Chapitre 10. De la prédestination de Dieu et de l’élection des saints
1. Dieu, de toute éternité, a prédestiné ou élu librement, par pure grâce, et sans faire acception de personnes, les saints qu’il veut sauver en Christ. Selon les dires de l’apôtre: En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde1. Et de même: C’est lui qui nous a sauvés et nous a adressé un saint appel, non à cause de nos œuvres, mais à cause de son propre dessein et de la grâce qui nous a été donnée en Christ-Jésus, avant les temps éternels. Cette grâce a été manifestée maintenant par l’apparition de notre Sauveur Christ-Jésus2.
2. Dieu ne nous a donc pas élus sans un moyen précis, bien que ce soit sans aucun mérite de notre part. En effet, c’est en Christ et à cause du Christ qu’il nous a élus, en sorte que ceux qui sont maintenant greffés au Christ par la foi sont eux-mêmes les élus de Dieu. Par contre, ceux qui sont en dehors du Christ sont réprouvés, suivant l’affirmation de l’apôtre: Examinez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus-Christ est en vous? A moins peut-être que vous ne soyez réprouvés3.
3. Enfin, les saints sont élus en Christ par Dieu dans un but précis, que l’apôtre expose en disant: En lui, Dieu nous a élus pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a prédestinés par Jésus-Christ à être adoptés, selon le dessein bienveillant de sa volonté, pour célébrer la gloire de sa grâce4.
4. Bien que Dieu seul connaisse ceux qui lui appartiennent et qu’il soit fait mention ici et là du petit nombre des élus, il nous faut toutefois bien espérer pour tous, et ne pas compter témérairement quiconque parmi les réprouvés. Assurément, Paul dit aux Philippiens (en parlant de toute l’Eglise de Philippes): Je rends grâces à mon Dieu à cause de votre communion dans l’Evangile. Je suis persuadé que celui qui a commencé en vous une œuvre bonne, en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour du Christ-Jésus. Il est juste que j’aie pour vous de telles pensées, etc.5
5. Et lorsqu’on interrogea le Seigneur pour savoir s’il n’y avait que peu de gens qui soient sauvés, il n’a pas répondu en disant que peu ou beaucoup seraient sauvés ou perdus; mais il a exhorté chacun à s’efforcer d’entrer par la porte étroite6. C’est comme s’il avait dit: ce n’est pas à vous de vous enquérir indiscrètement de ces choses, mais de chercher à entrer au ciel par le droit chemin.
6. Nous n’approuvons donc pas les discours impies de certains, qui disent: « Il y a peu d’élus, et puisque je ne sais pas si je suis de ce petit nombre, je ne vais pas renoncer à mes désirs. » D’autres disent: « Si je suis prédestiné ou élu de Dieu, rien ne peut m’empêcher de parvenir au salut qui m’est certainement accordé, quoi que je fasse. Par contre, si je suis du nombre des réprouvés, ni la foi ni la repentance ne me serviront de rien, vu que le décret de Dieu ne saurait être modifié. Les enseignements et avertissements sont donc inutiles. » Or, au sujet de telles personnes, l’affirmation de l’apôtre est bien à propos: Il ne faut pas que le serviteur du Seigneur ait des querelles. Il doit au contraire être affable envers tous, avoir le don d’enseigner et de supporter; il doit redresser avec douceur les contradicteurs, dans l’espoir que Dieu leur donnera la repentance, pour arriver à la connaissance de la vérité, pour revenir à leur bon sens et pour se dégager des pièges du diable qui les a capturés, afin de les soumettre à sa volonté7.
7. D’ailleurs, Augustin enseigne qu’il faut prêcher, non seulement l’élection gratuite et la prédestination, mais aussi les avertissements et les doctrines salutaires8. Nous désapprouvons donc ceux qui s’interrogent en dehors du Christ pour savoir s’ils sont élus, ou ce que Dieu, de toute éternité, a décrété à leur sujet.
8. En effet, il faut écouter la prédication de l’Evangile et y croire. Tiens comme assuré que si tu crois et si tu es en Christ, tu es élu. Car le Père a clairement manifesté son décret éternel de prédestination en Christ, comme nous l’avons montré par l’exposé de l’apôtre9. Il nous faut donc enseigner et considérer, avant toute autre chose, à quel point est grand cet amour que le Père nous a révélé en Christ. Nous devons écouter ce que le Seigneur lui-même nous déclare jour après jour par l’Evangile, quand il nous appelle et dit: Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos10. Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle11. Et encore: Ce n’est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu’il se perde un seul de ces petits12.
9. Que le Christ soit donc un miroir dans lequel nous contemplons notre prédestination. Nous aurons un témoignage des plus évidents et des plus assurés que nos noms sont inscrits dans le livre de vie si nous avons communion avec le Christ et que, par une vraie foi, il soit à nous et nous à lui. Dans la tentation de douter de notre élection — tentation qui est, de toutes, la plus dangereuse —, que nous nous réconfortions, sachant que les promesses de Dieu sont pour tous les fidèles en général, vu que lui-même dit: Demandez, et l’on vous donnera. Car quiconque demande, reçoit13.
10. Souvenons-nous, enfin, que nous prions avec l’Eglise universelle de Dieu « Notre Père qui es aux cieux », que dans notre baptême nous avons été greffés au corps du Christ, et que nous sommes souvent nourris dans l’Eglise de sa chair et de son sang en vue de la vie éternelle. Et étant ainsi affermis, nous sommes appelés, selon le commandement de Paul, à travailler à notre salut avec crainte et tremblement14.
1 Ep 1:4.
2 2 Tm 1:9-10.
3 2 Co 13:5.
4 Ep 1:4-6.
5 Ph 1:3-7.
6 Lc 13:23-24.
7 2 Tm 2:24-26.
8 De Bono Perseverantiae, chap. 14ss.
9 2 Tm 1:9-10.
10 Mt 11:28.
11 Jn 3:16.
12 Mt 18:14.
13 Lc 11:9-10.
14 Ph 2:12.