Une approche pastorale
du divorce
Egbert Brink
Pasteur et professeur d’Ancien Testament et de théologie biblique à la Faculté de théologie réformée de Kampen (TUK), aux Pays-Bas, ainsi que professeur associé de théologie pratique à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence
Des relations brisées
Pendant des années, elle s’était battue pour son mariage, mais elle a fini par perdre la bataille et divorcer. Sa relation a été brisée, elle n’avait pas réussi à la réparer. Mais sa relation avec Dieu était-elle également brisée et irréparable ? Dans une lettre à ses (ex-)beaux-parents, elle a écrit ceci :
Vous ne pouvez pas dire que, si vous faites tout votre possible et priez beaucoup, tous les mariages seront sauvés, réparés. De la même manière toutes les personnes malades ne se rétablissent pas. La vie est brisée. C’est cela le péché, c’est cela qui attriste Dieu. Vous pensez peut-être que Dieu est peiné parce que nous avons fait quelque chose de travers. Je pense qu’il a de la peine à cause de nous, pour nous. Lorsqu’un mariage se brise, un processus de deuil commence. Pas seulement pour l’homme, la femme et les enfants, mais aussi pour la famille et les amis intimes […] même après un divorce les liens subsistent. Parce qu’il y a les enfants, on se soucie l’un de l’autre et on partage certaines choses. La dissolution du mariage ne signifie pas qu’on laisse tomber l’autre, qu’on ne s’intéresse plus à lui. Je n’ai jamais mis Dieu de côté. J’ai continué à prier jusqu’à ce que la décision soit prise et je n’ai pas arrêté depuis. J’ai toujours autant besoin de Dieu.
Si vous avez lu attentivement, vous aurez remarqué que quelque chose manque dans cette histoire : il s’agit de l’assemblée, de la communauté. Lorsqu’un tel événement se produit, toutes sortes de relations peuvent aussi être déchirées dans l’Église du Christ. Qu’est-ce que cela implique pour les personnes divorcées ? Et quel rôle les conseillers pastoraux peuvent-ils jouer ?
Devant le fait accompli ?
Chaque année, un couple marié sur 100 divorce en France. Autre chiffre encore plus parlant : près de 45% des mariages se terminent par un divorce. Les hommes divorcés ont en moyenne 42 ans et les femmes divorcées 44 ans1. Chez les chrétiens, le taux de divorce est un peu moins élevé, mais il est en augmentation malheureusement.
Quand Jésus était sur terre, le divorce et la répudiation étaient à l’ordre du jour. Beaucoup pensaient avoir réglé le problème avec une lettre de divorce. Mais Jésus a dit : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » (Mc 10.9) Le Christ maintient une norme élevée pour le mariage. Pour le dire clairement, mon intention n’est pas d’abaisser cette norme fixée par le Seigneur. Pour ma part, je fais tout mon possible pour prévenir les situations de divorce, pour sauver et réparer les relations brisées. Mais nous nous demandons maintenant quelle attitude adopter quand une relation prend fin, malgré toutes les mesures de prévention qui ont été prises. Que sommes-nous censés faire en tant que chrétiens lorsque nous sommes face à une situation qui ne correspond ni à la norme ni à l’intention divines ?
Vous entendrez souvent : « Nous nous sommes retrouvés devant le fait accompli. Si seulement nous avions pu intervenir plus tôt. Maintenant c’est trop tard. Cela ne servirait à rien d’essayer de réparer. C’est un véritable désastre. » Dans la pratique, une fois que le problème est entre les mains des avocats et des médiateurs spécialisés dans les cas de divorce, le conseiller pastoral se retire souvent. Que peut-on faire, une fois que l’affaire est allée devant les tribunaux ? Que peut-on encore sauver ? Pourtant les personnes que nous sommes appelés à accompagner ne sont pas d’abord des hommes ou des femmes divorcés. Ce sont avant tout des chrétiens, des frères et des sœurs en Christ.
L’Église, un hôpital pour les pécheurs
La plupart des mariages chrétiens ont été confirmés au sein de l’Église. Le pasteur a prononcé la bénédiction du mariage, et les promesses ont été échangées devant Dieu, avec pour témoins non seulement la famille et les amis, mais aussi les frères et sœurs en Christ. Être témoins signifie que nous sommes coresponsables les uns des autres, unis les uns aux autres. Si l’Église était impliquée dans la préparation au mariage (catéchisme) et la cérémonie de mariage elle-même, est-ce que cela prendrait fin quand les choses tournent mal ? D’autant que ce n’est pas seulement le mariage qui est déchiré, comme je l’ai dit en introduction, il y a également une déchirure dans l’assemblée. Ce que l’on constate, c’est que les personnes divorcées sont mises à l’écart, voire poussées hors de l’Église, si bien qu’elles sont plus ou moins obligées de choisir une autre Église ou de disparaître dans la nature. Or, l’objectif de la discipline ecclésiale est d’aider celui qui a la tête sous l’eau à refaire surface, ce qui implique un accompagnement.
« L’Église est un hôpital pour des pécheurs, et non un musée pour des saints », disait Luther. La communauté chrétienne est composée de gens qui reconnaissent qu’ils ont besoin de leur Sauveur, jour après jour. Ils ne sont pas saints en eux-mêmes mais ont besoin d’être sanctifiés continuellement. Le Christ nous a unis à lui et les uns aux autres pour former une communauté où l’on se sent en sécurité. Il arrive malheureusement que les personnes divorcées et leurs enfants ne se sentent pas en sécurité dans l’Église. Ils se sentent de plus en plus isolés, voire épiés, décriés, calomniés, marqués au fer rouge. Cette mise à l’écart n’est pas nécessairement volontaire ; elle peut être le résultat de l’embarras ou de l’ignorance.
Il est important de créer un filet de sécurité, pour rattraper les gens lorsqu’ils tombent. Il faut pour cela, avant tout, entretenir de bonnes relations les uns avec les autres. Celui qui privilégie les relations en tirera profit lorsque les choses deviendront difficiles. Après avoir été exhortés à redresser avec douceur celui qui a été surpris en faute, nous sommes invités à porter les fardeaux les uns des autres (Ga 6.1-2). Et en même temps chacun est responsable de porter sa propre charge (Ga 6.5).
L’image du corps de Christ nous est familière : l’œil, l’oreille, le pied… ils ont tous besoin les uns des autres. Et si un membre souffre, tous les autres membres souffrent avec lui. Mais ce que dit l’apôtre Paul sur les membres du corps les moins honorables (1Co 12.22-25) est souvent négligé. Les membres les moins présentables ou honorables sont ceux que nous avons tendance à couvrir. Ce sont des membres vulnérables que nous traitons avec plus d’honneur. Nous en prenons plus particulièrement soin. Cela doit également être vrai des membres de nos Églises les moins honorables. Ceux dont vous avez peut-être honte doivent être traités avec un plus grand soin. Au lieu de rejeter les personnes dont vous pensez qu’elles ne devraient pas se trouver parmi vous, qu’elles sont plus un fardeau qu’une joie, entourez-les d’une manière particulière afin que le corps ne perde pas sa cohésion.
N’est-ce pas le monde à l’envers ? Paul semble trouver plus importantes les personnes qui ont besoin d’être réconfortées que celles qui réconfortent (les conseillers pastoraux). Il ne met pas en avant les accompagnateurs, mais ceux qui ont besoin d’accompagnement. Les personnes qui ont besoin d’amour et d’attention sont les plus importantes d’un point de vue chrétien. Elles semblent être les plus faibles, les moins nécessaires, mais elles sont les plus précieuses, les plus aimées.
L’approche pastorale
À chacun son métier. Chacun a son propre domaine d’expertise en rapport avec les personnes divorcées. Si vous voulez avoir une vue d’ensemble de la situation, vous avez besoin du regard du travailleur social, du psychologue, du médiateur, de l’avocat, du spécialiste des questions financières, entre autres. Quelle est donc la spécificité de l’approche pastorale ?
Le pasteur prête une oreille attentive à la personne accompagnée et s’intéresse à son histoire plus qu’à son comportement, comme Jésus avec Zachée. Il ne cherche pas à savoir tout de suite qui est le plus fautif, mais bien plutôt à manifester de l’empathie. Il se soucie de la relation de cette personne avec Dieu. Peut-être son mariage n’a-t-il pas été sauvé, mais sa relation avec Dieu peut l’être. Son objectif est de diriger vers Dieu celui qui traverse une situation de divorce, de contribuer à son bien-être spirituel. Par exemple en posant des questions comme :
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Dieu est-il toujours présent dans votre vie ?
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Comment avez-vous géré votre relation avec Dieu jusqu’à présent ?
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À quoi ressemblait votre relation avec Dieu et qu’est-ce qui a changé ?
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Quelle est votre attitude maintenant dans cette situation douloureuse ?
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Quel rôle Dieu joue-t-il actuellement ?
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Comment poursuivre votre relation avec Dieu ?
Il faut conduire la personne divorcée à réfléchir à sa relation avec Dieu. Parce que c’est Dieu qui veut être en relation avec le chrétien, avant que le chrétien veuille être en relation avec lui.
Celui qui marche à la suite du Christ ne cherche jamais à éviter les gens. Il s’intéresse à eux dans les situations douloureuses dans lesquelles ils se trouvent. Il fait surgir la vérité. Il identifie la faute et ne masque pas les faits, mais il le fait avec amour, afin de réparer et de guérir. Il n’attend pas que le coupable soit suffisamment conscient de son péché pour lui prodiguer son amour. Prendre conscience de son péché est important, mais ce n’est pas le point de départ pour Jésus. L’amour du Christ est ce qui nous inspire. Le conseiller pastoral doit demander à Dieu de l’aider à être un bon guide, mais surtout prier pour et avec la personne qu’il accompagne. Cela est essentiel.
Mais est-il possible de conseiller les personnes divorcées tout en rejetant le divorce dans son cœur ? Si on n’a aucune sympathie pour le divorce, peut-on prendre soin de ceux qui sont dans cette situation ? Il importe d’être honnête avec soi-même et avec l’autre, de ne pas jouer à cache-cache avec ses sentiments, mais d’exprimer son malaise par rapport à la situation. L’accompagné est habituellement très sensible à l’honnêteté et à l’authenticité. Il se peut d’ailleurs que le malaise soit dû à l’ignorance. Une conseillère pastorale m’a avoué n’avoir découvert que récemment que le divorce n’était pas la même chose que l’adultère ! Cette découverte lui a ouvert les yeux. La confusion peut venir d’une mauvaise compréhension du texte biblique. Par exemple, en Malachie 2.14-16, il est dit que Dieu déteste le divorce, mais ici, ce qui est condamné, c’est la répudiation, le fait de chasser sa femme. Certes, il ne faut pas fermer les yeux sur les fautes commises, mais il ne faut pas non plus fermer son cœur à l’autre. Lorsque Jésus dit : « Qu’il soit pour vous comme un païen ou un péager »2, cela ne signifie pas que vous devriez lui tourner le dos, mais que vous devez partir à sa recherche et essayer de le convaincre de changer de comportement. « Nous vous y encourageons, frères : avertissez les indisciplinés, réconfortez ceux qui sont abattus, soutenez les faibles, soyez patients envers tous. » (1Th 5.14)
Réserver son jugement
« Qui m’a établi juge entre vous ? »3 dit le Seigneur quand on essaye de l’impliquer dans un conflit. Ne soyons pas pressés de prononcer un jugement dans une situation de divorce. Ne commençons pas par rappeler la norme et réprimander. L’accompagné sait déjà cela. Le rôle principal de l’Église n’est pas de juger, et encore moins de condamner, mais de rester en relation. Celui qui prend parti pour l’un rend impossible toute relation avec l’autre. Être en contact ne signifie pas nécessairement prendre parti. L’accompagnant précisera bien qu’il s’interdit de prendre parti, ne serait-ce que pour se protéger. Il ne se contentera pas d’entendre la version d’un seul pour ne pas se laisser influencer par les accusations de l’un contre l’autre. Chacun a sa propre version des faits. Au début, il est nécessaire d’entendre les deux parties. Par la suite cependant, il est habituellement plus sage d’attribuer des conseillers différents à chaque partie, tout en maintenant la communication au sein de l’équipe d’accompagnement, afin que personne ne prenne parti ou ne prononce son jugement prématurément.
Ce n’est pas la même chose que d’affirmer : « Il faut être deux pour se quereller », sous-entendu : forcément les torts sont réciproques. Ce n’est pas toujours vrai. On peut traiter les gens injustement si on raisonne de la sorte, superficiellement. En même temps, un divorce sans culpabilité est une impossibilité. Je préfère l’expression suivante : « De même que le mariage est un mystère, le divorce aussi en est un. »
C’est un appel pressant à faire preuve de prudence et à reconnaître les complexités d’une relation brisée. Qui est capable de démêler une telle situation ? N’essayez pas de le faire. Comme le dit le Catéchisme de Heidelberg (43e dimanche) à propos du neuvième commandement : il m’ordonne « de ne pas aider à la condamnation inconsidérée de quelqu’un sans qu’il ait été entendu ». Il n’est jamais bon d’émettre prématurément un jugement, moins encore dans ce genre de situation. Cela est vrai, même si on n’a pas seulement affaire à un simple cas de divorce par mésentente, mais aussi lorsqu’il y a adultère. Même dans ce dernier cas, on ne devrait pas commencer par des accusations. Avec le temps, il sera possible de se faire une meilleure idée de ce qu’il en est réellement, et celle-ci sera sans doute très différente des premières impressions ! En fait, Dieu seul connaît les causes les plus profondes. C’est à lui qu’appartiennent le premier et le dernier jugement. De plus, c’est d’abord la responsabilité de la personne qui a décidé de divorcer, ou a été contrainte d’y consentir, de s’examiner elle-même.
On entend quelquefois des histoires dramatiques. Quelqu’un a trouvé dans sa boîte aux lettres un courrier disciplinaire du conseil presbytéral, la veille d’un culte de sainte cène, sans même avoir eu l’occasion de parler de sa situation. On peut suspendre quelqu’un de la cène dans une situation complexe, pour se donner du temps avant de prononcer un jugement et garantir la sécurité ou la sainteté de l’Église. Mais cela peut aussi être ressenti comme un rejet douloureux, lorsque la personne divorcée a particulièrement besoin d’aide et de réconfort. Avant d’émettre un jugement, il faut évaluer l’attitude de la personne en cause. Comment vit-elle son divorce ? Que s’est-il passé ? Quels éléments ne sont pas encore remontés à la surface (négligence, intimidation, addiction, comportement abusif, notamment) ? Souvent, nous n’en connaissons pas la moitié. Et peut-être n’aurons-nous jamais connaissance de tous les faits. C’est pourquoi il faut réserver son jugement. « Discerner ce qui convient le mieux » (Ph 1.10) demande du temps et de la sagesse.
Une attitude fraternelle et réconfortante
Mais un point est capital : il ne faut pas rompre les ponts ! Aller voir les conjoints séparés et en conflit, là où ils sont, sans chercher à les éviter, voilà l’accompagnement attendu d’un conseiller pastoral, en particulier à cause de l’ostracisme qu’ils peuvent ressentir. Parce que, dans la pratique, dans les salutations, on vous demande comment vous allez, mais on prend rarement la peine de vous écouter davantage. Plus même, les membres de l’Église éprouvent souvent de l’embarras par rapport à ce genre de situation et les personnes divorcées ne sont plus invitées. « Si je l’invite lui, je devrai aussi l’inviter elle… » Et les couples brisés restent à l’écart. Peu de gens ont envie de leur rendre visite, par contre tout le monde parle d’eux et exprime des opinions pas toujours charitables. C’est pourquoi les personnes divorcées se sentent en général très seules. Or dans l’Église personne ne devrait se sentir seul ou sans réconfort.
Le conseiller pastoral étudiera bien la situation et s’efforcera de sonder les besoins. Habituellement, il y a un grand besoin de soutien et de sécurité. Si bien qu’il ne faut pas constamment demander aux gens de s’expliquer sur tout. Cela les met mal à l’aise. Mieux vaut une main sur l’épaule qu’une enquête à la tournure policière. D’autre part, il faut essayer d’empêcher la famille de s’isoler, l’encourager à maintenir ses relations et surtout ne pas l’écarter de la vie de l’Église, afin de lui laisser le temps de se relever. On observe parfois que ceux qui semblent forts abandonnent, alors que les faibles qui se confient en Dieu sont renouvelés dans leur foi.
Le processus de deuil
La plupart des divorcés reconnaîtront qu’ils sont dans un processus de deuil. Mais c’est ici un processus très particulier. Se souvenir des bons moments peut vraiment aider. Cela est possible, même dans un mariage brisé, mais ce n’est pas ce qui vient d’abord à l’esprit. De plus, quand on devient veuf ou veuve, on sait que c’est Dieu qui a repris le conjoint décédé, mais ce n’est pas le cas dans un divorce. L’entourage ne réagit pas du tout de la même manière. Les veufs et les veuves reçoivent sympathie et consolation, mais les personnes divorcées beaucoup moins. Les cartes de condoléances sont réservées à ceux qui ont perdu leur mari ou leur femme. Les divorcés n’en reçoivent pas. « Je préférerais mille fois être veuf que divorcé », s’est écrié un homme après l’échec de son second mariage.
Il n’y a jamais de gagnants après un divorce, seulement des perdants. C’est une accumulation de pertes. Et cela conduit à un intense processus de deuil. On perd son partenaire, son cadre de vie, sa belle-famille, ses amis. Le réseau relationnel se désintègre. On perd la face (« Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé plus tôt ? »), ses attentes, les promesses faites à Dieu, son statut, une partie de ses revenus, sa dignité. Toutes ces pertes peuvent facilement conduire à des problèmes émotionnels comparables au choc produit par un deuil : douleur profonde, crainte, culpabilité, désespoir colère, interrogations, un sentiment de fatigue, d’échec, d’éloignement, de rejet personnel. Et, par-dessus tout, un sentiment de solitude : personne ne vous attend, personne pour entendre votre histoire, personne avec qui partager, personne pour panser vos blessures encore vives.
Des pertes changées en gains
Un bon pasteur sait qu’il y a toujours un gain spirituel à retirer de toute situation, même la plus désespérée. Il tâchera de conduire l’accompagné à ne pas nier la perte, mais à la reconnaître et à la présenter au Seigneur. Dans la prière, il peut y avoir une prise de conscience de la compassion du Seigneur, quelle que soit la profondeur des blessures. Des questions appropriées, comme celles évoquées plus haut, peuvent aider au nécessaire cheminement. Quelle incidence cette rupture a-t-elle eu sur votre relation avec Dieu ? Dieu vous a-t-il déçu parce qu’il n’a pas béni votre combat pour sauver votre mariage ? Vous sentez-vous rejeté parce que vos efforts n’ont servi à rien ? Des personnes apparemment fortes peuvent devenir très vulnérables devant Dieu. Ainsi, une relation brisée peut aussi briser l’orgueil et être une occasion de réparer et fortifier la relation avec Dieu. Quand nous sommes vulnérables, nous sommes davantage conscients de notre dépendance envers Dieu. Nous crions notre douleur devant Dieu le Père, qui nous console comme une mère. Après des années où nous nous sommes débrouillés tout seuls, nous reconnaissons avoir besoin de sa grâce. Nous retrouvons notre identité, nous sommes libérés du fardeau qui pesait sur nous depuis des années.
Celui qui subit une perte peut réagir de deux manières différentes. S’il ne peut supporter sa perte, il nie sa culpabilité, endurcit son cœur et évite Dieu. Mais il peut aussi se tourner vers Dieu, entrer dans une nouvelle relation avec lui, plus profonde qu’avant. Par la grâce de Dieu, il arrive qu’une personne divorcée soit fortifiée dans sa foi, son espérance et son amour. Tout cela était-il donc nécessaire pour renouveler sa relation avec Dieu ? Pas toujours, certes, mais Dieu peut se servir d’une situation douloureuse pour vous éprouver et fortifier votre foi, ou la réparer. Dieu est capable de changer une perte en gain.
Suis-je en train d’excuser le péché ? En aucune manière. L’homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni (Mt 19.6). Jésus prend le pécheur et le péché au sérieux. Mais Dieu peut aussi transformer le mal en bien (Gn 50.20). Il est très important que la culpabilité soit exprimée. Un divorce sans culpabilité, cela n’existe pas. Aucun des deux conjoints n’a réussi à sauver son mariage ni à respecter la norme divine. Cela peut produire un sentiment d’impuissance, même s’il est possible que l’un ait plus de torts que l’autre. Toutefois, chercher à savoir qui est le plus fautif est un chemin qui conduit au désastre. Le mariage peut révéler le meilleur, mais également le pire chez chacun des partenaires. Les extrêmes de l’amour et de la haine se touchent. Il est plus important que chacun se demande quelle a été sa propre contribution à l’échec. Même dans une situation d’adultère, chacun doit s’examiner lui-même. Les interpellations suivantes doivent être entendues :
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Fuyez-vous vos responsabilités ou êtes-vous prêt à reconnaître vos échecs ?
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Comment gérez-vous vos sentiments de culpabilité ?
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Avez-vous peur que Dieu vous abandonne ou les ignorez-vous ?
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Aspirez-vous à être purifié par le Christ ou essayez-vous constamment de couvrir vos propres manquements ?
Ici l’accompagnement pastoral peut jouer un rôle important. Il s’agit d’aider à distinguer entre les divers sentiments perçus. Qu’est-ce qui relève de la culpabilité et qu’est-ce qui relève de la honte (la honte de ne pas avoir réussi à sauver le mariage) ? Et surtout, le rôle du conseiller pastoral est d’annoncer, au milieu des ruines, le pardon au nom de Jésus-Christ. Ne pensez pas que le pardon n’est possible que si le couple est prêt à se remettre ensemble ! Le pardon est toujours possible. Je pense aussi qu’il est bon de donner l’occasion aux personnes divorcées, après qu’un certain temps s’est écoulé, d’admettre et d’exprimer leur culpabilité, afin qu’elles puissent en être délivrées et qu’elles puissent aussi pardonner à l’autre, même si c’est très douloureux, car pardonner, c’est prendre sur soi la souffrance.
La promesse de fidélité demeure
« On ne se marie qu’une seule fois », ai-je dit un jour à un jeune couple qui préparait son culte de mariage et voulait que tout soit parfait. « J’espère bien », a répondu la jeune femme. La promesse de fidélité est puissante. C’est une promesse dont vous ne pouvez pas facilement vous débarrasser, même s’il s’avère que le couple ne marche pas ! Vous ne pouvez pas révoquer cette promesse. Elle ne prend jamais fin, même après une séparation. Dieu a attaché deux personnes ensemble, et les restes de cette union seront toujours visibles. C’est la raison pour laquelle l’homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni. On voit cela dans la nature ou la création. Les liens demeurent. Vous avez passé de nombreuses années ensemble. Vous ne pouvez pas juste les effacer. De plus, il n’y a pas que des pages sombres. Vous avez partagé beaucoup de bonnes choses. Votre conjoint devient votre « ex-moitié ». En particulier lorsque vous avez des enfants en commun, les liens continuent : vous entretenez des relations avec le père ou la mère de vos enfants.
Cette promesse de fidélité contient l’obligation de prendre soin de l’ex-conjoint. C’est la responsabilité de chaque époux, en particulier en tant que chrétien. L’Église a donc la responsabilité de rappeler aux ex-conjoints les vœux de leur mariage – et de leur baptême. Même lorsqu’on ne peut pas s’attendre humainement à ce qu’ils restent fidèles, cela n’enlève rien à leur obligation de prendre soin l’un de l’autre. La promesse reste valide même après une rupture. Les conjoints séparés doivent rester sensibles aux besoins de l’autre, l’honorer, en prendre soin et le protéger. C’est plus facile à dire qu’à faire dans une situation de guerre totale, mais l’obligation subsiste, avec l’aide de Dieu.
Être attentif aux enfants !
Jésus a imposé les mains aux enfants et les a bénis (Mt 19.13-15). Il est intéressant de constater qu’il fait cela juste après ses déclarations sur le divorce ! Il ne peut pas s’agir d’une simple coïncidence. Apparemment, il avait à cœur les enfants qui subissent les effets du divorce de leurs parents. Tout le monde sait que les enfants souffrent des situations de divorce et en sont souvent les victimes. Les conséquences sont énormes, la pire étant de ne plus jamais revoir leurs parents ensemble. Les enfants se retrouvent entraînés dans un conflit de loyautés, ils ne peuvent plus prendre les choses pour acquises. Il arrive même qu’ils se culpabilisent, ce qui les isole encore plus. Suis-je pour quelque chose dans les problèmes de mes parents, se demandent-ils ?
Ici surtout, il est nécessaire de rappeler aux parents leur promesse de prendre soin de leurs enfants. Les enfants sont-ils victimes des émotions de leurs parents, de leur culpabilité, de leur esprit de vengeance ? Les enfants se sentent déchirés, mais incapables de soulager leur douleur. Les ex-conjoints entraînent-ils leurs enfants dans leur conflit ? Comment empêcher les enfants de prendre parti ? Combien les personnes divorcées ont besoin d’aide et de soutien pour savoir que faire avec leurs enfants !
La promesse que les parents ont faite lors du baptême de leurs enfants (ou de leur consécration à Dieu) tient toujours, même lorsque leurs chemins se séparent. Il faut dire aux enfants : « Même si nous sommes séparés, nous allons continuer à nous occuper de vous. » C’est la responsabilité des deux parents. Il faut éviter de se disputer devant eux. Comment faire en sorte que les enfants subissent aussi peu de dommages psychologiques que possible ?
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En ne retirant pas les enfants d’un cadre de vie où ils se sentent en sécurité.
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En confiant leur garde au parent le moins dysfonctionnel.
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En les gardant le plus possible à l’écart des conflits parentaux.
Il convient ainsi de développer une pastorale des jeunes, en particulier pour les enfants de divorcés. Des pistes ont déjà été étudiées (activités regroupant des jeunes traversant le même genre de situation, partageant le même genre de souffrance). J’ai démarré ce type d’activités il y a des années, après qu’un enfant de parents divorcés m’a demandé : « Qu’est-ce que l’Église fait pour moi ? Tout le monde s’occupe de mes parents. Et moi ? » Tous les enfants ne sont pas désireux de recevoir une aide psychologique ou spirituelle. Si vous leur posez la question directement, ils vous répondront souvent : « Non merci ! », parce qu’ils ont peur. Il faut respecter cette décision. Mais soyez patient. Une fois qu’ils sont mis en confiance, il est facile de démarrer une conversation. L’important est que l’Église s’intéresse à eux et s’implique dans leur accompagnement. Il est inconcevable qu’une communauté abandonne à leur sort les enfants traversant une situation aussi douloureuse que le divorce de leurs parents. Mais il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
La réconciliation
Il existe des miracles, des exemples de restauration et de réconciliation. On connaît des couples qui se retrouvent après plusieurs années de séparation, même après l’entrée en scène d’un autre partenaire. C’est la raison pour laquelle je continue à encourager les ex-conjoints à la fidélité biblique. Non pour leur demander l’impossible, mais pour laisser à Dieu la possibilité d’accomplir l’impossible. Parfois, le fait de mettre une certaine distance entre eux peut être bénéfique. Bien des fois, hélas, la relation est tellement brisée qu’elle ne pourra pas être réparée ici-bas. Les chrétiens peuvent du moins se rencontrer en tant qu’ex-conjoints et faire preuve de respect l’un envers l’autre. C’est pourquoi je continue à défendre la séparation de corps, pour gagner du temps et mettre une saine distance. L’avantage est que le mariage demeure valide, même si les biens sont séparés. Une pension alimentaire peut être fixée, ainsi que la garde des enfants. Il y a bien séparation, mais les liens du mariage sont saufs.
Le remariage
Les secondes relations, les remariages, sont en réalité extrêmement vulnérables ; les chiffres officiels le confirment. En particulier parce que tout n’est pas comme on pourrait le penser de prime abord. On remplit un certain vide, mais s’est-on donné assez de temps pour réfléchir ? Sans compter que chaque partenaire charge la nouvelle relation du poids de sa relation précédente. En tout cas, commencer une autre relation trop tôt est réellement un piège. Et plus on a connu d’échecs amoureux, plus il est difficile de faire tenir un nouveau lien. J’ai souvent pu l’observer. Pour être honnête, je ne lis pas dans l’Écriture que « tout le monde a droit au bonheur », que si votre premier mariage s’est terminé par un divorce vous avez droit à une seconde chance, à un second mariage. Rechercher la réconciliation ou rester seul – c’est ce que dit l’Écriture4. Les exceptions qui apparaissent légitimes confirment la règle. Parce que chaque situation est unique, il est vrai qu’il vaut mieux éviter les généralités, la responsabilité de chacun jouant un rôle majeur. Dans chaque cas, il est de la plus grande importance que le souverain Berger lui-même puisse parler (dans une rupture pour cause d’adultère, face à un conjoint infidèle, la route semble rester ouverte pour une nouvelle conjugalité). En toute situation, cependant, celui qui veut marcher à la suite du Christ doit essayer de ne pas être dur envers l’autre et indulgent envers lui-même. Qu’il soit plutôt rempli du fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, fidélité, douceur et maîtrise de soi. Et je me réjouis de tout cœur lorsqu’un second mariage porte de tels fruits.
Une route à suivre
Le mariage est un mystère, une invention de Dieu, un mystère magnifique. Mais le divorce également, dans ce sens qu’il est mystérieux et énigmatique ! Une approche pastorale demande de la prière afin que l’amour gagne de plus en plus en pleine connaissance et en parfait discernement pour que vous puissiez discerner ce qui est important (Ph 1.9-10). Le souverain Berger appelle toutes sortes de personnes à aller à la rencontre de ceux de son troupeau qui sont brisés et blessés. Constituons donc une équipe pastorale reflétant l’attitude du souverain Berger, des personnes capables de guider ceux qui leur demandent conseil et vers qui les gens peuvent se confier pour y voir plus clair dans leur situation. On peut toujours aller de l’avant avec le souverain Berger. Il y a toujours une route à suivre, malgré les virages et les vallées profondes, lorsque l’on se confie en Jésus.
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Chiffres trouvés sur le site suivant (consulté le 26/01/17) : https://www.jurifiable.com/conseil-juridique/droit-de-la-famille/divorce-france-statistiques.↩︎
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Mt 18.17.↩︎
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Lc 12.14.↩︎
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En ce qui concerne le divorce non justifié, l’Écriture maintient clairement la règle qu’un remariage est exclu (1Co 7.10, 11). Voici le texte d’une décision prise lors d’un synode de mon union d’Églises : « Il convient au style de vie du royaume de Dieu de demeurer célibataire après un divorce. Cela signifie, d’une part, que dans les situations où l’adultère ou la répudiation par le conjoint non croyant est la cause du divorce, il est également préférable de ne pas se remarier. Il ne faut pas exclure, d’autre part, le fait que, dans la pratique, de nouvelles situations puissent apparaître, dans lesquelles un divorce est non seulement raisonnable et inévitable, et que l’Église peut aussi se résigner à un second mariage. » (Les italiques sont de moi.)↩︎