Lettre de Guy de Brès en prison à son épouse Catherine Ramon

Lettre de Guy de Brès[1] en prison
à son épouse Catherine Ramon[2]

Que la grâce et la miséricorde de notre bon Dieu et Père céleste et l’amour de son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, soient avec ton esprit, ma bien-aimée ! 

Catherine Ramon, ma chère et bien-aimée épouse et sœur en notre Seigneur Jésus-Christ, ton angoisse et ta douleur perturbant quelque peu ma joie et l’allégresse de mon cœur, je t’écris cette lettre, tant pour ta consolation que pour la mienne, particulièrement pour la tienne, étant donné que tu m’as toujours aimé d’une affection très ardente et qu’à présent il plaît au Seigneur que nous soyons séparés l’un de l’autre. Je ressens ton amertume pour cette séparation encore plus que la mienne. Je te prie de tout cœur de ne pas te laisser troubler outre mesure, craignant que Dieu n’en soit offensé. Tu sais bien que, lorsque tu m’as épousé, tu as pris un mari mortel, incertain de vivre même une simple minute, et cependant il a plu à notre bon Dieu de nous laisser vivre ensemble pendant environ sept ans et de nous donner cinq enfants. Si le Seigneur avait voulu nous laisser vivre plus longtemps ensemble, il en aurait bien eu le moyen. Mais tel n’est pas son désir ; par conséquent, qu’il en soit fait selon son bon plaisir et que cette raison puisse te satisfaire.

D’autre part, considère que je ne suis pas tombé entre les mains de mes adversaires par hasard, mais par la providence de mon Dieu, qui conduit et gouverne toutes choses, tant petites que grandes, comme le Christ nous le dit : « Ne craignez pas, vos cheveux sont tous comptés. Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Aucun d’eux ne tombera sur la terre sans la volonté de votre Père céleste. Ne craignez donc pas. Vous valez bien plus que beaucoup de passereaux. » Y a-t-il quelque chose que nous estimions moins qu’un cheveu ? Cependant, voilà la bouche de la sagesse divine qui dit que Dieu tient le registre du nombre de mes cheveux. Comment donc le mal et l’adversité pourront-ils m’atteindre sans que Dieu l’ait ordonné dans sa providence ? Il ne pourrait en être autrement, à moins que Dieu ne soit plus Dieu. Voilà pourquoi le prophète dit qu’il n’y a pas de malheur dans la ville sans que le Seigneur en soit l’auteur.

Nous voyons que tous les saints qui nous ont précédés ont été consolés par cette doctrine dans toutes leurs afflictions et leurs tribulations. Joseph, qui a été vendu par ses frères pour être mené en Egypte, a dit : « Vous avez fait une mauvaise œuvre, mais Dieu l’a transformée pour votre bien ; Dieu m’a envoyé devant vous en Egypte pour votre profit. » David a fait la même chose envers Chimei qui le maudissait. Job également, de même que tous les autres.

C’est la raison pour laquelle les évangélistes, traitant avec tant de soin des souffrances et de la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, ajoutent : « Et ceci a été fait, afin que ce qui était écrit de lui soit accompli. » La même chose doit être dite de tous les membres du Christ.

Il est bien vrai que la raison humaine se bat contre cette doctrine et y résiste tant qu’elle peut. J’en ai moi-même fait l’expérience très fortement. Lorsque j’ai été arrêté, je me suis dit en moi-même : « Nous avons mal fait de voyager ensemble en aussi grand nombre. Nous avons été découverts par un tel et un tel ; nous ne devions nous arrêter nulle part. » Au sein de toutes ces cogitations, je suis resté là, tout accablé par mes pensées, jusqu’à ce que j’élève mon esprit vers le ciel en méditant sur la providence de Dieu. Alors, mon cœur a commencé à sentir un merveilleux repos. J’ai alors commencé à dire : « Mon Dieu, tu m’as fait naître au temps et à l’heure que tu avais ordonnés. Durant toute ma vie, tu m’as gardé et préservé au milieu des grands dangers et tu m’as délivré de chacun d’entre eux. Si, à présent, l’heure est venue pour moi de passer de cette vie à toi, que ta bonne volonté soit faite ; je ne peux m’échapper de tes mains. Et même si je le pouvais, je ne le voudrais pas, tant mon bonheur est grand de me conformer à ta volonté. » Toutes ces considérations ont rempli et remplissent encore mon cœur d’une très grande joie et le gardent en repos.

Je te prie, ma chère et fidèle compagne, de t’en réjouir avec moi et de remercier ce bon Dieu de ce qu’il fait, car il ne fait rien qui ne soit juste et très équitable. Tu dois t’en réjouir, surtout que c’est pour mon bien et pour mon repos. Tu as bien vu et ressenti les labeurs, les croix, les persécutions et les afflictions que j’ai endurés. Tu en as même été participante quand tu m’as accompagné dans mes voyages durant le temps de mon exil. Voici à présent que mon Dieu veut me tendre la main pour me recevoir dans son Royaume bienheureux. Je m’en vais avant toi et quand il plaira au Seigneur, tu me suivras. Nous ne serons pas séparés pour toujours. Le Seigneur te recevra également pour que nous soyons unis ensemble à notre chef Jésus-Christ.

Le lieu de notre habitation ne se trouve pas ici, il est au ciel ; ici, c’est le lieu de notre pèlerinage. C’est pourquoi nous aspirons à notre vrai pays, qui est le ciel, et nous désirons surtout être reçus dans la maison de notre Père céleste, pour voir notre Frère, Chef et Sauveur Jésus-Christ ainsi que la très noble compagnie des patriarches, des prophètes, des apôtres et de tant de milliers de martyrs, parmi lesquels j’espère être accueilli quand j’aurai achevé le travail que j’ai reçu de mon Seigneur Jésus.

Je te prie donc, ma bien-aimée, de trouver ta consolation dans la méditation de ces choses. Considère à bon escient l’honneur que Dieu te fait de t’avoir donné un mari qui soit non seulement ministre du Fils de Dieu, mais qui soit aussi tellement estimé et prisé de Dieu que celui-ci daigne le faire participer à la couronne des martyrs. C’est un grand honneur que Dieu n’accorde même pas à ses anges.

Je suis rempli de joie, mon cœur est rempli d’allégresse, je ne manque de rien dans mes afflictions. Je suis rempli de l’abondance des richesses de mon Dieu, même que ma consolation est tellement grande que j’en ai suffisamment pour moi et pour tous ceux auxquels je peux parler. Ainsi, je prie mon Dieu qu’il continue de manifester sa bonté et sa bienveillance envers moi son prisonnier. J’ai l’assurance qu’il le fera, car je sens bien par expérience qu’il n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui. Je n’aurais jamais pensé que Dieu puisse être si bon envers une aussi pauvre créature que moi. Je sens présentement la fidélité de mon Seigneur Jésus-Christ.

Je mets en pratique à présent ce que j’ai tant prêché aux autres. Je dois cependant confesser que, lorsque je prêchais, je parlais des choses dont je fais maintenant l’expérience, comme un aveugle parle des couleurs. Depuis que j’ai été fait prisonnier, j’ai fait plus de progrès et j’ai appris davantage que durant tout le reste de ma vie. Je suis à très bonne école. Le Saint-Esprit m’inspire continuellement et m’enseigne à manier les armes dans ce combat. D’un autre côté, Satan, l’adversaire de tous les enfants de Dieu, qui est comme un lion furieux et rugissant, m’encercle de toutes parts pour me blesser. Mais celui qui m’a dit « Ne crains point, j’ai vaincu le monde » me rend victorieux. Déjà je vois que le Seigneur écrase Satan sous mes pieds et je ressens la puissance de Dieu parfaite dans ma faiblesse.

D’un côté, notre Seigneur me fait sentir ma faiblesse et ma petitesse, que je ne suis qu’un pauvre vase de terre extrêmement fragile, afin que je m’humilie et que toute la gloire de la victoire lui soit donnée. D’un autre côté, il me fortifie et me console d’une façon incroyable. Je suis même davantage à mon aise que les ennemis de l’Evangile. Je mange, je bois et me repose mieux qu’eux. Je suis enfermé dans la prison la plus terrible et la mieux gardée qui soit, obscure et ténébreuse, que l’on nomme Brunain à cause de son obscurité, et où l’air ne pénètre que par un petit trou puant, à travers lequel on jette les excréments. J’ai des fers aux pieds et aux mains, gros et pesants. Ils sont un enfer continuel, pénétrant jusque dans mes pauvres os. En outre, l’officier chargé de la sécurité vient vérifier mes fers deux ou trois fois par jour, craignant que je m’échappe. De plus, ils ont posté trois gardes de quarante hommes devant la porte de la prison.

Je reçois aussi les visites de monsieur de Hamaide, qui vient me voir pour me consoler et m’exhorter à la patience, comme il dit. Mais il vient volontiers après dîner, après que le vin lui soit monté à la tête et que son ventre soit bien rempli. Tu peux imaginer quelles sont ces consolations ! Il me fait beaucoup de menaces et m’a dit qu’au moindre signe de tentative d’évasion de ma part il me ferait enchaîner par le cou, le corps et les jambes, de sorte que je ne pourrais même plus bouger un doigt. Il dit aussi beaucoup d’autres paroles semblables. Mais, dans tout cela, mon Dieu ne cesse de tenir sa promesse et de consoler mon cœur, me procurant un très grand contentement.

Etant donné la situation, ma chère sœur et fidèle épouse, je te prie de trouver ta consolation dans le Seigneur au milieu de toutes tes épreuves et de t’en remettre à lui en toutes choses. Il est le mari des veuves fidèles et le père des pauvres orphelins. Il ne te délaissera jamais, je peux t’en assurer. Conduis-toi toujours comme une femme chrétienne et fidèle, dans la crainte de Dieu, comme tu l’as toujours fait, et honore du mieux possible, par ta bonne vie et tes paroles, la doctrine du Fils de Dieu que ton mari a prêchée.

Tout comme tu m’as toujours aimé avec tant d’affection, je te prie de continuer à aimer de même nos enfants si petits. Instruis-les dans la connaissance du vrai Dieu et de son Fils Jésus-Christ. Sois leur père et leur mère et veille à ce qu’ils soient traités le mieux possible avec le peu que Dieu t’a donné. Si Dieu, après mon trépas, te fait la grâce de vivre dans le veuvage avec nos jeunes enfants, tu feras fort bien. Si tu ne le peux pas et que tes ressources financières viennent à manquer, trouve alors un homme de bien, fidèle et craignant Dieu, duquel on rende un bon témoignage. Quand j’en aurai les moyens, j’écrirai à nos amis pour qu’ils prennent soin de toi, car je ne crois pas qu’ils te laisseraient dans le besoin. Tu pourras reprendre ton premier train de vie après que le Seigneur m’aura retiré de cette vie. Tu as notre fille Sara, qui sera bientôt grande. Elle pourra te tenir compagnie, t’assister dans tes épreuves et te consoler dans tes tribulations. Le Seigneur sera toujours avec toi. Salue tous nos bons amis en mon nom et demande-leur de prier Dieu pour moi, afin qu’il me donne la force, les paroles et la sagesse qui me permettront de maintenir la vérité du Fils de Dieu jusqu’à la fin, jusqu’au dernier soupir de ma vie.

Adieu Catherine, ma très bonne amie. Je prie mon Dieu de te consoler et de t’accorder le contentement dans sa bonne volonté. J’espère que Dieu me fera la grâce de t’écrire davantage, si tel est son plaisir, pour que je puisse te consoler tant que je serai en ce pauvre monde. Garde ma lettre en souvenir de moi. Elle est bien mal écrite, mais c’est comme je peux et non comme je veux. Je te prie de me recommander à ma bonne mère. J’espère lui écrire une lettre pour la consoler, si Dieu le veut. Salue aussi ma chère sœur et qu’elle accepte son épreuve comme venant de Dieu. Je te souhaite beaucoup de bien.

De la prison, le 12 avril 1567,
Ton fidèle mari Guy de Brès,
ministre de la Parole de Dieu, à Valenciennes,
et présentement prisonnier à cet endroit pour le Fils de Dieu.

Textes cités : Mt 10.28-31 ; Am 3.6 ; Gn 45.7-8, 50.20 ; Mc 15.28 ; 1 P 5.8 ; Jn 16.33.
Autres textes en lien avec le contenu : 2 S 16.5-14 ; Jb 1.20-22 ; Dt 25.19 ; 2 S 22.1 ; 2 Tm 4.17-18 ; Ps. 145.17 ; 2 Tm 3.10-11 ; Hé 11.16 ; Ac 5.41 ; Ph 1.29 ; 1 P 4.13 ; Ep 3.1, 4.1 ; 2 Tm 1.8 ; Phm 1.1, 9 ; Ph 1.6 ; Hé 13.5 ; Ep 6.10-20 ; Rm 16.20 ; 2Co 12.9, 4.7, 1.3-4 ; Ps 68.6 ; Pr 31.30.


[1] G. de Brès (1522-1567) est un pasteur et théologien wallon qui a étudié avec Calvin et Théodore de Bèze à Genève. Né à Mons, il est mort martyr à Valenciennes, âgé de 45 ans. De Brès a été l’éditeur de la Confessio Belgica de 1561.

[2] Ce texte est une adaptation, en français actuel, établie par Paulin et Claire Bédard. L’original en vieux français se trouve dans Procédures tenues à l’endroit de ceux de la religion du Pais-Bas…, Genève, J. Crespin, 1568, 356-367 (http://libguides.calvin.edu/content.php?p 663995). L’adaptation a été préparée à partir du texte original publié avec une orthographe modernisée, paru dans Bibliotheca Reformatoria Neerlandica, volume 8, M. Nijhoff, 1911, 624-628. Une traduction anglaise a également été consultée : Wes Bredenhof, « A Reformation Martyr Comforts His Wife », Clarion, vol. 57, n° 22, 24 octobre 2008, 557-559.

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