Et le ciel ?
Paul WELLS*
H. Küng a dit que le mot « ciel » est un des mots les plus en lambeaux de notre vocabulaire. Chez les théologiens, comme dans le langage populaire, les avis à ce sujet sont divers et contradictoires. R. Niebuhr, quant à lui, affirme que nous ne sommes pas plus au clair sur le mobilier du ciel que sur la température de l’enfer, tandis que E. Thurneysen insiste sur la continuité entre l’état présent et l’état futur: « les maisons et les campagnes » participeront à la réalité du ciel tout comme le monde actuel est le lieu de la rédemption.
Comment la Bible parle-t-elle du ciel? Il ne devrait pas, en principe, être plus difficile de parler du ciel que des autres réalités spirituelles: le ciel fait partie de la révélation tout autant que certaines réalités visibles apparemment plus proches.
A propos du ciel, l’analogie la mieux appropriée est celle du Concile de Chalcédoine, sur les deux natures de Christ1. L’histoire du ciel à venir sera également humaine et divine, terrestre et céleste.
Ni confusion, ni transformation, ni division, ni séparation. Tel est aussi le rapport entre la terre et le ciel. Il y aura une continuité – car rien de bon dans ce monde ne sera éliminé -, mais aussi discontinuité – tout sera transfiguré dans le ciel, et transmué en gloire… Tout ce qui existe dans le temps sera récapitulé dans l’éternité, d’une façon ou d’une autre.
Notre thèse est que la fin de l’histoire et la nouvelle création sont l’aboutissement d’un processus dont le point de départ se situe à la création. Autrement dit, cette fin implique un début et c’est pourquoi il est impossible d’évoquer l’eschatologie sans parler de protologie. Jésus est l’omega de la création parce qu’il en est l’alpha.
I. La difficulté du vocabulaire
Le ciel, selon la Bible, est le lieu où Dieu réside de toute éternité. Cela est affirmé dans de nombreux Psaumes. La nouvelle création, à la fin des temps, est le « ciel futur », le paradis où Dieu sera éternellement avec l’homme. En attendant, il y a la réalité que Dieu a créée: « les cieux et la terre ».
Dans la pensée populaire, l’éternité est une ligne qui se prolongerait dans l’au-delà, jusqu’à l’infini. Cette conception a été critiquée par les philosophes à partir de la pensée de Platon pour qui l’éternité est opposée à la temporalité; la temporalité serait mouvement, changement, instabilité, alors que l’éternité serait un ensemble immobile qui ne connaîtrait aucune succession de moments.
Cette notion philosophique a été accueillie par la tradition chrétienne sous l’influence du néo-platonisme, en particulier chez Augustin et ses successeurs. Récemment, elle a été critiquée par O. Cullmann qui a proposé de revenir à la simplicité du langage biblique « hébraïque ».
Le vocabulaire biblique pour l’éternité – ôlàm , ce qui est caché dans l’infini passé ou futur, le Dieu caché est le Dieu d’éternité, et aionios , siècle, l’éternité est « les siècles des siècles » – n’implique pas de contraste frappant entre l’éternité et le temps. S’il existe des différences qualitatives et quantitatives entre les deux, il y a aussi des points communs entre le temps temporel et le temps éternel2.
Les affirmations bibliques recourent à des notions naïves de succession du temps pour décrire l’éternité. Même le tétragramme divin « Je suis » ne fait pas abstraction du temps, puisqu’il évoque « celui qui sera ». Pour Dieu, mille ans passent comme un jour. Le langage naïf de la Bible établit, à la fois, une différence et une similitude avec notre temps. La notion d’éternité implique une succession temporelle d’une certaine sorte, dominée et surplombée par Dieu. La théologie du process a raison de faire valoir la notion de succession, mais elle a tort d’en faire un principe auquel Dieu lui-même serait assujetti.
Dieu, en qui il n’y a ni changement ni variation, est à l’origine de toute succession temporelle. Il possède en lui-même l’éternité, et le temps éternel dépend de lui, tout comme le monde créé dépend de l’unité et de la diversité qui le caractérisent. De génération en génération, il est le Dieu éternel.
Tout comme la notion d’éternité implique, à la fois, une continuité et une discontinuité temporelles d’avec la création, la notion de « ciel » présente les mêmes caractères dans le domaine spatial.
Le ciel, la nouvelle création et l’enfer sont, au même titre que la terre, des créations de Dieu. Pour cette raison, comme toute création divine, ils dépendent de Dieu et ne participent pas de son éternité ontologique. Il n’y a que Dieu qui soit immortel et qui en ait les attributs.
I. Le ciel: une réalité créée
Toutes les pensées humaines sur le ciel semblent comporter au moins un élément commun: le ciel est toujours considéré comme une apothéose au terme de la vie terrestre et, très souvent, comme le résultat d’une intervention divine par rapport à la vie terrestre.
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Quel est l’enseignement spécifique de la Bible sur le ciel?
A) La complémentarité astronomique et spirituelle
Dans certaines langues, une distinction est faite entre ces deux aspects qui sont toujours séparés. Le mot « firmament » dans l’Ancien Testament désigne la voûte céleste, parfois présentée symboliquement comme un manteau (Es 34:4) que Dieu pliera comme un vêtement que l’on change, ou comme un rouleau de parchemin (Ap 6:14). S’il arrive que les étoiles soient personnifiées (Jb 38:7), c’est toujours en marquant bien qu’elles sont comme des créations de Dieu; en aucun cas, elles ne sont sacralisées.
Du point de vue religieux, le ciel est un monde surnaturel qui recouvre l’ensemble des réalités invisibles et la réalité créée tout entière. Utilisé au pluriel, le mot « cieux » évoque une réalité plurielle, non pas nécessairement au sens de plusieurs « ciels » distincts, mais dans celui de grandeur. Ce monde surnaturel est là où se trouvent les esprits invisibles et le trône de Dieu. Dieu trône « au-dessus des cieux » avec les anges et l’entourage décrit en Apocalypse 4. Dans l’épître aux Hébreux, le ciel est aussi le lieu du sanctuaire où réside, dans le tabernacle spirituel, le vrai sacrificateur. Le ciel est l’endroit où se trouvent les martyrs parvenus à la perfection, où demeure Christ dans l’endroit qu’il a préparé pour les siens (Jn 14: 1,2).
Dans cette double perspective – astronomique et spirituel -, il faut distinguer les références qui, comme 2 Pierre 3:10,12 et Apocalypse 20:11, annoncent la dissolution du ciel et la requête que l’on trouve dans la prière du Seigneur « que ta volonté soit faite dans les cieux comme sur la terre ». Les premières évoquent la disparition des cieux cosmiques, qui se produira au moment de la nouvelle création, tandis que la demande du Notre Père est eschatologique et exprime le souhait que le règne de Dieu soit établi sur la terre comme il l’est maintenant, spirituellement, dans le ciel. Jésus évoque une situation où la présence de Dieu se manifestera sur la terre. Le régne de Dieu est établi par Dieu seul, par sa volonté et pas de façon naturelle. Jésus prend ainsi dans sa perspective l’acte de dissolution de ce qui est naturel en vue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre où la justice habitera.
En résumé, le ciel est, à la fois, le domaine transcendant créé où Dieu habite et le lieu d’ultime bénédiction pour l’homme. Nous allons essayer de péciser cela.
B) Le ciel comme endroit
Le ciel n’est jamais présenté dans l’Ecriture autrement que comme un lieu. Matthieu 28:20 affirme que la puissance est donnée à Jésus « dans les cieux et sur la terre ». Cela renvoie à Genèse 1:1 et à l’acte divin de création.
Nous pouvons comprendre ainsi que la seigneurie de Jésus est la raison d’être de la création. Tout a été créé par lui et pour lui et, à l’Ascension, Jésus retrouve concrètement ce qui lui revient de droit. Il est important de voir que la réalité n’est pas double, soit la création, soit la rédemption. Jésus-Christ crée une réalité, « les cieux et la terre », qui a deux aspects sans que cela porte atteinte à son unité. C’est pourquoi, le ciel est un lieu de la création – « Dieu avec l’homme dans sa gloire » – tout autant que la terre.
Très souvent, une allusion directe est faite montrant que le ciel est un lieu et non un état. Par exemple, les images bibliques de la ville, la promesse de Jésus en Jean 14 où il annonce qu’il prépare une « demeure », l’Ascension de Jésus décrite, en Ephésiens 4, comme le passage d’un endroit à un autre, l’accueil du brigand au paradis… Pourtant, le poids de tout cela n’est pas celui d’une preuve.
Plus probant est le parallèle historique entre Adam, Christ et la nouvelle création. Jésus monte au ciel de façon corporelle et y est reçu en attendant son retour en gloire. Cela implique que Christ, comme deuxième Adam, reçoive la bénédiction que le premier Adam aurait dû recevoir: la glorification après l’obéissance. Le premier Adam, s’il avait été confirmé dans sa condition de justice avec Dieu aurait connu la bénédiction comme une réalité physique et matérielle dans une création parfaite à jamais. Le salut en Christ, qui accomplit historiquement la mission d’Adam, ne peut donc que comporter le même caractère physique, ce qui implique une localisation. Si le premier Adam est physique, de la terre, et le dernier Adam spirituel, du ciel, celui-ci est une réalité spirituelle qui n’exclut pas, mais inclut le corps glorifié de Jésus. Cette affirmation est fondée sur l’argumentation de Paul en 1 Corinthiens 15: la résurrection de Christ est celle d’un corps glorifié, qui précède la résurrection de tous, qui en est les prémisses.
Le ciel est le lieu final où se trouve maintenant Jésus, l’omega en personne, et cela de façon corporelle. Faut-il considérer cet endroit de façon simpliste? Jésus a-t-il entrepris un voyage interplanétaire? Si le trône de Dieu est bien au centre de la création, nous en ignorons l’emplacement spatial. La Bible ne nous donne aucune information sur ce sujet qui dépasse notre compréhension. Il ne s’agit pas d’une réalité qui puisse être cernée en termes de géographie cosmique. La foi contemple, ici, une gloire inconnue et si nous cherchions à localiser le « ciel » de façon spatial, en termes de notre cosmos, nous serions en quêtre de l’inconnu. C’est ignorer la distance qui existe entre les cieux et la terre. Cette limitation est difficile à accepter par l’homme moderne qui pense, en principe, qu’il doit pouvoir tout savoir.
Les notions spatiales dans la Bible – « au dessus de » « le pain qui descend du ciel », Jésus qui « monte » à l’Ascension – ne sont pas des notions géographiques. Le fait que Dieu agisse d’au « dessus » (anothen: Jn 3:31) indique une certaine direction – Dieu n’agit pas de l’intérieur, mais de l’extérieur de la terre – mais pas un endroit spatial discernable par l’homme. Ces expressions évoquent plutôt la puissance, la majesté et la miséricorde de Dieu, qui nous visite dans des conditions qui ne sont pas celles de notre monde. L’accent est placé sur la venue de Dieu et sur le caractère concret de ses actes plutôt que sur une localisation spatiale. Lors de l’Ascension, il n’est pas nécessaire d’imaginer que Jésus est allé plus loin que derrière le nuage le plus proche pour ne plus être visible.
C) L’histoire du ciel
Le ciel, comme réalité créée, existe à cause de la terre. C’est à partir du ciel que Dieu règne sur sa création et ce règne durera après que la terre ait perdu sa forme actuelle. Autrement dit, le ciel a une histoire qui est entrelacée avec celle de la terre. Cette histoire présente trois aspects:
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elle a un commencement, un développement et une fin;
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elle implique une séparation, une diastase, entre le ciel et la terre;
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à son terme, les nouveaux cieux surgissent en suite d’une « secousse » donnée par Dieu et non pas à la fin d’une évolution naturelle de la création.
i) Une histoire qui progresse
Le ciel manifeste la présence de Dieu, avec et dans la création, dans sa communion avec les hommes. La plénitude irréversible de cette communion est la finalité de la création. Le ciel a une histoire qui le lie avec la création. Dieu, qui est à l’origine de tout, est présent dès le début et tout au long de l’histoire, jusqu’à sa fin. Le ciel n’est pas transcendant dans le sens d’être totalement autre; il se dévoile tout au long de l’histoire comme expression de la présence de Dieu dans son pouvoir et sa majesté. A la fin, en Christ, le ciel n’est pas une autre réalité, mais une nouvelle création qui parfait la réalité passagère de la terre. Cette perfection est préfigurée, mais non réalisée, dans la première création. Tout, dans le monde et dans l’histoire de la révélation biblique, conduit vers le ciel et y accède à un état de repos. Le sabbat, le septième jour qui devient le premier avec Jésus, est le signe, temporel et spatial, du repos céleste avec Dieu (Hé 4)
Dans ce développement, l’expression « les cieux et la terre » indique la totalité du point de vue terrestre, dont l’unité sera complète lorsque, par la volonté divine – qui procède du ciel, l’endroit où Dieu est « pour » le monde -, la terre sera enrobée par le ciel et transformée. A ce moment-là, « la demeure de Dieu sera avec les hommes » et ce changement de localisation impliquera un changement du temps actuel. Les temps seront accomplis.
Dans l’histoire que Dieu conduit à sa fin, le premier acte de sa volonté – son choix d’être avec l’homme – est le dernier accompli dans le temps. Entre les deux, se trouve l’évolution du processus historique. Dès le début, la création pouvait soit faire une mouvement ascendant vers le ciel, soit rétrograder en opérant la rupture de l’alliance qui unit Dieu et l’homme, le ciel et la terre. (C’est pour cette raison que les cieux et la terre sont appelés à être témoins de l’alliance, Dt 30:19, 31:28). De plus: le ciel est « fixé » sur la terre, à un moment donné, chaque fois que Dieu manifeste sa présence auprès de son peuple. Ce sont là des types de la présence de Dieu avec l’homme, réalisée dans le corps de Christ qui unit le ciel et la terre: il est toujours auprès du Père dans sa divinité, tout en étant avec nous dans sa divinité et son humanité comme Emmanuel (Jn 1:18). La communion avec Dieu se réalise en Christ – « je suis avec vous, jusqu’à la fin du monde » – et en son corps l’Eglise, le temple de l’Esprit, en attendant que cette réalité, discernée par la foi, devienne visible.
ii) La « séparation » (diastase)
La création implique une séparation des cieux et de la terre. Dieu franchit cette séparation pour être présent auprès de l’homme et, chaque fois qu’il le fait, c’est le jour du Seigneur. Quand l’homme veut le faire et devenir comme Dieu pour maîtriser la connaissance du bien et du mal (la connaissance qu’a Dieu dans le ciel, à cause de ses anges dont la chute céleste constitue une première séparation, surnaturelle), la séparation devient une opposition antithétique. Dans la séparation qu’est le péché, l’homme découvre, selon l’Ecclésiaste, la futilité du temps et l’inévitabilité de la mort. L’existence de l’homme devient l’inverse du ciel. Sartre n’avait pas tout à fait tort avec son « l’enfer c’est les autres ».
C’est pourquoi, le passage de la création à la nouvelle création ne peut être effectué que par Dieu qui, lors de l’abandon sur la croix, assume lui-même la séparation de la mort, de la malédiction, de l’enfer, afin d’ouvrir à l’homme la perspective du ciel. Après avoir accompli cette réconciliation des cieux et de la terre, Christ a marché sur la terre pendant les quarante jours qui ont suivi la résurrection. Cette période nous offre une image magnifique de la nouvelle création. Le ciel descend sur la terre et prend possession de ses éléments naturels. L’Esprit domine la chair et surpasse le physique en Christ, qui appartient à la nouvelle création. Dès ce moment, la fin, l’unité des cieux et de la terre et la nouvelle création sont déjà une réalité. Désormais, le croyant, uni au nouvel Adam, est assis avec lui dans les lieux célestes et son existence tend vers l’avenir. Le Christ ressuscité est comme un aimant: il attire tout vers lui et, de tous les fibres de notre être nouveau, nous aspirons à son retour.
iii) La « secousse »
L’existence d’une séparation implique, pour que la situation finale arrive, la conjonction de deux mouvements: l’accomplissement de l’histoire et la « secousse ». Tout d’abord, Adam a reçu la vie et en a géré l’histoire: puis, Christ donne la vie éternelle. En lui, l’Esprit maîtrise le temps et l’achève par l’intervention du « jamais vu ». La résurrection de Christ, selon le Nouveau Testament, fait partie de la résurrection générale qui a déjà commencé. Elle secoue avec violence la mort physique.
La foi attend une intervention par laquelle la nouvelle humanité, organisée en Christ, descendra du ciel, prendra possession de la terre métamorphosée en une nouvelle création. La nouvelle Jérusalem descendra parmi les hommes et Dieu établira sa demeure au milieu d’eux pour toujours: « les choses anciennes sont passés ». La puissance de Dieu effectuera cette transformation qui ne sera pas graduelle, comme la transition du deuxième au troisième millénaire, mais qui aura la violence d’une crise.
Le monde ancien sera dissout et passera avec fracas (1 P 3:8ss, Ap 21:1). Il existe donc une continuité et une discontinuité entre notre cosmos et le ciel, tout comme il y a union et distinction entre les natures divine et humaine dans la personne unique de Christ. Il s’agit d’une nouvelle création. La paix et l’ordre sur la terre sont un avant-goût du paradis. La vie éternelle commence dès maintenant pour les croyants qui, après leur mort, entrent dans la présence de Christ. Le Saint-Esprit, en ressuscitant Christ, est l’Esprit de puissance et de vie qui annonce quel est l’espérance pour nous, qui suivons son mouvement à distance, selon les lois de la temporalité présente.
Pourtant, le ciel n’existe pas sans discontinuité, mutation et crise. La réalité présente sera dissoute et transformée par l’Esprit en une réalité nouvelle. Ce changement n’est ni naturel, ni le résultat d’une évolution, mais l’œuvre cataclysmique de l’Esprit. Il appelle une certaine violence: celle de la mort, de la disparition de la réalité présente et de la résurrection. Le ciel est arraché brutalement, par l’Esprit, à la création actuelle.
III. Deux commentaires théologiques
Colossiens 1:16-18 établit un lien très étroit entre la création pour Christ et sa consommation en Christ. Comment pouvons-nous relier Christ comme fin de l’histoire et Christ comme début de l’histoire, le Créateur et le Rédempteur?
i) Jésus comme raison d’être de la création
L’Ecriture dit que la finalité de toutes choses est Dieu le Père (Rm 11:38, 1 Co 8:6 et Ap 21:6) qui sera tout en tous. Quelle est donc la fonction de Christ? Nous ne pouvons pas fonder une doctrine de Dieu sur Christ, comme certaines théologies modernes essaient de le faire. Christ est le médiateur qui nous révèle l’amour, le cœur de Dieu et non pas son être en tant que tel. L’eschatologie fait référence à la personne de Christ qui est présent dans l’histoire. En ce sens, l’histoire existe pour lui, car il est un avec Dieu.
La séparation des cieux et de la terre est réelle en Christ étant donné la séparation de ses deux natures, et la réalité de la diastase est accentuée dans le fait qu’il supporte la mort dans sa nature humaine. Son expérience est autre que celle du Père, parce qu’il a assumé la nature humaine dans la kenose de Philippiens 2; mais dans son union avec Dieu, il révèle l’attitude de Dieu, comme étant « pour nous » dans son amour éternel. L’union éternelle des deux natures en Christ justifie la raison d’être de la création, et constitue l’attestation divine de l’union finale des cieux et de la terre dans la nouvelle création.
En Christ, l’humanité est l’humanité de Dieu et la divinité est celle de l’homme. Ainsi la relation d’alliance entre les cieux et la terre est parfaite. La création tout entière existe pour Christ qui manifeste l’amour du Père pour toute son œuvre.
ii) Jésus et l’alliance
La raison d’être de la création est la gloire de Dieu, selon Calvin, la communion, selon Luther, et la faveur divine, selon K. Barth. Ces trois explications sont complémentaires, en Christ. Au début de la création, la séparation des cieux et de la terre avait pour objectif d’établir la demeure de Dieu parmi les hommes. La création comme la rédemption manifestent la même grâce. En tant qu’omega inaugurant la fin, Christ est le but de l’alliance qui concrétise la grâce proposée lors de la création des cieux et de la terre: Dieu avec nous. Il en est de même dans la rédemption, lorsqu’il supprime la séparation du péché: Christ est comme Dieu pour l’homme et il est l’homme pour Dieu.
Quelques conclusions
i) Le ciel est l’état parfait de la création, la perfection de toutes les réalités créées: la nature et les hommes. Tout, l’histoire et les différents éléments constitutifs de la nature existent dans la perspective du ciel: le ciel « définitif », la création en tant que nouvelle création. La vie, la paix, l’ordre, la justice et la joie y régneront, comme l’exprime de façon antinomique Apocalypse 21:1-4.
ii) Le ciel est fixe et permanent. Dieu qui, seul, possède l’immortalité est à l’origine de cet état permanent du ciel. Pourtant cette permanence, qui provient de l’immortalité de Dieu et qui dépendra toujours de sa grâce, n’est pas un état statique. La vie au ciel, en effet, sera animée à toujours par l’Esprit et par la grâce de Christ. Ainsi, le ciel sera un lieu d’activité et de repos. (voir Rm 8:20, 21)
iii) Un lieu de repos, parce que nous serons délivrés du désordre dû au péché et aux luttes contre l’injustice. Sur terre, l’activité consiste, avant tout, à lutter contre le péché, contre la malédiction qui pèse sur la création et affecte le travail et les relations humaines. Le chrétien, selon le titre de l’ouvrage célèbre de J. Bunyan, mène « une guerre sainte » contre l’ennemi, au dehors et au dedans de lui-même, dans le monde et dans l’Eglise. Que ferons-nous au ciel? Dans la nouvelle création, on connaîtra à un mode de vie transfiguré et on déploiera une activité au service de Dieu. Dieu sera et demeurera présent. C’est pourquoi notre service sera caractérisé en permanence par la créativité dans tous les domaines. Les prophètes de l’Ancien Testament parlent du glorieux avenir de la terre (voir Es 11 et 12, par exemple)
iv) Enfin, le ciel est une récompense imméritée. Tous ceux qui entrent dans la nouvelle création y arrivent par la grâce de Christ, qui suscite en eux le désir d’obéir à l’Evangile. La récompense du ciel est Jésus-Christ lui-même. Le voir et pouvoir mieux comprendre, avec une intelligence libérée du péché, la grandeur de son œuvre, pouvoir le servir de toute sa volonté, telle sera la liberté parfaite; pouvoir l’aimer sans partage, quelle vraie récompense!
Notre nature de créature sera rendue conforme à Dieu. Nous verrons Dieu dans la béatitude, non pas de loin, mais face à face dans une harmonie enfin retrouvée.
* P. Wells est professeur de théologie systématqiue à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
1Cette approche peut se justifier par la continuité qui existe entre le Christ dans notre histoire et le Christ ressuscité et monté au ciel.
2 A ce sujet, voir les remarques de H. Blocher dans son article du présent numéro de la revue.