Dieu, un et pluriel[1]
Pierre COURTHIAL
A la question : « Puisqu’il n’y a qu’une seule Essence divine (un seul Etre divin), pourquoi parles-tu du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? », le Catéchisme de Heidelberg (1563) répond : « Parce que Dieu s’est révélé de telle manière dans sa Parole que ces trois Personnes distinctes sont le seul Dieu vrai et éternel. »
Et la Confession de foi des Eglises réformée en France (1559) précise : « Cette Ecriture Sainte nous enseigne qu’en cette seule et simple Essence divine que nous avons confessée il y a trois Personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; le Père première cause, principe et origine de toutes choses ; le Fils, sa Parole et Sagesse éternelle ; le Saint-Esprit, sa force, puissance et efficace ; le Fils éternellement engendré du Père ; le Saint-Esprit procédant éternellement de tous deux ; les trois Personnes non confondues mais distinctes, et toutefois non divisées mais d’une même essence, éternité, puissance et égalité. Nous acceptons donc sur ce point ce qui a été déterminé par les Conciles anciens et repoussons toutes sectes et hérésies qui ont été rejetées par les saints docteurs comme saint Hilaire, saint Athanase, saint Ambroise et saint Cyrille. »
I
L’Eglise n’a confessé et ne confesse la Trinité des Personnes divines dans l’unité et la simplicité absolues de l’Essence de Dieu que « parce que Dieu s’est révélé de telle manière dans sa Parole », que parce que « l’Ecriture Sainte nous enseigne » ainsi. C’est parce que l’Eglise, « colonne et appui de la Vérité » (1Tm 3.15), a fidèlement écouté, suivi, la Parole de Dieu sûre et certaine qu’est l’Ecriture Sainte qu’elle a dit sa foi en la Trinité. C’est parce qu’elle a cru humblement ce que Dieu révèle de Lui-même dans sa Parole qu’elle a ainsi parlé.
Et si le mot « Trinité » ne se trouve nulle part dans la Sainte Ecriture, son contenu de sens, tel qu’il a été explicité tant dans les Confessions de foi œcuméniques des premiers siècles que dans celles de la Réformation, est rigoureusement scripturaire.
L’Eglise fidèle à la Parole de Dieu ne croit pas en un Dieu inconnaissable et inconnu dont alors elle ne pourrait et ne devrait rien dire. Elle croit en Celui qui se fait réellement connaître (bien qu’en partie seulement bien sûr ! et non pas exhaustivement !). Si les hommes sont inexcusables de ne pas « voir » la puissance éternelle et la divinité de Dieu en considérant ses œuvres (Rm 1.18ss), ce Dieu qu’ils n’ont pas glorifié et voulu servir et qui est « une seule et simple Essence spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible, ineffable, qui peut toutes choses, qui est toute sage, toute bonne, toute juste et toute miséricorde » (Confession de foi de 1559, art. 1), s’est plus clairement encore révélé par la Parole qui nous enseigne non seulement Ses « traits de caractère » – Ses « vertus » (1P 2.9) – et Ses œuvres de création et de salut, mais la distinction réelle et les inter-relations, en Lui, des Personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Certes, Dieu est incompréhensible, c’est-à-dire qu’Il dépasse infiniment ce que nous pouvons connaître de Lui par notre intelligence, même régénérée, mais tout ce qu’Il nous dit de Lui par Sa Parole est intelligible.
Une doctrine chrétienne comme celle de la Trinité ne vise pas à expliquer (et ne risque pas d’expliquer !) l’inexplicable mais s’efforce d’exposer, le plus fidèlement et le plus intelligemment possible, ce que Dieu dit par l’Ecriture Sainte.
II
L’Ancien Testament souligne avec force l’unité, l’unicité et la simplicité de Dieu. C’est ce que résume l’affirmation lapidaire : « Ecoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est UN ! » (Dt 6.4) et cependant, dès les premières pages de la Genèse, le même Ancien Testament nous parle de ce Dieu UN comme étant aussi PLURIEL (1.26-27, 3.22, 11.7). Les théophanies dans lesquelles apparaît le mystérieux « Ange du Seigneur » sont particulièrement significatives à cet égard (par exemple Gn 22.11-16, 31.11-16; Ex 3.1-16; Jg 13.20-22). En certains passages, Dieu converse avec un autre Lui-même (Ps 45.7-8; Os 1.7). D’autres passages ont une orientation trinitaire : Gn 18; Ps 33.6, 147.18; Es 61.1 et 63.9-12, par exemple.
Mais c’est le Nouveau Testament qui va pleinement révéler que l’aspect PLURIEL du Dieu UN tient à la distinction des trois Personnes éternelles du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Cette pleine révélation coïncide avec le temps – une fois pour toutes dans l’histoire ! – de l’Incarnation du Fils et de l’Effusion du Saint-Esprit qui est aussi le temps de l’enseignement donné par Jésus et le cercle des Apôtres (12 + 1) choisis par Lui.
L’effusion du Saint-Esprit a pleinement révélé, pour le cercle apostolique, et, par les Ecrits inspirés de ce cercle apostolique, pour l’Eglise fidèle de tous les siècles, l’œuvre trinitaire de création et de salut afin que le Nom (singulier) du Père, du Fils et du Saint-Esprit (pluriel) soit connu, glorifié, adoré, proclamé.
Au cœur de l’histoire du monde créé, l’Incarnation manifeste avec évidence l’œuvre souveraine de la Trinité :
– lors de la conception du Christ, le Père donne le Fils (Jn 3.16), le Fils descend du ciel (Jn 6.38), c’est de l’Esprit Saint que vient l’enfant en la vierge Marie (Lc 1.35; Mt 1.20);
– lors du baptême, Jésus est oint par l’Esprit Saint et proclamé être le Fils par la voix du Père Lui-Même (Mt 3.16-17 ; Lc 3.22; Mc 1.10-11) ;
– au long de son ministère, le Fils fait ce que le Père lui a montré (Jn 5.20) et dit ce qu’Il a vu chez son Père (Jn 8.38), et c’est par l’Esprit (Mt 12.28) ;
– lors de son sacrifice sur la croix, c’est à Dieu qu’Il s’offre lui-même, par l’Esprit éternel (Hé 9.14) ;
– lors de sa résurrection, c’est Dieu qui Le ressuscite (Ac 2.24) et c’est Lui, Fils de Dieu, qui ressuscite avec puissance selon l’Esprit de sainteté (Rm 1.3).
III
Le Fils est éternel, comme le Père avec lequel Il est UN (Jn 10.30).
Il était au commencement avec Dieu, Il était en condition de Dieu ; Il était égal à Dieu; Il partageait la gloire de Dieu; il était rayonnement de la gloire et expression de l’être de Dieu; Il était Dieu (Jn 1.1 ; Ph 2.6 ; Jn 17.5 ; Hé 1.3). Avec Dieu, Il a créé l’univers (Jn 17.9-10, 23ss ; 1Co 1.30).
L’Esprit Saint est éternel comme le Père et le Fils avec lesquels Il est UN (Hé 9.14; Ac 5.3-4 ; 1Co 3.16 ; Lc 2.26 ; 1Co 12.4-6).
Il était au commencement avec Dieu (Gn 1.2). Il sonde toutes choses, même les profondeurs de Dieu (1Co 2.10). Il ne faut ni L’attrister (Ep 4.30), ni L’outrager (Hé 4.29). Il n’est pire péché – impardonnable! – que de blasphémer contre Lui (Mt 12.31-32).
De même que le Fils ne fait rien et de dit rien de Lui-même, mais reçoit tout du Père (Jn 5.26, 16.15), l’Esprit reçoit tout du Fils (Jn 16.13-14).
De même que le Fils témoigne du Père et Le glorifie (Jn 1.18, 17.4-6), l’Eprit Saint témoigne du Fils et le glorifie (Jn 15.26, 16.14).
C’est par l’Esprit Saint que les fidèles sont en communion avec le Père et le Fils (1 Jn 1.3; Ph 2.1). Et c’est dans l’Esprit Saint que le Père habite, par le Fils, en leurs cœurs (1 Jn 4.13, 16 ; Jn 14.16-17 ; Rm 5.5 ; 2Co 1.21-22 ; Ga 4.6 ; Ep 3.14-17).
Ainsi la Trinité des personnes éternelles du Père, du Fils et du Saint-Esprit est-elle au cœur, au centre, au fondement, à la source de la foi et de la vie de l’Eglise et des chrétiens fidèles.
IV
Si, dès le temps apostolique, les chrétiens fidèles ont cru tout à la fois en l’unique Dieu et en la divinité du Père, en celle du Fils et en celle du Saint-Esprit, sans pour cela les confondre ni les séparer – le Nouveau Testament en porte témoignage –, ce n’est que peu à peu, à la lumière et sur le fondement de la Parole de Dieu et sous la conduite de l’Esprit Saint, que l’Eglise, ayant à combattre de mortelles hérésies au fur et à mesure qu’elles apparaissaient, est parvenue à confesser la Trinité avec tout ce qu’il fallait de netteté et de rigueur.
Et c’est afin d’être vraiment fidèles à la révélation biblique et d’en rendre compte au mieux que les Pères des Conciles anciens durent employer, en les définissant, des mots non bibliques tels que Substance ou Essence, Personnes, « Hypostases », Trinité, etc.
L’enjeu spirituel était plus que considérable: il y allait de la Mission de l’Eglise dans le monde; il y allait du salut des hommes.
Si Jésus-Christ, vraiment homme, n’est pas aussi et d’abord vraiment Dieu, Fils unique et éternel du Père, consubstantiel au Père, c’est une créature – rien de plus, même si elle est la première –, déclarée Seigneur et Sauveur, qui usurpe une place et reçoit un culte dus à Dieu seul. Car Dieu seul est Seigneur; Dieu seul est Sauveur; Dieu seul est Dieu. Toute la Sainte Ecriture le révèle et le proclame. Et l’Eglise et les chrétiens fidèles sont tenus de le confesser. Si Jésus-Christ n’est pas vraiment Dieu, Dieu met la croix sur les épaules d’une créature, sans Se donner Lui-même jusqu’au sacrifice.
Si l’Esprit Saint n’est pas vraiment Dieu, consubstantiel au Père et au Fils, c’est une force neutre et vague qui est faussement déclarée Seigneur et Consolateur. Il n’y a plus alors inspiration (au sens réel et personnel) dans les cœurs des fidèles.
En fait, le combat de l’Eglise aboutissant à la confession de la doctrine de la Trinité, au IVe siècle, et le combat de l’Eglise aboutissant à la confession de la doctrine de l’élection divine souveraine et du salut par grâce par le moyen de la foi, au XVIe siècle, ne forment qu’un seul et même combat. Il s’agissait de savoir, là comme ici, si Dieu est vraiment le Sauveur-Seigneur ou si le salut est entre les mains d’une (ou des) créature(s).
V
Dieu, le vrai Dieu, le Dieu de la révélation chrétienne, est UN et PLURIEL.
Son unité ne précède pas plus sa trinité que Sa trinité ne précède Son unité. Il n’est pas UN, ultimement et qualitativement, avant d’être PLURIEL. Il n’est pas PLURIEL, ultimement et qualitativement, avant d’être UN. La réalité PLURIELLE du Père, du Fils et du Saint-Esprit n’est pas plus dérivée de l’UNITÉ divine que l’UNITÉ divine n’est l’aboutissement de la pluralité des TROIS.
Dieu est UN et TROIS éternellement, en Sa réalité divine concrète : UN car Dieu est unique et simple en Sa substance (Son essence) ; TROIS car le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; aucun des TROIS ne tient Sa divinité d’un Autre ou des deux Autres; chacun est Dieu, de Soi-même. Et cependant, il n’est qu’un seul Dieu ; et la Substance divine une (l’Essence divine une, l’Etre divin un) est la propriété indivise et entière de chacun des Trois comme des Trois ensemble.
L’Eternel UN et PLURIEL constitue une plénitude qui Se suffit en elle-même, l’UN n’étant pas plus fondamental que le PLURIEL et le PLURIEL n’étant pas plus fondamental que l’UN.
A l’Eternel UN et PLURIEL correspond Sa création: le temporel UN et PLURIEL. Il est capital de bien le saisir pour éviter les erreurs catastrophiques tant de la réduction au « monisme » qui relativise, jusqu’à l’éliminer ultimement, le PLURIEL que de la réduction au « pluralisme » qui relativise, jusqu’à l’éliminer ultimement, l’UN. Toutes les conceptions non chrétiennes finissent par verser, selon leur orientation « moniste » ou « pluraliste », dans des choix opposés et insensés en philosophie, en science, en politique… et dans la vie quotidienne ! La « querelle des Universaux » (toujours renaissante en d’autres termes) en philosophie, l’oscillation contemporaine entre l’Etat totalitaire et l’anarchie en politique, en sont la démonstration.
La foi chrétienne, rigoureusement monothéiste et trinitaire suivant l’Ecriture Sainte, récuse, dès l’abord, ces querelles ou choix sans fondements réels où l’un des termes d’une prétendue alternative est seul retenu finalement comme réalité vraie tandis que l’autre est rejeté comme vaine abstraction.
VI
La Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est le seul Dieu vivant et vrai en qui tous les hommes ont la vie, le mouvement et l’être et en qui l’Eglise et les chrétiens fidèles ont leur salut et leur joie.
Le Te Deum, depuis le IVe siècle, ne cesse de proclamer:
« Nous te louons ô Dieu; nous reconnaissons que tu es le Seigneur.
Toute la terre t’adore, Père d’éternité.
Vers toi crient tous les Anges, les Cieux et toutes les puissances qui s’y trouvent.
Vers toi, sans cesse, Chérubins et Séraphins s’écrient:
« Saint, saint, saint, Seigneur Dieu des Armées. »
Le ciel et la terre sont remplis de la Majesté de ta gloire !
La glorieuse compagnie des Apôtres célèbre tes louanges !
La pieuse communion des Prophètes célèbre tes louanges !
La noble armée des Martyrs célèbre tes louanges !
La sainte Eglise universelle te reconnaît:
Toi le Père d’une Majesté infinie.
Ton Fils unique, adorable et vrai
Ainsi que l’Esprit Saint le Consolateur !
(…)
Ô Seigneur, sauve ton peuple et bénis ton héritage.
Gouverne-les et les élève pour toujours.
Jour après jour nous te magnifions.
Nous adorons ton Nom pour les siècles des siècles.
Accorde-nous, Seigneur, d’être aujourd’hui tenus sans péché.
Ô Seigneur, aie pitié de nous, aie pitié de nous !
Ô Seigneur, que ta miséricorde soit sur nous comme notre confiance est en toi !
Ô Seigneur, je crois en toi ; que je ne sois jamais confondu. »
[1] Revue Ichthus, N° 79 (1978), 2-6.