Séculariser, réformer, témoigner

Séculariser, réformer, témoigner :
Le défi apologétique de l’islam
dans des sociétés laïques[1]

Yannick IMBERT*

I. Introduction : voisin aux mille clichés

L’islam semble être au centre de nombreux débats de société. Que ce soit celui de l’identité nationale en France, celui qui concerne les modes d’intégration en Suisse, la présence de l’islam conduit régulièrement à des « affaires médiatiques », comme il convient de les nommer : celle de l’affaire du foulard en France ou celle de la construction des minarets en Suisse. Malheureusement, comme pour toute affaire médiatique, ne transparaissent dans les journaux et dans les débats publics que beaucoup de clichés, de partis pris et d’opinions déjà arrêtées[2]. On peut aussi vivement regretter la politisation de la plupart de ces débats plus ou moins bien gérés, quand ils ne sont pas encouragés par des représentants publics, comme cela a été le cas, en France, pour le débat sur l’« islam de France » que l’UMP a lancé il y a quelques années[3].

Ainsi, que nous le voulions ou non, que nous l’accueillions ou que nous nous en désintéressions, il semble bien que l’islam fasse débat. Partant de ce premier constat, représentatif ou non, il convient de noter deux choses quant au contexte dans lequel se situe ce débat, à savoir la crainte de l’islam politique et le renouveau d’attention missiologique pour l’islam[4]. Depuis plusieurs décennies, une nouvelle volonté de toucher les populations musulmanes par l’Evangile s’est développée. Pour soutenir ces efforts, plusieurs méthodes, plusieurs manières de témoigner de notre foi à nos voisins musulmans se sont développées. C’est ainsi que des questions ont surgi, notamment celle de l’intégration des musulmans convertis à Christ dans les Eglises déjà existantes, question, il faut le remarquer, qui préoccupe également les politiciens[5]. Le propos de cet article n’est pas de déterminer quelle est la « meilleure manière » de témoigner de notre foi auprès de nos voisins et amis musulmans. Il ne semble pas exister, en effet, une seule manière de faire, une sorte de solution magique qui, si elle était suivie à la lettre, conduirait automatiquement à une évangélisation couronnée de succès. Il convient, d’abord, d’être au clair sur notre propre foi et sur la motivation de notre cœur comme aussi sur notre vie de prière. Car la proclamation de la grâce et de la réconciliation, en Christ, avec Dieu et les hommes est d’abord une question spirituelle bien avant d’être une question de technicité missionnaire !

Le débat actuel sur l’islam se situe dans la résurgence de la grande crainte occidentale : l’islam politique. Les livres, de nature académique ou pamphlétaire, sont loin d’être rares[6]. De la création du Conseil français du culte musulman[7] jusqu’aux diverses associations musulmanes, en passant par l’incontournable présence de Tariq Ramadan avec les questions soulevées par ses discours, la relation entre l’islam et son instrumentalisation politique est de retour sur le devant de la scène. Le problème peut être formulé de cette manière : l’islam, avec ses dogmes et sa pratique, essaie-t-il, par le truchement de stratagèmes politiques, de gagner du terrain au sein de la société civile et de s’imposer comme un partenaire obligatoire pour la préservation de la paix civile ?[8] 

Ne considère-t-on pas trop facilement, par une espèce de réduction sociale, que la présence très visible de l’islam dans la sphère publique suscitera nécessairement une influence politique et donc, à terme,  l’établissement d’un Etat musulman ? Cette formulation trop lapidaire n’exprime-t-elle pas, jusqu’à un certain point, l’héritage de plusieurs siècles d’histoire ? Déjà, à l’époque de la Réforme, une attitude de méfiance était courante. L’attitude de la plupart des réformateurs a reflété une suspicion certaine à l’encontre de l’islam. Cela a contribué à perpétuer l’image du musulman cherchant à propager sa religion par les armes ou avec une motivation politique plus ou moins avouée[9]. Martin Luther a dit par exemple : « En outre, le Coran, ou la croyance des Turcs, enseigne la destruction non seulement de la foi chrétienne, mais aussi de notre régime séculier[10]. »

Cette citation du réformateur allemand témoigne de l’opinion selon laquelle l’islam, par une volonté affirmée, cherche à détruire la foi chrétienne. Cette opinion était courante à l’époque. Bien plus, et c’est, sans doute, une attitude symptomatique de nos sociétés occidentales, Luther affirme aussi que l’islam met en danger la paix sociale elle-même. Avons-nous réellement changé aujourd’hui ? Il y a seulement quelques années, une enquête de L’Express commentait :

Le plus grave fut de ne pas voir que les particularismes [théologiques de l’islam] constituent des enjeux de pouvoir au sein de populations très diverses, partagées entre un désir majoritaire, mais silencieux, d’intégration et l’influence d’une minorité bruyante qui voit en elles une masse de manœuvre qu’elle veut contrôler en la soumettant à un « statut personnel » dérogatoire du droit commun[11].

Les tensions ressenties au sein des sociétés occidentales, particulièrement en Europe, remarquons-le, conduisent à une conclusion déjà avancée par le réformateur zurichois Ulrich Zwingli : « Car il ne peut y avoir entre Turcs et chrétiens de paix solide et durable aussi longtemps que les musulmans observeront leurs lois (…)[12]. »

Déjà, au XVe siècle, existait l’accusation d’islamisme ! Selon la conception populaire, l’islamisme désigne, la plupart du temps, tout ce que nous considérons comme radical dans l’islam, y compris son aspect politique[13]. Pour être plus précis, c’est plutôt l’idéologisation politique de l’islam qui préoccupe. Il faut noter que cette politisation de l’islam n’est pas nécessairement le fait de l’islam lui-même, mais aussi celui de tous les acteurs sociaux et politiques de la société civile et religieuse. Les jeux politiques de certains acteurs sociaux mettant, par exemple, en compétition sociale le christianisme et l’islam ne font que nourrir la peur de l’« islamisation ».

L’« islamisation des esprits »[14], à laquelle L’Express et d’autres aussi font référence, continue de témoigner d’une attitude parfois méprisante dont il est difficile de se défaire. Même lorsque nous essayons de présenter les choses de manière positive, il nous est difficile  de ne pas nous montrer involontairement offensants. On peut lire par exemple : « L’Européen moyen qui feuillette vaguement un quotidien gratuit dans le métro s’étonne de voir son voisin psalmodier sur le Coran avec une ferveur oubliée, y compris en Espagne ou en Italie[15]. » Voilà encore un cliché ! Le musulman est-il vraiment et essentiellement celui qui psalmodie sur le Coran dans le métro ? Si d’aventure il s’en trouve un, il ne peut guère servir de règle décrivant la vie sociale ! Comme la grande majorité des gens ordinaires dans les rames de métro, nos voisins musulmans… lisent Métro ou 20 minutes !

Mais le cliché social affirme le contraire avec force protestations, analyses théologiques sommaires et sondages officiels. Le musulman est nécessairement celui qui milite le plus ouvertement pour sa religion et, ainsi, il est celui qui milite le plus pour établir sa différence. L’islam est souvent considéré comme étant « en dissidence », à cause de « faits sociaux » et de la distance culturelle prétendument inhérente à cette religion. Le problème de l’« intégration » reflète précisément cela : un musulman doit s’intégrer car, a priori, sa religion et sa culture font de lui un citoyen à part ou même, pour certains, un non-citoyen, c’est-à-dire une personne différente de tout le monde. Une certaine perspective sociologique décrivait encore, il n’y a pas si longtemps, l’islam de la manière suivante : « L’islam est tendu entre Coran et béton, entre origine bédouine et rap de banlieue, comme le nazisme l’était entre les cheminées industrielles saxonnes et la grande forêt germanique des aubes de la race[16]. » Ici encore, le cliché est à la limite de l’insulte et de l’irresponsabilité. Un musulman est-il obligatoirement fils et petit-fils de bédouin ou un jeune des banlieues amateur de « rap de banlieue », comme s’il existait un « rap des banlieues » en contraste avec un « rap des quartiers bourgeois », ou un « rap des facultés de théologie » ? Aucun commentaire n’est nécessaire tant le parallèle historique est ridicule. Celui-ci suppose que l’islam est prisonnier des conditions historiques et sociales qui ont vu son émergence : c’est sous-estimer le développement historique et théologique de cette religion. Nous avons trop souvent tendance à faire de questions religieuses de simples questions historiques et sociologiques, comme si le religieux n’existait pas réellement, ce qui est assez étonnant de la part de chrétiens !

La question qui se pose à nous est la suivante : comment vivre et témoigner de notre foi à nos voisins musulmans dans la société laïque qui est la nôtre ? Comment entrer en relation avec ces deux « acteurs » de notre témoignage chrétien : la société civile et l’islam ? Trois solutions semblent se présenter à l’Eglise. Premièrement, l’Eglise pourrait demander à la société civile, c’est-à-dire aux gouvernements, de promouvoir la sécularisation de l’islam. Deuxièmement, il serait possible, dans notre relation avec l’islam, de pousser celui-ci à se « réformer » de l’intérieur, ce qui demanderait de soutenir ceux qui souhaitent une réforme religieuse interne de l’islam, soit, en d’autres termes, une sorte de libéralisation. La troisième solution consisterait à essayer de séparer les questions sociales et théologiques et de se limiter à l’Evangile de grâce.

II. Séculariser et laïciser l’islam ?

Les thèmes de la sécularisation et de la laïcité sont parmi les plus importants dans la société française à cause de leur double rapport à la religion en général et à l’islam en particulier. La problématique n’est ni nécessairement nouvelle, ni distinctement française ; elle affecte les sociétés occidentales[17]. Elle est aussi centrale dans la réflexion que les Eglises mènent sur leur rôle et sur leur place au sein de la société civile et dans la sphère publique[18]. A noter que l’expertise des sciences humaines et sociales est une obligation. L’un des théoriciens français les plus significatifs et les plus influents dans le domaine de la sociologie de la laïcité est, sans nul doute, Jean Baubérot[19].

La sécularisation, ou laïcisation, de l’islam dépend d’une volonté politique. Elle est soutenue à grand renfort de publications officielles, de groupes de recherche, indépendants ou non, de la société civile. Cette focalisation sur la sécularisation nécessaire de l’islam est basée, ce qui n’est pas surprenant, sur l’idée que la sécularisation – plus précisément pour nous la laïcité – définit l’essence même de la société[20]. Mais sommes-nous vraiment au clair sur la laïcité ?

1. Définition de la laïcité

La notion de laïcité semble fermement établie dans la mentalité européenne, en tout cas dans les différentes constitutions des Etats. La Cour constitutionnelle italienne considère le principe de laïcité comme étant « fondamental » à l’existence de la société (1989), le Portugal et la Russie ont inscrit la laïcité dans leur Constitution et, même, le Québec (que je ne considère pas évidemment comme européen !) a explicitement laïcisé ses écoles en 2000, et ainsi de suite. Une définition sommaire de la laïcité se trouve dans la Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle, dont Jean Baubérot est un des principaux auteurs. L’essentiel de la conception laïque de la société peut être résumé ainsi :

  • respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ;
  • autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières ;
  • non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains[21].

Présentée ainsi, la laïcité a été accueillie positivement par les Eglises chrétiennes, même si cet accueil doit être dépourvu de naïveté sociale[22].

Une telle définition de la laïcité sous-entend aussi un débat de fond. Dans le contexte français, le terme « laïcité » renvoie à deux réalités : échapper à l’hégémonie sociale du catholicisme et, deuxièmement, instaurer une règle sociale du « vivre ensemble » dans une société en mutation[23]. Cette double perspective a de nombreux mérites dont, et ce n’est pas le moindre, celui de signaler le danger du laïcisme croissant de l’institution étatique[24]. Ainsi, « juridiquement, par la laïcité, la République française ‹assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes› (loi de 1905), ‹respecte toutes les croyances› (Constitution de la Ve République)[25] ». Ainsi définie, la laïcité semble donc être quelque chose de spécifique, probablement plus vaste qu’une simple sécularisation. En fait, il est possible de dire que la laïcité est le résultat d’un processus historique de politisation de la sécularisation. Le phénomène de sécularisation étant d’ordre historique, c’est le débat sur la relation entre Etat et Eglises qui aboutit à la notion de laïcité. A la différence de la laïcité, la sécularisation n’est pas un système de pensée. Elle est un état de fait qui peut conduire à la laïcité. L’inverse n’est pas vrai. L’évolution va de la sécularisation vers la laïcité. Ainsi, penser pouvoir entraîner  une sécularisation de l’islam par la laïcité est une erreur à la fois historique, philosophique et sociologique.

Ce sont tous les débats conduisant à la laïcité qui sont fondamentaux pour l’adoption d’une loi décidant la séparation des Eglises et de l’Etat, car la laïcité n’est pas une notion idéologique tombée du ciel ![26] Bien au contraire, comme plusieurs sociologues et historiens se sont efforcés de le montrer, la laïcité n’est pas une fin en soi, une finalité, mais simplement l’expression d’un processus particulier de sécularisation. L’une des grandes erreurs de notre siècle est de ne pas le discerner. Comme plusieurs l’affirment, un consensus sur la laïcité est un projet toujours en mouvement dans une société en constante mutation.

Mais il faut ajouter – et il est surprenant de le constater – que, très souvent, la laïcité est définie non pas comme une indépendance de la société civile par rapport au fait religieux, mais comme une privatisation du religieux. Au lieu de la séparation des Eglises et de l’Etat, on tend vers une séparation entre la sphère dite « privée » et la sphère publique. Il y a là un problème constitutionnel. En effet, selon la Constitution française, tout citoyen peut manifester librement et publiquement ses croyances religieuses sous condition que cela ne contrevienne pas à l’ordre public et ne mette pas en jeu la santé publique. D’où vient alors l’idée selon laquelle la société laïque préconise la séparation du « religieux privé » et du public ? Difficile à dire, mais cette séparation semble désormais un fait acquis tant elle paraît naturelle.

En définissant la laïcité, deux erreurs sont à éviter. Premièrement, il faut éviter de sous-entendre que « privé » est synonyme d’« intériorité », c’est-à-dire ne pas identifier la religion à l’intériorité de la vie humaine. La religion n’est pas privée dans le sens où toute personne est libre de manifester publiquement ses convictions intérieures. La seconde erreur consiste à considérer que la religion est, à strictement parler, privée, car en tant que phénomène historique, social et public, celle-ci appartient, de fait, au domaine public ! Qu’on le veuille ou non, toute religion est de nature publique, ce qui ne veut pas dire que cette religion est socialement acceptée : tout ce qui est manifesté publiquement ne reflète ni ne nécessite l’accord de la société civile dans son ensemble. Telle est, semble-t-il, une erreur sérieuse de notre laïcité contemporaine : nous considérons que seul ce qui nous est commun doit être public. Tout ce qui traduit une différence, très particulièrement la religion, doit être tenu dans le domaine privé. De toute évidence, tel n’est pas le cas. En effet, il y a une multitude de sujets dans le domaine public sur lesquels tous les citoyens ne sont pas d’accord, à commencer par la politique elle-même. Et pourtant, lorsqu’il s’agit du fait « religieux », on s’inquiète immédiatement du danger que présente l’étalage de la diversité religieuse dans la sphère publique. Etrange contradiction entre la laïcité et la sécularisation occidentale !

2. Relations entre religions et laïcité

C’est dans ce contexte assez flou que doit se placer tout débat concernant la relation entre religion et laïcité et, plus spécifiquement, entre islam et laïcité. Etant une notion à la fois historique et sociologique, la laïcité (en tout cas sous sa forme légale) est appelée à faire face à de nouveaux défis, notamment celui de la relation avec l’islam.

Dès le début des années 1990, sociologues et philosophes français ont commencé à encourager le renouvellement du concept de « pacte laïque ». Déjà, dans son livre Vers un nouveau pacte laïque ?, Baubérot s’est efforcé de montrer que la conception française de la laïcité avait besoin de faire une place aux « minorités »[27]. Ce débat renouvelé s’est concentré sur les défis éducationnels et scientifiques observés entre 1968 et les années 1990, et a encouragé le franchissement d’un « troisième seuil » de la laïcité vers, au choix, une laïcité d’assimilation, de coexistence ou d’intégration de la diversité minoritaire. Ces trois expressions dénotent, en réalité, trois attitudes différentes en ce qui concerne les liens qui existent entre identité religieuse/culturelle et la notion de citoyenneté républicaine.

La description faite par Baubérot d’une troisième étape dans le processus de sécularisation nous intéresse plus particulièrement. Plusieurs auteurs ont remarqué l’extraordinaire prétention qu’il y a à faire de la laïcité à la française une norme dans les relations entre Eglises et Etat. Ce serait, bien sûr, un orgueil démesuré qui reflète, cependant, une certaine réalité, comme le dit Patrick Cabanel dans son livre récent Entre religions et laïcité[28]. Au-delà de cette conception universaliste de la laïcité française, il faut remarquer une certaine tendance à faire de la laïcité un domaine sacré de plein droit, non religieux, mais rarement sécularisé. Lieu de « neutralité » par excellence dans la mentalité populaire, la laïcité représente une troisième sphère, indépendamment des sphères privées et publiques.

Cependant, indique Baubérot, il est possible de percevoir une troisième évolution dans ce processus de sécularisation caractérisé comme une séparation du civil et du religieux. Cette nouvelle étape de sécularisation, Baubérot la décrit comme la sécularisation de la laïcité[29]. Dans un monde dans lequel les institutions sont régulièrement remises en question et dans lequel parallèlement est formulée une forte demande d’identité sociale, il est logique que nous éprouvions tous un renouveau de notre affirmation religieuse et/ou identitaire. La volonté exprimée au sein de la laïcité française des années 1980, à savoir faire disparaître les manifestations religieuses de toutes sortes, même d’un certain espace public, ne peut plus légitimement être entendue. Voici un exemple. Dans les années 1980, il y eut en France un vif débat sur la possibilité, pour les mères musulmanes désireuses d’accompagner une sortie de classe, de porter le foulard. Voici la conclusion, pour le moins forte, d’un article :

Cautionner la présence d’accompagnateurs se discriminant eux-mêmes par le port de signes distinctifs indiquant un choix politique et/ou religieux, c’est oublier la valeur d’exemplarité de l’adulte aux yeux de l’élève. Depuis plus d’un siècle, la République et son école exigent des enseignants et des personnels éducatifs un devoir de réserve et une stricte neutralité, de façon à protéger les enfants de toute propagande et préserver une liberté de conscience naissante[30].

Dans cette troisième étape de la sécularisation, la laïcité devient réellement le lieu de neutralité dans lequel les manifestations religieuses, pour peu qu’elles soient légales (ce qu’elles sont dans 95% des cas !), sont acceptables. Ainsi, la définition de la laïcité comme étant l’expression de la société qui, par la parole de l’Etat, « expulse le religieux au-delà d’une frontière qu’il a lui-même définie en droit[31] », devient de plus en plus difficilement tenable.

3. Le « cas » de l’islam ?

Y a-t-il un « cas » de l’islam face à la laïcité ? Inquiets de l’évolution médiatique d’une religion difficile à comprendre, nous avons tendance à idéaliser les solutions que propose le cadre laïque dans lequel nous vivons. L’un des premiers problèmes auxquels sont confrontés les chrétiens vivant dans une société civile telle que la France ou la Suisse est celui de la relation entre cette société et la religion (christianisme, islam…). Cette société garantit des droits et des devoirs : le vote est un droit ; payer des taxes un devoir.

Il est souvent mis en avant que l’une des solutions possibles au « problème » de l’islam serait d’intégrer l’islam dans un processus de sécularisation qu’il n’aurait jamais connu. Il est difficile de comprendre aujourd’hui comment l’islam pourrait amorcer un processus de sécularisation que cette religion a cependant déjà connu dans son histoire. Même au sein de l’islam, la relation entre le religieux et le politique est une question sensible[32].  Comme Edward Saïd l’a montré, la sécularisation d’un monde musulman ne doit pas être considérée simplement comme un souhait, mais doit être vue comme étant, dans certains pays, une réalité bien établie.

Sécularisation, certes. Mais laïcité ? Telle est la vraie question sous-entendue lorsqu’on écoute les uns ou les autres demander la sécularisation de l’islam préalablement à son entrée dans le monde occidental : sécularisation donc laïcisation, comme si les deux termes étaient strictement synonymes, ce qu’ils ne sont pas. Comme la laïcité est un processus historique, la question de savoir si l’islam aurait pu favoriser l’apparition de la laïcité – comme certains l’affirment à propos de la théologie chrétienne – n’est pas une question pertinente. Demander l’entrée de l’islam dans la laïcité est, elle aussi, une question étrange car, en réalité, il n’y a de laïcité que celle qui est définie, en France, par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat… laquelle ne concernait pas l’islam ! On ne peut s’empêcher de se demander s’il est possible d’exiger de l’islam qu’il se soumette au résultat du compromis et de l’équilibre délicat que représente la loi de 1905, à la rédaction de laquelle il n’a pas été associé ! De plus, la laïcité, telle qu’elle est vécue et définie, pourrait-elle légalement s’accommoder d’un tel changement sans être ébranlée dans son fondement historique ?

Il semble donc nécessaire de revoir notre notion de laïcité étant donné l’évolution de la société et l’ouverture devant nous d’une nouvelle période historique. Le risque, si nous ne le faisons pas, est d’établir, volontairement ou non, une double laïcité[33]. L’une serait la laïcité d’origine, celle des religions et des traditions religieuses qui ont fait l’objet du compromis de la séparation des Eglises et de l’Etat. L’autre serait la laïcité du cas par cas, au fur et à mesure de l’apparition de nouvelles formes religieuses dans l’espace public, à savoir l’islam ou d’autres formes religieuses comme, par exemple, les nouvelles Eglises évangéliques !

III. Réformer et « libéraliser » l’islam ?

1. Intégration sociale et réforme religieuse ?

La laïcisation de l’islam est un débat de société demeuré pour l’instant sans réponse. Il y a aussi un autre problème, celui de l’intégration de l’islam en Europe[34]. Mais cette notion d’intégration nous engage-t-elle vraiment à demander à l’islam une réforme religieuse ? Trois enjeux majeurs semblent exister dans le contexte suisse.

Premièrement, certaines visions radicales de l’islam sont-elles compatibles avec nos usages du pays ? Les demandes qui accompagnent ces « aspects radicaux », selon l’expression laïque consacrée, portent généralement sur la modification du cursus scolaire ainsi que sur le port du voile. Deuxièmement, comment préserver l’ordre normatif suisse et poursuivre les discussions sur l’intégration sociale et culturelle des musulmans ? Telle est la grande question posée par le Groupe de recherche sur l’intégration. Troisièmement, est-il nécessaire de poser des limites aux possibilités offertes aux musulmans de vivre conformément à leur différence culturelle et religieuse afin de préserver la paix confessionnelle et les institutions démocratiques face au potentiel de mobilisation de l’islam politique ?

Il est intéressant de noter que certains appels à la libéralisation religieuse de l’islam vont de pair avec le discours sur les valeurs républicaines en France ou sur l’identité et les devoirs citoyens en Suisse. La citoyenneté se mérite, comme le mentionne le rapport sur la vie musulmane en Suisse :

Le modèle de citoyenneté et d’attitude publique qui émerge des entretiens nous semble actualiser l’une des dimensions traditionnelles du modèle suisse d’incorporation à la citoyenneté, notamment l’idée que la citoyenneté se mérite ; elle implique une attitude appropriée, notamment le respect des valeurs et des normes. En ce sens, la citoyenneté n’est pas tellement vue comme étant un facteur d’intégration, mais plutôt comme le signe de l’aboutissement du processus d’intégration lui-même[35].

Si tel est le cas, on comprend la nécessité d’obliger les religions à se plier à certaines règles : le cadre citoyen implique la reconnaissance d’un certain nombre de valeurs ; c’est également le cas en France.

C’est de cela qu’il s’agit lorsqu’il est question de l’intégration de l’islam. Que dire alors des dérives morales et ethniques, que dire d’un certain légalisme coranique ? L’une des réponses proposées tient en quelques mots : l’islam, dans une forme particulière, est parfaitement compatible avec les valeurs prônées par la société civile. Seule cette forme de l’islam est intégrable ; d’où la volonté marquée de se diriger vers une réforme religieuse et théologique de l’islam.

2. Un islam « libéral » ?

Pour intégrer l’islam dans notre société laïque, il conviendrait, pour certains, de parvenir à un islam « réformé »  ou « libéral »[36]. Cette volonté se trouve à la fois à l’intérieur de l’islam et à l’extérieur de cette religion. Dans le deuxième cas, on assiste régulièrement à une utilisation politique du discours de réforme. Selon cette politisation, l’islam est compatible avec la tradition laïque française, mais seulement sous sa forme « libérale » qui serait à encourager. Telle est la position politique perçue à propos du Conseil français du culte musulman, créé en 2003 sous l’égide du ministère de l’Intérieur. A la différence du Conseil représentatif des institutions juives de France ou de la Fédération protestante de France, une telle institution religieuse nationale, directement voulue par le gouvernement français, témoigne de la volonté de pousser l’islam dans une certaine direction que l’on peut qualifier de théologique. Si la question de la libéralisation théologique de l’islam ne nous concerne pas, elle ne concerne pas non plus l’Etat français, étrangement présent lorsqu’il s’agit de cette question ! Jean Baubérot modère une telle conclusion et remarque que cette création française d’un conseil des musulmans de France représente bien une forme d’implication de l’Etat dans les affaires religieuses. Il poursuit en disant que, contrairement à ce que nous pouvons croire, ce conseil représentatif n’est pas identifiable avec la force vive du « libéralisme musulman ». Tous les courants, indique Baubérot, ont participé à la création de ce conseil[37].

Les appels à un islam « théologiquement  libéral » proviennent aussi de l’intérieur même de l’islam. On peut lire cela dans n’importe lequel des journaux nationaux, notamment en France. Le Monde a, par exemple, des colonnes régulières concernant cette libéralisation religieuses de l’Islam :

Plutôt que de fuir l’identité musulmane, il vaut mieux se l’approprier et la réformer. Plutôt que de laisser les extrémistes prendre la religion en otage, il faut la réclamer et l’occuper avec des voix modérées, modernes, raisonnables et raisonnées[38].

C’est aussi la position, par exemple, de l’anthropologue et philosophe algérien Malek Chebel, qui a présenté récemment une réforme de l’islam en vingt-sept points. Les deux premières propositions posent les principes de la réforme qu’il préconise : une nouvelle interprétation des textes sacrés allant de pair avec la suprématie de la raison en matière de foi[39]. La troisième proposition est intéressante en ce qu’elle se calque, d’une certaine manière, sur une pratique de la sécularisation. Défendant, semble-t-il, une grande laïcisation (ilmaniyya), il affirme la nécessité de « donner à la justice les moyens de son indépendance » et de « rappeler le primat de la politique en matière de gestion de la cité », définition tout à fait laïque de l’indépendance civile[40]. Les autres propositions de Chebel continuent dans le même sens, à savoir celui d’une corrélation entre l’islam et la société contemporaine[41].

Cette volonté de « libéralisation » se trouve aussi dans le discours de Tariq Ramadan, dont la personnalité et les discours corroborent ceux de Malek Chebel. Prônant une réforme qui passe par la mise en avant des « sept C », il demande une remise à l’honneur de valeurs de l’islam comme la confiance, la cohérence, la contribution, la créativité, la communication, la contestation et la compassion afin que l’islam soit, si ce n’est religieusement libéral, du moins reconnu au même titre que d’autres traditions religieuses[42].

Au-delà d’un tel discours de libéralisation ou d’ouverture religieuse et théologique, il est nécessaire de comprendre que l’expression de la foi est diverse et variée et que les appels à une réforme religieuse et/ou théologique ne sont pas sans poser des problèmes. Il est important d’en avoir conscience afin que notre proclamation évangélique puisse, à la fois, ne pas faire de compromis quant au message proclamé et faire une juste part à la libre manifestation de la foi coranique. La difficulté avec les appels nombreux à la libéralisation de l’islam est que, trop souvent, ils se placent sur un terrain scientifique et politique, oubliant vite que, comme le rappelait un exégète protestant, « la compréhension et l’interprétation des textes ne sont pas seulement affaire de science, mais relèvent de l’expérience générale que l’homme fait au monde[43] ». De même, la compréhension des textes fondateurs de la laïcité n’est pas seulement une affaire de loi ou de sociologie, car elle reflète une certaine vision du monde contemporain qui met la « religion » à l’écart du domaine public. Tout cela apparaît dans la volonté politique de réformer théologiquement l’islam.

Il est clair que nous sommes en grand désaccord théologique avec les croyances de l’islam. C’est là un point crucial. Le débat autour de l’islam et de la société laïque met en lumière plusieurs manières de vivre dans le monde. En prenant conscience de cela et de ce qu’au sein de l’islam se développent plusieurs manières de voir et de vivre comme musulman dans le monde, nous serons conduits à examiner de plus près comment nos voisins musulmans vivent leur foi et à ne pas exprimer seulement nos peurs dues à la mauvaise compréhension que nous en avons.

Conclusion apologétique : comprendre et témoigner

Pour résumer, nous avons vu premièrement que le « problème de l’islam » en Occident est peut-être avant tout un problème de compréhension de l’islam[44]. Cela est lié à la manière dont, comme le dirait l’historien Edward Saïd, l’Occident chrétien a représenté l’Orient musulman et en a fait un objet irrationnel. S’il en est bien ainsi, notre apologétique doit passer par cette première étape : reconnaître que nous n’avons pas toujours (souvent) essayé de comprendre l’islam afin de le considérer comme faisant partie de la société dans laquelle nous vivons. Il n’est pas non plus nécessaire que nous « victimisions » l’Eglise avec tous ses travers. Nous devons seulement reprendre conscience de notre responsabilité vis-à-vis de tous nos contemporains, y compris de ceux que nous connaissons et comprenons le moins[45].

Deuxièmement, comprendre l’islam est important pour avoir une proclamation forte, non seulement de compassion et de grâce, mais aussi de justice dans une société laïque qui peine parfois à la maintenir également pour tous. Cette proclamation de justice doit également être dirigée vers ceux pour lesquels la présence même de l’islam semble être une offense. Pour cela, la foi qui est la nôtre – proclamant la réconciliation de Dieu avec l’homme et celle des êtres humains entre eux – est une grande aide face aux défis auxquels nous avons à faire face.

Comprendre la religion de manière complètement irrationnelle est une tentation à laquelle il faut résister. Cela est vrai pour notre propre foi, mais aussi pour les autres religions autour de nous. Le même effort de compréhension est nécessaire. A cet égard, la remarque de Régis Debray est tout à fait pertinente : « La relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances favorise la pathologie du terrain au lieu de l’assainir[46]. » Autrement dit, dès l’instant où nous ne faisons pas l’effort de comprendre l’islam, les relations quotidiennes que nous aurons avec ceux qui le pratiquent seront empreintes de nombreuses pathologies théologiques et sociales. C’est un non-sens pour nous qui devons parvenir à proclamer la parole de Christ à tous ceux que nous rencontrons, quelle que soit leur situation ou leur croyance.

Un témoignage pertinent exige troisièmement de ne pas se limiter à comprendre l’islam au travers des livres d’histoire, de  philosophie ou des cours de théologie sur les « religions du monde ». Il convient qu’il y ait une interaction directe avec nos voisins, collègues, amis musulmans. Notre intérêt pour leurs personnes, intérêt que nous leur portons parce qu’ils sont, eux aussi, créés à l’image du Dieu de la révélation biblique, demande la volonté de comprendre ce qu’ils croient et comment ils le vivent. En effet, « définir l’islam, ou toute religion, comme un ensemble précis de dogmes suppose un choix, à la fois de textes mais aussi d’interprétations[47] ». Il faut se méfier des amalgames simplificateurs dont nous sommes régulièrement les témoins dans les médias. Ce qui étonne les médias ne doit pas nous étonner. Nous sommes croyants ; nous pouvons donc mieux comprendre d’autres croyants, même ceux qui placent leur foi en une religion différente.

Le constat général est clair. Comme celles et ceux qui appartiennent à d’autres communautés religieuses, les musulmanes et les musulmans de Suisse ont un profil très hétérogène. Comme la plupart des personnes de confession chrétienne ou autre, la grande majorité des membres de la communauté musulmane a une orientation laïque. Les musulmans se perçoivent comme des citoyens de ce pays[48].

La conclusion que « seule une minorité de musulmans suisses peuvent être qualifiés de très strictement pratiquants » n’a rien de surprenant ![49] La plupart des gens se considèrent comme citoyens du pays dans lequel ils habitent. Très rarement surgit une question d’identité religieuse ! Veillons à nous démarquer des idées reçues.

Notre premier témoignage de chrétien est une compréhension sans laquelle il ne peut y avoir ni compassion ni parole évangélique. Il convient aussi de faire un effort de compréhension de la laïcité et pas seulement de l’islam. Notre apologétique ne doit pas se limiter à l’islam mais être dirigée aussi vers la société civile dans son ensemble et, en particulier, dans son expression laïque afin que celle-ci ne soit pas transformée en une idéologie. Elle doit aussi pousser la laïcité à comprendre les religions qui peuplent l’espace public :

Ce hiatus entre des sociétés sécularisées et des populations pour lesquelles le religieux reste un argument d’autorité est devenu problématique en raison d’une particularité de l’islam : son rôle prescriptif fort. Les pratiquants stricts considèrent le Coran comme source de règles transcendant les identités nationales[50].

Un autre vrai défi est bien l’impossibilité, dans une laïcité sacrée, de comprendre comment vivre une religion qui prétend transcender les autorités nationales et être une autre sphère d’autorité que la sphère civile. En s’opposant à cela, la laïcité devient, elle aussi, une sorte de religion devant laquelle nous ne devons pas rester muets.

Il est permis de se demander s’il ne reste pas dans nos milieux chrétiens, dans nos Eglises, dans nos lieux de formation, un reste de cette peur viscérale, et parfois irrationnelle, de l’islam culturellement et militairement conquérant, assaillant la « chrétienté » ?[51] Quelle est la motivation de notre évangélisation, de notre apologétique ? Cherchons-nous à témoigner auprès de nos amis musulmans par amour et compassion pour eux ou, parce qu’en devenant chrétiens, ils cesseraient d’être un problème pour la société laïque ? La motivation du cœur démontre la sainteté de notre foi et fonde ainsi la force de notre témoignage.

Nous l’avons vu en commençant, les réformateurs ne furent pas à l’abri des clichés concernant l’islam. Mais, malgré leurs grossières simplifications de l’islam, ils ne sont pas tombés dans l’extrême opposé, à savoir recourir au pouvoir séculier pour garder l’islam loin des « terres chrétiennes ». Ils préconisèrent la mission, une proclamation de la grâce et de la compassion de Christ. Comme l’un d’entre eux, Bibliander[52], l’a rappelé, notre seule défense de la foi passe par notre propre repentance, les larmes de compassion qui sont les nôtres et la prière qui attire à Christ[53]. « Par la pureté de leur vie et leur piété, comme le Christ, ses martyrs et ses apôtres ont vaincu l’univers par leur bienfaisance, par leur patience et par leur sainte doctrine. » C’est uniquement de cette même manière que les témoins de Christ pourront annoncer la réconciliation dans une société en tension entre neutralité civile et identité religieuse[54].


[1] Y. Imbert est professeur d’apologétique et d’histoire à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Cet article est le texte d’une conférence donnée en mars 2010 à l’Eglise de la Pélisserie, Genève.

[2] L’auteur de l’introduction au collectif Le voile, que cache-t-il ? souligne : « Du côté des médias, l’islam devient l’explication unique des comportements problématiques des jeunes issus de cette culture (…). » A. Houziaux, dir., Le voile, que cache-t-il ?, Paris, Editions de l’Atelier, 2004, 9.

[3] S. Laurent, « Le débat sur l’islam a déjà lieu au sein de l’UMP », Le Monde, http://www.lemonde.fr, (24 février 2011), accédé le 5 mars 2011.

[4] Comme en témoignent les formations sur ce sujet, comme celles qui sont données à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne ou à la Faculté Jean Calvin.

[5] L’une de ces méthodes d’évangélisation/mission est la quintuple catégorisation d’Eglises « contextualisées » (échelle C1-C5) en vue de l’implantation d’Eglises « contextuelles » capables de proclamer un Evangile accepté par les populations musulmanes.

[6] De plus, un sondage récent laisse penser que l’image de l’islam est en légère dégradation. En 2010, un même sondage indiquait que 22% des Français pensaient que la présence d’une communauté musulmane en France était un facteur d’enrichissement culturel. Ils ne sont plus que 17% en 2012, alors 43% des Français estiment que cette présence est plutôt un danger pour l’identité française, un pourcentage resté stable. « L’image de l’islam en France », octobre 2012, IFOP, http://www.ifop.com, accédé le 18 février 2013.

[7] Conseil français du culte musulman, http://www.cfcm.info, accédé le 5 mars 2011.

[8] Certains ouvrages sont une belle démonstration de cette peur sociale : J. Véliocas, Ces maires qui courtisent l’islamisme, Tatamis, 2010 ; H. Zanaz, L’islamisme, vrai visage de l’islam, Editions de Paris-Max Chaleil, 2012.

[9] Cette attitude caractérise aussi, malheureusement, la réaction des réformateurs par rapport à l’islam. Cf. V. Segesvary, L’islam et la Réforme : étude sur l’attitude des réformateurs zurichois envers l’islam, 1510-1550, Lanham, University Press of America, 1998, 142.

[10] Ibid., 143.

[11] E. Conan et C. Makarian, « Enquête sur la montée de l’islam en Europe », L’Express, 26 janvier 2006, http://www.lexpress.fr, accédé le 5 mars 2011.

[12] U. Zwingli, De providentia dei, 83.

[13] Pour le sondage mentionné plus haut, l’opinion majoritaire de la non-intégration des musulmans en France est motivée par un rejet des « valeurs occidentales ». Voir « L’image de l’islam en France », 13. Quant à l’élection d’un maire musulman,  45% de Français y sont hostiles, ce qui représente 12% de plus qu’en 2010. « L’image de l’islam en France », 25.

[14] E. Conan et C. Makarian, « Enquête sur la montée de l’islam en Europe », art. cit. 

[15] Ibid.

[16] L. Valensi et G. Martinez-Gros, L’islam en dissidence : genèse d’un affrontement, Paris, Le Seuil, 2004, 303.

[17] A. Dierkens et J.-P. Schreiber, Laïcité et sécularisation dans l’Union européenne, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2006. Voir aussi, pour la construction philosophique de la sécularisation occidentale, J.-C. Monod, La querelle de la sécularisation : théologie politique et philosophies de l’histoire de Hegel à Blumenberg, Paris, Vrin, 2002.

[18] D.G. Hart, A Secular Faith : Why Christianity Favors the Separation of Church and State, Chicago, I.R. Dee, 2006 ; P.L. Berger, The Desecularization of the World : Resurgent Religion and World Politics, Grand Rapids, Eerdmans, 1999 ; J. Habermas et J. Ratzinger, Raison et religion. Dialectique de la sécularisation, Salvator, 2010.

[19] Voir, parmi les ouvrages de J. Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Paris, Le Seuil, 2004 ; Histoire de la laïcité en France, Paris, PUF, 2003 ; La laïcité, quel héritage ? De 1789 à nos jours, Genève, Labor et Fides, 1990 ; L’intégrisme républicain contre la laïcité, Genève, Editions de l’Aube, 2006.

[20] La réflexion dans ce domaine est beaucoup plus poussée dans le monde anglo-saxon qu’elle ne l’est en francophonie. Voir, par exemple, N. Hashemi, Islam, Secularism and Liberal Democracy : Toward a Democratic Theory for Muslim Societies, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; H.A. Agrama, Questioning Secularism : Islam, Sovereignty and the Rule of Law in Modern Egypt, Chicago, University of Chicago Press, 2012.

[21] Déclaration universelle sur la laïcité  au XXIe siècle, article 4, disponible sur http://www.aidh.org/txtref/2005/Images/declaration_bauberot.pdf, accédé le 5 mars 2011.

[22] Cette naïveté est malheureusement bien réelle, visible notamment par la voix des institutions représentatives du protestantisme français, qui considèrent trop rapidement comme inutile une re-discussion de la formalisation légale de la laïcité dans le cadre des lois de 1905, 1901, 1907 et des associations diocésaines de 1924.

[23] J. Baubérot décrit deux « seuils » ou stades du processus de laïcisation en France. Le premier seuil, franchi entre la Révolution française et la période des signatures concordataires (1801-1808), se caractérise par l’affranchissement, la laïcisation, de l’état civil par rapport à l’hégémonie sociale du catholicisme. Le deuxième seuil s’établira progressivement, entre son initiation par le débat sur l’école publique (loi de 1882), jusqu’à sa formalisation par la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Cette évolution conflictuelle de la laïcité en France aboutit à l’égalité formelle des cultes séparés de l’Etat.

[24] Voir notamment le blog entretenu par J. Baubérot, ainsi que son La laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy et à ceux qui rédigent ses discours.

[25] Blog de J. Baubérot, entrée du 15 juin 2005, « La laïcité française : régulation du sacré ou sacré implicite », http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com/laicite_et_crise_de_l_identite_francaise, accédé le 5 mars 2011.

[26] Cf. notamment l’ouvrage déjà ancien mais toujours instructif de L.V. Méjan, La séparation des Eglises et de l’Etat, Paris, PUF, 1959.

[27] J. Baubérot, Vers un nouveau pacte laïque ?, Paris, Le Seuil, 1990.

[28] P. Cabanel, Entre religions et laïcité : la voie française, XIXe-XXIe siècles, Privat, 2007.

[29] Voir J. Baubérot, La laïcité, quel héritage ?, 88ss, et le blog de Baubérot http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com/archive/2005/02/19/secularisation_et_laicisation.html. G. Bédouelle parle, quant à lui, de « laïcité ouverte » ; voir G. Bédouelle, dir., Une République, des religions : pour une laïcité ouverte, Paris, Editions de l’Atelier, 2003.

[30] LICRA, Ni putes ni soumises, SOS Racisme, Grand Orient de France, Comité laïcité République, Union des familles laïques…, « Laïcité : l’école et les enfants d’abord ! [archive] » sur Comité laïcité République, http://www.laicite-republique.org, accédé le 4 mars 2011.

[31] O. Roy, La laïcité face à l’islam, Paris, Hachette, 2006, 30. Voir aussi Le croissant et le chaos, Paris, Hachette Littératures, 2007.

[32] Comme le prouvent les actualités depuis les trente dernières années en Iran.

[33] Pour J. Baubérot, cette double laïcité introduit en réalité, et en partie, une fausse laïcité dont l’auteur parle longuement dans son La laïcité falsifiée, Paris, Editions La Découverte, 2012.

[34] J. Dakhlia et B. Vincent, Les musulmans dans l’histoire de l’Europe, tome I, Une intégration invisible, Paris, Albin Michel, 2011.

[35] Groupe de recherche sur l’islam en Suisse, Vie musulmane en Suisse. Profils identitaires, demandes et perceptions des musulmans en Suisse, Berne, Commission fédérale pour les questions de migration, 2010, 35.

[36] Certains distinguent la « libéralisation » de l’islam, la « réforme » de l’islam et la « laïcisation » de l’islam (c’est-à-dire le passage vers une communauté de laïcs, par contraste avec les clercs). Voir, par exemple, la « Déclaration de St. Petersburg », Center for Inquiry, http://www.centerforinquiry.net/isis, accédé le 25 février 2011.

[37] J. Baubérot, Laïcité 1905-2005, 255. Il caractérise ces deux directions par « régalisme » et « laïcisation ».

[38] F. Mili, « Combattre l’islam ou le réformer en Tunisie et ailleurs », 8 mars 2011, disponible sur  http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/08/combattre-l-islam-ou-le-reformer-en-tunisie-et-ailleurs_1486825_3232.html.

[39] M. Chebel, Manifeste pour un islam des Lumières, Paris, Hachette Pluriel Editions, 2011.

[40] Notamment en matière de droit religieux. Là aussi, il prône une réforme de la jurisprudence islamique (fiqh), selon laquelle les aspects les plus « barbares » de la sharia devraient être dénoncés, affirme Chebel, car ils représentent des introductions culturelles dans le Qur’an, et non pas la volonté du Qur’an : « Il n’y a rien de plus barbare que de couper la main à un voleur ou la langue à un menteur, de lapider une personne qui a commis une faute ou d’appliquer des punitions humiliantes à qui que ce soit, car une justice digne de ce nom ne peut utiliser les mêmes armes que celui qu’elle punit, même sévèrement. Tous ces châtiments sommaires relèvent, on le sait, de coutumes ancestrales qui préexistent à l’islam et au Coran. » M. Chebel, « Vingt-sept propositions pour réformer l’islam », MEMRI, http://www.memri.org/report/en/0/0/0/0/0/0/3158.htm.

[41] On peut se demander si certaines propositions de Chebel prennent vraiment en compte l’analyse sociologique des sociétés contemporaines. Il demande, par exemple, le renforcement de la place de l’individu par rapport à et au-dessus de l’appartenance à une communauté particulière sans réaliser que nous sommes précisément sur une position allant à l’opposé d’une concentration de foi dans des communautés qui se respectent les unes les autres.

[42] T. Ramadan, Mon intime conviction, Paris, Presses du Châtelet, 2009, 144ss. Voir aussi A. Zmouri, Faut-il faire taire Tariq Ramadan ?, Paris, L’Archipel, 2005.

[43] H.-G. Gadamer, Vérité et méthode, Paris, Editions du Seuil, 1996, 11.

[44] « On présente souvent le problème de la présence musulmane en Occident comme un problème de religions, de valeurs et de cultures qu’il faudrait régler avec des arguments théologiques, des mesures légales, ou encore l’affirmation de certains principes et valeurs indiscutables. On se trompe pourtant si l’on ne prend pas en compte les tensions psychologiques qui entourent et façonnent parfois la rencontre entre l’Occident, l’Europe et les musulmans et l’islam. » T. Ramadan, Mon intime conviction, op. cit., 49.

[45] Sur ce phénomène d’auto-victimisation, René Girard note que l’Occident se découvre comme bouc émissaire afin de pallier son problème identitaire et d’intégration, sans faire une référence explicite à l’islam. Voir R. Girard, Quand ces choses commenceront, Paris, Arléa, 1996, 115.

[46] R. Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Rapport au ministre de l’Education nationale, Paris, Odile Jacob, 2002, 26.

[47] O. Roy, La laïcité face à l’islam, 74.

[48] Vie musulmane en Suisse, 5.

[49] Ibid.

[50] Conan et Makarian, « Enquête sur la montée de l’islam en Europe ».

[51] Comme le suggère Saïd, « l’intérêt européen pour l’islam ne dérive pas de la curiosité, mais de la crainte de voir la chrétienté exposée à une concurrence monothéiste, culturellement et militairement impressionnante ». E. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 2005, 371.

[52] T. Buchmann, parfois surnommé Bibliander, né à Bischofszell en 1504 et mort à Zurich le 26 septembre 1564, était un théologien réformé, bibliste, philologue, humaniste et orientaliste suisse. En 1543, son édition de la version latine du Coran fait date et participe probablement des développements ultérieurs de l’orientalisme fondés sur les études de la philologie arabe et de l’étude de l’islam.

[53] Segesvary, L’islam et la Réforme, 143. Voir Bibliander, Machumetis, tome I, folio β1/v-β2/r.

[54] Citation d’Erasme in idem, 205.

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