L’Église, ambassadrice de la réconciliation

L’Église, ambassadrice de la réconciliation

Nicolas FARELLY*

La réconciliation est au cœur de la mission de Dieu dans et pour le monde. Tel est mon point de départ, mais telle est aussi la proposition que j’aimerais démontrer à travers ce qui va suivre. Ce faisant, je voudrais replacer la thématique de la réconciliation dans le contexte du grand récit biblique, en proposant un survol des étapes successives de sa mise en application, prenant en compte les différents obstacles que Dieu a voulu franchir et les moyens mis en œuvre pour arriver à ses fins. Il s’agira ainsi de faire de la théologie biblique, de lire le récit biblique en suivant le fil conducteur qu’est la réconciliation. C’est donc sur la base de ce grand récit que je voudrais traiter du thème de l’Eglise comme « ambassadrice de la réconciliation », car, à mon sens, ce rôle, cette vocation, n’a de sens qu’au sein de ce récit. Si tel est le cas, alors aujourd’hui encore, c’est en réalisant qu’elle est « actrice » d’un tel récit que l’Eglise pourra pleinement jouer son rôle d’ambassadrice de la réconciliation. La trajectoire, l’intrigue du récit seront pour elle autant de guides structurant sa pensée et son action dans le monde.

A. La promesse de Dieu à Abraham

La Bible, écrite par des dizaines d’auteurs sur une période longue de plusieurs siècles, contient un grand nombre de genres littéraires (poésie, récits historiques, littérature sapientielle, épîtres, biographies, apocalypses, et ainsi de suite), mais elle est néanmoins le lieu d’un seul et même récit. La Bible est le récit de Dieu et de son implication dans sa création. C’est le récit, en effet, de la bonne création de Dieu qui s’est détournée, rebellée contre lui, mais du désir de Dieu de bénir ce monde malgré tout, d’être réconcilié avec lui. Oui, la réconciliation est au cœur du projet de Dieu pour le monde, et ce de la Genèse à l’Apocalypse. La première indication, l’élan initial de ce projet se trouve en Genèse 12.1-3, où Dieu choisit Abraham et lui fait une promesse :

Le Seigneur dit à Abram : « Pars de ton pays, de ta famille
et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir.
Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai.
Je rendrai grand ton nom.
Sois en bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront,
qui te bafouera je le maudirai ;
en toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (TOB)

Dans cette promesse (reprise en Gn 18.18, 22.18, 26.4-5, 28.14), Dieu est dépeint comme désirant, à travers Abraham, bénir « toutes les familles de la terre », ou « toutes les nations ». Or, l’expression de ce projet se trouve à la fin de la promesse faite à Abraham, car elle est son paroxysme. Le désir de bénir toutes les nations à travers Abraham, loin d’être un appendice à la promesse, est le but recherché par Dieu, son désir le plus fort[1]. Si Dieu veut faire d’Abraham et de sa descendance une « grande nation », c’est pour que celle-ci soit une bénédiction pour « toutes les nations ». Dieu choisit Abraham et veut le bénir, mais pas comme une fin en soi. Il le choisit et lui donne une mission, une vocation, celle de bénir à son tour.

Nous ne pouvons relativiser l’importance centrale, fondamentale de cette promesse. Son importance est non seulement théologique, mais aussi tout simplement narrative, car la réalisation du projet formulé ici par Dieu occupera une place centrale dans le reste du récit biblique. C’est vers ce but que son intrigue tendra[2], et ce, jusqu’à la vision merveilleuse d’Apocalypse 7.9-10, où des gens de toutes nations et de toutes langues sont réunis pour louer le Dieu vivant. L’apôtre Paul reprendra d’ailleurs à son compte cette promesse, la caractérisant d’ « évangile annoncé d’avance à Abraham » (Ga 3.6-9).

Mais en quoi cette promesse est-elle, déjà, « Evangile » ? En quoi est-elle indicative du projet de réconciliation de Dieu avec sa création ? Pour le comprendre, il faut prendre en considération le contexte littéraire et théologique dans lequel ce texte se trouve. En effet, dans les chapitres précédant la promesse à Abraham, l’œuvre créatrice de Dieu a été dépeinte (Gn 1-2). Là, la création fut déclarée « très bonne », l’humanité à « l’image de Dieu » et mandatée comme représentante de Dieu, gérante de la création. Cette vocation devait être accomplie par l’humanité dans son ensemble, pas simplement par des individus isolés[3]. Dieu a créé l’humanité, l’homme et la femme, et a fait d’eux des êtres communautaires : c’est ensemble qu’ils devaient œuvrer, en communion entre eux et avec Dieu.

L’harmonie présente (entre Dieu et la création et au sein de la création) se fissure pourtant très tôt dans ce récit des origines. L’humanité, dès le chapitre 3 de la Genèse, manque de faire confiance à son créateur, elle lui désobéit, mettant de côté les bornes qu’il avait fixées dans sa bonté. Et cette fente, qui pourrait paraître anodine, n’en est pas moins radicale et dramatique. Dorénavant, l’homme et la femme évitent Dieu, effrayés qu’ils sont à cause de leur propre culpabilité. Ils n’assument pas leurs torts, l’homme blâmant la femme et la femme le serpent. Ils se cachent l’un à l’autre, honteux de leur propre corps. Cette image est celle, affligeante, de la communauté humaine qui se déchire. A partir de ce moment, la réalisation du mandat donné par Dieu ne sera plus joie et reconnaissance, mais labeur et douleur. C’est donc tôt dans le récit biblique que l’harmonie originelle s’est morcelée, fragmentée.

Les chapitres suivants (Gn 4-11) décrivent alors les conséquences de cette fissure initiale. Et, dans ces chapitres, la fissure se fait profonde crevasse, le mal allant crescendo dans la bonne création de Dieu. Caïn, ne supportant pas que l’offrande de son frère soit agréée par Dieu, l’assassine. Un de ses descendants, Lamek, annonce s’être vengé en tuant « un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure » (Gn 4.23). Dieu se dit profondément affecté par l’état de sa création, par les attitudes et les actes de ses créatures : « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal, et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea. » (Gn 7.5-6) Ceci conduira au déluge, qui n’épargnera des humains que Noé et sa famille. Après le déluge, cette humanité est de nouveau envoyée pour qu’elle se multiplie et remplisse la terre (Gn 9.1), et Genèse 10 dépeint cette expansion d’un œil plutôt favorable (puisqu’en lien avec le mandat originel d’être fécond, de se multiplier et de remplir et soumettre la terre en Gn 1.28). Mais ce n’est pas le cas de Genèse 11, où se trouve le fameux épisode de la tour de Babel[4]. Là, l’expansion, la dissémination des humains cesse, car les peuples décident de s’installer dans une plaine du pays de Shinéar (Gn 11.2), où ils construisent une cité comprenant une tour. Leurs motivations, exprimées en Genèse 11.4, sont équivoques : il y a, semble-t-il, de l’arrogance (ils veulent se faire un nom), mais peut-être aussi un certain manque de confiance en soi et en Dieu (ils ne veulent pas être dispersés comme Dieu le désirait). Quelles que soient leurs motivations exactes, et le récit biblique ne s’y attarde pas, ces peuples semblent avoir voulu, à l’instar d’Adam et Eve, prendre le contrôle de leur propre destinée pour vivre hors de la volonté de Dieu pour eux : « Ils voulaient atteindre les cieux tout en résistant à la volonté de Dieu pour eux[5]. » Face à cet affront, la réponse de Dieu est, sinon punitive, au moins compulsive. Dieu les divise de force, disant : « Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ! De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. » (Gn 11.7-8) Alors que, dans les chapitres 3-10, Dieu avait fait grâce à de multiples reprises (habillant Adam et Eve, protégeant Caïn, ne détruisant pas l’humanité tout entière mais sauvant Noé et sa famille, s’engageant même par une alliance), ici, aucune grâce n’est offerte.

Dans ce contexte, que Dieu vienne vers Abraham avec une promesse exprimant son désir de bénir toutes les nations de la terre ne va pas de soi. En l’espace de quelques chapitres, l’humanité en est arrivée à un tel état de corruption que tout espoir semble perdu. Les générations se sont succédé, et avec elles le catalogue de leurs méfaits s’est allongé : jalousie, colère, meurtre, vengeance, arrogance… jusqu’à ce que, à Babel, la patience de Dieu à l’égard des nations semble s’être éteinte. Comme le remarque Gerhard von Rad, à la fin de Genèse 11, aucun lecteur attentif et sensible au récit ne peut éviter de se poser la question suivante : « Les relations entre Dieu et les nations sont-elles définitivement rompues, la grâce et la patience de Dieu sont-elles épuisées et Dieu a-t-il rejeté pour toujours les peuples dans sa colère ?[6] » Faire parvenir le lecteur à une telle question serait d’ailleurs, selon lui, le but du narrateur jusqu’au récit de Babel. En insistant sur l’absence totale de paix et d’harmonie dans la bonne création de Dieu[7], c’est « l’extraordinaire nouveauté qui suit le désespérant épisode de la tour » que le lecteur sera à même de saisir[8].

B. La vocation et l’échec d’Israël

« L’extraordinaire nouveauté » de Genèse 12, c’est que Dieu choisit et mandate Abraham et sa descendance pour être ses ambassadeurs de réconciliation dans un monde fragmenté, déchu et rebelle. Dieu n’a pas abandonné les nations, sa création ! En choisissant une personne parmi la multitude des nations, il veut que cette personne devienne une « grande nation » qui sera une bénédiction pour les autres familles de la terre. Le choix particulier d’Abraham contient donc une intention universelle.

Les débuts d’Abraham et de sa descendance sont prometteurs, sans être pour autant parfaits. La promesse de bénédiction pour toutes les nations est répétée à Isaac, le fils d’Abraham, et à son petit-fils, Jacob. C’est d’ailleurs dans le récit de Jacob et de ses fils que la bénédiction commence à se répandre[9]. Tout d’abord, le Seigneur bénit Laban par l’intermédiaire de Jacob (Gn 30.27), puis Potiphar, un haut fonctionnaire égyptien, par l’intermédiaire de Joseph (Gn 39.5). De plus, en arrivant en Egypte, le patriarche Jacob donnera lui-même sa bénédiction au pharaon (Gn 47.7). Le peuple de Dieu, la descendance d’Abraham, débute donc son rôle de conduit de bénédiction pour les nations.

Mais, et c’est un terrible « mais », la vocation de la famille d’Abraham, malgré ces bons débuts, sera vite oubliée par le peuple lui-même. A travers son histoire, Israël considérera généralement les nations comme des ennemis à combattre plutôt que comme des peuples à bénir. De plus, au gré de ses propres difficultés, le peuple se montrera infidèle à Dieu, endurci, si bien que c’est sur cette infidélité généralisée que se concentreront dorénavant les récits et les prophéties vétérotestamentaires. Dans l’Ancien Testament, la promesse faite à Abraham ne sera d’ailleurs mentionnée explicitement qu’à trois ou quatre reprises, pour rappeler au peuple infidèle sa vocation initiale. Un texte en particulier, Jérémie 4.1-2, mérite d’être cité[10] :

1 Si tu reviens, Israël – oracle du Seigneur –,
c’est à moi que tu dois revenir.
Si tu ôtes tes ordures de devant ma face,
alors tu ne vagabonderas plus.

2 Si tu prêtes serment : « Par la vie du Seigneur ! »,
dans la vérité, dans le droit et la justice,
alors les nations se béniront en son nom ;
c’est de lui qu’elles se loueront. (TOB)

Selon Jérémie – et c’est sur ce point que j’aimerais insister – le retour d’Israël vers Dieu était la condition de l’accomplissement de la vocation d’Israël dans le monde. En étant fidèle à Dieu, en pratiquant la vérité, le droit et la justice (c’est-à-dire en pratiquant la Torah), Israël serait à nouveau en mesure d’être une bénédiction pour les nations, d’œuvrer pour la réconciliation du monde. Pour Israël, obéir à la Loi ne devait donc pas être une fin en soi, mais un moyen. Son obéissance devait faire office de témoignage envers les nations avoisinantes, démontrant que ce peuple était différent parce qu’il était lui-même un peuple racheté, réconcilié avec Dieu. En cela, il faisait office de prêtre, d’enseignant, de modèle, de lumière démontrant le souci, l’amour de Dieu pour les nations, et son désir intense d’être réconcilié avec elles[11].

Dans l’ensemble, nous l’avons dit, Israël a lamentablement échoué dans cette tâche. Lui-même était un peuple fragmenté, violent, pécheur. Lui-même pratiquait l’injustice, qu’il tentait d’expier par des sacrifices que Dieu abhorrait[12]. Tout peuple élu qu’il était, il ne vivait pas en paix en son sein. Et d’ailleurs, son élection devint vite pour lui plus une fierté, un droit, qu’une responsabilité missionnaire. En se concentrant sur ses propres privilèges de peuple élu, il ne pouvait que perdre de vue sa vocation missionnaire. L’infidélité et l’injustice d’Israël, comme cela fut annoncé dans le Deutéronome (Dt 27-30), conduiront ultimement le peuple vers l’exil babylonien, Dieu devant faire saisir à Israël l’écart absurde entre son attitude et sa vocation initiale. Seul un retour radical vers Dieu et sa Loi pourrait permettre à Israël de vivre pleinement la bénédiction divine, de voir YHWH revenir à Sion, et ainsi de réaliser sa vocation : être une bénédiction pour toutes les nations de la terre.

C. Le ministère de réconciliation de Jésus

Une des grandes erreurs de certaines lectures bibliques, et en particulier de certaines lectures évangéliques, est de ne pas prendre en compte cette dynamique théologique et narrative dans leur compréhension du ministère de Jésus. En effet, en omettant de le placer dans la continuité de la promesse faite à Abraham et dans le contexte de l’incapacité d’Israël à accomplir sa vocation réconciliatrice, Jésus est souvent compris comme un envoyé qui « tombe du ciel », apportant un salut dissocié de toute histoire préalable[13]. A l’inverse, dans le Nouveau Testament, Jésus est celui qui est envoyé dans le monde, réalisant pour Israël ce qu’Israël ne pouvait pas faire lui-même. Pris dans ce grand contexte narratif, le message du Nouveau Testament est qu’en Jésus, le Messie, le roi, le représentant du peuple, Israël a pu accomplir sa vocation divine[14]. En cela, le ministère terrestre de Jésus constitue le paroxysme du récit biblique, le dénouement de son intrigue. Jésus avait pour tâche de restaurer, de guérir, de réconcilier le peuple dont il est le représentant, car tel était, comme l’indiquait déjà le prophète Jérémie, le préalable à l’action réconciliatrice de Dieu en faveur des nations[15].

1. Réconciliation avec Dieu

Dans les Evangiles, Jésus est présenté comme accueillant toute personne qu’il rencontre, sans discrimination d’aucune sorte, refusant les barrières sociales, religieuses, ethniques et sexuelles pourtant admises en son temps. Jésus allait à la rencontre de pécheurs, tels des péagers, des prostituées, des adultères, communiant avec eux en partageant leurs repas. Il parlait à des femmes, quand bien même celles-ci étaient socialement discriminées. Les enfants, qui étaient peu considérés dans la société de l’époque, furent élevés par Jésus au rang d’exemples. Les Samaritains, un peuple « bâtard » du fait de ses nombreux compromis ethniques et religieux avec les nations, furent les récipiendaires de paroles et d’actions de grâce de la part de Jésus (Jn 4). Finalement, Jésus anticipera même la bénédiction des nations, guérissant des païens et leur annonçant que la foi (et non l’appartenance ethnique) était le critère d’entrée dans le royaume de Dieu. Toutes ces rencontres révèlent une volonté d’accueil de la part de Dieu. Jésus témoigne d’un Dieu compatissant, sans parti pris, qui aime son peuple dans son ensemble, et qui vient le trouver pour lui offrir le salut, pour le guérir, pour le restaurer. Jésus dira lui-même : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Lc 19.10) Le Fils, envoyé du Père, est donc venu en Israël tel un berger vers des brebis perdues. Et il leur a proposé une relation renouvelée avec le Père. Il leur a proposé d’être réconciliés avec lui[16].

2. Réconciliation communautaire

Mais Jésus ne s’est pas simplement intéressé au renouvellement de la relation du peuple d’Israël avec Dieu. La réconciliation qu’il a mise en application servait aussi à unifier le peuple en son sein, à abattre les barrières d’exclusions et d’oppressions sociales. Puisque l’échec d’Israël dans l’accomplissement de sa vocation était dû, entre autres, à sa désobéissance, à son injustice et à sa méchanceté, Jésus appelait son peuple à une tout autre manière de vivre. En Israël, comme dans toute société, le pouvoir politique dépendait en grande partie du maintien d’un certain statu quo. Par exemple, dans la Palestine du Ier siècle, des présupposés comme ceux-ci étaient admis et strictement appliqués :

  • Certaines personnes sont pures, d’autres non, et il faut éviter de toucher les impurs car ils sont contagieux (e.g., les lépreux, les morts).
  • Certains sont « justes », d’autres non. Les justes étant ceux qui pratiquent la Loi, ostensiblement et à la lettre (comme l’observance du sabbat).
  • Les Juifs et les non-Juifs ne doivent avoir aucune relation (e.g., ils ne peuvent pas prendre de repas ensemble).
  • Le pardon est régulé religieusement, tout le monde ne pouvant pas l’accorder[17].

Or, Jésus a remis en question ces présupposés, en abolissant certains et en ignorant d’autres. En cela, il a délibérément rompu avec le statu quo et ses nombreuses ramifications sociales (i.e., l’exclusion des impurs, des injustes, des pécheurs…). Il a refusé ce modèle de société hiérarchisé, autoritaire, oppressif, qui, sous couvert d’application de la Loi, manquait complètement sa cible. A l’inverse, ce que Jésus proposait était un « vivre ensemble » différent. Il avait un projet communautaire qui se fondait sur une éthique, celle du Royaume, dont l’amour était au cœur (Mt 22.32-40 ; Mc 12.28-34 ; Lc 10.25-28 ; Jn 15.9-17). Ainsi, c’est la grâce, le pardon réciproque, l’accueil de l’autre dans sa différence, le service mutuel, le don de soi, la vulnérabilité et l’acceptation de la faiblesse que Jésus mettait en avant. Et, en cela, il proposait un modèle communautaire entièrement renouvelé. Il prônait un vivre ensemble où la réconciliation était à l’œuvre[18]. Pour Jésus, la restauration du peuple impliquait qu’il vive la réconciliation en son sein (e.g., la parabole de l’esclave impitoyable en Mt 18.23-35).

3. La croix comme lieu de la réconciliation

Ce que Jésus a prôné, enseigné et appliqué dans son ministère terrestre, il l’a accompli, ultimement, à la croix. C’est ainsi que la croix fut le lieu par excellence de la réconciliation : réconciliation avec Dieu et réconciliation les uns avec les autres. En cela, c’est sur la croix que Jésus a suprêmement assumé la vocation d’Israël : être une lumière, une bénédiction pour les nations.

En effet, selon le témoignage biblique, la croix fut l’instrument choisi par Dieu pour régler le problème du péché et de la culpabilité humaine. En Jésus, Dieu a, par amour pour l’humanité, pris cette culpabilité sur lui (Es 53.6 ; 1P 2.24). La croix est donc le lieu du pardon et de la réconciliation des pécheurs avec Dieu (Rm 5.5-10). Mais la valeur réconciliatrice de la croix va plus loin encore. Son but était aussi de vaincre les puissances du mal (Col 2.15 ; Hé 2.14) et de mettre à mort l’hostilité, l’inimitié qui existait entre Juifs et non-Juifs (Ep 2.14-16). Ultimement, sur la croix, ce sont toutes les formes d’aliénations qui furent vaincues, et ce en vue d’une paix cosmique. Par la croix, Dieu voulait guérir et réconcilier sa création tout entière. Comme le dit Paul en Colossiens 1.19-20, à la fin de son merveilleux hymne christologique :

Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude
et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même,
aussi bien ce qui est sur la terre que
ce qui est dans les cieux,
en faisant la paix par lui,
par le sang de sa croix. (NBS)

Selon le Nouveau Testament, le ministère de Jésus et l’accomplissement de la croix sont la garantie de la guérison, de la restauration et de la réconciliation de toute la création de Dieu[19]. Jésus, le représentant d’Israël, le fils d’Abraham, a donc donné là une impulsion déterminante au projet divin de réconciliation.

D. La bénédiction des nations appliquée à travers l’Eglise

Si j’ai voulu jusqu’à présent survoler les grandes étapes du récit biblique, de la bonne nouvelle de la réconciliation, c’est pour en arriver à l’Eglise et à son rôle d’ambassadrice de la réconciliation. En effet, le Nouveau Testament montre à maintes reprises que l’Eglise est appelée à rentrer pleinement dans le projet réconciliateur de Dieu, initié avec Abraham et accompli par Christ sur la croix. L’Eglise, elle-même bénéficiaire du projet de réconciliation de Dieu en Jésus-Christ, est envoyée pour œuvrer, à la suite de Christ, pour la réconciliation du monde[20].

Le projet de Dieu de bénir les nations prend d’ailleurs un tournant décisif dès les tout débuts de l’Eglise, lors de la Pentecôte (Ac 2.5-12). Là, la bénédiction est visible dans un renversement dramatique de Babel. La Pentecôte, comme beaucoup l’on remarqué, peut être considérée comme une sorte d’« anti-Babel[21] » :

Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. Déconcertés, émerveillés, ils disaient: « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. » Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: « Qu’est-ce que cela veut dire? » (TOB)

Avec la venue de l’Esprit, don du Christ ressuscité, les gens de toutes les nations commencent à se comprendre les uns les autres, à entendre la bonne nouvelle de Dieu dans leur propre langue. De la confusion de Babel, nous sommes arrivés à une compréhension mutuelle des peuples et à leur écoute favorable de la parole de Dieu. La bénédiction divine en faveur des nations fait donc ici un extraordinaire bon en avant. Certes, à la Pentecôte, l’Evangile ne fut entendu qu’à Jérusalem par des Juifs et prosélytes (Ac 2.5, 11), mais très vite, à travers le ministère des apôtres et de leurs associés, un élan missionnaire hors des frontières ethniques et géographiques d’Israël s’opéra (en suivant le programme d’Ac 1.8 : les Samaritains en Ac 8.5-25 ; l’eunuque égyptien en Ac 8.26-39 ; Corneille en Ac 10 ; et ainsi de suite). Ainsi, à partir de la Pentecôte, les morceaux disparates et ennemis de la bonne création de Dieu se sont rapprochés. La réconciliation voulue par Dieu était inexorablement en marche.

Bien sûr, il ne faut pas penser l’expansion rapide de l’Eglise à partir de la Pentecôte comme un long fleuve tranquille. Au-delà des dangers encourus et des persécutions reçues par les missionnaires, ce qui retient le plus l’attention du Nouveau Testament est justement le manque d’harmonie, au sein même de l’Eglise, quant aux conditions d’inclusion des « nations » dans le peuple de Dieu. A bien des égards, si cette inclusion n’avait pas posé problème, une grande part du Nouveau Testament n’aurait pas lieu d’être ! Mais Paul, « l’apôtre des non-Juifs », s’est employé à faire admettre aux piliers (Ac 15) et à certaines franges judaïsantes de l’Eglise que les pagano-chrétiens faisaient partie intégrante de l’Eglise. Face à ceux qui auraient voulu contraindre, dans les communautés naissantes, ces pagano-chrétiens à se comporter comme de bons Juifs (e.g., Ga 2.14)[22], face à cet ethnocentrisme malsain, Paul s’est inlassablement battu en faveur d’une réconciliation pleine et entière, avec Dieu et dans l’Eglise, des Juifs et des non-Juifs.

Le ministère de Paul et de l’Eglise s’inscrivait pleinement et volontairement dans le grand projet réconciliateur de Dieu. Paul le savait : « Il nous a donné le ministère de la réconciliation. » (2Co 5.18) A plusieurs reprises, Paul parlera d’un « mystère », c’est-à-dire d’une réalité jusqu’alors cachée, mais maintenant révélée par Dieu à travers sa prédication de l’Evangile. Pour Paul, ce mystère était l’action décisive de Dieu en Christ pour la réconciliation et l’inclusion des païens dans l’Eglise (e.g., Rm 16.25-27 ; Ep 3.8-10 ; Col 1.25-27). Plus encore ce « mystère » était le plan de Dieu pour l’unité (la « récapitulation ») cosmique de tout ce qui est sur la terre et dans les cieux (Ep 1.9)[23]. Dans la pensée de l’apôtre, l’Eglise, composée de Juifs comme de non-Juifs, était donc l’expression tangible de ce « mystère », la preuve irréfutable de la victoire de Dieu sur les puissances séparatrices et hostiles à son action (Ep 3.8-10). L’Eglise incarnait le grand mouvement rédempteur et réconciliateur engagé par Dieu à la faveur de tout le cosmos.

Ainsi, Paul, convaincu qu’il était, voulait que l’Eglise s’empare elle aussi de ce ministère de réconciliation, de bénédiction des nations. Car, selon lui, si Dieu est l’agent et l’instigateur de la réconciliation, l’Eglise est non seulement l’objet, mais aussi l’ambassadrice de la réconciliation dans le monde. Paul désirait donc voir l’Eglise s’allier à lui pour proclamer l’œuvre réconciliatrice de Christ. Ensemble, ils suppliaient quiconque les écouterait : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. » (2Co 5.20) [24]

E. La communauté cruciforme comme « vectrice » de la réconciliation

Si l’Eglise a réellement pour mission d’être ambassadrice de la réconciliation, la question des moyens mis en œuvre pour accomplir cette mission doit aussi être posée. Evoquer les champs d’actions de l’Eglise en faveur de la réconciliation dans le monde prendrait bien trop de place, car ces champs, dans le Nouveau Testament comme aujourd’hui, sont très divers, nombreux[25]. En revanche, j’aimerais m’attarder sur un élément de réponse qui me semble fondamental.

Selon le Nouveau Testament, pour que l’Eglise soit cette ambassadrice, elle doit constamment se référer à la croix de Christ comme paradigme fondamental de sa vie. Non seulement elle doit proclamer l’accomplissement de la croix pour la réconciliation de toutes choses avec Dieu, mais elle doit également incarner cette croix dans sa vie communautaire. L’Eglise, à travers le Nouveau Testament, est appelée à une vie, à une spiritualité « cruciforme[26] ». Autrement dit, elle est appelée à vivre en son sein l’éthique du Royaume enseignée par Jésus (e.g., Mt 5-7), cette même éthique qui le poussa jusqu’à la croix. Selon cette éthique, les membres de l’Eglise, vivant de la grâce, apprennent à faire grâce à leur prochain. Ayant été pardonnés, ils pardonnent en retour. Ayant reçu le don de la vie de Christ, ils se donnent eux-mêmes pour autrui. Ayant été servis par Christ, ils se font serviteurs de tous. Ayant été accueillis dans leur différence, ils reçoivent et chérissent « l’autre », sans partialité, dans la communauté. Ayant été réconciliés avec Dieu, ils deviennent artisans de paix.

Un des lieux privilégiés dans lequel cette éthique de la croix prend forme, de manière symbolique mais néanmoins réelle, est le culte. Prenons quelques exemples. Rassemblé, le peuple de Dieu forme un corps uni, aimant et réconcilié (Mt 5.23-24), tourné vers la louange de Christ et à l’écoute de sa Parole. Dans ce corps, aucune division sociale, économique, ethnique ou culturelle n’est censée être maintenue : elles n’ont plus aucun sens. Les membres de ce corps ne viennent pas au culte simplement pour leur bien-être et leur édification personnelle, mais aussi et surtout en vue de l’édification commune (1Co 14.26). C’est pourquoi, lors du culte, ils mettent leurs dons spirituels au service de la communauté (1Co 12.4-11 ; Ep 4.11-16). N’étant pas animés par les critères et normes sociales de ce monde, tous se réunissent autour d’une même table pour partager un même repas (1Co 11.17-34). Finalement, connaissant les besoins financiers survenant dans la communauté, ils partagent une partie de leurs revenus pour le bien commun[27].

Bien évidemment, proposer ceci ne signifie pas que l’Eglise, réconciliée en son sein, demeure exclusivement centrée sur elle-même. Ce serait là un contresens fatal. Bien au contraire, la paix qui l’anime ne peut qu’être « débordante », impactant le monde dans lequel elle est appelée à être sel et lumière. Comme Israël était appelé à être une lumière pour les nations, la vie cruciforme de l’Eglise est un signe, un panneau indicateur, révélant au monde une autre manière de vivre sur cette terre. Ainsi, à travers l’Eglise, le monde découvre qu’une paix authentique, même encore imparfaite, est possible. A travers l’Eglise, le monde réalise que l’amour, le service et le don de soi sont plus puissants que l’égoïsme et la violence[28]. A travers l’Eglise, le monde découvre un Dieu compatissant, aimant, voulant être réconcilié avec toute sa création. C’est donc à travers une Eglise cruciforme, conformant sa proclamation et sa vie à celles de Christ, que Dieu continue d’œuvrer pour la réconciliation de toutes choses en lui.

Certes, cette vision peut paraître idyllique, alors que les chrétiens savent tous combien ce combat pour la paix est loin d’être aisé. Cela ne doit pas les surprendre : une Eglise cruciforme ne saurait emprunter un autre chemin que celui du calvaire ! Qu’elle n’oublie cependant pas que le calvaire fut porteur de vie, d’espérance et de paix. Comme Dieu a agi avec force à travers la faiblesse de son Fils sur la croix, il continue d’agir à travers la vulnérabilité, la fragilité et la dépendance de son Eglise.

Conclusion

Le récit biblique de la bonne nouvelle de la réconciliation que j’ai tenté de survoler ci-dessus n’est pas terminé. Les lecteurs de la Bible connaissent, certes, déjà la fin de l’histoire (Ap 7.9-10 ; 21-22), mais l’Eglise est toujours en mouvement, en chemin vers la paix cosmique qu’elle anticipe et qu’elle espère. Actrice au sein de ce grand récit, elle agit, forte de sa connaissance de l’œuvre de Dieu en Jésus-Christ, équipée du Saint-Esprit et désireuse de remplir son rôle d’ambassadrice de la réconciliation. Mais elle remarque qu’aucun script ne lui est fourni, rendant du même coup sa tâche ardue. En effet, les défis de la paix et de la réconciliation sont constamment mouvants, changeants dans notre monde. Les arguments et les solutions d’hier ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui. Face à des situations ô combien complexes, l’Eglise se sent parfois impuissante, interdite devant l’ampleur et la difficulté de la tâche. Face à ce manque, elle ne peut alors qu’improviser, c’est-à-dire être créative tout en se souciant de garder une vraie cohérence d’action au sein du grand mouvement réconciliateur initié par Dieu. Tel un musicien qui improvise dans le cadre d’une base rythmique et mélodique établie, l’Eglise doit, elle aussi, faire preuve d’imagination tout en se référant au cadre narratif de la bonne nouvelle de la réconciliation, annoncée depuis Abraham et portant du fruit dans le monde jusqu’à aujourd’hui. Comme le musicien, c’est la cohérence, la beauté d’ensemble et l’harmonie qu’elle recherche. Or, quoi de mieux pour nourrir sa propre créativité que de considérer et se laisser inspirer par ceux qui l’ont précédée et qui ont fait preuve d’originalité, de beauté d’âme et surtout de fidélité à Jésus-Christ dans leur combat : l’apôtre Paul, bien sûr, mais aussi saint François d’Assise, mère Teresa, Martin Luther King, Desmond Tutu, Jean Vanier… Autant de héros de la réconciliation qu’il vaut la peine de découvrir encore et toujours.


* N. Farelly est professeur associé en Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] C.J.H. Wright, The Mission of God : Unlocking the Bible’s Grand Narrative (Downers Grove, IL, IVP Academic, 2006), 194. Voir également P.D. Miller, « Syntax and Theology in Genesis xii 3a », Vetus Testamentum 34 (1984), 472-75, qui interprète les versets 2-3 comme des subordonnées de conséquence.

[2] Une manière simple de concevoir l’intrigue d’un récit est à travers la triade « Charge, Complication, Résolution ». Ici, Abraham est chargé par Dieu d’être une bénédiction pour toutes les nations, mais nous verrons plus loin que bien des complications sont intervenues pour rendre la réalisation de cette mission difficile, sinon impossible, avant que Dieu lui-même envoie son Fils résoudre notre intrigue. En lui, toutes les nations sont bénies.

[3] Le mot souvent traduit par « homme » (Adam) en Gn 1.26-27 désigne l’humanité : « Ce n’est pas l’individu mais l’humanité tout entière qui a été créée à l’image de Dieu. Ce n’est pas l’individu mais les hommes dans leur ensemble qui reçoivent la mission d’être les administrateurs de la création. » Voir B. Ott, Shalom. Le projet de Dieu. Coll. « Les dossiers de Christ Seul » n° 1-2 (Montbéliard, Editions Mennonites, 2003), 20.

[4] C. Wright, op. cit., 196, analyse correctement le lien entre les chapitres 10 et 11 de la Genèse. Selon lui, ceux-ci sont théologiquement complémentaires et non chronologiquement séquentiels. Sinon, comment comprendre Gn 11.1 (« La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots ») après Gn 10.31 (« Tels furent les fils de Sem selon leurs clans et leurs langues, groupés en pays selon leurs nations ») ?

[5] Ibid., 197.

[6] G. von Rad, La Genèse, trad. E. de Peyer (Genève, Labor et Fides, 1968), 153.

[7] B. Ott, op. cit., 27 : « La paix disparaît de tous les domaines de la vie, l’harmonie vole en éclats. Tout n’est plus ‹très bien›. L’homme court après l’amour et ne trouve que domination et oppression. Il soupire après la communion, mais trouve la guerre. Il a envie de travailler, mais se trouve aux prises avec épines et chardons. Il recherche le progrès et s’éloigne de plus en plus de Dieu. Il aspire à l’unité du monde et le trouve dispersé. »

[8] G. von Rad, op. cit., 153, continue : « Nous sommes donc parvenus à un point où s’engrènent l’histoire des origines et celle du salut, un des sommets de l’A.T. »

[9] R. Bauckham, Bible and Mission : Christian Witness in a Postmodern World (Milton Keynes/Grand Rapids, MI, Paternoster/Baker Academic, 2003), 29-30.

[10] Les autres échos explicites de la promesse d’Abraham se trouvent en Ps 72.17 ; Es 19.24-25 et Za 8.13.

[11] Voir en particulier Ex 19.4-6 ; Es 42.5-7.

[12] Dans l’Ancien Testament, les prophètes n’auront donc de cesse d’adresser des critiques à l’égard d’Israël, tout simplement parce que, malgré les sacrifices, l’injustice continuait de déborder dans la vie sociale. Es 1.11-17 est éloquent sur ce sujet : « Qu’ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices ? dit l’Eternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux. Je ne prends pas plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs. […] Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux. Quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions. Cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé. Faites droit à l’orphelin, défendez la veuve. » (NBS)

[13] Un auteur comme N.T. Wright insiste depuis plusieurs années sur l’importance de prendre en compte le récit d’Israël dans l’étude des évangiles. Voir, en particulier, les deux premiers volumes de son projet de théologie du Nouveau Testament : N.T. Wright, The New Testament and the People of God. Christian Origins and the Question of God, vol. 1 (Minneapolis, MN, Fortress, 1992) ; et Jesus and the Victory of God. Christian Origins and the Question of God, vol. 2 (Minneapolis, MN, Fortress, 1996).

[14] R. Bauckham, op. cit., p. 33, remarque à ce titre que l’évangile selon Matthieu débute la généalogie de Jésus avec Abraham (Mt 1.1-2), et se conclut par l’envoi des disciples en mission pour qu’ils fassent « de toutes les nations des disciples » (Mt 28.19). Il est ainsi le descendant d’Abraham en qui toutes les nations de la terre seront bénies.

[15] De plus, déjà à travers l’Ancien Testament, les actes de salut en faveur d’Israël étaient des signes faisant connaître Dieu à toutes les nations (Ex 18.11 ; Jos 4.24 ; 1R 19.19 ; 2Ch 6.32-33 ; Ez 36.22-23).

[16] Comme l’écrit P. Keller, « Le salut comme réconciliation », in Rédemption et salut. La portée de l’œuvre de Christ pour la vie d’Eglise, pour l’éthique, sous dir. C. Baecher. Coll. Perspectives Anabaptistes (Charols, Excelsis, 2011), 136 : « Avant d’être pensée théologiquement, l’expérience du salut est une expérience concrète de réconciliation. »

[17] Cette liste est une adaptation de celle qui est proposée par C. Wright, op. cit., 310.

[18] Voir P. Keller, op. cit., 140-42.

[19] C. Wright, op. cit., 313.

[20] Comme évoqué précédemment, l’allusion à la promesse de Dieu à Abraham est évidente dans le fameux envoi en mission des disciples en Mt. 28.19 : « Allez, faites de toutes les nations des disciples (…). »

[21] Pour les arguments en faveur de ce lien, voir C.K. Barrett, A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles, vol. 1 (Edinburgh, T&T Clark, 1994), 119 ; G. Chereau, « De Babel à la Pentecôte. Histoire d’une bénédiction », in Nouvelle Revue théologique 122 (2000) : 19-36. Pour une critique de ce lien, qui nous semble pourtant fondamental, voir S.D. Butticaz, L’identité de l’Eglise dans les Actes des Apôtres. De la restauration d’Israël à la conquête universelle (Berlin/New York, NY, de Gruyter, 2011), 93-98.

[22] Ces judéo-chrétiens insistaient avant tout sur l’importance des marqueurs d’identité juive : la circoncision, l’observation du sabbat et la réglementation alimentaire. Paul insistera, lui, sur la foi comme seul « badge » d’appartenance au peuple de Dieu.

[23] P.T. O’Brien, The Letter to the Ephesians, PNTC (Leicester/Grand Rapids, MI, Apollos/Eerdmans, 1999), 108-11.

[24] Selon S.E. Porter, Dictionary of Paul and his Letter, eds. G.F. Hawthorne, R.P. Martin et D.G. Reid  (Downers Grove, IL, InterVarsity, 1993), s.v. Peace, Reconciliation, contrairement à la manière dont est généralement compris ce texte, Paul ne supplie pas, ici, les Corinthiens de se laisser réconcilier avec Dieu, mais exprime bien que cet appel est celui, concerté, de toute l’Eglise envers ceux qui ne sont pas encore réconciliés avec Dieu (686).

[25] L’engagement du Cap. Une confession de foi et un appel à l’action. Mouvement de Lausanne (Marpent, BLF Europe, 2011), 56-63, est sur ce point exemplaire de clarté et de synthèse. Sur la base de la paix réalisée par Christ, il appelle l’Eglise à s’impliquer pour la paix dans les conflits ethniques, en faveur des victimes de la pauvreté et de l’oppression, envers les personnes handicapées et celles vivant avec le VIH, et dans le domaine de la protection de l’environnement. Voir également le très beau livre d’E. Katongole & C. Rice, Reconciling All Things. A Christian Vision for Justice, Peace and Healing (Downers Grove, InterVarsity, 2008).

[26] Sur le concept de « cruciformité » chez Paul, voir M.J. Gorman, Cruciformity : Paul’s Narrative Spirituality of the Cross (Grand Rapids, MI, Eerdmans, 2001).

[27] On pourrait ajouter à cette liste le fameux « baiser de la paix » ou « baiser fraternel » (Rm 16.16 ; 2Co 13.12 ; 1Th 5.26 ; 1P 5.14), qui n’est plus guère pratiqué aujourd’hui. Sur ce point, voir N. Blough, « Le culte comme rite de réconciliation », Cahiers de l’Ecole pastorale 75 (2010) : 23.

[28] L’Eglise, malheureusement, a très souvent eu du mal avec cette idée (e.g., les croisades, les guerres de religions, mais aussi aujourd’hui un certain fondamentalisme chrétien, haineux et violent).

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