Entre l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie : la philosophie des soins palliatifs

Entre l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie :

la philosophie des soins palliatifs

Françoise JAULMES*

Je limiterai mon propos à ce que mon témoignage de médecin peut être pour parler de la fin de vie et des soins palliatifs. Je souhaite me situer dans le domaine qui était le mien: l’exercice auprès de malades graves en fin de vie, souffrant de cancers évolués et atteints de symptomatologies diverses souvent très invalidantes (douleur, escarres, troubles digestifs). Je souhaite, ainsi que je le fais habituellement, parler de la fin de vie dans un propos idéologiquement neutre, pouvant s’adresser à tous les hommes puisque, d’une part, tel est le rôle du médecin et que, d’autre part, notre foi chrétienne nous amène, elle aussi, à être comme le bon Samaritain, présent auprès de celui qui souffre, cherchant à le soulager, avant de discourir sur la vie, la mort et autres sujets, importants certes, mais qui risquent de n’être pas en adéquation avec la demande immédiate de celui qui est devant nous.

1. Questions d’éthique

Toute interrogation sur la fin de vie nous amène à préciser nos pensées et nos options sur la vie, la mort, l’homme: un important programme que nous ne pourrons qu’effleurer tant il est vaste et complexe, et dont nous tirerons probablement plus de questions que de réponses.

Les modifications des mentalités de notre société, la remise en question des idéologies traditionnelles, les progrès de la réanimation, de la médecine en général ont modifié la perception plus ou moins élaborée et consciente que nous avons de la vie et de la mort.

La vie, oui, mais laquelle?

La vie, qu’est-ce que c’est pour chacun de nous? Un phénomène strictement biologique, fragile et périssable, les relations entre des systèmes moléculaires plus ou moins complexes mais dépourvus de tout avenir? Est-ce la possibilité de manifester notre autonomie, notre créativité, nos capacités intellectuelles, physiques, affectives, la possibilité propre à l’espèce humaine de manipuler des concepts, d’exprimer notre sens moral tout au long de notre séjour terrestre?

Et si la maladie et/ou l’âge modifient ses capacités, ses qualités, son autorité, sa vie psychique, l’homme sera-t-il donc dévalué? Ou saura-t-il plutôt vivre jusqu’au bout du temps qui lui est donné et apprendre à vivre avec une autonomie diminuée, des capacités en train de diminuer avec l’âge, la maladie, et croire que tout âge a des possibilités différentes, mais toujours une richesse propre à chaque période de l’existence?

Une certaine qualité de la vie

Nous sommes souvent amenés à évoquer la notion de qualité de vie: cette qualité est-elle intrinsèque à l’identité même de l’individu homme, est-elle conditionnée par l’autonomie et les possibilités d’action plus ou moins amenuisées, par l’altération de l’aspect même de l’individu que nous voyons?

Pouvons-nous dire de l’autre que sa vie est inutile, sans intérêt? Quels critères utiliserons-nous pour évaluer ce qui, dans la vie de celui qui termine ses jours, est encore valable? Sommes-nous en droit d’utiliser nos propres critères de qualité de vie, alors que nous sommes debout, en pleine santé? N’oublions pas que c’est le malade qui est concerné et que lui seul peut ressentir et exprimer ce qu’il appelle qualité de vie!

Et la mort?

La mort est-elle la fin de tout, de la vie biologique, de la vie relationnelle, affective, intellectuelle, le passage vers le néant, ou le début d’une vie au-delà? Chacun de nous a une réponse personnelle, un ressenti différent.

De quelques réflexions non exhaustives sur ces thèmes découle la vision que nous avons de l’homme, un être nanti d’organes multiples et complexes, mais aussi un être pensant, responsable de ses gestes et de ses pensées, un être en relation avec les autres et, pour le chrétien, avec son Dieu. Un être corps, âme et esprit.

Que de questions!

Voilà beaucoup de questions pour ceux qui approchent de la fin de leur vie et pour ceux qui les entourent. Les choix que nous faisons ou que nous ferons, en tant que malades ou en tant que soignants, sont directement conditionnés par la réflexion que nous avons sur ces thèmes, éventuellement à la lumière de la foi ou d’une morale inspirée d’une religion. Alors se pose le choix entre les options que le titre de cet exposé nous propose: euthanasie, acharnement, soins palliatifs.

2. Des mots pour s’entendre

Précisons, d’abord, le sens que nous donnerons à ces mots, tant il est fréquent que les querelles sont amenées par l’absence de consensus sur les mots eux-mêmes et, pour cette raison, sont souvent conflictuelles et restent stériles.

L’acharnement

L’acharnement thérapeutique est une notion difficile à définir, non que l’accord ne puisse se faire entre soignants sur le moment où l’efficacité d’un traitement devient nulle, mais parce que l’évolution de la médecine amène à considérer comme curables des affections et des symptômes qui ne l’étaient pas du tout autrefois. C’est donc une notion variable dans le temps, avec les nouvelles acquisitions thérapeutiques. Il ne faut pas oublier que c’est bien parce que certains se sont « acharnés » pour sauver des malades graves jusque-là incurables que de nombreuses maladies peuvent actuellement être soignées avec succès: par exemple, les maladies hématologiques, les cas graves de réanimation.

Bien sûr, il y a des cas où cet acharnement est tout à fait injustifié: une personne atteinte de cancer très évolué, résistant à toutes les chimiothérapies, ne peut raisonnablement pas continuer à recevoir ces traitements lourds: c’est bien ainsi que le code de déontologie médicale s’exprime: « Le médecin doit… éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations et la thérapeutique. » (Article 37 du code 1995.)

L’euthanasie

Le mot « euthanasie », bien sûr, prend lui aussi des sens divers dans l’esprit de nos proches: quelle peut être une « bonne mort », puisque telle est l’étymologie de ce mot? Nos ancêtres redoutaient la mort brutale qui arrive sans laisser le temps de se préparer; aujourd’hui, la mort nous fait si peur que beaucoup souhaitent (bien avant l’échéance!) mourir sans s’en apercevoir, très brutalement ou dans le sommeil. La mort annoncée par une maladie grave au pronostic inéluctable est plus difficile à accepter a priori, d’autant plus que la douleur et la déchéance sont souvent présentes dans ces cas; peut-être est-ce cela qui fait le plus peur?

Alors l’homme voudrait bien contrôler aussi sa mort, afin de mourir dans des conditions aussi « confortables » que possible, au moment choisi, en fonction des besoins et des disponibilités de toute la famille; pourquoi pas, puisque les médecins ont à leur disposition les moyens utiles? Ainsi, se dessine l’idée d’une « bonne mort », contrôlée, sans douleur ni déchéance. Mais nous voyons apparaître là le désir de toute-puissance de l’homme, « homme-dieu » capable de tout contrôler de ce monde, même sa propre mort.

Oui, mais… qui peut savoir quand sera ce moment choisi? Tous les intervenants auprès du malade seront-ils sûrs qu’il veut vraiment mourir, qu’il a bien terminé ce qu’il avait à faire ici-bas? Aussi faut-il, avant de répondre à la demande d’euthanasie, analyser quelle est la vraie demande de ce malade qui réclame la mort: ceux qui voient beaucoup de personnes en fin de vie savent bien que cette demande est le plus souvent un appel à être écouté, à être entouré par les siens et leur affection, à ne pas souffrir physiquement (et là les médecins sont responsables de la prise en charge de la douleur et des autres symptômes) et psychologiquement dans ce moment où tous les repères de vie s’échappent, où la solitude s’accroît face à cette expérience unique et totalement personnelle de la mort et du face-à-face avec un inconnu inquiétant, où la vie n’appartient plus à l’individu.

Aussi est-il indispensable de ne pas prendre la demande de mort au premier degré, mais bien, après s’être assuré que tous les soins prescrits sont correctement réalisés (c’est la condition pour que la relation puisse s’établir), d’écouter le malade, d’entendre sa souffrance et son angoisse et de lui laisser la possibilité de parler librement de ce qu’il ne peut pas confier à ses proches, bref, de l’accompagner au meilleur sens du terme.

« Euthanasier » quelqu’un, c’est s’arroger le droit de mort sur ceux qui nous entourent, ceux qui nous confient leur corps, leur vie: pouvons-nous à ce point mépriser la confiance qu’ils nous ont donnée que nous la trahissions en nous octroyant ce pouvoir monstrueux et en interrompant la relation qui nous lie à eux? D’autre part, il faut bien penser que l’acte euthanasique met en jeu la responsabilité de celui qui exécute la demande du malade: que ce soit un membre de la famille ou un soignant, il ne lui est pas possible de réaliser cet acte sans que la culpabilité ne l’atteigne, tôt ou tard, mais de façon certaine.

3. Un peu de déontologie

Le code de déontologie médicale affirme dès l’article 2 que « le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ». Il ajoute, à l’article 38, que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. » Tout est dit dans ces deux articles, et pourtant…

4. Un peu d’histoire…

Lorsque Mme Cicely Saunders, dans les années 1960, a pris conscience de la souffrance méconnue des malades atteints de pathologie grave et surtout de cancer, souffrance physique mais aussi psychologique et spirituelle, elle s’est battue pour que cette situation soit prise en compte; le St. Christopher Hospital est l’aboutissement de sa démarche. Son but était de prendre globalement en charge les patients, médicalement, mais aussi dans le domaine relationnel et spirituel; le St. Christopher Hospital était un établissement confessionnel, comme la plupart des établissements de ce genre à l’époque.

Dans le domaine médical, elle a pu promouvoir l’utilisation de la morphine pour le traitement de la douleur. Après bien des réticences, en France en particulier, où la morphine a longtemps eu une image mortifère de médicament de l’extrême fin de la vie, le traitement de la douleur par les dérivés de la morphine et les soins palliatifs a trouvé droit de cité. Actuellement, de nombreuses unités de soins palliatifs ont vu le jour, tant en unités d’hospitalisation qu’en unités mobiles d’équipes de consultants venant aider les équipes soignantes dans leurs difficultés et leurs angoisses.

Soins curatifs, soins palliatifs

Comment se déterminent les critères qui vont permettre de reconnaître le stade de la maladie où le patient sera considéré comme étant en fin de vie et donc, potentiellement, bénéficiaire de « soins palliatifs »? Le passage entre soins curatifs et soins palliatifs n’est pas une limite stricte, brutale entre deux conceptions des soins: lorsque les traitements curatifs n’ont plus d’efficacité même si on a tenté tous ceux qui sont à disposition, lorsque les effets secondaires sont très largement prépondérants face aux effets thérapeutiques, la poursuite de tels traitements ne se justifie plus (sauf pour donner au médecin l’impression qu’il accomplit un « devoir de soigner » jusqu’au bout!). La mise en place de traitements de confort ne devrait pas attendre l’arrêt des traitements curatifs, car nombreux sont les symptômes désagréables, douloureux, dès le début de la maladie cancéreuse en particulier: éviter les nausées, la douleur, l’angoisse… est nécessaire d’emblée. Donc, le passage aux soins palliatifs devrait se faire progressivement, sans rupture brutale.

Le terme de soins palliatifs est directement transcrit de l’anglais et paraît mal adapté en français; palliare, cacher, mettre sous un manteau (pallium)… Certains, dans les pays francophones, préfèrent l’expression « soins continus » ou « soins de confort », ces deux mots soulignant bien les impératifs premiers de ce type de soins.

Les soins palliatifs

Quand on parle de soins palliatifs, on sait que cette période ne comportera pas de traitements à visée curative, mais seulement les soins nécessaires au confort du malade: il s’agit alors bien de soins actifs, adaptés à l’état du malade, de soins de qualité, car le confort ne se contente pas d’à peu près, de soins précis précédés par une réflexion en équipe dont le but est d’évaluer les besoins du malade, les signes les plus invalidants ou gênants, afin de les traiter efficacement sans accentuer la souffrance du malade.

On peut être surpris du développement des soins palliatifs: assurer le confort du malade, rester présent auprès de lui jusqu’à la fin, n’est-ce pas là une attitude normale du médecin et de l’entourage? N’est-ce pas ainsi que nos anciens pratiquaient à une époque où les familles entouraient leur parent en fin de vie et acceptaient la mort comme un moment de la vie, alors que les moyens thérapeutiques n’étaient pas très développés? Certes, cette attente vis-à-vis du médecin d’une présence attentive reste toujours la même, mais le développement des techniques a, en grande partie, fait passer au second plan ce souci de l’individu malade au profit de la prise en charge de ses organes malades. Il est difficile, dans le mode d’exercice actuel de la médecine, de trouver la disponibilité en temps et en énergie pour concilier ces deux attitudes; et cela est préjudiciable tant pour le confort du malade que pour l’efficacité du traitement puisqu’un malade qui ne souffre pas et qui se sent écouté supporte mieux ses traitements.

Si le rôle premier du médecin est de soigner et si possible de guérir, la médecine a des limites et les connaissances médicales même les plus élaborées nous laissent parfois impuissants devant l’évolution de la maladie. Maimonide priait dans son serment: « Ecarte de moi, ô Dieu, l’idée que je puis tout! » La première réaction devant cette impuissance est bien évidemment la révolte, le sentiment d’échec et d’incompétence, la culpabilité. Mais pratiquer la médecine oblige chaque médecin à prendre conscience de ses limites et à les accepter sans se culpabiliser. C’est le seul impératif s’il veut poursuivre jusqu’au bout son engagement à l’égard du malade: poursuivre présence et relation même dans les pires des cas.

5. Une philosophie

Des principes communs

Les principes de base des soins palliatifs sont similaires dans la plupart des équipes, qui travaillent toutes dans le même état d’esprit. La « philosophie des soins palliatifs » peut s’exprimer dans diverses formules et les mouvements de soins palliatifs ont établi des chartes qui énoncent les principes de leur travail de façon équivalente. Le ministère de la Santé du Canada définit les soins palliatifs comme « des programmes ou des services visant à soigner des malades pour lesquels les traitements destinés à les guérir ou à prolonger leur vie ne sont plus d’aucune utilité, mais pour lesquels l’amélioration de la qualité de la vie qu’il leur reste à vivre constitue l’objectif principal. Les soins palliatifs offrent des services thérapeutiques conçus pour répondre aux besoins physiques, psychosociaux et spirituels des patients incurables et de leurs familles. »

Ces chartes sont toutes attachées à quelques principes essentiels: le respect de l’homme, dans toutes ses dimensions, la poursuite sans relâche de la relation, même difficile, quand la mort se rapproche, le respect de la vie non comme une valeur biologique, mais comme une valeur en soi, une réalité dont la durée nous échappe, mais dont la qualité dépend en grande partie de la rigueur des soins et de la capacité relationnelle de chaque membre de l’équipe soignante. Toute l’action de cette équipe est centrée sur le malade, son intérêt. C’est dire aussi que la famille, pour importante qu’elle soit dans l’entourage du malade et pour l’équipe de soins, doit elle aussi se plier à cette prépondérance du malade.

Respecter: qui? comment?

Respecter le malade, qu’est-ce? Le malade en fin de vie est souvent transformé par la maladie tant au plan physique qu’au plan affectif, intellectuel: la maladie altère son aspect physique, entraînant des déformations du visage, des modifications du corps (amputations, sondes, plaies plus ou moins faciles à masquer, odeurs désagréables…) qui peuvent déjà être un obstacle à la relation, surtout pour la famille, qui ne retrouve pas dans la personne alitée devant elle celui qu’elle aime. Les modifications psychologiques sont assez fréquentes, elles aussi: troubles de l’idéation, de la mémoire, agressivité ou apathie. Bref, tout fait que l’image de ce membre de la famille atteint par une maladie grave est complètement transformée, son rôle familial est amoindri, les relations familiales sont perturbées par le changement de rôles de chaque membre de la famille: le père perd son image de chef de famille, qu’il cède à son épouse…

A travers toutes ces perturbations, la personne malade reste cependant la même, elle est toujours un être humain, totalement humain, capable de penser, de décider, même si des circonstances ponctuelles l’en empêchent. C’est redire que la dignité de chacun se retrouve non pas dans ses capacités brillantes, son utilité sociale et familiale, mais dans sa nature même d’homme libre et égal à tous les autres, comme le dit la Déclaration universelle des droits de l’homme. La tendance maternante devant quelqu’un d’affaibli, qui a besoin de l’aide et de la présence des autres, famille ou soignants, est spontanée; néanmoins, elle ne permet pas au malade, écouté, informé, de rester lui-même, de garder son pouvoir de décision, d’exprimer ses choix de vie, ses convictions les plus profondes.

Aller au-delà de l’image de cet être transformé, à l’aspect parfois peu engageant, pour se rappeler que cette personne a été un homme comme les autres et qu’il le reste, telle est l’attitude de « respect » que l’exercice de la médecine impose.

6. Une pratique

Pour parvenir à ce but, un certain nombre d’impératifs sont à respecter afin de permettre au malade d’exprimer les besoins fondamentaux qui sont importants pour lui et de vivre au mieux le temps qui lui reste.

L’équipe pluridisciplinaire

Elle est composée de tous ceux qui sont amenés à rencontrer le malade, et il est important que tous travaillent dans le même esprit, avec le même souci du malade, avec une cohérence de leurs actions et de leurs attitudes.

Le respect de ce corps malade

Le traitement des symptômes sera aussi efficace que possible, mais sans entraîner de gêne ni de douleur pour le malade: chaque examen, prise de sang, radiographie…, ne se justifie que par une nécessité absolue pour adapter le traitement, et non pour avoir une imagerie intéressante mais sans conséquence sur le traitement.

Les symptômes ne sont traités que s’ils entraînent un inconfort pour le malade: une anémie ne sera traitée que si elle entraîne une gêne respiratoire (ce qui est totalement opposé à l’attitude de la médecine traditionnelle!).

Les pansements seront effectués avec le maximum de délicatesse, sous traitement antalgique si utile, afin d’éviter toute souffrance supplémentaire et inutile. Tous les soins et examens seront effectués en respectant l’intimité du malade, de son corps.

La discrétion la plus grande est elle aussi indispensable.

La relation avec le malade est primordiale

Le malade est souvent angoissé, inquiet sur son avenir; l’expression de ces sentiments est facilitée par une attitude d’écoute permanente et sincère des soignants et des autres intervenants. S’il le souhaite, il doit pouvoir dire sa peur, sa révolte, ses angoisses, son attente pour aujourd’hui et pour demain, ses aspirations spirituelles, sa foi, sans ressentir une quelconque forme de jugement ou de pression de la part de l’écoutant, qui reste toujours totalement neutre.

Dans cette relation avec le malade, plusieurs personnes sont impliquées: parce que tous ceux qui interviennent ont l’occasion d’« entrer en relation » avec lui, l’offre est nombreuse, parfois même envahissante. A lui de désigner son interlocuteur privilégié, sans que cela induise vexation ou regret de la part de ceux qui l’entourent. Médecins, infirmiers, aides-soignants et agents d’entretien, psychologues, kinésithérapeutes… tous travaillent avec le même état d’esprit dans leur approche du malade et de sa famille. Il en est de même pour les bénévoles, dont le rôle est très important, en apportant un autre mode de relation, détaché des obligations des soignants, sans blouse blanche, une présence du monde extérieur, donc dans une relation beaucoup moins asymétrique et de dépendance qu’avec les soignants. Une formation spécifique leur permet de pouvoir écouter, d’être présents dans la discrétion, bref d’« accompagner ».

La caractéristique essentielle de la relation est la sincérité de chacun. Et, dans cette sincérité, il faut bien introduire l’information du malade: « dire la vérité » ne me paraît pas adéquat, car cette information ne saurait se donner d’un seul bloc, être « assénée » au malade, mais plutôt introduite peu à peu. Le dialogue sincère avec le malade doit lui permettre de se forger sa propre « vérité »: celle qu’il est capable d’entendre, de vivre aujourd’hui. A partir de ses questions, des réponses ou des silences du médecin, il constituera peu à peu une représentation de son avenir en fonction de ses besoins, de ses choix de vie, de ses croyances ou de ses options philosophiques. Même si le médecin veille à ce que le malade perçoive si possible l’essentiel de l’information, seul le patient peut choisir ce qu’il veut et surtout ce qu’il peut en retenir. Informer le malade, c’est vouloir faire avec lui le long chemin de l’acceptation d’une fin prochaine, c’est souvent passer de grands moments de paroles ou de silences pour que ce cheminement se fasse dans le cœur de l’intéressé, qui n’est pas spontanément apte à recevoir et surtout à comprendre, à tout moment, une telle information.

7. Et la famille?

Nous avons beaucoup parlé de la relation avec le malade, mais il faut aussi s’attacher à écouter et à accompagner la famille, qui souffre de l’évolution inéluctable de la maladie, de la dégradation progressive du patient aux prises avec des difficultés matérielles. Le personnel de l’équipe, les bénévoles sont amenés à donner une grande partie de leur temps à l’écoute et au soutien de la famille.

Conclusion

Les soins palliatifs, « ce qu’il reste à faire lorsqu’on croit qu’il n’y a plus rien à faire », comme le disait Thérèse Vannier, ont donc pour but essentiel d’assurer toujours le confort et le respect du malade, sans chercher à prolonger la vie à tout prix: « donner de la vie aux jours et non donner des jours à la vie ».

Pour résumer ce propos, je dirai que les soins palliatifs ne sont pas, comme on le dit souvent, une alternative à l’euthanasie, mais une approche différente de la maladie et du malade, un choix éthique qui nécessite, de la part de ceux qui s’y engagent, réflexion, disponibilité, tendresse pour le malade, bref, toutes les qualités qu’on est en droit d’attendre d’un soignant qui considère son métier comme un métier à part, puisqu’il s’adresse à l’homme dans sa totalité.

* F. Jaulmes est médecin, présidente de l’APREM (Association protestante de recherche en éthique médicale).

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