Des livres à lire

Des livres à lire

EricBungener: Les filiations protestantes (Les Editions Familiales. Depuis 1995, déjà trois tomes et un quatrième en cours d’édition1)

Les Editions Familiales ont entrepris de publier les généalogies des familles les plus connues des protestantismes français et suisse romand. Il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver dans le maquis des relations familiales ou « claniques » protestantes, même simplement à l’intérieur d’une même famille. Avec cette série de livres et ceux qui, nous l’espérons, suivront, cela sera plus facile.

Ce travail est un modèle du genre et il peut combler une lacune importante dans l’histoire des familles d’origine protestante en France et en Suisse. En effet, ce milieu était mal connu, non seulement du grand public, mais également de beaucoup de protestants eux-mêmes. De nombreuses familles protestantes de France et de Suisse Romande ont, bien sûr, établi leur généalogie. Mais, d’une part, beaucoup de ces généalogies s’arrêtent avant 1939 et même, parfois, avant 1914; d’autre part, un grand nombre n’étaient que manuscrites et difficilement accessibles aux non spécialistes.

Il existait, aussi, la série des livres des frères HAAG datant des années 1850 et donnant des notices sur un certain nombre de familles protestantes depuis le XVIe siècle. Mais, outre que cet ouvrage est aujourd’hui introuvable, ses renseignements généalogiques s’arrêtaient au début du XIXe siècle et étaient souvent très succincts. Henri Bordier qui a continué ce travail magnifique, a dû s’arrêter à la lettre G en 1886. Par ailleurs, un certain nombre de grandes familles protestantes d’aujourd’hui n’y figuraient pas. Il fallait donc reprendre le travail.

Les éditions familiales et Eric Bungener ont adopté la disposition habituelle des différents « Gotha ». En tête de chaque notice familiale, figure une brève introduction de 5 à 10 lignes sur la famille pour la situer socialement, géographiquement (région en France et canton ou ville en Suisse), donner les noms des plus importantes familles dont elle descend ou auxquelles elle s’est alliée et ceux des membres remarquables à un titre ou à un autre. Ensuite, la notice donne la descendance du chef de famille actuel, puis celle de ses frères et sœurs, puis la descendance de l’aïeul, du bisaïeul et ainsi de suite, en remontant. Si certaine branches se séparent à une époque trop ancienne, on donne leur origine commune, puis on les étudie à la suite les unes des autres.

Le jeu des renvois permet également d’étudier la descendance féminine pour autant que les alliances ont lieu dans le groupe social protestant. On constate ainsi que la cohésion de ce groupe social est impressionnante jusqu’en 1939. Tout le monde est, en France comme en Suisse, parent d’une manière ou d’une autre, et les Français et les Suisses ont aussi entre eux des liens familiaux parfois anciens. Un délitement très net apparaît ensuite, tout aussi impressionnant, du moins en France. En effet, si avant 1939, les membres des familles protestantes françaises se marient beaucoup à l’intérieur de leur groupe, en revanche, après 1939, on peut observer une sortie du groupe « par le haut » ou « par le bas ». « Par le haut », c’est-à-dire par des mariages œcuméniques ou catholiques avec descendance catholique, mais maintien du niveau social ou « par le bas », c’est-à-dire par des mariages protestants ou catholiques hors du groupe avec descendance protestante mais souvent affaissement du niveau social.

Il est déjà possible de faire un mémoire de maîtrise d’histoire des familles en faculté de lettres ou en faculté de théologie à partir des quatre premiers tomes parus dans cette collection. Il est intéressant de constater que l’origine sociale des familles n’est pas la même en France et en Suisse. En France, un certain nombre de familles sont issues de la noblesse ou de la haute bourgeoisie,et quelques autres sont issues du corps pastoral. En revanche, en Suisse, l’origine des familles est l’accession à la Bourgeoisie des grandes villes helvétiques.

On peut également remarquer que les familles suisses, même très importantes, comptent volontiers des pasteurs parmi leurs membres, alors que les familles françaises laissent plutôt cette vocation s’exprimer dans quelques grandes dynasties pastorales auxquelles elles s’allient du reste volontiers.

Tous ceux qui sont intéressés par l’histoire des familles en général, et protestantes en particulier, auront plaisir et beaucoup d’intérêt à consulter cette collection de livres.

Bernard de Visme

William Edgar : La carte protestante. Le protestantisme francophone et la modernité (1815-1848)(Editions Labor & Fides, Coll. Histoire et Société, 1997, 383 pages)

William Edgar est docteur en théologie de l’Université de Genève. Après ses études de théologie, il a été aumônier d’artistes. Il a ensuite été professeur d’apologétique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, puis au Westminster Theological Seminary de Philadelphie où il est titulaire de la chaire jadis occupée par le célèbre apologète néo-calviniste américain Cornélius van Til. C’est dire si sa compétence est grande.

Le livre que nous présentons est sa thèse de doctorat en théologie. Son thème majeur peut se ramener à cette interrogation: « Comment l’Evangile doit-il interpeller le monde moderne, et comment le monde moderne interpelle-t-il l’Evangile? » Comme les spécialistes de la modernité s’accordent à dire que la modernité a pris son essor dans la première moitié du XIXe siècle, notre auteur a choisi cette période pour essayer d’y repérer une réponse à son interrogation.

W. Edgar a choisi le protestantisme réformé francophone comme terrain d’étude privilégié. En effet, la pensée de la plupart des théologiens francophones du XIXe siècle est assez mal connue; c’était l’occasion d’essayer de montrer comment les auteurs de l’époque ont accueilli la modernité et l’ont abordée sous l’angle apologétique. W. Edgar « s’est donc assigné la tâche de classifier un nombre élevé de penseurs et de comparer leur approche apologétique avec leur position doctrinale. » Il a « cherché à savoir s’il existait une corrélation entre leur méthode apologétique et leur système théologique. » Enfin, il s’est livré à une tentative « d’évaluation globale des points forts et des insuffisances de la démarche des différentes écoles de pensée. »

Le plan du livre est simple: la première partie, intitulée « la Restauration et la modernité », décrit l’arrière-plan historique et présente la problématique de la modernité. La deuxième partie, intitulée « le contexte de l’apologétique moderne », replace les apologètes protestants de la première moitié du XIXe siècle et leur message dans leur cadre sociologique et dans leur tradition pour se terminer par une brève histoire de l’apologétique française de cette époque. La troisième partie, intitulée: « le caractère de l’apologétique », est consacrée à une étude thématique des différentes apologies pour se terminer par des comparaisons entre les auteurs et une évaluation globale de l’apologétique française entre 1815 et1848.

L’auteur s ‘est heurté à trois problèmes principaux:

a) Compte tenu de la rareté des grands ouvrages systématiques, il a dû étudier également l’impact du rayonnement de la pensée protestante apologétique sur la société tant sur le plan sociologique que sur le plan historique.

b) La recherche d’une corrélation entre la perception de la modernité chez les apologètes du XIXe siècle et chez les auteurs de la fin du XXe siècle a été assez difficile à trouver.

c) La difficulté de trouver quelques noms emblématiques et représentatifs de l’apologétique de la première moitié du XIXe siècle a obligé l’auteur à établir quatre groupes principaux à partir de la position doctrinale et de la position sociale d’un certain nombre d’individus. Il a nommé ces groupes: 1) le réveil orthodoxe; 2) les professeurs chrétiens; 3) les visionnaires pré-libéraux; 4) les critiques de la vie sociale (ceux-ci essentiellement laïcs). Ensuite, W. Edga r a sélectionné quelques thèmes parmi les plus souvent abordés: la liberté, la conscience, la science et la Bible, etc. pour voir comment ils étaient traités par chaque groupe.

Notre auteur formule, en introduction, trois observations intéressantes:

– toutes les tendances ont immédiatement cherché à intégrer leur apologétique dans la modernité – donc l’importance de celle-ci ne leur a pas échappé – et ils ont cru l’époque favorable au message protestant;

– toutes les tendances ont eu une attitude polémique à l’égard du catholicisme romain. Leurs critiques portaient essentiellement sur les thèmes de l’autorité et du libre examen ou encore sur le thème de la liberté religieuse.

– l’importance de l’influence de la théologie allemande et celle de la théologie britannique est certes aussi importante qu’on le dit généralement, mais l’auteur montre que d’autres nations ont également apporté leur contribution à la théologie francophone, en particulier les Pays-Bas.

Le livre de W. Edgar, bien qu’il soit, pour une bonne part, construit sur une étude relativement empirique et descriptive, comme il le dit lui-même, présente un très grand intérêt car il comble un vide. En effet, comme nous le disions, très peu d’ouvrages parlent d’apologétique et encore moins d’apologétique francophone au XIXe siècle. Ce livre nous parle tout à la fois d’apologétique mais aussi de théologie, de sociologie et d’histoire. Il nous montre que la théologie francophone du XIXe siècle n’est pas qu’un vague « fac-simile » des théologies étrangères qui l’ont influencée et revivifiée, mais qu’elle a aussi sa personnalité propre, ses théologiens et ses multiples courants.

Certaines remarques apologétiques du XIXe siècle trouveraient bien leur place dans une apologétique pour aujourd’hui. Ainsi, l’affirmation que l’individu est une unité devant Dieu défendue par les théoriciens de la mission débouche sur le principe que tous les êtres humains sont « semblables » et que leurs différences ne sont pas fondamentales. Ce principe s’enracine dans le respect de l’image de Dieu inscrite en chaque homme. Il représente un excellent paravent contre le racisme et un excellent soubassement pour le principe des droits de l’homme si à la mode de nos jours.

Parallèlement, l’affirmation de Guillaume de Félice (1803-1873), pasteur et professeur de théologie que « le vrai christianisme met simultanément en avant deux principes: celui de la grandeur ou de la dignité de l’homme et celui de l’humilité ou de la soumission à l’autorité », permettrait de contrebalancer la dangereuse et idolâtrique hypertrophie des droits de l’Homme qui domine notre époque.

Le livre de William Edgar pose l’apologétique francophone de la première moitié du XIXe siècle. Malgré (et à cause de) sa taille moyenne (moins de 400 pages), ce livre trouvera, très naturellement, sa place dans toute bonne bibliothèque protestante ou s’intéressant à l’évolution de la pensée protestante. Un vœu cependant, que d’autres poursuivent ce travail d’histoire de l’apologétique francophone et le prolongent jusqu’à nos jours.

Bernard de Visme

 

1 Chaque volume comporte de 700 à 800 pages et coûte un peu moins de 600 FF.

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