Introduction

Introduction

Pourquoi un numéro de La Revue réformée sur le péché, sujet dépassé, s’il en est aujourd’hui?… Parce que nous avons besoin de préciser nos idées à ce sujet. Alain Probst affirme, en particulier:

« On peut soutenir, à juste titre, qu’un certain protestantisme historique est mort le jour où nos théologiens n’ont plus disposé de « la grande doctrine du péché originel »qui fut celle de Luther, Calvin, des péres de Dordrecht,… d’Edwards, Whitefield et des fréres Wesley. »1

De plus, le climat actuel de notre société ne nous encourage pas à réfléchir sur ce théme. Pour nos contemporains, le péché, c’est la triche, les mensonges politiques, les abus de la sexualité, les guerres civiles, l’oppression des pauvres… Les médias sont pour beaucoup dans cette appréciation des plus terre à terre, qui correspond plus aux effets du péché qu’au péché lui-même.

L’origine du mal est mystérieuse, impossible à cerner – unde malum? disaient les anciens -, « mystére opaque » selon Henri Blocher2. Dans une théologie chrétienne digne de ce nom, le mal est entré et devenu une réalité dans le monde -créé bon – par le péché de l’homme. Le péché a un point de départ historique en Eden et un caractére éthique, étant le résultat d’un choix.

Comme les eaux sales d’un étang qui stagne, notre péché – le mal concrétisé -, comme celui du premier couple, est incompréhensible. Pourquoi pécher, pourquoi recommencer? Le péché est stupide, « insensé », dit le psalmiste, mais il nous est agréable. Ses profondeurs sont difficiles à sonder. Irrationnel, énigmatique, inexpliquable, dit G.C. Berkouwer dans un ouvrage magistral sur ce théme3.

Que dire du péché d’origine? Que penser du parallélisme paulinien Adam et Christ: respectivement, à l’origine du péché et à l’origine du salut? Comment comprendre les textes bibliques à ce sujet?4

Il est dangereux de pousser trop loin l’analogie entre ces deux personnes historiques. Car notre union avec Jésus-Christ, comme le « en Christ » du Nouveau Testament, est mystique et spirituelle, alors que celle que nous avons avec le premier homme, le « en Adam », est physique et naturelle. La premiére concerne la vie éternelle, la deuxiéme la vie temporelle. Il y a analogie, mais cette analogie est limitée. Comme dans toute analogie, le plus clair clarifie ce qui l’est moins. Autrement dit, le salut en Christ apporte une clarté sur la nature de notre péché en Adam. Les considérations d’ordre théologique priment celles d’ordre historique.

Voici quelques théses pour présenter le sujet du péché originel, objet de débats sans fin, depuis le XVIIe siécle, dans la théologie protestante, tant luthérienne que réformée5:

  • Christ et Adam sont les deux représentants de l’humanité, le premier pour la nouvelle création, le deuxiéme pour notre monde.
  • Dieu considére tous les hommes comme étant solidaires de Christ ou d’Adam. Tous les hommes sont pécheurs en Adam; ceux qui sont en Christ, par la foi, portent toujours les conséquences de leur relation adamique (le péché actuel), mais ils font déjà partie de la nouvelle création.
  • Dieu voit la relation entre Christ et les croyants, et entre Adam et tous les hommes de façon immédiate. Cette relation n’existe ni à cause de notre foi, ni à cause de nos péchés. Autrement dit, ce n’est pas, en premier lieu, notre foi qui nous sauve, ni le péché en nous qui nous perd, mais la nature de la relation que nous avons avec Christ ou avec Adam, nos « délégués ».
  • La relation, dans les deux cas, est « étrangére ». La justice de Christ nous est imputée (transférée) dans la justification. Nous sommes sauvés par la foi, mais non à cause de notre foi, car nous sommes sauvés par la justice de Christ qui nous est donnée dans « le glorieux transfert » (Luther); de même, notre péché n’est pas d’abord le nôtre, mais celui d’Adam, qui nous est transféré de façon juridique. Adam a été notre représentant et nous sommes solidaires avec lui.
  • Le rapport juridique avec Christ précéde le rapport naturel, vécu. Christ nous justifie par sa justice; ensuite, nous vivons la sanctification. De même, en Adam, nous sommes pécheurs avec lui, de façon juridique, avant de connaître la pollution personnelle. L’identité de toute la race avec Adam se fait par le transfert du péché d’Adam sur nous, car il a été notre représentant.
  • Assurons-nous notre justice pour nous-mêmes en Christ? Non, seul Jésus a été juste, à notre place. Sommes-nous pécheurs en Adam? Non, pas de façon personnelle, mais parce que Adam a été notre représentant désigné. La faute en Eden était la sienne, mais elle a eu des conséquences pour toute sa race6.
  • Ces conséquences sont:
    • i) tous ceux qui ont été représentés par Adam sont responsables du péché;
    • ii) par conséquent, nous naissons tous dans le péché;
    • iii) la tendance au péché est inhérente chez tous les enfants d’Adam;
    • iv) nous sommes incapables de changer de nature ou de satisfaire la justice divine en dehors de l’Esprit de vie en Christ7.
  • En Christ, la justification existe avant notre foi; nous la recevons par la foi. En Adam, le péché existe avant nos propres péchés, parce qu’il a été notre représentant.
  • Pourtant, le jugement de Dieu à notre endroit dans le « en Christ » n’existe jamais de façon théorique, mais selon le principe de la justification par la foi. La justification comporte un aspect déclaratif, mais aussi un aspect constitutif. De même, Dieu ne nous condamne pas à cause de notre représentant Adam, mais à cause de nos propres péchés, qui sont réels.
  • Pour cette raison, une lecture universaliste de Romains 5:18, « comme par une seule faute la condamnation s’étend à tous les hommes, de même par un seul acte de justice, la justification qui donne la vie s’étend à tous les hommes », est exclue. On n’est jamais « en Christ » que par la foi, et en dehors de la foi en Christ il n’y a pas de salut8.
  • Dieu n’est pas injuste en nous jugeant, car notre représentant Adam a été créé dans des conditions optimales – la justice, la sainteté et la vérité – restaurées en Jésus-Christ9.

Henri Blocher dit: « C’est à cause du péché d’Adam (ou par lui) que nous sommes jugés pour les nôtres. »10 Cette formule cherche à résumer la singularité et l’universalité du péché originel.

Ainsi, « nous ne sommes pas sauvés de nous-mêmes », selon une formule à la mode11, mais des conséquences du péché originel, et de nos péchés actuels, c’est-à-dire de la mort et de l’enfer, la séparation ultime et éternelle d’avec Dieu. En Christ, autre conséquence, nous sommes déjà restaurés en nous-mêmes, même si le péché et ses conséquences restent en nous, puisque notre condition est toujours simul justus et peccator, toujours pécheurs en train d’être sauvés, et cela jusqu’à notre mort ou jusqu’au retour du Christ.

Paul Wells


1 Dans son article « Le péché originel: refus d’une doctrine biblique et ses conséquences ». E. Brunner a publié, en 1937, un livre magistral à ce sujet, Der Mensch im Widerspruch (Berlin : Furche-Verlag). La théologie aujourd’hui est en regression par rapport à un tel ouvrage. Voir, dans ce numéro, notre critique de l’article « Péché » de L’Encyclopédie du protestantisme.
2 H. Blocher, Le mal et la croix (Méry-sur-Oise: Editions Sator, 1990).
3 G.C. Berkouwer, Sin (Grand Rapids: Eerdmans, 1971), chap. 5.
4 Rm 5:12-20; I Co 15:42-49.
5 Débat qui continue et dont un consensus est absent en ce qui concerne la nature exacte du rapport naturel et juridique entre Adam et sa race. On peut voir le livre de John Murray, The Imputation of Adam’s Sin (Grand Rapids: Eerdmans, 1959).
6 Rm 5:14.
7 Rm 8:2-4.
8 Comme R. Bultmann le souligne. Voir Theology of the New Testament, I (New York : Scribners, 1951), 276 ss.
9 Col 3:10; Ep 4:24.
10 H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, I (Vaux-sur-Seine, Fac Etude, 1982), 103.
11 Voir M. Bertrand, « De quoi sommes-nous sauvés? », Evangile et Liberté, octobre 1996, 6.

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