Paul, après avoir déclaré que Dieu veut que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » – c’est-à-dire après avoir évoqué la compassion de Dieu et comment elle se manifeste -, affirme qu’il a été établi prédicateur et apôtre pour le proclamer. (1 Tm 2:4-6)

Qui viendra donc à Christ? Celui qui a été saisi par ce qu’a fait Christ et qui le prend au mot. Il est nécessaire d’insister sur ce point dès le départ, parce que toute position théologique qui le néglige en arrive inévitablement à admettre la capacité de l’homme comme sujet du salut. Le Messie est tout-puissant alors que l’homme est incapable.

A) L’incapacité de l’homme

L’erreur des arminiens est de faire du repentir et de l’ouverture du coeur les conditions du don de la grâce. Autrement dit, ils placent la conversion avant la régénération et confondent les deux. L’homme aurait-il si peu que ce soit de chaleur spirituelle? Non. Il a la température d’un cadavre. Comme le dit Spurgeon, le miracle de la grâce, c’est que Dieu descend en deçà du zéro degré de la mort pour conférer la vie au pécheur.

Aucun pécheur ne peut, par nature, se donner à Christ. La tâche douleureuse de la prédication est de le dire. L’arminien objectera que l’homme, certes, est pécheur, mais que ceci ne l’empêche pas de venir à Christ. Il est tentant de s’exprimer ainsi dans notre pratique homilétique. Mais l’Evangile avertit qu’un être humain ne peut pas venir à Christ et l’accepter. Il en est entièrement incapable. A cet égard, sa situation spirituelle est sans espoir. Or, paradoxalement, c’est précisément là que le pécheur conscient trouve son espérance. Spurgeon insiste en précisant que nous avons à noyer notre autosuffisance jusqu’à ce que nous reconnaissions le caractère désespéré de notre situation et notre manque de toute aide pour en sortir. Lorsque quelqu’un perçoit nettement la tragédie qu’il y a à être pécheur en présence du Dieu saint, le miracle de la grâce sera, pour lui, de croire qu’il est pardonné et accepté par le Seigneur. Le pécheur dépend de Dieu seul pour son salut.

La prédication de l’Evangile enferme donc le pécheur avec Jésus-Christ, afin qu’il comprenne qu’il n’y a aucune espérance, aucun recours sauf en Christ lui-même, et qu’il en vienne à crier « Mon Dieu, je suis désespéré, sauve-moi par ta grâce! » Il se reconnaît incapable de se sauver et il sait, psychologiquement, que son salut dépend de Dieu. Tel est le moteur, la conviction, qui le pousse vers Christ. Le geôlier de Philippes, en demandant « Qu’est-ce que je dois faire pour être sauvé? » n’a nullement la pensée qu’il puisse faire quelque chose de positif. Il se sait perdu. C’est pourquoi Spurgeon affirme qu’il y a dix mille fois plus d’espérance dans le calvinisme que dans l’arminianisme, qui estime que tous peuvent être sauvés si du moins ils le veulent bien. A la différence, pour le calvinisme: le pécheur est un cadavre… mais Christ est la résurrection et la vie. Le pécheur qui se sait tel ne peut pas venir de lui-même, mais Dieu lui en donnera la volonté; il est aveugle, mais Dieu dit: « Je ferai marcher les aveugles sur un chemin qu’ils ne connaissaient pas. » (Es 42:16)

Le Saint-Esprit, en suscitant la vie en l’homme mort à cause de ses péchés accomplit le miracle de la grâce. Autrement, le pécheur viendrait-il à Christ? Non, il ne le peut ni même ne le veut. Pourtant il viendra. Il recevra la vie, car Dieu accomplira en lui ce dont il est incapable. Voilà pourquoi la doctrine de la « rédemption particulière » est au coeur de l’offre de l’Evangile, puisqu’elle sert de fondement à l’espoir que des hommes viendront à Christ pour recevoir le salut. Si Christ ne sauve pas les pécheurs Martin et Dupont, notre parole, leur décision ne le feront pas. S’il est vraiment mort pour eux, ils viendront à lui! Quand nous entendons l’appel de Christ à venir à lui, nous ne le voudrions ni ne le pourrions; mais si cet appel est suivi de la précision suivante: cette parole est pour « ceux qui n’ont pas d’argent », pour « ceux qui ont soif », pour « ceux qui sont fatigués et chargés », nous nous rendons compte que cette parole est pour nous et correspond à notre situation. On ne peut alors que courir vers Christ, dont l’Esprit est vie et dont l’invitation est chaleureuse et constitue notre ultime recours.

B) Le commandement de venir à Christ

Parce que Dieu est le souverain de l’alliance, il demande au pécheur d’accueillir positivement l’Evangile. Il s’agit même d’un commandement comme le montre, par exemple, Esaïe 55, avec une quinzaine d’impératifs: « venez… cherchez… invoquez… écoutez… ».

L’arminien remarque que la thèse calviniste est en porte à faux si le pécheur ne peut pas venir librement. Dieu perdrait son temps avec plusieurs puisque certains seulement, ses élus, répondront. Cela appelle plusieurs remarques:

i) Formellement, comme le dit Dabney, le fait pour Dieu de formuler des commandements n’implique pas que l’homme pécheur ait la capacité de les observer. Qui peut « aimer le Seigneur de tout son coeur »? Personne. Mais il est dans la nature de Dieu de le lui demander. J. Owen a insisté sur ce point[11]. Le devoir de tout pécheur non-régénéré est de se tourner vers Christ dans le repentir et la foi pour être sauvé. Il doit croire que:

* l’Evangile est vrai;

* le salut est seulement par la foi en Christ;

* tout pécheur a besoin d’un Sauveur;

* Christ sauvera le pécheur si celui-ci s’abandonne à lui conformément aux indications de l’Evangile.

A l’offre de l’arminien manque l’urgence de l’obligation. Cette offre relève de l’ordre de la possibilité: « Permettez-moi de vous aider avec ce trésor. » (Schilder)

ii) Matériellement, la volonté régénérée a besoin de recevoir des indications claires sur la manière de se comporter en écoutant l’appel de l’Evangile. Comment pourrait-il en être autrement? Les élus se trouvent au sein de l’humanité perdue. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’appel ne peut être que général. L’alliance de grâce, dit C.Hodge[12], est proposée à toute l’humanité et la condition pour entrer dans cette alliance est la foi. La foi n’est pas la cause du salut, mais sa condition. Dieu indique ainsi aux siens comment ils peuvent répondre à l’appel.

iii) Lorsque Dieu le régénère, l’homme est passif, mais la régénération réanime sa liberté en créant en lui une nouvelle disposition libérée de la domination du péché. Comme le constate A. Kuyper[13], « né de nouveau et efficacement appelé, l’homme se convertit ». Kuyper souligne que, dans le Nouveau Testament, la conversion est considérée comme étant presque 140 fois un acte de l’homme, et seulement 6 fois un acte du Saint-Esprit! Ainsi, lorsque l’Ecriture exhorte l’homme à se convertir, elle évoque une réponse humaine à l’Evangile, en suite de la régénération.

Cette réponse intervient parce que Dieu régénère ceux pour qui Christ est mort et les rend capables de dire « oui » en restaurant leur liberté. Ceci a deux conséquences importantes en ce qui concerne la proclamation de l’Evangile:

i) Dans l’offre générale, il ne convient ni d’encourager les auditeurs à naître de nouveau ni de les exhorter à croire que Christ est mort pour tous et donc pour eux personnellement. Owen affirme qu’il n’est pas possible de dire: « Croyez, car Christ est mort pour vous personnellement. » L’application personnelle de la mort de Christ fait partie du don divin de régénération. Si l’expiation est impersonnelle, la réconciliation est personnelle. Aussi l’offre de l’Evangile doit-elle rester impersonnelle en s’adressant à chacun. Nous avons à exhorter quiconque à se repentir et à croire, sans craindre de donner à cette exhortation la forme impérative d’un ordre d’avoir à le faire, puisque le salut est à cette condition.

ii) L’orthodoxie calviniste a parfois oublié cet aspect de la prédication, qui se présente trop souvent comme une description théologique, théorique et aride, de ce qu’est la repentance et la foi. Par peur d’arminianisme, on en vient à dispenser l’homme du devoir de se tourner vers Christ, alors que c’est en se confiant radicalement à Christ que l’on est sauvé et non en se contentant de prendre conscience intellectuellement de la nature de la régénération. Cette prise de conscience est insuffisante, si elle est nécessaire[14]. Ainsi l’orthodoxie peut engendrer la présomption, qui aboutit au formalisme, et nos communautés protestantes se peuplent de « chrétiens » en fait irrégénérés, qui se croient sauvés parce qu’ils peuvent répéter le Symbole des Apôtres. Or, le salut, c’est de s’abandonner à Christ qui sauve! Le fantôme de l’arminianisme aurait-il le pouvoir de rendre nos appels à la foi moins pressants que ceux de Christ?

C) La promesse est pour ceux qui viennent

Packer indique que dans l’offre de l’Evangile, nous ne faisons pas venir les hommes à Christ mais nous leur apportons Christ. Cela peut surprendre mais, après réflexion, rien n’est plus exact. C’est la régénération qui fait venir à Christ, notre rôle est de mettre en avant la bonne nouvelle avec sa promesse.

Dieu donne ce qu’il ordonne dans l’Evangile. Il sait qui viendra, il rend capable de venir, et il encourage de recevoir Christ en ajoutant sa promesse. Celui qui vient sera reçu. Mais comment vient-on? Bunyan remarque que le mouvement est spirituel; poussé par le sentiment de manque absolu, par le danger que fait courir le péché, on vole vers Christ pour obtenir le secours. La promesse faite d’un bon accueil, de la « bienvenue », fortifie la volonté de tout abandonner pour lui. (Lc 14:26,27)

Peut-on « se décider » pour Christ? Etre sauvé en signant une carte de décision? Nous avancer pour obtenir le salut? Assurément non. Packer estime que ces manifestations modernes suggèrent que l’on décide par soi-même et que l’affaire est notre affaire. L’acte de décider implique une auto motivation. « Venir à Christ », en revanche, est un acte qui correspond au renoncement à soi-même et une confiance totale en la promesse de Dieu. On ne vient pas à Christ parce qu’on est capable de « prendre une décision », mais parce que Christ promet de nous recevoir. C’est l’engagement de Christ lui-même qui motive le pécheur perdu et le conduit à Lui pour être sauvé. L’évangile moderne est nombriliste: il encourage une focalisation sur nous-mêmes et non un regard vers Christ et ses mérites. Avec un tel point de départ, il n’est pas étonnant que la vie chrétienne apparaisse comme une suite d’expériences ou de conversions multiples.

L’Evangile glorifie l’immensité de l’amour de Christ, qui promet d’accueillir ceux qui ne « valent » rien. N’avons-nous pas un peu perdu ce sens de l’amour si riche de Christ, qui reçoit les aveugles et les boiteux, ceux qui ne sont rien. Quel privilège plus grand peut-il exister pour un vaurien que de s’asseoir à la table du roi? Le roi de gloire lui-même nous y invite et promet de nous y rassasier. Sa réception royale est personnelle, celle de la brebis perdue, du fils prodigue, du pécheur qui se repent, source de joie dans le ciel. L’appel vient de Christ et est orienté vers lui. « L’Esprit et l’épouse disent: Viens ». (Ap 22:17) Cet appel tire toute sa force de ce que Christ ne reçoit que ceux pour qui il est mort. Christ est glorifié dans son office de médiateur lorsque les pécheurs viennent à lui. Et il « pardonne abondamment ». (Es 55:7)

D) Jésus-Christ, mort pour moi aussi

Turretin fait une distinction, classique dans la théologie réformée, mais souvent oubliée aujourd’hui, entre la foi formelle et la foi consolatrice. La foi formelle conduit à Christ seul pour le salut et implique une connaissance de notre misère, une réponse à l’appel divin et une pleine confiance dans la promesse de Christ. C’est là la foi justifiante. La foi formelle est directe, tournée vers Christ et trouve le salut en lui, c’est-à-dire, elle ne doit rien à l’homme. La foi consolatrice en est la conséquence intérieure; elle nous assure que Christ est mort pour nous.C’est là la grande expérience qu’ont faite les frères Wesley en 1738, en lisant des textes de Martin Luther et que Charles Wesley a décrite ainsi: « J’ai peiné, j’ai attendu et j’ai prié afin de ressentir que Christ m’aime et qu’il s’est donné pour moi. » Packer dit que cette assurance est fondée sur la connaissance de l’amour de Dieu et ne peut pas précéder l’expérience de la foi qui sauve. Normalement, le chrétien raisonnera ainsi:

* Christ est mort pour tous ceux qui croient;

* je suis venu à Christ et je crois;

* donc Christ est mort pour moi aussi.

La foi consolatrice ne peut pas être présentée comme une raison de croire; elle n’est qu’une conséquence de l’acte de la foi.

Renverser cet ordre est l’erreur de l’arminien[15]. De la même manière qu’il affirme au pécheur « Dieu vous aime », il sollicite sa foi personnelle et lui demande de croire que Christ est mort pour lui personnellement. Or, l’Evangile ne nous demande pas de croire que « Christ est mort pour vous », mais de croire en Christ. Spurgeon, comme d’habitude, a visé juste. En croyant que Christ est mort pour vous, dit-il, vous pouvez croire ce qui n’est pas vrai. C’est ainsi qu’on pourrait aller en enfer parce qu’on n’est pas venu à Christ conformément à l’Evangile, tout en croyant que Christ est mort pour nous! L’essence de la foi qui sauve ne réside pas dans cette assurance. La foi qui sauve est celle qui se confie en Christ et qui se repose sur lui pour la délivrance. Etre assuré que Christ me sauve est le fruit de la foi qui sauve, c’est-à-dire la confiance mise en Christ pour être sauvé.

Conclusion

La « rédemption particulière » est le fondement de l’annonce générale de l’Evangile. Elle seule est cohérente avec le contenu de l’Evangile, à savoir que tous les êtres humains sont pécheurs et incapables de se sauver, que Christ a été choisi « comme moyen d’expiation pour ceux qui auraient foi en son sang » (Rm 3:25), que la réconciliation est l’oeuvre personnelle de Dieu et que tout homme a le devoir de se repentir et de croire. Ces vérités sont faites pour satisfaire ses vrais besoins. La prédication d’aujourd’hui, au lieu de flatter l’orgueil de ses auditeurs, devrait les rappeler clairement.

Eléments de bibliographie

H. Blocher, « Le champ de la rédemption dans la théologie moderne », Hokhma, n° 43, 25-48.

J. Bunyan, Come and Welcome to Jesus Christ. A discourse on John 6:37.

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W. Cunningham,The Reformers and the Theology of the Reformation (Edimbourg: Banner of Truth, 1967-1862), 413-470.

R.L. Dabney, Lectures in Systematic Theology (Grand Rapids: Zondervan, 1972-1878), 513ss.

R. L. Dabney, « God’s Indiscriminate Proposals of Mercy, as Related to his Power, Wisdom and Sincerity » in Discussions Evangelical and Theological (Edimbourg: Banner of Truth, 1967-1890), 282-314.

P. Helm, « The Logic of Limited Atonement » in Scottish bulletin of evangelical theology (1985:2), 47-54.

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R. Nicole, « John Calvin’s View of the Extent of the Atonement » in Westminster Theological Journal (1985:2),197-225.

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J.I. Packer, « Le salut biblique et l’annonce de l’Evangile »,La Revue réformée (1992:5), 1-20.

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P. Wells, Entre ciel et terre (Lausanne : Ed. Contrastes, 1991), Appendice II.

H. Witsius, The Economy of the Covenants Between God and Man, I (Escondido, CA. distr. P&R, 1990-1822), 255-270.


* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Ce texte reproduit une conférence prononcée à la Pastorale de Dijon en 1993.

[1] Les ouvrages des auteurs nommés sont indiqués dans la bibliographie à la fin de cette étude. R.L. Dabney, théologien presbytérien du XIXe siècle, était l’aumônier de Stonewall Jackson.

[2]Limited atonement,en anglais. Sa formulation classique se trouve dans le troisième canon de Dordrecht (1619).

[3] A.A. Hodge (1823-1886) a été professeur de théologie systématique au Séminaire de Princeton.

[4] L’arminianisme, très répandu dans les milieux « évangéliques » depuis le réveil de Wesley, est l’enseignement d’Arminius (1560-1609), résumé en cinq points auxquels les Canons de Dordrecht ont répondu. La volonté de l’homme est indéterminée: il est pleinement capable de répondre, par lui-même, à l’Evangile. Les arminiens n’ont fait que reprendre, en les modifiant, des arguments d’Erasme contre Luther ou de Pélage contre Augustin.

[5] M. Amyraut (1596-1664) a enseigné que dans l’idéal la volonté de Dieu est de sauver tous, mais en pratique ce désir rencontre la résistance du péché de l’homme. L’hypercalvinisme prétend que puisque l’élection concerne uniquement certains, l’Evangile n’est pas offert à tous dans un appel général.

[6] F.Turretin, théologien de Genève et successeur de Calvin au XVIIe siècle.

[7] W. Cunningham (1805-1861), doyen de New College, Edimbourg.

[8] J. Murray était professeur au Séminaire de Westminster à Philadelphie de 1937-1966.

[9] J. Bunyan, puritain baptiste réformé (1628-1688), auteur du célèbre Voyage du Pèlerin.

[10] K. Schilder (1880-1952), théologien et prédicateur néerlandais, auteur d’une trilogie sur les souffrances de Christ.

[11] J. Owen, grand théologien puritain du XVIIe siècle, auteur prodigieux et aumônier de Cromwell.

[12] C. Hodge (1797-1878), professeur au Séminaire de Princeton et auteur d’une excellente théologie systématique.

[13] A. Kuyper (1837-1920), théologien et premier ministre des Pays-Bas, a écrit, entre autres, un ouvrage remarquable sur le Saint-Esprit.

[14] Pour les Réformateurs, la foi est non seulement une connaissance mais avant tout la confiance (fiducia).

[15] Erreur malheureusement commise par J. Wesley aussi. Voir A. Schluchter, « Wesley et Whitefield, une controverse sur l’évangélisation », La Revue réformée 37 (1986:4), 177 ss.

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