Quel avenir pour l’église à la veille du troisième millénaire ? – L’église au XXe siècle

Quel avenir pour l’église à la veille du troisième millénaire ?
L’église au XXe siècle

William EDGAR*

Il semble que Dieu aime surprendre comme cela peut se vérifier facilement face aux événements de l’histoire, quelle que soit l’époque, quelle que soit la nature des événements concernés. La venue de Jésus-Christ, sa mort et sa résurrection n’étaient-elles pas tout sauf prévisibles? L’Evangile, comme Georges Florovsky se plaisait à l’affirmer, c’est l’éternelle surprise de Dieu. Non pas que Dieu soit lié à l’imprévisible. L’histoire de Joseph nous rappelle, en effet, le grand dessein de sa grâce:

Vous aviez formé le projet de me faire du mal, Dieu l’a transformé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui et pour sauver la vie d’un peuple nombreux. (Gn 50:20)

La surprise, ce sont les moyens utilisés par Dieu pour accomplir son plan. A cet égard, l’avenir de l’Eglise et ce que l’on peut en imaginer ne font pas exception. Pourquoi tant de prédictions spéculatives? Avec l’arrivée du nouveau millénaire, on entend des prophéties assez étonnantes: la fin du monde, la paralysie de tous les ordinateurs, la christianisation du monde entier, etc. Pourquoi pas, puisqu’on ne sait pas? Cependant, le Christ lui-même nous a interdit toute spéculation de ce genre: « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît… » (Mt 24:36) Si les circonstances de la fin du monde ne nous sont pas révélées, « l’espérance qui est en vous » (1 P 3:15) est une certitude dont nous devons témoigner en toutes occasions.

Nous sommes donc moins dans le brouillard en parlant de l’avenir du peuple de Dieu que lorsque nous envisageons les probables péripéties de la vie de notre société. Car, le Christ a prononcé cette parole sûre: « Je bâtirai mon Eglise et… les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. » (Mt 16:18) C’est ainsi, en effet, que nous pouvons savoir, en lisant les pages du Nouveau Testament, que l’Eglise sera éprouvée, qu’elle sera divisée, menacée par l’hérésie, mais qu’en même temps elle sera préservée du mal, qu’elle portera du fruit ici-bas, et qu’elle sera conduite à la gloire à venir par la résurrection des morts. L’apôtre Paul l’affirme avec une forte conviction: « Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous [notez le pluriel: il s’agit de l’Eglise] une œuvre bonne, en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour du Christ Jésus. » (Ph 1:6)

« La fin de toutes choses est proche », nous dit la Bible. Mais, en contraste avec tout le langage apocalyptique que nous entendons autour de nous, le texte continue en disant, sans aucun doute avec insistance, mais clairement: « Soyez donc sensés et sobres en vue de la prière. Avant tout, ayez les uns pour les autres un amour constant… » (1 P 4:7-8) Je trouve rassurante cette exhortation. Bien sûr, nous devons être vigilants, mais la vigilance n’est pas la panique. On raconte que Martin Luther, alors qu’il était en train de planter un arbre, se fit questionner par un de ses collègues: « Martin, si tu savais que le Seigneur revenait incessamment, que ferais-tu? » Et il a répondu: « Eh bien, je planterai un arbre! »

Il est certain que nos convictions concernant le déroulement de l’eschatologie détermine notre lecture des événements entre aujourd’hui et la fin de l’histoire. Nous nous plaçons, nous-même, dans l’école dite « amillénariste » qui affirme aussi bien l’imminence de la fin que l’impossibilité d’en connaître le jour ou l’heure. Cette école estime aussi que l’on peut prévoir à la fois une décadence de la société et une amélioration due au triomphe du Royaume de Dieu.

Une pareille ambiguïté devrait-elle nous conseiller de nous taire sur toutes les questions de prévision de l’avenir? Nous serait-il interdit de réfléchir sur les divers courants de pensée que l’on peut observer de nos jours, et sur le sort de l’Eglise dans le monde contemporain? Il me semble plutôt que nous avons, avec humilité, à être les émules des fils d’Issacar, qui avaient « la connaissance du discernement des temps pour reconnaître ce que devait faire Israël » (1 Ch 12:33). Mais comment discerner les caractéristiques profondes de notre temps avec la même sagesse que celle qui animait cette tribu d’autrefois?

Je me propose, tout simplement, de souligner trois thèmes. Ces thèmes correspondent à des courants déjà clairement manifestes, qui risquent fort de se maintenir, du moins dans un avenir proche, sinon tout au long du siècle nouveau qui s’ouvre devant nous, le XXIe de notre ère. Chemin faisant, je me permettrai quelques exhortations fondées, je l’espère, sur la Parole de Dieu et destinées à nous aider à faire face à ces courants.

I. Globalisation et éparpillement

Une dialectique s’est établie entre ces deux tendances.

  • D’une part, la globalisation. Quoi de plus banal que de constater que notre monde s’est rétréci. Depuis plus d’un siècle, l’Occident avec sa culture moderne répand son influence jusqu’aux extrémités de la terre, comme il est aisé de s’en rendre compte! Notre fille Deborah a travaillé, il y a un an, dans un orphelinat près de Nairobi (Kenya). Elle a vu dans ce pays d’Afrique des routes non goudronnées, une électricité souvent en panne, une pauvreté criante, et, à côté, il y avait néanmoins le coca-cola, le e-mail et l’internet! Il faut voyager très loin sur notre globe pour ne plus trouver de McDonald! La carte de crédit est presque universellement reconnue comme mode de paiement.

Nos conventions veulent que nous qualifiions certains pays de « développés » et d’autres de « en voie de développement ». C’est ainsi que la mesure des qualités d’un pays se fait en fonction de son adaptation à la culture scientifique et industrielle. Peu importe, semble-t-il, l’état de ce qui est son âme. Serait-ce que la situation économique d’un pays décrive mieux son rôle que ses arts ou ses religions? Pourtant, même dans l’art, on discerne une tendance orientée vers

« un futur sans avenir livré à quelques monstres. Ils (le théâtre, le film, la BD) déambulent sur les deux évolutions majeures du siècle: l’effacement du Dieu chrétien et le désenchantement du monde, entendez son assèchement par la proliferate Technique. »1

L’expression « tout est lié » a pris, récemment, un sens amplifié. Quand la Bourse japonaise s’effondre, toute l’Europe en souffre. La pénurie de capital en Russie, qui a suscité une récession économique, a des répercussions jusque sur les économies des pays prospères. Quand le marché brésilien chancelle, l’Amérique du Nord tremble. Quel sera l’impact de l’euro?

  • La deuxième tendance est celle de l’éparpillement. En même temps que le monde s’unifie, une résistance s’instaure contre l’amalgame. Le rouleau compresseur de la modernité n’arrive pas à niveler toutes les cultures. Au contraire, beaucoup de pays et de peuplades à l’intérieur des pays refusent de suivre le rythme. Faisant obstacle à une victoire absolue des forces de la technique moderne issues de l’Occident, les différentes sociétés ont su préserver et accentuer leurs propres traditions. L’effet obtenu peut être une résistance pure, un acharnement contre une modernité sans âme. Cette résistance peut même être violente comme dans le cas des Jihads et des bombes terroristes. Mais il peut s’agir simplement de valoriser certaines caractéristiques et diverses traditions tout à fait pacifiques d’un pays ou d’une région.

Le plus souvent, une sorte de dialectique s’opère entre la modernité et la tradition: Vaclav Havel raconte avoir vu, lors d’un voyage, un bédouin sur son chameau, habillé d’une robe traditionnelle, mais ayant des baskets Nike aux pieds et un baladeur sur les oreilles! Cette dialectique a et aura mille et un avatars. Faut-il rechercher l’unité ou la diversité? Le « melting-pot » ou le « saladier »? La pax americana ou le multiculturel? Les avantages du capitalisme ou l’autonomie de l’artisan?

La réponse des croyants

L’Eglise semble être une troisième voie entre ces deux pôles. D’un côté, elle est universelle, une dans ses différentes expressions de par le monde. D’un autre, elle respecte les différences culturelles, les identités de chaque peuplade. Remarquons, en passant, un des avantages du système presbytéro-synodal auquel sont attachés les Eglises réformées: il permet de reconnaître et de vivre la réalité de l’Eglise au niveau local et mondial. C’est pourquoi les croyants devraient pouvoir allier les facettes les meilleures de l’universalité et de la régionalité sans tomber dans une globalisation sans âme ou dans un éparpillement schismatique. A une condition seulement!

L’Eglise de Jésus-Christ se doit, en effet, de résister à la tentation du simplisme. Il est facile, soit de dire « oui », soit de dire « non » à la modernité ambiante. Les chrétiens peuvent être tentés d’accueillir, sans les critiquer, la technique et l’organisation économique modernes, et de les utiliser à leurs propres fins. Le pays d’où je viens bascule souvent dans cette direction. C’est ainsi, par exemple, que des évangélistes bien intentionnés vont en Russie et y déclarent que Dieu a un « merveilleux plan » pour la population de ce pays, oubliant la connotation du mot « plan » pour une ancienne victime du communisme. Autre exemple: lors d’une récente campagne d’évangélisation, un film sur la vie de Jésus a été distribué dans tous les pays; or, ce film porte l’empreinte de Hollywood, avec un Jésus plus américain (doucereux) que méditerranéen!

D’un autre côté, l’Eglise peut être aussi tentée de s’isoler du monde, de rester « dans sa tribu ». A la suite des mouvements de résistance contre la modernité, un certain nombre de croyants cèdent à la « séduction anabaptiste ». Par scrupule mal fondé, l’Eglise ne veut pas s’impliquer dans la société, ni faire avancer le Royaume de Dieu en vue de la transformation de la culture. Malheureusement, le résultat est souvent une religion « thérapeutique », c’est-à-dire orientée vers la santé, les bonnes relations, la guérison des maux, aux dépens de la vérité, de la repentance, de la saine doctrine.

Il convient de garder un bon équilibre: rester moderne sans basculer dans un matérialisme sans âme, et rester authentique, même de façon radicale, sans s’isoler du monde. Mais comment aller de l’avant dans un témoignage chrétien rayonnant et fort, étant donné le nombre des dénominations protestantes, et celui des divisions parallèles dans le catholicisme et dans l’orthodoxie? La question de l’œcuménisme va de nouveau se poser de façon urgente dans les années à venir. Si le XXe siècle a été celui du succès relatif des grands organismes, tels que le COE, le XXIe siècle devra être le théâtre de collaborations fraternelles, moins formelles assurément, mais d’autant plus effectives et donc dynamiques. Mais à quelles conditions? Sur quelles bases doctrinales? Le défi est énorme, mais il sera inévitable d’y faire face.

II. La persécution des chrétiens

Samuel Huntington, de Harvard, a formulé la thèse selon laquelle après la fin de la guerre froide, on ne verrait pas une absence de conflits, mais une multiplication des frictions entre plusieurs civilisations2. Il n’y aurait plus face à face deux superpuissances, l’Amérique et l’Union soviétique, mais sept ou huit types de civilisations fondées, soit sur une religion (comme l’islam), soit sur une réalité économique comme le marché européen. S. Huntington discerne comme pôles de pouvoir déjà visibles ou qui verront le jour au XXIe siècle: le Japon, l’Afrique, l’hindouisme, l’Amérique latine, la Chine, l’orthodoxie (russe), l’islam et l’Occident. Nous n’avons pas le temps d’analyser en détail la thèse de Huntington, qui présente beaucoup d’intérêt et n’est pas dépourvue de lucidité. Pourtant elle est déjà fortement mise en question par, entre autres, des islamisants qui protestent contre la suggestion qu’une religion traditionnelle puisse être un facteur obligatoire de conflit.

Ce qui frappe davantage dans cette thèse, c’est son silence quasi total à propos du phénomène universel de la persécution des chrétiens. Le christianisme n’est pas une civilisation, mais une religion, ou plutôt une ecclesia, qui s’est implantée partout dans le monde. Or, cette Eglise est, de nos jours encore, terriblement persécutée. Au Soudan, les chrétiens sont réduits en esclavage. En Iran, ils sont assassinés. En Chine, ils sont mis en prison et torturés. Dans plus de 60 pays dans le monde, les chrétiens sont arrêtés, poursuivis, privés de liberté. On estime que, aujourd’hui, plus de 200 millions de croyants vivent dans l’effroi, craignant les représailles et la délation. En un mot, l’Eglise, à travers le monde, est une communauté souffrante.

Nous n’oublions pas que la persécution religieuse est une réalité trop fréquente et que le XXe siècle doit afficher un bilan terrible de destruction physique et morale d’adhérents à diverses religions et croyances. Nous n’oublions pas non plus le « malheur du siècle »3 qu’est la double malédiction du communisme et du nazisme, aboutissant aux goulags et aux camps d’extermination. Nous souhaitons, seulement, insister sur une autre réalité, parfois occultée, à savoir l’affliction des chrétiens dont la souffrance supplée dans leur chair « à ce qui manque aux afflictions du Christ pour son corps qui est l’Eglise ». (Col 1:24)

La réponse des croyants

On peut dire que la souffrance du peuple de Dieu a été annoncée dès le début. « Bien-aimés, nous dit l’apôtre Pierre, ne soyez pas surpris de la fournaise qui sévit parmi vous pour vous éprouver… Au contraire, poursuit-il, réjouissez-vous de participer aux souffrances du Christ… » (1 P 4:12-13) Ce grand mystère de la souffrance avec notre Sauveur, s’il n’ôte rien à la douleur et à la peine que suscite la persécution, place notre tribulation dans un contexte. Il lui donne un sens.

L’Evangile ne se borne pas à annoncer que les chrétiens auront à souffrir pour Christ. Il nous donne des conseils afin de nous encourager pendant ces temps de malheur et afin d’atténuer nos angoisses. Le même apôtre Pierre recommande aux croyants de vivre en ayant une bonne conscience, en ne rendant pas le mal pour le mal, mais plutôt en bénissant leurs ennemis et en soutenant leurs frères et sœurs dans la souffrance.

Suivant cet enseignement, il importe d’éviter toute paranoïa, tout racisme, et de ne pas caricaturer, en effet, nos ennemis. Il est facile, par exemple, de ne pas discerner ce qui distingue les musulmans les uns des autres et de les classer tous dans une seule catégorie étiquetée « violente ». La situation est, en fait, plus complexe. Pour certaines écoles au sein de l’islam, le « non-musulman » est un dhimmi, c’est-à-dire un hôte, un être humain à respecter et à honorer. Cette doctrine ne plaît évidemment pas à certains terroristes, comme Ibn Ben Laden. En ce qui nous concerne, il nous incombe de reconnaître la bonne volonté de milliers de musulmans qui ne font pas leur le mandat du Jihad contre les « infidèles chrétiens ». Avant tout, l’Ecriture nous appelle à rechercher la paix, ce qui ne veut pas dire négliger d’être lucides.

Plus haut, nous avons évoqué l’espérance. La souffrance n’est jamais une fin en soi, ni même une aide à l’amélioration. C’est une condition de la créature qui attend, en soupirant, la révélation des fils de Dieu (Rm 8:19). Le XXIe siècle ne fera qu’ajouter à celles qui existent déjà ses propres raisons pour que les chrétiens attendent le retour du Christ avec courage et patience. Il sera une étape de la marche de l’Eglise vers le Grand Jour attendu:

Il n’y aura plus d’anathème. Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans la ville. Ses serviteurs le serviront et verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. (Ap 21:3-4)

III. Vraie et fausse sanctification

La question de la spiritualité est des plus actuelles. Le péché, la communion avec Dieu, l’éthique, bref la sanctification seront toujours à l’ordre du jour.Un défi tout particulier est proposé à l’Eglise par ce que l’on a appelé la « quatrième force » du monde chrétien, à savoir le mouvement charismatique et ses variantes. En Amérique latine, en Asie, en Afrique et presque partout dans le monde, une spiritualité « du pouvoir » se répand de façon accélérée. J’entends par là une vision de la sanctification qui recommande, non seulement la foi et l’obéissance dans le cadre de l’Alliance, mais aussi et surtout l’authenticité dans la prière, dans le ministère, dans le témoignage et dans la vie chrétienne. Dans une des expressions de cette spiritualité, il faudrait utiliser une liturgie plus esthétique et plus « high church » afin d’être proche de Dieu. Dans une autre, il serait nécessaire que le croyant le plus sanctifié vive dans le miracle quasi perpétuel, voyant tous les jours les « signes et merveilles » annoncés aux premiers disciples.

On pourrait citer plusieurs exemples. Nous avons à la Faculté de Westminster une merveilleuse communauté d’étudiants chinois, dont une forte proportion vient de la Chine intérieure et de l’Eglise clandestine.Ils racontent que la plupart des croyants derrière le rideau de bambous adhèrent à la théologie de Watchman Nee. C’est un piétisme qui requiert une communion avec l’Esprit saint tellement intense que pour le pratiquer fidèlement, il faut se retirer de la société. Il y a deux types de croyants: les évangélistes qui « travaillent pour le Seigneur » et les autres. Pas question d’une vision chrétienne de la politique, de l’économie ou de l’art. Tout cela appartient au monde et est à rejeter. Au Brésil, autre exemple, l’évangélisation réussit remarquablement bien. Des milliers d’âmes viennent à se convertir tous les jours. Mais, pour la plupart, ces chrétiens se refusent à participer à la vie sociale publique ou à mettre en question les structures du pouvoir.

La réponse des croyants

La persécution est, quant à elle, une réalité qui vient de l’extérieur de l’Eglise. La spiritualité de la puissance est un autre danger, celui-là à l’intérieur de l’Eglise. Elle est assurément remarquable par son appel au courage et à la fermeté, mais elle risque de faire oublier la croix de Jésus-Christ et la persévérance des saints. Dans un monde chaotique comme le nôtre, on peut comprendre l’attrait d’une spiritualité quantifiable par ses effets dus, et elle y insiste, à la présence de Dieu dans la vie. Mais, et cette objection est de taille, l’enseignement du Nouveau Testament est tout autre. Il nous appelle à « marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée » (Ep 4:1), à « discerner la volonté de Dieu » (Rm 12:2), à prier pour tous les hommes, ainsi que pour les rois « afin que nous menions une vie paisible et tranquille… » (1 Tm 2:2)

A un certain niveau, la vie chrétienne n’est pas dramatique. Mais elle est dure. Il n’est pas facile de résister à la tentation, d’offrir à Dieu nos membres « comme armes pour la justice » (Rm 6:13). Certes, en Christ, nous vivons déjà dans les lieux célestes (Ep 1:3); c’est ce que les théologiens appellent « l’eschatologie réalisée ». Nous vivons dans la lumière. Et il en est ainsi pour une raison très nette: c’est afin que nous marchions comme des enfants de lumière… « car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité » (Ep 5:8-9).

Il me semble que la doctrine de la vocation chrétienne, celle de chaque chrétien, est à redécouvrir. A la Réforme, la dichotomie faite entre les « appelés » et les autres chrétiens a été fortement réfutée. Tous les croyants ont une vocation qui est, d’abord, celle de l’Evangile, qui les appelle « des ténèbres à son admirable lumière », et qui est, ensuite, celle de vivre leur foi dans la situation particulière de leur vie. C’est ainsi que les uns sont appelés à exercer une activité commerciale, les autres à développer la science, à être mère ou père de famille, à étudier, à voyager ou, peut-être, à devenir pasteur. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’établir une hiérarchie des vocations. Quant aux amis chinois dont nous parlions plus haut, ils se réjouissent, aujourd’hui, de découvrir la vision kuypérienne d’un Christ souverain sur toutes les sphères de la vie, y compris celle de la politique.

Conclusion

J’aurais voulu poursuivre ces réflexions en évoquant d’autres courants actuellement perceptibles et d’autres réponses à envisager par l’Eglise dans le prochain siècle. On discerne déjà l’essor d’un nouvel humanisme dans le monde occidental, style Luc Ferry ou Todorov. Comment agir face à ce mouvement? Il faudrait aussi s’arrêter pour évoquer les nouveaux développements de la science et de la technique. Le pape vient de publier un remarquable document sur la foi et la raison. Où devrions-nous nous situer dans ce monde qu’on appelle trop facilement postmoderne, alors qu’il est toujours profondément impliqué dans le messianisme scientifique? D’autres questions seraient à mettre à l’ordre du jour. Par exemple, la sexualité qui fait l’objet de très nombreuses questions, à plusieurs niveaux. Mais le temps me manque. Il est clair qu’on pourrait continuer ad infinitum ce propos, sans épuiser les défis à relever.

Ce que je voudrais dire en terminant, c’est ceci. Il existe, actuellement, quantité de courants de pensée qui interpellent l’Eglise d’aujourd’hui, rudement souvent, et qui exigent, certes, que nous soyons « toujours prêts à [nous] défendre contre quiconque [nous] demande raison de l’espérance qui est en [nous] » (1 P 3:15). Mais, en même temps, nous ne devons pas renoncer à interpeller nos contemporains. L’Eglise du Christ ne dépend pas du monde; c’est bien plutôt le monde qui a besoin de l’Eglise et de l’Evangile, c’est-à-dire de ce qui donne un sens à la vie de tous et de chacun. Est-ce là une pensée étonnante? Non, car c’était déjà la vision des premiers chrétiens. En effet, nous sommes le sel de la terre, la lumière du monde (Mt 5:13-14), nous dit le Seigneur. L’apôtre Paul va très loin en rappelant à ses lecteurs qu’ils jugeront le monde, car « tout est à vous » (1 Co 6:2; 3:22).

Chers amis, le monde meurt de soif faute de disposer de l’Evangile. Il meurt de faim, non seulement matériellement par manque de nourriture terrestre – ce qui est bouleversant et tragique –, mais sa faim concerne aussi les choses de Dieu. Le Christ, mort en croix et ressuscité, vivant aujourd’hui à la droite du Père, bâtit inlassablement son Eglise et veut la voir présente partout, diffusant la bonne nouvelle. Soyons donc de fidèles ambassadeurs du Christ, enracinés et fondés dans l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, pour que notre Dieu soit glorifié dans l’Eglise et en Jésus-Christ, dans tous les lieux, dans toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen. (Ep 3:17ss)


* W. Edgar est professeur d’apologétique au Westminster Seminary à Philadelphie (Etats-Unis) et professeur associé à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 C. Imbert, Le Point, novembre 1998.

2 S. P. Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (New York: Simon & Schuster, 1996).

3 A. Besançon, Le malheur du siècle, sur le communisme, le nazisme et l’unicité de la Shoah (Paris: Fayard, 1998).

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