Troubles et attentes millénaires
Jean-Marc DAUMAS*
Sommes-nous parvenus à la fin imminente du monde? La seconde venue du Christ-Jésus aura-t-elle lieu autour de l’an 2000 (le grand deux et triple zéro)? Y a-t-il eu un incendie millénariste autour de l’an mille? Les croyances sont-elles un phénomène de fin de millénaire?
Essayons d’esquisser, d’abord, une définition du millénarisme. Le millénarisme est l’affirmation selon laquelle le retour du Christ sera suivi de mille ans d’un règne de paix sur la terre1.
I. L’erreur naïve de Papias et ses répercussions
Papias (vers 130) est un grec, un auditeur de Jean (selon Irénée), l’évêque de Hiérapolis, en Asie mineure, en Phrygie, au sud-est d’Ephèse. Il est un compagnon de Polycarpe. C’est Irénée qui nous le dit dans l’Adversus Haeresis2:
Voilà ce que Papias, auditeur de Jean, familier de Polycarpe, homme vénérable, atteste par écrit dans le quatrième de ses livres, car il existe cinq livres composés par lui.
Ces cinq livres constituaient un recueil qui avait pour titre: «Explication des sentences et discours du Seigneur.» Or, de cet ouvrage, il ne reste que de très rares fragments cités par Irénée de Lyon et par Eusèbe de Césarée.
En dépit des relations de Papias de Hiérapolis avec les princes de la foi, il semblerait qu’ils ne lui ont pas octroyé le génie. Eusèbe de Césarée qui nous parle de Papias reconnaît sa grande influence , mais il est très sévère pour lui. Pourquoi? Parce que Papias est un millénariste, adepte de la doctrine selon laquelle il y aurait un règne de mille ans après la résurrection finale sur la terre. C’est ce que cite Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique3:
Papias dit qu’il y aura mille ans après la résurrection des morts et que le règne du Christ aura lieu corporellement sur cette terre. Je pense qu’il suppose tout cela après avoir compris de travers les récits des apôtres et qu’il n’a pas saisi les choses dites par eux en figure et d’une manière symbolique.
Autrement dit, Eusèbe soupçonne Papias d’avoir interprété d’une manière tout à fait littérale, alors qu’il s’agissait d’expression symbolique. Eusèbe poursuit:
En effet, il paraît avoir été tout à fait petit par l’esprit, comme on peut s’en rendre compte par ses livres.
Eusèbe avait-il à sa disposition le vrai texte ou des livres qui avaient été interpolés?
«Cependant, il a été cause qu’un très grand nombre d’écrivains ecclésiastiques, après lui, ont adopté les mêmes opinions que lui, confiants dans son antiquité: c’est là ce qui s’est produit pour Irénée et pour d’autres qui ont pensé les mêmes choses que lui.»
Le millénarisme se retrouve, sous différentes formes, dans la lettre du Pseudo-Barnabas (vers 130), dont l’eschatologie très forte soutient que le royaume à venir sera précédé d’un règne millénial.
Justin Martyr (110-165) tient beaucoup au millénarisme qui, pour lui, représente l’orthodoxie intégrale. Il déplore que certains chrétiens de son époque n’admettent pas le millénarisme. A son avis, ceux qui professent intégralement le christianisme se doivent de reconnaître le millénarisme.
Irénée de Lyon (né en 135) croit en un royaume temporel du Christ qui sera le prélude à l’immortalité. Ce règne des justes, durant mille ans avec le Christ, les préparera à la vision bienheureuse.
Tertullien (155-220) est lui aussi millénariste. A la fin du monde, pour lui, les justes ressusciteront plus ou moins tôt, selon leurs mérites, et participeront au règne de mille ans avec le Christ dans la Jérusalem qui doit descendre du ciel. Et ensuite viendront la destruction du monde, la conflagration du jugement ainsi que la résurrection: les uns pour le salut éternel et les autres pour la damnation éternelle.
Augustin (354-430) qui avait, lui-même, professé le millénarisme pendant un temps, l’a ensuite combattu. Pour lui, les mille ans de l’Apocalypse sont le règne présent du Christ sur la terre, durant l’existence terrestre de l’Eglise. Les mille ans, c’est maintenant; c’est le temps qui nous sépare de la parousie4.
II. Le mythe du choc de l’an mil
Malgré le revirement de saint Augustin et de son militantisme contre la croyance millénariste de Papias et de ses successeurs, l’idée de ce règne terrestre du Christ demeure forte et entraîne la vision effrayante du nouveau millénaire, sinon comme la fin de toutes choses, du moins comme celle de l’organisation du monde tel que les hommes l’avaient connu jusqu’alors.
A) Une atmosphère inquiète
Les Xe et XIe siècles sont la grande époque – et c’est évidemment significatif – des représentations iconographiques de scènes apocalyptiques. C’est une période de peur et de réflexion eschatologique, surtout dans deux grandes représentations qui nous sont parvenues:
– L’apocalypse de Reichenau, ce monastère bénédictin sur une île du lac de Constance, œuvre qui nous est préservée dans un célèbre manuscrit de Bamberg.
– L’apocalypse de saint Sever, en Provence. Cette apocalypse est conservée dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris.
Cette époque baigne dans une atmosphère inquiète, un temps de paroxysme. L’Apocalypse parle de l’achèvement des mille ans, mais encore faut-il savoir quand faire commencer le millénaire? Cette incertitude originelle entraîne un certain flou dans la pensée des contemporains. Faut-il envisager les fin du millénaire en l’an 1000 ou en l’an 1033? L’important étant moins la naissance que l’anniversaire de la passion du Christ. Grandes discussions là-dessus. En réalité, c’est toute la période entre 980 et 1050 qui est prise de grandes émotions, comme on disait à l’époque, et secouée de grands troubles: psychologiques, sociaux et ecclésiaux.
B) Hasard ou destinée?
Ce sont moins les événements de cette époque qui nous intéressent que l’atmosphère générale, l’attente, la peur, l’horreur qui semblent habiter les gens. Autrement dit, nous suggérons de distinguer la réalité littéraire et psychologique, les faits et les événements et aussi le mythe historique qui va s’emparer de cette grande peur de l’an mil. Mythe développé par l’histoire humaniste et, plus précisément encore, l’histoire romantique qui aime beaucoup s’emparer de ce genre de choses. Jules Michelet ne disait-il pas:
Malheur sur malheur, ruine sur ruine, il fallait bien qu’il vînt autre chose et on attendait. Le captif attendait dans le noir donjon, dans le sépulcral in pace; le serf attendait sur son sillon, à l’ombre de l’odieuse tour, le moine attendait dans les abstinences du cloître, dans les tumultes solitaires du cœur, au milieu des tentations et des chutes, des remords et des visions étranges, misérable jouet du diable qui folâtrait cruellement autour de lui et qui, le soir, tirant sa couverture, lui disait gaiement à l’oreille: «tu es damné!»5
Nous avons, en effet, fort peu de textes de l’époque qui nous parlent de cette peur qui, pourtant, est un lieu commun littéraire et historiographique. L’on se fie communément à deux auteurs.
i) Le premier est Sigebert de Gembloux (actuellement en Belgique) qui, dans un petit texte de sa Chronographie (chronique), dit ceci:
L’an 1000 de l’Incarnation, de violents tremblements de terre ont ébranlé l’Europe entière détruisant partout des édifices solides et magnifiques. Cette même année a paru une horrible comète; beaucoup qui la virent crurent que c’était l’annonce des derniers jours.
Le problème est que la Chronographie de Sigebert a été composée au début du XIIe siècle. Ce texte n’est pas tellement horrible pour nous. Nous croyons qu’il y a un indice beaucoup plus significatif pour relativiser cette peur de l’an mil, un indice indéniable, toujours caractéristique dans toute l’histoire, et qui est l’indice démographique. Lorsque la démographie ne baisse pas, et c’est le cas, c’est un signe de vitalité sociale, le sursaut de reproduction. Apparemment, pas de pessimisme ambiant dans le taux de fécondité: la natalité n’a pas diminué, bien au contraire.
ii) Le deuxième témoin qui nous intéresse davantage, car il a détaillé, en témoin, les quelques éléments du prétendu choc de l’an mil, c’est Raoul Glaber (c’est-à-dire le chauve), un des historiens du Moyen-Age, un moine bourguignon de sainte Bénigne de Dijon, qui écrivit avant sa mort en 1047 des Histoires6en cinq livres traitant des années 900 à 1044. L’ouvrage est dédié à l’abbé de Cluny Odilon.
Que nous disent Sigebert, Glaber et les Annales de Hirsau7de ce qui se serait passé autour de l’an mil?
Nous avons vu, d’après Sigebert, des phénomènes naturels jugés très impressionnants qui correspondent aux signes dans le ciel de l’Apocalypse, d’après la lecture qu’en font les contemporains. On prête une attention craintive et on donne un sens aux signes énigmatiques observés dans le ciel. Au nombre des phénomènes prémonitoires, on signale:
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une comète en 1014,
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des tremblements de terre (probablement pas plus que d’habitude),
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deux éclipses de soleil: l’une en janvier 1023, l’autre le 20 juin 1033. Quelle coïncidence! Raoul, à Cluny, l’a observée et la trouve «vraiment terrible»: le soleil devient bleu saphir et «porte à sa partie supérieure l’image de la lune à son premier quartier»; une «vapeur couleur de safran» baigne toutes choses.
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l’apparition étonnante d’une baleine immense dans la Manche qui est quand même étroite, en 1004, et qui évoque bien entendu le Léviathan du livre de Job, la bête de l’Apocalypse, la baleine de Jonas. Baleine qui a donc dû émigrer en Ecosse avec le monstre du Loch Ness de notre présent millénaire.
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plus sérieux car plus terrifiants dans la quotidienneté, sont les épidémies, notamment de 987 à 1045, le «mal des ardents», maladie terrible provoquant des plaies qui rongent le corps, et la grande famine, très dure, de 1033, dont la description en Bourgogne nous est donnée par le moine: «On a pu craindre, dit Glaber, la disparition du genre humain presque entier.»
Un phénomène qui a beaucoup frappé les contemporains est, en effet, effrayant: on signale même des cas d’anthropophagie. Qu’on se souvienne de cet homme surpris en train de vendre de la chair humaine – de la viande d’homme toute cuite – au marché de Tournus, bourg de Saône-et-Loire qui possède une église romane avec un narthex du Xe-XIe siècles.
Autre exemple de cannibalisme: cet homme qui sévissait dans la forêt du Châtenet, au pays de Mâcon. Il avait établi son repaire près d’une église isolée, mais apparemment fréquentée. Ceux qui faisaient halte chez lui ou ceux qui passaient simplement à sa portée étaient perdus. Il avait déjà dévoré quarante-huit victimes, dont les têtes coupées pourrissaient dans sa cabane, quand un visiteur plus robuste que les autres réussit à se sauver de ses griffes.
Glaber théologise sur ces événements et y voit un châtiment divin pour les péchés commis par les hommes. Mais ce sont là des phénomènes plus ou moins naturels. Cependant, il y a les maux spirituels qui sont considérés comme nouveaux, étonnants. Historiquement, on considère de cette manière-là le saccage de Saint-Jacques-de-Compostelle, en 997, par le calife de Cordoue, Al Mansour. Donc une incursion de l’islam dans une région de l’Espagne qui n’avait pas été islamisée. Ce n’est qu’un passage, mais Al Mansour détruit la ville de Compostelle, en respectant d’ailleurs le tombeau de saint Jacques.
En 1009, autre élément du même type, le calife fou Al Hakim détruit la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Donc, atmosphère de l’incursion de l’islam et peur pour les contemporains que ce soit l’annonce de l’anté-Christ. C’est quelque chose de très courant au Moyen-Age que l’anté-Christ; c’est Mahomet. Dans tous les commentaires de l’Apocalypse – qui sont relativement nombreux – l’anté-Christ est désigné, et c’est une obsession à l’époque que nous traitons, comme étant Mahomet. Nous voyons bien comment va naître de cette grande peur le phénomène de la croisade. Le Saint-Sépulcre va être reconstruit à partir de 1027 par un accord entre l’Empereur byzantin Constantin VIII et un sultan qui obtient, en contrepartie, la restauration de la mosquée de Constantinople.
L’Eglise elle-même est gagnée par la maladie. Les maux spirituels non plus extérieurs mais intérieurs sont: la simonie, c’est-à-dire l’achat des dignités ecclésiastiques – ce terme est qualifié par Raoul Glaber de peste de l’Eglise –, le don gratuit de Dieu, le sacrement, converti en trafic de cupidité. Et puis aussi l’hérésie, essentiellement l’hérésie manichéenne qui apparaît un peu partout et, en particulier, dans des communautés religieuses, comme les chanoines de Sainte-Croix à Orléans, qui sont brûlés comme manichéens (au début du Xe siècle).
Raoul Glaber parle beaucoup de l’activité de Satan, qu’il affirme avoir rencontré et qu’il décrit de façon imagée. Au IIIe siècle, quand les Pères du Désert étaient en proie au diable, il leur apparaissait sous la forme d’une jolie femme ou d’un jeune homme au sourire ensorceleur. Ce Satan qui apparaît à Raoul Glaber est bien différent:
Une nuit, avant l’office de matines, se dresse devant moi, au pied de mon lit, une espèce de nain horrible à voir. Il était, autant que j’en pus juger, de stature médiocre avec un cou grêle, un visage émacié, des yeux très noirs, le front rugueux et crispé, les narines pincées, la bouche proéminente, les lèvres gonflées, le menton fuyant et très droit, une barbe de bouc, les oreilles velues et effilées, les cheveux hérissés, des dents de chien, le crâne en pointe, la poitrine enflée, le dos bossu, les fesses frémissantes…
Les terreurs de l’an mil n’ont été que les fantasmes personnels du moine Glaber. Les recherches d’Edmond Pognon8, de Georges Duby9et de leurs successeurs10ont démontré que la peur panique de l’an mil n’a jamais existé. C’est un mythe en faveur d’un Moyen-Age obscurantiste, orchestré par les historiens romantiques du XIXe siècle (dont Michelet) et des écrivains populaires (comme Eugène Sue).
III. La crise de l’Eglise vue comme un signe de fin des temps
Mais les craintes de l’an mil anticipaient de cinq siècles les événements qui les auraient justifiées. Il y a tout lieu de croire que la crainte de la fin du monde et du jugement dernier a été plus forte au XVe et au XVIe siècles qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire antérieure de l’Occident. La très grande crise d’autorité est, à l’évidence, l’aspect le plus frappant du drame que vit l’Eglise latine depuis le XIVe siècle et dont les contrecoups sont immenses pour comprendre le XVe et le XVIe siècles. Avec le grand schisme d’Occident (1378-1415), l’Eglise a donné le spectacle d’une division, sans équivalent, dans son histoire, déjà pourtant très mouvementée, en particulier dans le premier millénaire. A aucun moment, on n’a vu s’affronter trois papes avec chacun, plus ou moins, son concile, qui divisent l’Europe, les pays, les ordres religieux et les diocèses en diverses obédiences rivales soutenues et entretenues par les monarchies nationales. Le grand schisme a provoqué comme un traumatisme: l’Eglise, qui se conçoit une, est déchirée.
Car, derrière le grand schisme d’Occident, il y a, bien entendu, la grande mutation de la chrétienté médiévale avec l’avènement des nationalités. C’est ce qui se passe dans la dernière partie du Moyen-Age, surtout avec la monarchie française et avec la montée de ce que l’on appelle, classiquement, la pensée laïque: une pensée qui se veut et se rend autonome par rapport au sacré. En châtiment de la démesure pontificale que l’on trouve, par exemple, dans un document comme la bulle Unam sanctam de Boniface VIII, au début du XIVe siècle qui affirme, sans nuance, la prépondérance papale sur l’univers, ce que l’on appelle d’un terme plus ou moins heureux, la théocratie. La papauté est tombée presque immédiatement – en une sorte de retour des choses que l’historien se plaît à souligner – en servitude auprès des rois français, ce qui aboutit à son exil en Avignon qui jouxte le royaume, lequel exil en est le symbole le plus parlant.
La crise morale du XVe siècle paraît avoir aussi son origine dans une immense tentative pour se rapprocher tout simplement de l’existence dans un temps où règnent, et de façon tragique, la mort plus proche, la famine et la guerre. Faut-il rappeler qu’une véritable hécatombe s’est abattue sur l’Europe dans la seconde moitié du XIVe siècle dans une série continue, bien avant Camus, d’épidémies de peste? Phénomène récurent, obsédant, la mort par la peste est devenue une angoisse collective qui change les représentations, les réflexes et les pratiques. D’autant que la solidité traditionnelle de l’Eglise, comme nous l’avons vu, est venue à manquer au moment où elle était la plus nécessaire. L’homme du XIVe et du XVe siècles se retrouve avec sa solitude et avec la menace omniprésente de la mort. La mort davantage présente joue un rôle important dans l’inconscient religieux. Tous les maux de l’époque donnent lieu à des réactions contrastées:
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La spiritualité se lance dans de grandes méditations sur la mort. L’homme-pourriture en est le thème essentiel. Le chrétien essaiera de bien mourir en luttant contre la crainte de l’agonie, l’angoisse de la damnation.
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La proximité de la mort mène à certains excès; ainsi c’est la flambée du macabre avec ses danses.
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L’omniprésence de la mort entraîne une véritable frénésie de vie s’emparant des survivants qui savent qu’ils sont des cadavres en sursis. Il faut profiter de la vie, conjurer la mort.
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Comme toujours la crise morale se traduit par un amour délirant, sans mesure, de l’argent sonnant et trébuchant. La cour pontificale de Rome n’est pas la dernière dans cette course à l’argent, et ces excès sont dénoncés de tous côtés.
Cette atmosphère de crise, bien décrite par J. Huzinga11, trouve des échos millénaristes avec l’approche de l’année 1500, où certains annoncent l’arrivée de l’antéchrist. C’est aussi la crainte de la fin du monde et du jugement dernier, dont les représentations se multiplient dans l’art. Divers travaux, en particulier ceux de Jean Delumeau12, ont mis en évidence la peur des hommes du Moyen-Age finissant. Cette peur est aussi suscitée par l’image du Dieu-Juge.
Conclusion
Nous nous sentons saisi par le vertige de l’histoire à l’idée de voir surgir, non seulement un nouveau siècle, mais un nouveau millénaire. Un nouveau siècle, c’est une chose dont on parle aisément, le mot est à notre mesure, il ne dépasse guère le cercle des mémoires familiales; aussi reste-t-il familier…
Un millénaire, c’est au contraire un horizon immense, indistinct, silencieux. Il semble qu’à l’approche d’un autre millénaire, nous ayons plus d’appréhensions, que nos méditations soient plus graves et nos examens de conscience plus rigoureux.
Nous parlons du siècle proche avec la croyance naïve et impudente qu’il sera vaille que vaille dans la continuation du XXe siècle; le troisième millénaire, lui, impose une perspective mystique, même aux esprits les moins portés à la spiritualité. Cela ne va point sans crainte et tremblement, et il faut bien reconnaître que les temps nouveaux sont peu rassurants, que, pour tout dire, le futur millénaire s’annonce sous d’effrayants aspects.
* J.-M. Daumas est professeur d’histoire de l’Eglise à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
1 L. Gry, Le millénarisme dans son origine et ses développements (Paris, 1904).
2 Adversus Haeresis, livre V, 33, 4.
3 Histoire ecclésiastique, III, 39, 12-13.
4 A. Luneau, L’histoire du salut chez les Pères de l’Eglise (Paris: Beauchesne, 1964).
5 J. Michelet, Histoire de France, livre IV (Paris: Hachette, 1833), tome 2, 134-135.
6 R. Glaber, Opera (Oxford: J. France, 1989).
7 Elles se sont révélées être un apocryphe du XVIe siècle.
8 E. Pognon, L’an mil (Paris; 1947) et La vie quotidienne en l’an mille (Paris: Hachette, 1981).
9 G. Duby, L’an mil (Paris: Gallimard-Julliard, 1980, réédition Folio-Histoire, 1983).
10 H. Focillon, L’an mil (Paris: Armand Colin, 1952); D. Barthélémy, La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu? (Paris: Fayard, 1997) et L’an mil, prélude à la paix de Dieu (Paris: Fayard, 1999).
11 J. Huzinga, Le déclin du Moyen-Age (Paris: Payot, 1948); réédition, L’automne du Moyen-Age (Paris: Payot, 1979).
12 J. Delumeau, La peur en Occident (Paris: Fayard, 1978) et Le péché et la peur, la culpabilisation en Occident des XIII-XVIIIe siècles (Paris: Fayard, 1983).