La prédication dominicale est-elle toujours pertinente ?

La prédication dominicale est-elle toujours pertinente ?


Olivier Charvin

Pasteur de l’Action biblique suisse au Locle (canton de Neuchâtel)


1. Une pratique remise en cause

Prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, convaincs, reprends, exhorte, avec toute patience et en instruisant. (2Tm 4.2)1

L’appel de l’apôtre Paul à prêcher la Parole a été suivi dans toutes les branches du christianisme, même si la prédication a été particulièrement mise à l’honneur dans le cadre du protestantisme. Marc Lienhard rapporte cette affirmation de Luther :

La communauté chrétienne ne doit jamais se rassembler sans que la Parole de Dieu y soit prêchée et priée, fût-ce de la manière la plus concise2.

Pour Calvin, la prédication caractérise l’Eglise véritable, avec les sacrements3, et Zwingli a réorganisé le culte autour de la prédication4. La Seconde Confession helvétique considère « la prédication légitime et sincère de la Parole de Dieu »5 comme la manifestation principale de l’Eglise véritable. Aujourd’hui encore la prédication est décrite comme le « cœur du culte protestant »6 et occupe « une place importante »7 dans le culte évangélique.

Toutefois, les cultes protestants et évangéliques connaissent actuellement une évolution qui traduit une remise en cause du caractère central de la prédication. Signe visible de sa perte d’importance, sa durée est passée en un siècle de plus d’une heure à moins de vingt minutes dans la plupart des Eglises protestantes8. Il est vrai que les cultes évangéliques ne connaissent pas tous cette tendance. Christophe Paya évoque des prédications « relativement longues »9, mais le caractère prééminent de la prédication tend à s’estomper. L’élément marquant du culte n’est plus le message, mais la louange qui marque plus facilement les esprits10. Henri Blocher exprime son inquiétude face au déclin de la prédication dans l’Eglise11 et John Stott dénonce les attaques qui en font une pratique dépassée12. Un mot résume les principaux reproches qui lui sont adressés : l’ennui ! Henri Bacher parle de « puissant soporifique »13 distillé en chaire.

Essentielle au culte protestant pour les réformateurs, la prédication semble avoir perdu son importance au point que l’on s’interroge sur sa pertinence dans notre société, bien différente de celle du xvie siècle. Certaines Eglises de Suisse romande cherchent à diversifier les formes avec des prédications raccourcies et à plusieurs voix14, ou proposent même des cultes sans prédication une fois par mois en valorisant le chant et la méditation15. Il s’agit de rendre actifs tous les participants et d’attirer des personnes qui ne fréquentent pas les lieux de culte.

2. Redécouvrir la prédication

La prédication dans le culte

Le témoignage biblique nous apprend que les premiers chrétiens se retrouvaient au Temple (Ac 2.46 ; 5.42 ; Lc 24.53), où l’Ecriture était lue et probablement discutée16, et dans des maisons privées17. La lecture et le commentaire des Ecritures sont aussi des pratiques synagogales attestées au ier siècle18, vraisemblablement reprises par les premières communautés chrétiennes, qui ont ajouté à cette liturgie la lecture des lettres apostoliques19, puis de responsables comme Clément de Rome20. Les premières rencontres chrétiennes (Ac 2.42) montrent une continuité remarquable avec les pratiques de la synagogue, « lieu d’enseignement », « lieu de prières » et « lieu de rassemblement de vie communautaire où l’on prenait des repas »21. Si les chrétiens de Jérusalem se réunissaient quotidiennement (Ac 2.46), un jour spécifique est rapidement mis à part (Ac 20.7 ; 1Co 16.2) : le premier jour de la semaine, qui rappelle la résurrection de Christ22.

L’exhortation de Paul aux Corinthiens, « que tout se fasse pour l’édification » (1Co 14.26), dans un contexte communautaire, montre clairement la priorité scripturaire donnée à l’enseignement dans le culte chrétien. Paul souligne aussi que notre liberté chrétienne doit être utilisée avec sagesse : « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. » (1Co 10.23)23 Annie Bergèse dénonce, à juste titre, une certaine spiritualité évangélique qui veut faire du culte un temps de bien-être personnel au sens immédiat et terrestre du terme, oubliant les notions d’obéissance et de renoncement personnel24.

David Peterson conclut sa théologie biblique de l’adoration en soulignant que le culte est centré sur Dieu et qu’il a pour but l’édification du corps dans chacune de ses composantes25. Le culte est un « moyen de grâce », un moyen privilégié par lequel Dieu communique ses bienfaits26. Paul rappelle aux Romains la nécessité que la Parole de Dieu soit prêchée pour susciter la foi (Rm 10.14-17), tandis que Jacques et Pierre soulignent le rôle essentiel des Ecritures dans la croissance chrétienne (Jc 1.18 ; 1P 1.23‑24). C’est pourquoi Paul exhorte Timothée à vivre en « ouvrier […] qui dispense avec droiture la parole de la vérité » (2Tm 2.15), étant ainsi, par sa prédication, un canal par lequel Dieu déverse sa grâce sur ses auditeurs.

Loin d’opposer adoration et édification, Peterson affirme que l’enseignement de l’Ecriture conduit les païens à louer Dieu pour ses bontés (Rm 15.9)27, montrant ainsi que l’adoration authentique se nourrit de l’enseignement scripturaire. Il est donc légitime de mettre la prédication au centre du culte, les autres éléments étant sous sa dépendance. C’est le moment du culte où Dieu parle à son peuple28.

Pourtant, l’intention de laisser une grande place à la prédication s’efface devant les attentes des participants et le désir d’un culte qui soit attrayant et varié. Certains cultes évangéliques sont tellement denses que les personnes présentes n’ont plus assez d’énergie pour suivre attentivement la prédication après une première partie trop longue29. Il y a plus de quatre siècles, Bullinger avertissait déjà contre les dangers d’un culte qui ne tient pas compte des limites humaines :

Que la plus grande partie du culte soit donc consacrée à l’enseignement de l’Evangile, et que l’on veille à ce que ceux qui sont présents au culte ne se lassent pas à cause des prières fastidieuses. Autrement, au moment de la prédication de l’Evangile, les auditeurs risquent de souhaiter partir, par fatigue, ou désirer que le culte s’achève30.

Depuis quelques décennies, ce ne sont plus de longues prières qui fatiguent les gens, mais la place laissée au temps « de louange », qui limite la durée de la prédication. Les Eglises baptistes réunies à Berlin ont déclaré que « la musique devient un spectacle glorifiant nos talents, au lieu de rendre gloire au Seigneur et de conduire son peuple à l’adoration »31.

Malgré de bonnes intentions, la prédication souffre de la « concurrence » des autres éléments du culte. Les Eglises évangéliques, qui se caractérisent souvent par une réflexion liturgique faible et une louange développée, sont particulièrement vulnérables à ce travers, surtout si les deux parties du culte ne sont pas coordonnées entre elles. L’assemblée vit en quelque sorte deux cultes, l’un plus festif, centré sur la musique, l’autre plus sérieux, où l’enseignant proclame le message de l’Evangile.

La nécessité de la prédication

Calvin fustige ceux qui pensent pouvoir se passer de la prédication et se contentent de leur propre lecture des Ecritures32. La Seconde Confession helvétique rappelle que la lecture personnelle de la Bible ne saurait se substituer à la prédication publique, pratique qui remonte aux temps apostoliques33. Si le salut est individuel, Jésus bâtit son « Eglise » (Mt 16.18), terme qui évoque le peuple de Dieu rassemblé34 et montre le caractère communautaire du projet divin, qui s’oppose à l’individualisme occidental actuel.

Evert Van de Poll déplore la tendance de certains chrétiens à considérer le culte comme « un supermarché où chacun remplit son propre caddy »35, ce qui conduit à ne s’intéresser qu’à tel ou tel élément du culte selon ses envies personnelles. Une telle attitude dénote un certain orgueil, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’un refus d’écouter les prédicateurs que Dieu donne à l’Eglise. S’exposer régulièrement à la prédication permet à l’auditeur d’être transformé par la pensée de Dieu plutôt que par la société qui l’entoure ou les thèmes favoris d’un prédicateur populaire sur internet. Les liens privilégiés du prédicateur avec ses auditeurs permettent à ces derniers de savoir à qui ils ont affaire. Les ressources chrétiennes sur internet n’offrent pas les mêmes garanties, celles-ci n’étant généralement pas évaluées par une instance digne de confiance36.

La prédication se nourrit aussi du lien qui existe entre l’enseignant et son auditoire, puisqu’elle a normalement été préparée pour une assemblée particulière et un jour précis. Elle revêt un caractère plus personnel qu’un message lu dans un recueil37. Cet aspect plus personnel concerne aussi le prédicateur, qui démontre par sa vie la pertinence de ce qu’il enseigne et incarne les vérités présentées. Augustin affirme que la conduite est plus importante que l’art oratoire38, tandis que Spener rappelle la nécessité pour les étudiants en théologie de mener une vie en accord avec l’Ecriture pour se préparer à être des « modèles du troupeau »39, de bonnes connaissances ne suffisant pas pour bien enseigner.

3. Renouveler la prédication

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous désirons formuler quelques pistes concrètes concernant le message, le prédicateur et l’Eglise.

La forme du message

Une nécessaire clarté

Paul a exhorté les Corinthiens à ne pas parler en langues incompréhensibles afin que l’assemblée soit édifiée par des chants, des prières et des prophéties qui peuvent instruire chacun (1Co 14.3-5, 14-19). Par analogie, le prédicateur qui désire être compris de son auditoire se doit de soigner non seulement le contenu de son message, mais aussi la manière de le communiquer. Le caractère oral de la prédication nécessite de travailler spécifiquement ce mode d’expression40.

Le langage doit être suffisamment clair pour être compris par les personnes présentes. Spener met en garde contre le désir de prêcher de manière savante alors que l’orateur doit plutôt s’adapter aux auditeurs, cherchant à être compris par les gens simples, souvent plus nombreux que les personnes plus cultivées41. Pierre Marcel exhorte à une sobriété de paroles, en évitant les digressions savantes inutiles, et à viser une « simplicité de langage »42 qui favorise une bonne compréhension de ce qui est exposé.

S’impliquer émotionnellement

Pour Augustin,

le prédicateur doit avoir pour triple objectif d’instruire, de plaire et d’émouvoir. Instruire est une nécessité, plaire est un agrément, émouvoir une victoire. Le premier de ces objectifs concerne les idées que nous énonçons, les deux autres, la manière de les exprimer43.

Martyn Lloyd Jones estime qu’il ne faut pas avoir peur des émotions lorsqu’on annonce les merveilleuses vérités de l’Evangile, mais il ajoute que prêcher n’est pas jouer un rôle comme un acteur, ce qui serait de l’hypocrisie44. Stuart Olyott encourage le prédicateur à s’identifier aux émotions que ses auditeurs sont censés ressentir (la joie, la peine ou la colère face au mal), afin de mieux les convaincre du message qu’il désire transmettre. Le prédicateur doit néanmoins prendre garde à la tentation de la surenchère émotionnelle. A l’ère médiatique, avec le modèle renvoyé par la télévision ou les médias électroniques, il est facile de privilégier une forme plus adaptée au sensationnalisme qu’à la proclamation sincère de la vérité biblique45.

La prédication ne doit ni se contenter de donner de simples informations ni imiter le sensationnalisme de certains médias. L’apôtre Paul « suppliait » ses lecteurs d’être réconciliés avec Christ (2Co 5.20). Un tel message ne saurait être prononcé de manière détachée.

Illustrer

Multiplier les illustrations facilite également la compréhension. Les auteurs du Nouveau Testament enseignent souvent les vérités spirituelles à partir de réalités concrètes et d’images. Comme l’observe Luther :

Si l’on prêche sur un article de la justification, les gens dorment et toussent. Si l’on raconte des histoires, ou que l’on donne des exemples, les oreilles se dressent dans une écoute attentive et silencieuse46.

Les récits de vie sont très appréciés des auditeurs, même s’il faut les utiliser avec prudence, ce qu’une personne a vécu n’étant pas toujours transposable dans la vie des autres.

Le contenu du message

L’Ecriture… toute l’Ecriture

L’exposition des Ecritures était déjà pratiquée plus de quatre siècles avant Jésus-Christ par le scribe Esdras, qui expliquait le sens de la loi au peuple rassemblé (Né 8)47. C’était aussi l’habitude d’Augustin, comme le souligne Verwilghen :

La prédication augustinienne tient presque exclusivement à l’enseignement et à l’interprétation de l’Ecriture. Tout prédicateur doit comprendre l’Ecriture, la connaître autant que possible par cœur et être capable de la présenter en termes éloquents48.

Le prédicateur doit donc enseigner le message biblique et montrer son actualité49. Et il doit l’exposer dans son intégralité, sans se limiter à ses textes préférés. Douglas Kelly observe que l’Ancien Testament a été particulièrement négligé au cours du xxe siècle par les prédicateurs évangéliques50. Emile Nicole encourage une utilisation plus régulière de l’Ancien Testament comme texte principal, et non seulement comme complément au texte du Nouveau Testament51.

La prédication textuelle suivie consiste à faire une série de prédications sur un livre biblique entier. C’était ce que faisait Calvin à Genève, selon le schéma suivant :

Prière, bref résumé du sermon précédent, présentation des éléments exégétiques nécessaires, exposé de la signification originelle, application à la vie de la congrégation, exhortation à l’obéissance, prière52.

Ce type d’enseignement, lorsqu’il est correctement dispensé, donne une vue d’ensemble des livres bibliques et oblige le prédicateur à aborder des passages peu enseignés.

La Loi et l’Evangile

Il faut enseigner non seulement que Dieu ordonne ce qui est juste, mais qu’il donne les moyens de vivre selon ses exigences, ce qui est impossible à l’être humain livré à lui-même. Jay Adams propose à ce sujet un test utile : « Si le sermon que vous prêchez convient aux membres d’une synagogue ou d’une communauté unitarienne, alors il pose un vrai problème. »53 Bryan Chapell recommande, lorsqu’on prêche l’obéissance aux commandements divins, d’indiquer également les ressources permettant de les mettre en pratique :

On ne devrait pas prêcher les exigences de Dieu indépendamment de la grâce de Dieu, car Dieu donne lui-même la sainteté qu’il exige. Si l’on néglige les moyens de grâce, alors on supprime toute possibilité d’obéissance54.

L’action divine dans la vie du croyant n’empêche toutefois pas l’appel à l’implication personnelle des auditeurs dans la mise en œuvre des vérités bibliques. L’apôtre Pierre, après avoir rappelé les dons de Dieu aux destinataires de sa lettre, poursuit par cette exhortation : « Faites tous vos efforts… » (2P 1.5) L’annonce de la grâce de Dieu n’annule pas l’appel à la sainteté, mais encourage à une mise en œuvre confiante des vérités enseignées.

L’autorité de la prédication

Un enseignement fidèle à l’Ecriture doit être perçu comme parole de Dieu. Augustin encourage ses auditeurs à ne pas s’arrêter à ses talents oratoires : « Ne vous préoccupez pas de moi, mais de la Parole de Dieu. »55 La Seconde Confession helvétique invite à recevoir la prédication comme venant de Dieu :

Lorsque, à présent, cette Parole de Dieu est annoncée dans l’Eglise par des prédicateurs légitimement appelés, nous croyons que c’est la véritable Parole de Dieu qu’ils annoncent, et que les fidèles reçoivent (I, 4).

Blocher s’appuie sur la continuité des ministères en 1 Corinthiens 12, les enseignants succédant aux apôtres et aux prophètes, pour affirmer l’autorité de la prédication56. Il rappelle néanmoins que le prédicateur n’est pas infaillible. Les auditeurs doivent donc faire preuve de discernement et de sens critique lorsqu’ils écoutent la prédication57. Celle-ci ne doit être reçue que dans la mesure où elle est conforme à la Parole de Dieu.

Une prédication orientée vers la pratique

Lorsqu’il affirme l’inspiration divine de l’Ecriture, Paul en souligne aussi la finalité pratique : « Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile… » (2Tm 3.16-17) La prédication doit donc présenter des applications et encourager la mise en pratique des vérités bibliques. Chapell formule cela de la manière suivante : « Nous ne sommes pas seulement des ministres de l’information ; nous sommes des ministres de la transformation. »58 De même, Timothy Keller souligne que le but de la prédication n’est pas seulement de produire des convictions, mais des vies renouvelées par la puissance transformatrice de l’Evangile59.

La prédication doit donner des directives aux auditeurs pour leur propre existence : « Il s’agit de porter sur la réalité vécue et éprouvée par les auditeurs l’éclairage de la lumière de l’Evangile. »60 Radcliffe met en garde les prédicateurs contre leur tendance à enjoliver la réalité et à donner une fausse image de la vie chrétienne. Il les invite à tenir compte de manière réaliste de leurs propres luttes et difficultés, ainsi que de la complexité de la vie humaine61.

Progresser dans le ministère de prédicateur

Que les anciens qui président bien soient jugés dignes d’un double honneur, surtout ceux qui prennent de la peine à la prédication et à l’enseignement. (1Tm 5.17)

Selon Samuel Bénétreau, le verbe traduit par « prendre de la peine » dans ce verset (kopiaô) « n’implique pas nécessairement une souffrance, mais au moins un engagement et une assiduité qui peuvent être parfois ressentis comme éprouvants »62. Le prédicateur consciencieux reste ouvert aux améliorations possibles de son enseignement et recherche l’excellence dans sa pratique. Il fait sienne l’exhortation de Paul à Timothée : « Applique-toi et sois tout entier à cette tâche, afin que tes progrès soient évidents pour tous. » (1Tm 4.15) Il est donc nécessaire de continuer à se former, en lisant des ouvrages sur la prédication ou en suivant des formations comme « Prêche la Parole »63, qui valorise la prédication textuelle suivie et organise des rencontres combinant théorie et pratique.

Le prédicateur et son auditoire

La chaire ne peut être le lieu pour régler ses comptes avec l’assemblée ou certains de ses membres. Le prédicateur doit veiller à ne pas tomber dans ce travers, tout en cherchant à rendre ses messages pertinents pour son auditoire. Connaître les préoccupations ou les défis des personnes permet de trouver des applications ou des exemples plus appropriés.

Devant son auditoire, le prédicateur gagne également à reconnaître ses limites et faiblesses personnelles. Sans multiplier les détails intimes, admettre ses propres difficultés et présenter les moyens mis en œuvre pour tenter de les surmonter rendent le message plus accessible. Cette vulnérabilité affichée peut donner lieu à des entretiens plus profonds après un enseignement. L’Evangile ainsi prêché montre la réalité de la vie chrétienne, jalonnée de victoires et de défaites, et rappelle aux auditeurs que chacun a quotidiennement besoin de la grâce de Dieu et de l’œuvre intérieure du Saint-Esprit pour progresser. Les grands personnages de l’Ancien Testament, comme Abraham ou David, ne sont pas idéalisés dans les Ecritures, bien au contraire. Leurs chutes tout comme leurs victoires y sont consignées pour notre instruction.

La dépendance vis-à-vis du Saint-Esprit

La préparation du message peut facilement être une suite de techniques d’analyse, suivie de la présentation du contenu d’un texte en s’appuyant sur sa propre expérience d’orateur. Cette manière de procéder, très mécanique, néglige les enjeux spirituels et l’œuvre transformatrice du Saint-Esprit, indispensable pour que la prédication atteigne son but. Azurdia rappelle la nécessité d’expérimenter l’action de Dieu par sa Parole dans sa propre vie avant de l’enseigner64.

Le prédicateur se place ainsi sous la dépendance divine, reconnaissant l’œuvre indispensable du Saint-Esprit dans les cœurs. Il sait aussi que tout changement consécutif à sa prédication ne peut être un sujet de gloire personnelle, Dieu seul pouvant transformer l’existence des auditeurs65. L’objectif du prédicateur n’est donc ni le succès, ni l’approbation, mais la fidélité au texte et l’adaptation à l’auditoire dans la dépendance la plus étroite possible vis-à-vis du Saint-Esprit.

La prise de conscience du rôle du Saint-Esprit encourage le prédicateur à prier tout au long de sa préparation et pour la réception du message proclamé. L’habitude de prêcher et le manque de temps disponible peuvent conduire à négliger cet aspect de la prédication, ce qui a pour effet de transformer cette dernière en un simple discours humain.

Marcel distingue le sermon écrit de la prédication orale. Cette dernière nécessite un abandon à la liberté de l’Esprit, qui transforme le messager et le rend apte à communiquer le message avec force et clarté :

Quand, en prêchant, un homme s’abandonne à la liberté de l’Esprit, il constate que ses facultés sont développées au-dessus de sa normale habituelle ; la liberté est donnée, non seulement à son âme, mais à sa langue ; sa pénétration d’esprit est plus grande, sa faculté de se représenter les choses est plus profonde ; la vérité prend une plus grande puissance sur son âme ; sa foi est plus intense ; il se sent pris dans une vivante et compacte réalité. Ses sentiments sont plus vifs et envahissent spontanément son cœur. Il en vient à penser les pensées du Christ, à éprouver les sentiments et les émotions du Christ ; il a conscience de faire les œuvres du Christ, avec lui et comme lui (Jn 14.12)66.

L’événement de la prédication, parole qui s’adresse à un auditoire donné à un moment donné, ne peut être correctement vécu sans une réelle dépendance vis-à-vis du Saint-Esprit. Cette dépendance n’exclut pas des notes rédigées avec soin, dans une réelle volonté de soumission à Dieu et en étant conscient que la préparation peut être remise en cause par une conviction claire du Saint-Esprit.

Le rôle des auditeurs

L’attitude des auditeurs influence la manière dont l’exposition de la Parole de Dieu est vécue par l’assemblée. Tout comme l’apôtre Paul demandait la prière pour qu’il annonce la Parole de Dieu de manière appropriée (Ep 6.19-20), le prédicateur peut aussi solliciter le soutien de l’assemblée. Stott souligne que Paul « était suffisamment sage pour être conscient de son propre besoin de forces face à l’ennemi, et suffisamment humble pour demander à ses amis de prier avec lui et pour lui »67.

La responsabilité des auditeurs ne s’arrête pourtant pas à la prière avant le culte. Puisque la prédication est la proclamation de la Parole de Dieu, l’écoute n’est pas une question de politesse, d’envie personnelle ou d’affinité avec le prédicateur, mais un témoignage de la soumission de l’auditeur à cette Parole, une manière pour ce dernier de montrer sa foi face à la Parole de Dieu elle-même. La Confession de foi de Westminster affirme que « l’écoute attentive de la Parole dans l’obéissance à Dieu »68 fait partie du culte, rendant les auditeurs acteurs et responsables. Dominique Angers prône une écoute humble, tout en gardant un certain sens critique par rapport à ce qui est enseigné, à l’image des Béréens (Ac 17.11)69. Il déplore que le temps de la prédication ressemble trop souvent à un « tribunal » où le message est évalué selon des critères de préférence personnelle, attitude typique de la société de consommation qui vit le culte comme un divertissement70.

Conclusion

Certaines remises en cause de la prédication sont compréhensibles, surtout lorsque celle-ci s’écarte de l’Evangile ou est déconnectée de la vie des auditeurs. Mais la réponse scripturaire ne consiste pas à écarter la prédication, mais à proclamer un message conforme à l’Evangile et en prise avec les réalités actuelles. Lorsque l’Eglise met la prédication au cœur du culte chrétien, elle manifeste sa confiance dans les moyens de grâce que Dieu a prescrits pour sa croissance spirituelle, ainsi que sa dépendance vis-à-vis du Saint-Esprit.


  1.  Cité selon La Bible, nouvelle version Segond révisée, dite « Bible à la Colombe », Société Biblique Française, Paris, 1978. Toutes les citations bibliques sont issues de cette version.↩︎

  2.  Marc Lienhard, « Lire, prêcher et interpréter la Bible dans le culte : les intentions des réformateurs », Présence et rôle de la Bible dans la liturgie, Martin Klöckener, Bruno Bürki, Arnaud Join-Lambert (éditeurs), Academic Press Fribourg, Editions Saint-Paul Fribourg, Fribourg (Suisse), 2006, p. 196.↩︎

  3.  Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2009, IV, i, 9.↩︎

  4.  Christophe Paya, Au cœur de la louange, Edifac/Excelsis, Vaux-sur-Seine/Charols, 2014, p. 58.↩︎

  5.  Henri Bullinger, La Seconde Confession helvétique, XVII, 11, in La Revue réformée 212 (2001/2).↩︎

  6.  Katie Badie, « Culte protestant », Dictionnaire de théologie pratique, sous dir. Christophe Paya, en collaboration avec Bernard Huck, Excelsis, Charols, 2011, p. 258.↩︎

  7.  Christophe Paya, « Culte évangélique », Dictionnaire de théologie pratique, p. 242.↩︎

  8.  Françoise Lautman, « La prédication comme rite : un statut contesté », Ethnologie française 37, 2007/HS, p. 110.↩︎

  9.  Christophe Paya, « Culte évangélique », Dictionnaire de théologie pratique, p. 242.↩︎

  10.  Christophe Paya, Au cœur de la louange, p. 12-14 ; Evert Van de Poll, « Prédication et culte », Les Cahiers de l’école pastorale, HS 12, p. 51-52.↩︎

  11.  Henri Blocher, « De la prédication », La Bible au microscope. Exégèse et théologie biblique du Nouveau Testament, vol. 2, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2010, p. 224.↩︎

  12.  John Stott, Le défi de la prédication. Transmettre la Parole de Dieu dans le monde d’aujourd’hui, abrégé et mis à jour par Greg Scharf, Langham Partnership, Carsile, Cumbria (UK), 2014, p. 7-8.↩︎

  13.  Henri Bacher, « Lettre ouverte aux prédicateurs », http://www.eglise-numerique.org/2014/08/lettre-ouverte-aux-predicateurs.html (consulté le 2 janvier 2016).↩︎

  14.  Henri Bacher, « Culte expérimental n° 1 », http://www.dailymotion.com/video/xcm5q7_culte-experimental-n-1_webcam (consulté le 8 avril 2016).↩︎

  15.  « Culte dans le style de Taizé », http://saintcergue.eerv.ch/culte-dans-le-style-de-taize/ (consulté le 8 avril 2016).↩︎

  16.  Innocent Himbaza, « L’utilisation de l’Ecriture dans le culte juif au début de l’ère chrétienne », Présence et rôle de la Bible dans la liturgie, op. cit., p. 25.↩︎

  17.  Oscar Cullmann, La foi et le culte de l’Eglise primitive, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel (Suisse), 1963, p. 107, et Marcel Metzger, Histoire de la liturgie. Les grandes étapes, Desclée de Brouwer, Paris, 1994, p. 39, donnent plusieurs exemples tirés des Ecritures (Ac 1.13 ; 2.46 ; 5.42 ; 12.12 ; 16.15, 40 ; 20.20 ; Rm 16.5 ; 1Co 16.19 ; Col 4.15 ; Phm 2).↩︎

  18.  Innocent Himbaza, op. cit., p. 28.↩︎

  19.  Cette pratique est encouragée par Paul en Col 4.16, 1Th 1.3 et, par extension, par la parole en Ap 1.3.↩︎

  20.  Matthieu Collin, « La Bible dans la liturgie chrétienne des premiers siècles », Présence et rôle de la Bible dans la liturgie, Martin Klöckener, Bruno Bürki, Arnaud Join-Lambert (éditeurs), Academic Press Fribourg, Editions Saint-Paul Fribourg, Fribourg (Suisse), 2006, p. 48-49.↩︎

  21.  B. Huck, Dictionnaire de théologie pratique, p. 10-11, souligne aussi que Jc 2.2 utilise le mot « synagogue » pour désigner l’Eglise locale, renforçant encore la parenté entre les deux institutions.↩︎

  22.  Oscar Cullmann, op. cit., p. 108.↩︎

  23.  Ce texte ne concerne pas directement le rassemblement de l’Eglise, mais il est possible d’extrapoler au domaine du culte le principe donné par Paul dans le cadre des viandes sacrifiées aux idoles.↩︎

  24.  Annie Bergèse, « Identité protestante et spiritualité communautaire. Entre spiritualité et liturgie », La Revue réformée 239 (2006/4), p. 88-89.↩︎

  25.  David Peterson, En Esprit et en vérité. Théologie biblique de l’adoration, Excelsis, Charols, 2005, p. 300.↩︎

  26.  Le petit catéchisme de Westminster, questions 88-90, évoque la prière, les sacrements et la parole, notamment par le moyen de la prédication.↩︎

  27.  D. Peterson, op. cit., p. 188.↩︎

  28.  P. Clowney, L’Eglise, coll. Théologie, Excelsis, Cléon d’Andran, 2000, p. 135 ; Ch. Paya, Au cœur de la louange, p. 53.↩︎

  29.  Christophe Paya, « Culte évangélique », Dictionnaire de théologie pratique, p. 246.↩︎

  30.  Henri Bullinger, La Seconde Confession helvétique, XXIII, 3.↩︎

  31.  « Déclaration de Berlin sur le culte », Les Cahiers de l’école pastorale 35 (2000/1), p. 4.↩︎

  32.  Calvin, IRC, IV, i, 5.↩︎

  33.  Henri Bullinger, La Seconde Confession helvétique, XXII, 1.↩︎

  34.  Richard Thomas France, L’Evangile de Matthieu, t. 2, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2000, p. 63.↩︎

  35.  E. Van de Poll, op. cit., p. 51.↩︎

  36.  Antonio Spadaro, Cyberthéologie. Penser le christianisme à l’heure d’internet, Lessius, Bruxelles, 2014, p. 41.↩︎

  37.  Hans-Christoph Askani, « Le pasteur. Témoin de la vérité ? », Etudes théologiques et religieuses 85 (2010/4), p. 521.↩︎

  38.  Albert Verwilghen, « Rhétorique et prédication chez Augustin », Nouvelle Revue théologique 120 (1998/2), p. 237, rapporte cette citation : « Il est éloquent celui dont la vie est une prédication. »↩︎

  39.  Philipp Jacob Spener, Pia desideria, Arfuyen, Paris, 1990, p. 82.↩︎

  40.  Bernard Reymond, De vive voix. Oraliture et prédication, Pratiques no 18, Labor et Fides, Genève, 1998, p. 105.↩︎

  41.  Spener, op. cit., p. 90.↩︎

  42.  Pierre Marcel, « L’actualité de la prédication », La Revue réformée 7 (1951/3), p. 65. Jean-Jacques von Allmen, Célébrer le salut. Doctrine et pratique du culte chrétien, Editions du Cerf, Labor et Fides, Paris, Genève, 1984, p. 124-125, étend cette demande de « simplicité » à tout le culte.↩︎

  43.  Marie-Anne Vannier, « La prédication chez Augustin et Eckhart », Nouvelle Revue théologique 127 (2005/2), p. 185-186.↩︎

  44.  Martyn Lloyd-Jones, Preaching and Preachers, Zondervan Publishing House, Grand Rapids, 1971, p. 94.↩︎

  45.  R. Gelin, « Prédication », Dictionnaire de théologie pratique, p. 546.↩︎

  46.  Cité par B. Reymond, op. cit., p. 116.↩︎

  47.  Henri Blocher, op. cit., p. 230.↩︎

  48.  A. Verwilghen, op. cit., p. 238.↩︎

  49.  P. Marcel, op. cit., p. 45.↩︎

  50.  Douglas F. Kelly, « Prêcher le dessein de Dieu dans sa totalité (2) », La Revue réformée 199 (1998/3), p. 6.↩︎

  51.  Emile Nicole, « Prêcher sur l’Ancien Testament », Les Cahiers de l’école pastorale, HS 12, p. 33.↩︎

  52.  R. Gelin, op. cit., p. 544.↩︎

  53.  Jay Adams, Preaching with Purpose. A Comprehensive Textbook on Biblical Preaching, Baker Book, Grand Rapids, 1982, p. 147, cité par Bryan Chapell, Prêcher. L’art et la manière, Coll. Diakonos, Excelsis, Charols, 2009, p. 311.↩︎

  54.  Bryan Chapell, op. cit., p. 338.↩︎

  55.  Cité par A. Verwilghen, op. cit., p. 239-240.↩︎

  56.  Henri Blocher, op. cit., p. 232.↩︎

  57.  Ibid., p. 235.↩︎

  58.  Bryan Chapell, op. cit., p. 51.↩︎

  59.  Timothy Keller, Une Eglise centrée sur l’Evangile. La dynamique d’un ministère équilibré au cœur des villes d’aujourd’hui, Excelsis, Charols, 2015, p. 70.↩︎

  60.  R. Gelin, op. cit., p. 549.↩︎

  61.  Timothy Radcliffe, « Prédication : sortir de l’ennui ! », Etudes 398, 2003/1, p. 69-70.↩︎

  62.  Samuel Bénétreau, Les épîtres pastorales. 1 et 2 Timothée, Tite, Edifac, Vaux-sur-Seine, 2007, p. 244-245.↩︎

  63.  Il existe des rencontres nationales annuelles qui encouragent à la prédication textuelle et des groupes locaux plus axés sur la pratique et l’évaluation de ses propres prédications par ses pairs (www.prechelaparole.fr).↩︎

  64.  A. Azurdia, Prêcher dans la puissance de l’Esprit, Europresse, Chalon-sur-Saône, 2000, p. 38.↩︎

  65.  Henri Bullinger, La Seconde Confession helvétique, XVIII, 2.↩︎

  66.  Pierre Marcel, op. cit., p. 79.↩︎

  67.  John Stott, La lettre aux Ephésiens. Vers une nouvelle société, Editions Grâce et Vérité, Mulhouse, 1995, p. 283.↩︎

  68.  Confession de foi de Westminster, XXI, 5.↩︎

  69.  Dominique Angers, « Comment écouter une prédication », conférence donnée à l’Institut biblique de Genève, le 8 octobre 2012, dans le cadre du séminaire « Veille sur toi-même et sur ton enseignement avec persévérance ».↩︎

  70.  Ibid.↩︎

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