Galates 3-4 : Une alliance ni abrogée ni modifiée

GALATES 3-4 : UNE ALLIANCE NI ABROGÉE NI MODIFIÉE

Donald COBB1

Le problème : l’alliance chez Paul

L’alliance est une catégorie essentielle pour comprendre l’Ancien Testament. Le terme lui-même (berîth) figure plus de 385 fois dans la Bible hébraïque et il est présent dans la plupart des livres qui la composent2. Même lorsque le mot lui-même fait défaut, on peut estimer que le concept continue à façonner le contenu biblique. Comme l’a souligné A. Jaubert :

La doctrine de l’Alliance est au cœur de la religion juive. Elle concerne les relations intimes de Dieu et de son peuple. Par le fait même, elle engage ce qu’on pourrait appeler une self-conception du peuple de Dieu, de son rôle et de
sa destinée. Elle impose une vision du monde, une vision des relations avec les autres hommes et avec les autres peuples3.

Mais qu’en est-il de l’alliance chez Paul ? De fait, l’apôtre emploie assez rarement le terme. L’équivalent grec (diathêkê) ne se trouve dans ses lettres qu’une dizaine de fois, ce qui a conduit bon nombre de chercheurs à conclure que la notion d’alliance aussi y serait marginale4. E.P. Sanders, dans son livre sur Paul et le judaïsme palestinien, qui a fait date, résume la position de bon nombre de spécialistes à
ce sujet :

[…] Nous devons relever le caractère inadéquat des concepts d’alliance pour comprendre Paul. […] Ce que Christ a fait n’est pas […] mis en contraste avec ce qu’a fait Moïse mais avec le geste d’Adam. […] Nous constatons [chez Paul] que les concepts d’alliance sont transcendés
5.

D’autres, comme J.D.G. Dunn, ont emboîté le pas, affirmant par exemple que « le thème de ‹ l’alliance › n’a pas été une catégorie centrale ou majeure » dans la théologie de Paul6.

De fait, la question de l’alliance chez l’apôtre des nations est inséparable de la judaïté de ce dernier : « son » Évangile se comprend-il en rupture avec le judaïsme des Écritures, ou est-il possible de parler d’une continuité entre
les deux, le message de la croix étant l’accomplissement des promesses que Dieu avait faites à son peuple dans l’Ancien Testament ?

Galates 3-4 fournit des éléments importants pour la discussion, aussi bien sur la place de l’alliance dans la théologie paulinienne que sur les rapports entre l’Ancien Testament et l’Évangile. En effet, c’est dans ces chapitres que le terme diathêke revient le plus souvent chez Paul, figurant trois fois au cours de l’argument7. Cela étant dit, ces chapitres constituent un texte exigeant : l’apôtre y formule son argument de façon
souvent elliptique. Il semble, par moments, revenir sur des points pourtant déjà acquis, tout en obligeant le lecteur, dans le même temps, soit à compléter des affirmations partielles, soit à suivre des raisonnements quelque peu alambiqués. C’est
d’ailleurs ce qui a conduit plus d’un spécialiste à prétendre que Galates 3-4 manque de cohérence : au-delà d’une conviction essentielle – les chrétiens galates, d’origine non juive, ne doivent pas se faire circoncire – les divers aspects de ces
chapitres ne s’articuleraient pas de façon rigoureusement logique8. La conséquence d’un tel présupposé est une exégèse souvent fragmentaire, bon nombre de commentateurs se concentrant
avant tout sur les détails du texte, sans vraiment se demander comment ses différentes parties sont reliées les unes aux autres.

Le présent article a donc pour objectif d’esquisser différents aspects de Galates 3-4 en posant la question de leur lien avec la notion d’alliance. Ses conclusions pourront aider à mieux saisir comment Paul comprend ce concept, ainsi que la place
qu’il occupe dans sa théologie. De fait, comme nous verrons, discerner plus clairement de tels liens dans ces chapitres permet de mieux en saisir la cohérence globale.

A. Contexte historique et structure de l’argument

On le sait, l’épître aux Galates est la réponse à une situation de crise : des enseignants – très probablement d’origine juive, issus des Églises de Judée (vraisemblablement celle de Jérusalem)9 – s’étaient infiltrés dans les communautés de Galatie, en insistant sur la nécessité pour les chrétiens non juifs de se soumettre à la circoncision10. En nous appuyant sur la réponse
de Paul, mais aussi sur d’autres données, bibliques et extrabibliques, nous pouvons reconstruire, dans les grandes lignes, ce que devait être le message des enseignants11 :

  1. Jésus-Christ est l’accomplissement de l’alliance avec Abraham. Or, dès le commencement, Abraham a été circoncis (Gn 17.1-27) et il a pratiqué la Torah. De ce fait, la circoncision constitue, aujourd’hui encore, le moyen d’entrer dans l’alliance,
    de sorte que ceux-là seuls qui se font circoncire sont « fils d’Abraham »12.

  2. L’alliance du Sinaï prolonge l’alliance avec Abraham et est une avec elle. L’alliance nouvelle en Christ, tout en opérant le pardon et permettant le don de l’Esprit, n’implique l’abrogation ni de l’alliance mosaïque ni de la loi. Elle en confirme
    plutôt la pérennité.

  3. Il en découle que, sans la circoncision, les Galates ne sont pas dans l’alliance. En tant qu’incirconcis, ils ne peuvent ni prétendre au statut de « fils d’Abraham » ni s’imaginer bénéficiaires de la justification, de la vie ou du
    salut qui sont au cœur de l’alliance.

On le voit, si la prédication des enseignants judéo-chrétiens débouche concrètement sur l’exigence de la circoncision et de la pratique de la Torah, le message lui-même concerne l’appartenance à l’alliance et le statut des membres de celle-ci, considérés,
eux, comme « fils de l’alliance » ou « fils d’Abraham »13.

Nous reviendrons plus loin sur le lien entre l’expression « fils d’Abraham » et la notion d’alliance. Retenons surtout pour le moment qu’aux deux axes centraux de l’enseignement des judéo-chrétiens – à savoir que les Galates, n’étant pas circoncis,
ne sont pas dans l’alliance et, de ce fait, ne sont ni « fils d’Abraham » ni justifiés – Paul oppose deux affirmations, dont l’une ouvre et l’autre termine l’argument du chapitre 3. 1°) Les Galates ont reçu
l’
Esprit qui, dans la prophétie biblique, est une des promesses relevant de l’alliance eschatologique (= la « nouvelle alliance »)14. 2°) Du fait de leur
appartenance au Christ, ils sont déjà fils de Dieu et, a fortiori, fils d’Abraham15. Il en découle qu’ils appartiennent d’ores et déjà à la – nouvelle – alliance,
qu’ils n’ont donc pas besoin de se faire circoncire et, même, que la circoncision représenterait un pas en arrière, puisqu’elle porterait atteinte à l’œuvre de salut opérée par le Christ (Ga 2.21 ; 5.4). Ces deux points permettent de mieux cerner
le développement de l’apôtre jusqu’en Galates 4.7 :

  • en Galates 3.1-14, Paul approfondit et explique le don de l’Esprit comme conséquence de la foi16 ; c’est l’Esprit, ainsi que la justification et la vie, qui
    représentent le contenu de la bénédiction promise aux nations en Genèse 12.317 ;

  • Galates 3.15-29 approfondit le thème de l’héritage promis au Christ, le Fils de Dieu18 : ceux qui sont en Christ reçoivent, à leur tour, le statut de
    fils de Dieu, conformément à la prophétie d’Osée 2.119 ;

  • Galates 4.1-7 récapitule l’argument, combinant les thématiques des héritiers et de l’Esprit (v. 6-7).

On le voit, ces deux thèmes de l’Esprit et du statut de fils-héritiers structurent tout l’argument qui va de 3.1 à 4.7. Notons en outre que cet argument s’organise en triptyque, où revient chaque fois, avec des variations : Abraham, la loi
et la malédiction (ou la servitude), et le don de l’héritage ou de l’Esprit en Christ20. Ce point, important pour saisir la cohérence de l’argument, permet déjà de tirer une première
conclusion en rapport avec notre question initiale. L’argument des adversaires concernait essentiellement l’appartenance à l’alliance et ses conséquences ; la réponse de Paul, articulée autour de l’Esprit eschatologique et du statut de fils de Dieu-héritiers, a toutes les chances d’être, elle aussi, un argument d’alliance,
aboutissant néanmoins à des conclusions contraires à l’argument auquel elle s’oppose.

B. Une lecture « alliancielle » de l’Ancien Testament (Galates 3.6-14)

Cette conclusion trouve une confirmation en Galates 3.6-14, passage consistant essentiellement en une « chaîne » de citations tirées de la Genèse (v. 6 et 8), du Deutéronome (v. 10 et 13), du Lévitique (v. 11) et du prophète Habacuc (v. 12), mais
aussi en des allusions à d’autres « promesses » en rapport avec l’Esprit (v. 14)21. Relevons deux points en rapport avec ces textes de l’Ancien Testament et cette section de Galates
plus globalement.

B.1 : Des passages centrés sur l’alliance

Un premier constat, assez remarquable, est que la plupart de ces citations proviennent de contextes où il est explicitement question de l’alliance. L’exemple le plus clair est la mention d’Abraham (v. 6) : « Abram crut en l’Éternel qui le lui compta
comme justice. » (Gn 15.6) Si ce verset de la Genèse parle d’abord de la foi du patriarche, l’ensemble du chapitre s’oriente pourtant vers l’établissement de l’alliance abrahamique. Aussi lisons-nous en Genèse 15.18 : « En ce
jour-là, l’Éternel conclut une alliance avec Abram en disant : Je donne ce pays à ta descendance ; depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve […]. » D’autre part, comme les commentateurs le reconnaissent en général, l’alliance de
Genèse 15 se comprend en rapport avec la bénédiction du chapitre 12, que Paul cite juste après : « Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » (Gn 12.3) L’alliance
formalise cette promesse, qui lui donne aussi son orientation ultime.

Deutéronome 27.26, de même, cité en Galates 3.10, occupe une place particulière dans ce livre où Moïse annonce le renouvellement de l’alliance du Sinaï alors qu’Israël s’apprête à entrer dans le pays promis : « Maudit soit celui qui n’accomplit pas
les paroles de cette loi pour les mettre en pratique ! – Et tout le peuple dira : Amen ! » L’importance de ce chapitre, par lequel s’achève ce que l’on appelle souvent le « dodécalogue sichémite » (Dt 27.12-26)22, se voit à plusieurs niveaux. Premièrement, sur le plan littéraire, il fait fonction de charnière : il vient à la suite de la législation deutéronomique (chap. 12-26), et il résume par avance les bénédictions et
malédictions liées à l’alliance qui seront détaillées en Deutéronome 28-29. Deuxièmement, il donne, plus précisément, des instructions concernant le renouvellement de l’alliance à Sichem, une fois le peuple installé dans le pays. Troisièmement,
le verset 26, que Paul cite ici, récapitule les malédictions qui devront être annoncées du haut du mont Ébal et qui soulignent la nécessaire conformité aux préceptes les plus intérieurs de la Torah
23.

Lévitique 18.5, que Paul cite au verset 11 – « Vous garderez mes principes et mes ordonnances : l’homme qui les pratiquera vivra par eux. Je suis l’Éternel » –, est tout aussi important car, dans le Lévitique, il vient en introduction à la
toute dernière partie de la législation du Sinaï proprement dite (Lv 18-26). De même, situé au début du chapitre 18, à la suite du rappel du décalogue (= l’interdiction des images, v. 3), ce verset résume l’ensemble des exigences et promesses de la législation mosaïque
24.

Il convient d’ajouter que l’importance de ces passages a bien été perçue par d’autres à l’époque de Paul. En effet, les instructions de Deutéronome 27 ont été reprises à Qumrân comme inspiration première du renouvellement annuel de l’alliance pratiqué par ce mouvement25. De même, Lévitique 18.5 a été compris, dès l’époque de l’Ancien Testament, comme un « précis » de la loi de Moïse dans sa globalité26. En citant l’Ancien Testament, Paul choisit donc des textes qui, à l’époque, fonctionnaient comme des « raccourcis » pour désigner l’ensemble de la loi et qui résumaient l’essentiel de l’alliance du Sinaï.
De même, les textes de la Genèse se rapportant à Abraham sont connus et souvent cités. En revanche, la « justice » qui lui est imputée était régulièrement mise en rapport avec la circoncision de Genèse 17, ainsi qu’avec le sacrifice d’Isaac au
chapitre 2227. Paul semble être à peu près le seul à voir dans l’énoncé de Genèse 15.6 la clé essentielle pour comprendre Abraham, et ce de façon totalement indépendante de la circoncision.

B.2 : Une lecture traditionnelle et une terminologie d’alliance

Le choix des textes le montre donc bien, Paul bâtit son argument en réfléchissant à la notion d’alliance. Deux autres éléments confirment cette conclusion. Le premier est l’ordre dans lequel ces textes s’enchaînent :

  • Abraham

  • La loi de Moïse (résumée par le Deutéronome et Lv 18.5)

  • La désobéissance d’Israël et les malédictions de l’alliance

  • L’œuvre du Messie et le don de l’Esprit

En outre, Paul décrira la situation eschatologique, en Galates 4.27, à l’aide du texte prophétique d’Ésaïe 54.1. Or, ces composantes et cet ordre sont assez typiques de ce que l’on voit dans d’autres textes du judaïsme récapitulant l’histoire de l’alliance
entre Dieu et Israël. Prenons, à titre d’illustration, la prière de Néhémie 9 :

L’alliance avec Abraham : « C’est toi, Seigneur Dieu, qui as choisi Abram, qui lui as fait quitter Our-des-Chaldéens et qui lui as donné le nom d’Abraham. Tu as trouvé son cœur digne
de ta confiance, tu as conclu l’alliance avec lui […]. » (Né 9.7-8)

Le don de la loi : « Tu es descendu sur le mont Sinaï, du ciel tu leur as parlé et tu leur as donné des règles droites, des lois de vérité, des prescriptions et des commandements excellents […] par l’intermédiaire de Moïse, ton
serviteur. » (Né 9.13-14)

La désobéissance du peuple et la citation de Lévitique 18.5 : « Tu les as avertis pour qu’ils reviennent à ta loi ; mais ils se sont montrés arrogants et n’ont pas écouté tes commandements. Ils ont péché contre tes règles – alors que l’homme qui les met en pratique vit par elles ;
ils se sont montrés rebelles et rétifs, ils n’ont pas écouté. […] Alors tu les as livrés aux peuples des pays. » (Né 9.29-31)

Les malédictions du Deutéronome et l’esclavage : « Et aujourd’hui, nous sommes esclaves ! Le pays que tu as donné à nos pères, pour qu’ils en mangent le fruit et qu’ils jouissent de ses biens, nous y sommes esclaves ! Ses produits
abondants sont pour les rois que tu as placés à notre tête, à cause de nos péchés ; ils dominent à leur gré sur nos corps et sur nos bêtes, et nous sommes dans une grande détresse ! » (Né 9.36-37)28

La prière de Néhémie ne débouche pas sur l’espérance d’une délivrance eschatologique, comme le font d’autres textes, mais l’exemple suffit à montrer que l’ordre et le choix des citations en Galates 3-4 suit bien une lecture traditionnelle, d’ailleurs
souvent en rapport explicite avec l’alliance29.

En outre, plusieurs motifs dans cette section de Galates relèvent clairement de l’alliance : la notion de « justice » ou de « justification » (dikaiosunê) décrit souvent dans l’Ancien Testament la réalité essentielle de l’alliance30 ; l’expression « fils d’Abraham » désigne, dans le judaïsme de l’époque du Nouveau Testament comme dans le rabbinisme ultérieur, les vrais membres de l’alliance31. De plus, les notions mêmes de « bénédiction » et de « malédiction », assorties à celle de la « vie », font partie du langage typique de l’alliance dans l’Ancien Testament32.

* * *

Si le terme « alliance » fait lui-même défaut dans ces versets, il n’en demeure pas moins que le choix des textes, l’ordre dans lequel Paul les présente et le vocabulaire suggèrent très nettement la présence d’un argument d’alliance différent, s’opposant
à celui des enseignants judéo-chrétiens : le Christ est venu afin de prendre sur lui les malédictions de l’alliance – celle du Sinaï – pour que les bénédictions de l’alliance – celle d’Abraham – puissent s’étendre aux nations.
Ces promesses incluent la justification, mais aussi la vie et l’Esprit, tous les trois objets des promesses prophétiques en rapport avec l’alliance eschatologique annoncée pour « la fin des temps »33.

C. La diathêkê en Galates 3.15-4.7

En Galates 3.15 Paul utilise, pour la première fois dans son argument, le terme diathêkê, qui traduit régulièrement dans la LXX l’hébreu berîth, « alliance ». Il l’emploie une deuxième fois au verset 17, soulignant ainsi
son importance pour l’argument. L’introduction de ce vocable oriente, en fait, tout ce que Paul dira jusqu’à la fin du chapitre (Ga 3.15-29), et même, dans le dernier volet du triptyque, Galates 4.1-7. Plusieurs aspects de ces deux sections méritent
un développement particulier.

C.1 : Un testament ou une alliance ?

Une première remarque touche au sens même de diathêkê. De fait, en dehors du Nouveau Testament et de la LXX, ce terme a surtout le sens de « testament ». C’est d’ailleurs ainsi qu’il est traduit le plus souvent ici : « Frères, je parle à
la manière des hommes : quand un testament est établi en bonne forme, bien que fait par un homme, personne ne l’abolit ou n’y fait d’adjonction. » La majorité des commentateurs estime que c’est bien ce sens qu’il faut garder, en tout
cas pour le verset 15. Cela étant dit, cette traduction pose une difficulté majeure car, à l’époque du Nouveau Testament, un testament pouvait être modifié à tout moment, au gré du testateur !34 Un exemple particulièrement clair en est donné dans le document P. Oxyrhynchos 494, où le testateur en question dit : « Tout ce que je pourrais écrire en bas du présent contrat testamentaire, pour y enlever ou ajouter un élément quelconque,
ou pour faire don à d’autres bénéficiaires, ou pour exprimer d’autres volontés, cela aussi sera valide. »

Plusieurs spécialistes, conscients de cette difficulté, ont tenté de faire appel à des arrangements testamentaires plus ou moins répandus, où le testateur pouvait, de son vivant, faire don de ses biens à un héritier tout en retenant un droit d’usufruit.
L’objection principale à ces interprétations est que l’on ne désignait pas de tels arrangements du nom de diathêkê35. C’est pourquoi une minorité de chercheurs soutiennent
que Paul ne parlerait pas ici d’un testament, mais uniquement d’une alliance, celle que Dieu a conclue avec Abraham36. La difficulté majeure de cette interprétation
est que la description du verset 15 utilise bien un vocabulaire typiquement testamentaire. Ce vocabulaire, joint à la mention d’héritage et de tutelle d’enfants jusqu’à la majorité dans les versets suivants, amène la plupart des commentateurs
à y voir un jeu de mots. Au verset 15, Paul introduirait la notion de diathêkê avec un sens de « testament » ; toutefois, au verset 17, c’est l’idée d’« alliance » qui prédominerait. Que faut-il penser de ces différentes propositions ?
Nous pouvons relever plusieurs points :

  • La nature modifiable des testaments de l’époque milite en effet fortement contre le sens de « testament » au verset 15.
  • Comme le remarque S.W. Hahn, une référence sans ambiguïté au « testament » représenterait un lapsus dans un argument où Paul réfléchit en rapport avec la Torah et l’alliance du Sinaï : « Puisque la discussion en cours concerne l’interprétation
    de la Torah juive […], il est difficile d’imaginer quelle force rhétorique ou quelle pertinence Paul ou ses adversaires auraient perçues dans une analogie tirée des tribunaux séculiers. »37
  • De fait, même dans des écrits juifs de langue grecque, diathêkê pouvait bien désigner une alliance humaine, qui restait toutefois non modifiable38.

  • Une référence à l’alliance avec Abraham semble certaine au verset 17 : « Or je dis ceci : que la loi, qui est survenue quatre cent trente ans après, n’annule point une alliance antérieurement confirmée par Dieu, de manière
    à rendre la promesse sans effet. » (Darby)
  • Cela étant dit, le langage testamentaire est bien présent et, de fait, l’idée de « testament » semble supposée dans les versets qui suivent, parlant tour à tour du « surveillant » (paidagôgos) d’un enfant mineur (Ga 3.23-25), placé
    sous la protection de « gardiens et gestionnaires » jusqu’au jour où il peut accéder à l’héritage (Ga 4.1-2).

Ces points, pris ensemble, suggèrent que Paul pense bien à l’alliance avec Abraham et que c’est ainsi qu’il convient de traduire diathêkê dans ces versets. Cependant, il y a bien un jeu de mots. Aussi, tout en parlant de l’alliance entre Dieu et Abraham, Paul utilise, en même temps, des termes propres à évoquer des pratiques testamentaires.
Non pas qu’il se serve du terme diathêkê pour ensuite l’investir d’un sens autre que celui qu’il a dans les textes bibliques ; mais les notions s’attachant au testament sont suffisamment proches des perspectives bibliques pour que l’idée
d’une diathêkê-testament illustre ce que Paul veut mettre en évidence au sujet de la diathêkê-alliance.

C.2 : L’argument des versets 15-29

En tenant compte des remarques ci-dessus, nous pouvons traduire ainsi les versets 15-17 :

Frères, je parle à la manière des hommes : quand une alliance est établie en bonne forme, bien que faite par un homme, personne ne l’abolit ou n’y fait d’adjonction. Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance. Il n’est pas dit :
et aux descendances, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais comme à une seule : et à ta descendance, c’est-à-dire au Messie. Voici ce que je veux dire : une alliance déjà établie en bonne forme par Dieu ne peut pas être annulée par la loi
survenue quatre cent trente ans plus tard, ce qui anéantirait la promesse39.

L’apôtre met en avant ici deux éléments centraux qu’il développera dans les versets suivants : l’alliance établie avec Abraham est première, à tout point de vue, par rapport à la loi. De même, l’objet ultime de l’alliance (ou du testament !) est l’héritier,
le messie (v. 16). Approfondissons ces deux points.

a) La primauté de l’alliance-promesse

Que l’alliance abrahamique se situe avant le don de la loi, voilà qui s’impose comme une évidence à quiconque lit la Genèse. Cette antériorité permet à Paul de souligner que, puisque l’alliance de Genèse 15 fut établie sur la base de la promesse divine, saisie par la foi,
et cela sans référence à la circoncision, la loi, venue plusieurs siècles après, ne saurait en modifier ni la structure ni le modus operandi, compris comme promesse et foi, respectivement. C’est pourquoi, comme Paul le soulignera au verset
21, la loi n’est pas contre la promesse. Elle n’opère pas au même niveau et n’a pas la même finalité. Dans quel but a-t-elle donc été donnée ? Dans le temps qui s’étend entre la promesse et son accomplissement, la loi sert à dévoiler et à définir le péché (v. 19)40.

Poursuivant l’idée de la diathêkê, mais dans la perspective d’un jeu de mots sur « testament », Paul envisage ensuite cette période intermédiaire sous les traits d’un « surveillant » (paidagôgos) : contrairement à une conviction
courante dans le judaïsme du Second Temple, la loi n’est pas source de liberté, dit-il, mais d’« enfermement ». En cela, elle a une fonction ancillaire – d’esclave – pour le temps où l’enfant héritier est encore mineur (v. 21-24). Le rôle de la
loi comme « pédagogue » a beaucoup été discuté. Dans l’Antiquité, le paidagôgos était un esclave chargé de surveiller l’enfant. La théologie classique en a souvent fait un « éducateur » ou « tuteur », ayant la noble tâche de conduire
le peuple au Christ. Pour beaucoup de commentateurs récents, en revanche, le paidagôgos se serait à peine distingué d’un geôlier. Ainsi, la surveillance de la loi aurait représenté un véritable emprisonnement. La réalité se trouve
très certainement entre les deux. En effet, le paidagôgos pouvait être très apprécié et aimé des enfants41. Cependant, sa tâche n’était pas d’abord éducative ; s’il pouvait
aider à élever l’enfant, sa responsabilité était d’abord de le surveiller, de le protéger et de le punir lorsqu’il désobéissait42. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre
le propos de Paul ici : la loi fut donnée à Israël pour la période de l’« enfance », alors que le peuple de Dieu vivait dans l’attente du Messie. Sans être néfaste, sa fonction était d’abord restrictive et allait de pair avec une absence de liberté.

Il est important de souligner que, dans toute cette partie de Galates, Paul parle du rôle de la loi envers Israël, au temps de l’Ancien Testament. À ce titre, il fait une distinction nette entre « nous » (= Israël)43 et « vous » (les non-Juifs)44, le « nous exclusif » pouvant devenir un « nous inclusif » englobant Juifs et non-Juifs, mais seulement à partir du Christ
45. La loi « nous » fut donnée, dit-il, au peuple de l’Ancien Testament dans l’attente de l’héritier.

b) L’unique descendant d’Abraham

En parlant de la diathêkê, Paul introduit également le terme de « descendance » (sperma), rapportant au Messie l’emploi du singulier dans la Genèse (v. 16). Certains commentateurs ont vu dans cette précision une simple stratégie
rhétorique, dénuée de fondement exégétique. De fait, Paul semble utiliser ici un procédé interprétatif appelé gezerah shawah, présent dans la littérature rabbinique comme à Qumrân, par lequel deux textes apparemment sans lien entre eux
pouvaient être rapprochés grâce à un vocabulaire commun46. Si Genèse 15 fournit le premier texte, quel serait le second ? Plusieurs pensent à 2 Samuel 7.12-16, la promesse divine
à David, concernant sa « descendance » :

Je maintiendrai ta descendance (sperma) après toi, celui qui sera sorti de tes entrailles, et j’affermirai son règne. […] Moi-même je serai pour lui un père, et lui, il sera pour moi un fils. S’il commet des fautes, je le corrigerai
avec le bâton des hommes et avec les coups des humains ; mais ma bienveillance ne se retirera pas de lui […]. Ta maison et ton règne seront pour toujours assurés devant toi, ton trône pour toujours affermi. »

À David comme à Abraham, Dieu lui-même, dans le cadre d’une alliance solennelle, fait la promesse de susciter une « descendance ». À l’époque du Nouveau Testament, cette promesse d’un descendant davidique
– qui reçoit aussi le titre de « Fils » de Dieu47 – était considérée comme une annonce du Messie. Ainsi, souligne Paul, le vrai « Fils » et « héritier » est le Christ lui-même ; c’est
lui que visait l’alliance divine établie avec Abraham48.

Or, poursuit l’apôtre, une fois l’héritier venu, la loi – à commencer par le précepte de la circoncision – n’a plus de raison d’être (v. 25). Elle a été donnée pour un temps et un temps seulement. Le Christ étant Fils de Dieu et héritier, ceux qui
sont en lui deviennent à leur tour « fils de Dieu » et héritiers, selon la promesse. Ils sont donc déjà, à plus forte raison, fils d’Abraham (v. 29). Étant déjà membres de l’alliance eschatologique, ils n’ont aucunement besoin de se soumettre
à la circoncision pour y entrer.

* * *

Nous pouvons résumer ainsi ces versets : l’alliance avec Abraham – celle qui, en dehors de toute référence à la circoncision, promettait la justification, la vie et l’Esprit (Ga 3.6-14) – n’a pas été remplacée par la loi. Celle-ci ne l’a
pas davantage modifiée dans sa structure ou son modus operandi essentiels, que sont la promesse et la foi. Ainsi, la Torah ne saurait être imposée comme une obligation à l’Église, car elle concernait le temps où Israël
vivait dans l’attente du Messie.

C.3 : L’attente de l’héritage en Galates 4.1-7

Galates 4.1-7 constitue le troisième volet du triptyque de l’argument théologique-biblique. Il prolonge les images de 3.23-25, développant plus spécialement la situation de l’enfant-héritier. Les termes « gardiens et intendants » (v. 2) rappellent
d’ailleurs bien une situation que l’on voit dans les testaments de l’époque : en cas de décès du père, l’enfant-héritier sera élevé par un (ou des) gardien(s) jusqu’à ce qu’il parvienne à la majorité. C’est à ce moment-là qu’il pourra enfin jouir
de son statut de propriétaire – ou de « maître » – de l’ensemble des biens familiaux49. Les images développées dans ces versets sont donc formulées, comme dans la section précédente,
en rapport avec la diathêkê en 3.15, Paul y jouant sur le registre testamentaire. Comme dans l’image du paidagôgos, l’enfant – le « nous » du verset 3 – représente le peuple de Dieu dans l’Ancien Testament, vivant dans l’attente
du Messie50. Relevons deux points particuliers en rapport avec ces versets.

a) Les éléments rudimentaires du monde

Au verset 3, Paul dit qu’Israël sous la loi était soumis « aux éléments rudimentaires du monde ». Comme beaucoup d’aspects de ces deux chapitres, l’expression a engendré une multiplicité d’interprétations. Il faut la comprendre, nous semble-t-il,
en rapport avec son sens habituel en dehors du Nouveau Testament. En effet, l’expression grecque (ta stoixeia tou kosmou) désignait, pour ainsi dire invariablement, dans la pensée de l’époque les quatre éléments fondamentaux de l’univers :
l’eau, le feu, l’air et la terre, c’est-à-dire les composantes essentielles du monde matériel, perceptible51. Dans un passage éclairant, Philon d’Alexandrie parle des « éléments rudimentaires »
du monde sensible en détaillant ainsi l’action créatrice de Dieu :

Ayant pris [la substance indivise de l’univers], il se mit à la partager ainsi : d’abord il faisait deux parts, le lourd et le léger, séparant l’épais du subtil ; ensuite, il partage de nouveau ces deux parts : le subtil, en air et en feu ; l’épais,
en eau et en terre ; et tels furent les éléments (stoixeia) sensibles qu’il plaça d’abord comme fondements, pourrait-on dire, pour le monde sensible52.

Que veut dire Paul en Galates 4 ? Avant la venue du Messie, la vie en Israël était réglée par divers préceptes de la Torah et ne pouvait se caractériser par la liberté des héritiers parvenus à l’âge adulte. Ces règles s’appuyaient, en définitive,
sur des éléments simplement matériels : l’observance des cycles lunaires ou hebdomadaires, l’interdiction de certains aliments, le port d’un certain habillement ou de certains tissus, et ainsi de suite. Les lois spécifiques de la Torah relevaient donc du monde tangible et ne s’élevaient pas au-dessus de lui
53. De plus, comme le chapitre 3 le soulignait déjà, ces lois n’avaient leur sens et leur pertinence que dans le contexte précis de l’« enfance ». Une fois le Christ venu et la promesse
accomplie en lui, elles ont perdu leur raison d’être. Comme Paul le suggère aux versets 8-9, en dehors de l’attente suscitée par la promesse du Messie, ces lois ne se distinguent pas, fondamentalement, des pratiques païennes auxquelles les Galates
se livraient avant de connaître le Christ !

b) Le conflit des images : héritage ou adoption ?

Une deuxième difficulté est souvent relevée en rapport avec cette section. Aux versets 1-2, l’apôtre développe l’image de l’enfant mineur, ce qui suppose une relation préalable avec le père. Pourtant, aux versets 5-7, il introduit l’idée d’adoption
– il faut entendre par là l’adoption d’esclaves54. Les deux métaphores sont clairement contradictoires. Un fils n’a pas besoin d’être adopté, puisqu’il est déjà fils ; par
contre, un esclave ne peut jamais, en tant qu’esclave, prétendre à l’héritage, précisément parce qu’il n’est pas fils !

L’incohérence s’explique, une fois de plus, par la prise en compte de la diathêkê, illustrée par des pratiques testamentaires mais comprise comme alliance divine. En effet, aussi bien l’idée d’une délivrance
décisive que celle d’une adoption définitive faisaient partie des espérances liées à l’alliance promise pour la fin des temps, celle que le livre de Jérémie qualifiait d’« alliance nouvelle » (Jr 31.31-34). Nous l’avons vu, le prophète
Osée, en parlant d’une rédemption analogue à la sortie d’Égypte (Os 2.17) et de l’alliance eschatologique (v. 20-22), annonçait que celle-ci irait de pair avec l’adoption : « À l’endroit
où on leur disait : Vous n’êtes pas mon peuple ! On leur dira : Fils du Dieu vivant ! »55 La venue du Christ représente l’accomplissement des attentes en rapport avec la nouvelle
alliance : parce qu’il est le Fils de Dieu davidique, celui qui a enlevé la malédiction de la loi et fait venir l’Esprit, ceux qui sont en lui deviennent à leur tour « fils de Dieu ». Avec le Christ, ils reçoivent l’adoption et l’héritage des
enfants du Père.

* * *

Galates 3.15-4.7 apporte donc des éléments importants pour cerner la compréhension et la fonction de l’alliance chez Paul. L’introduction de la diathêkê lui permet de jouer sur les différents sens du mot. Fondamentalement, Paul pense à l’alliance,
celle établie avec Abraham : la loi, venant plusieurs siècles plus tard, ne peut abroger son caractère de promesse saisie par la foi. En ce sens, la loi ne représente pas un système concurrentiel qui tenterait d’y substituer une autre logique
de salut. Elle est provisoire et sert surtout à aiguiser l’attente vis-à-vis du Christ, de sa justice et de la vie que devait donner l’Esprit eschatologique. Rappelons-le, l’introduction du terme de l’alliance en 3.15-17 développe la référence
à Genèse 15 en Galates 3.6 et doit se comprendre dans ce contexte : l’alliance avec Abraham promettait la bénédiction des nations en dehors de toute mention de la circoncision. C’est cette alliance – passant par l’alliance davidique qui promettait
un héritage pour le Fils – qui trouve son accomplissement dans l’alliance eschatologique ou l’« alliance nouvelle » : la venue du Christ, le don de l’Esprit et l’adoption définitive des enfants de Dieu. Bien comprendre ce développement est important,
car il implique que, depuis le début du chapitre 3, l’apôtre réfléchit et construit son argument en rapport avec l’alliance.

Cela étant dit, la polysémie du terme diathêkê permet aussi de développer ces notions par le biais d’une imagerie familiale, tirée notamment des situations où les pratiques testamentaires entraient en jeu. De la sorte, des concepts
théologiques provenant du passé d’Israël pouvaient être immédiatement saisis par un lectorat non juif. Ces images devaient surtout faire comprendre que la loi fut donnée pour régler une situation provisoire. Elle ne pouvait pas se maintenir
– et encore moins s’imposer comme une obligation – une fois le Christ venu et l’héritage devenu une réalité.

D. Une confirmation : la « péroraison » de Galates 4.21-31

Dans la courte section de Galates 4.8-20, Paul change de registre, faisant appel à des éléments bien connus dans la rhétorique gréco-romaine en rapport avec le comportement (êthos, v. 8-11), l’amitié (filia, v. 12-18) et l’expression
des émotions (pathos, v. 19-20). Il revient ensuite sur l’enseignement biblique dans une « péroraison », sorte de « bouquet final » qui résume et approfondit certains aspects des chapitres 3-456.
Paul parle explicitement ici, en Galates 4.21-31, de deux alliances (duo diathêkai, v. 24). De ce passage, qui a souvent laissé les commentateurs perplexes, nous voulons surtout développer le contenu de ces deux alliances et
le lien entre elles.

D.1 : une allégorie : deux « femmes », deux fils et deux alliances

D’une certaine façon, le récit de Genèse 16, l’histoire d’Agar et Ismaël, fournit une métaphore idéale pour clore l’argument, car outre la mention des deux « femmes », il est question de deux « fils d’Abraham », Ismaël et Isaac. Comme nous l’avons
vu, le statut de « fils d’Abraham » était très certainement au cœur de l’argument des enseignants judéo-chrétiens, et il constitue un aspect central de l’argument de Paul. D’autre part, la description de la Genèse permet à l’apôtre de reprendre
d’autres éléments déjà abordés : les notions de liberté et de servitude, comme aussi celle d’une démarche charnelle, à l’opposé de l’œuvre de l’Esprit, en rapport avec la promesse, notamment.

Quelles sont ces alliances ? Celle représentée par Agar est clairement l’alliance du Sinaï et elle aboutit, dit Paul, à l’esclavage : « L’une, celle du Mont Sinaï, enfante pour l’esclavage : c’est Agar – Agar, c’est le Mont Sinaï en Arabie – et elle
correspond à la Jérusalem actuelle, car elle est dans l’esclavage avec ses enfants. »57 Dans la Genèse, Agar a un statut d’esclave ; de ce fait, son fils naît esclave, lui aussi.
À terme, l’une et l’autre seront renvoyés. Or, il en est de même de l’alliance du Sinaï. Paul a déjà affirmé qu’Israël, au temps de la loi, malgré son statut de peuple de Dieu, avait une situation assimilable à celle d’un esclave : il n’avait
pas accès à l’héritage et sa vie était gérée par « des tuteurs et administrateurs » (Ga 4.1-3). Or puisque, grâce à l’œuvre du Christ, l’héritage est désormais accessible au « fils », chercher à l’obtenir par la loi revient à se placer dans une
situation d’asservissement ne donnant pas accès à l’héritage. Une fois le Christ venu, la Torah – l’ancienne alliance – ne peut donc plus enfanter que pour l’esclavage.

À quelle alliance Sara, qui n’est pas nommée dans ce passage mais qui est clairement « la femme libre », correspond-elle ? Traditionnellement, les commentateurs y ont vu la nouvelle alliance, l’alliance eschatologique58. En revanche, pour plusieurs chercheurs plus récents, il s’agirait plutôt de l’alliance avec Abraham59. Il est vrai que, jusqu’ici, seule l’alliance
conclue avec le patriarche a été explicitement mentionnée (Ga 3.15), ce qui pourrait confirmer cette interprétation. Cependant, la mention de l’Esprit (v. 29) et l’identification de cette alliance avec la « Jérusalem d’en haut » (v. 26) rendent
en tout cas la compréhension traditionnelle cohérente. À notre sens, la citation d’Ésaïe au verset 27 rend l’identification de la « femme libre » avec l’alliance eschatologique nécessaire. Il convient donc d’aborder ce point plus en détail.

D.2 : La citation d’Ésaïe 54.1 et sa place dans l’argument de Paul

Au verset 27, Paul cite Ésaïe 54.1, reprenant sans modification le texte de la LXX : « En effet il est écrit : Réjouis-toi, stérile, toi qui n’enfantes pas ! Éclate de joie et pousse des cris, toi qui n’as pas éprouvé les douleurs ! Car les enfants
de la délaissée seront plus nombreux que ceux de la femme qui a son mari. » Cette citation pose, pour beaucoup de commentateurs, une énigme apparemment insoluble : à part la mention de deux femmes – mais qui ne sont pas les deux femmes de la Genèse !
– ce passage semble peu pertinent pour ce que Paul cherche à démontrer. Ces dernières années, une réflexion renouvelée sur la fonction des citations bibliques et de leur contexte premier a poussé les chercheurs à regarder ce texte de plus près.
Sans entrer dans les détails, relevons simplement quelques éléments à ce sujet.

  • Premièrement, lorsque Paul identifie la femme stérile à une alliance, il le fait en tenant compte du contexte. Ésaïe 54 parle, en effet, de la situation de bénédiction et de salut qui sera établie grâce au Serviteur de YHWH (Es 53.1-12) ;
    cette situation est décrite, en Ésaïe 54.10 et 55.3, précisément comme une alliance, celle attendue pour la fin des temps : « […] Écoutez-moi, et votre âme vivra par de bonnes choses ! Je conclurai avec vous une alliance éternelle (diathêkên aiônion),
    celle des actes de bonté et de fidélité envers David. » (Es 55.3, LXX)60

  • Deuxièmement, cette situation d’alliance correspond – comme en Ézéchiel 36-37 – au don de l’Esprit. En effet, nous lisons en Ésaïe 44.3-5 : « Car je répandrai des eaux sur le sol altéré et des ruisseaux sur la terre desséchée ; je répandrai mon Esprit sur ta descendance et ma bénédiction sur ta progéniture.
    Ils germeront au beau milieu de l’herbe, comme les saules près des courants d’eau. »61 Lorsque Dieu interviendra pour le salut, il déversera son Esprit sur les « enfants »,
    la descendance d’Abraham62, le peuple racheté.

  • Troisièmement, dans le contexte d’Ésaïe 54.1, la femme stérile et privée de mari est Sion – comprise comme pars pro toto signifiant le peuple –, ravagée par les ennemis, rendue « stérile » et faite veuve. Pourtant, affirme ce verset,
    grâce à l’œuvre du Serviteur, Jérusalem sera rachetée, Dieu l’épousera de nouveau et il la comblera d’enfants. La « femme » figure donc ici la situation d’alliance rétablie, le peuple que le Seigneur rachètera et à qui il donnera une descendance innombrable.

  • Quatrièmement, il faut également souligner qu’Ésaïe 51.2-3 compare Jérusalem, précisément, à Sara, la femme d’Abraham : « Portez les regards sur Abraham votre père, et sur Sara qui vous a enfantés (tên ôdinousan humas) ;
    car quand il était seul je l’ai appelé, puis je l’ai béni et multiplié. Ainsi l’Éternel console Sion, il console toutes ses ruines. »63 Si Sara est prise ici comme
    exemple, c’est pour montrer que, de la même façon, Dieu bénira la Jérusalem rachetée et rendra ses « enfants » plus nombreux que « les étoiles du ciel » (Gn 15.5)64.

Il serait possible de développer davantage les rapprochements entre ces chapitres d’Ésaïe et l’ensemble de Galates 3-4. Ces quelques éléments suffisent néanmoins à montrer qu’en Galates 4.21-31, Paul formule ses propos à partir d’Ésaïe – autant, en
fait, que sur la base de la Genèse : lorsque Dieu apportera sa délivrance par les souffrances et la glorification de son Serviteur, il établira son alliance eschatologique : le peuple de Dieu racheté – la « Jérusalem d’en haut » – recevra alors
une descendance innombrable, prise d’entre toutes les nations65.

D’ailleurs, à la lumière de ces chapitres de l’Ancien Testament, il apparaît que l’idée même d’une allégorisation de Sara, qui figure alors l’alliance eschatologique et la Jérusalem rachetée, est fournie par le texte d’Ésaïe compris dans son contexte
plus large : le prophète lui-même, plusieurs siècles avant Paul, avait déjà fait ce même rapprochement. À partir de là, il pouvait sembler évident pour Paul de faire de la servante, Agar, l’allégorie d’une autre alliance dont les enfants n’ont
ni place permanente ni promesse d’héritage – d’autant plus que, d’après la géographie de l’époque, le mont Sion se trouvait réellement dans la région appelée l’Arabie, peuplée justement de tribus censées descendre… d’Ismaël66 !

Prendre au sérieux tout le contexte de ces chapitres permet également de se rendre compte que dans ces versets qui achèvent la partie argumentative de Galates et en constituent le point culminant, c’est bien la notion d’alliance qui est centrale.
En effet, arrivé à sa péroraison, Paul se livre à une présentation de deux femmes qui sont deux alliances. L’alliance nouvelle, celle de l’Esprit et de la liberté, celle annoncée et décrite par les prophètes, accomplit l’alliance avec
Abraham et la conduit à son épanouissement. Ceux qu’elle « enfante » sont les vrais « fils d’Abraham ». Se soumettre à la circoncision et au « joug de la Torah » reviendrait donc à faire comme si le Christ n’était pas venu, comme si la bénédiction
et la justice ne se trouvaient pas en lui, et en lui d’abord.

Conclusion : l’alliance de la promesse et la loi de Dieu chez l’apôtre Paul

Une lecture approfondie de Galates 3-4 montre que, si le terme diathêkê ne figure que trois fois dans ces chapitres, l’alliance sous-tend néanmoins l’ensemble de l’argument biblique-théologique. Les éléments essentiels de l’alliance eschatologique
– le don de l’Esprit (Ez 36-37) et le statut de « fils de Dieu » (Os 2) – sont deux choses pour lesquelles les Galates ont un témoignage concret, d’une part, dans la réalité de l’Esprit qui les a fait naître à la foi (Ga 3.1-5) et, d’autre part,
dans leur propre baptême (3.26-27). Or ces deux choses, qui donnent à Galates 3-4 sa structure spécifique de triptyque, montrent que les Galates sont d’ores et déjà membres de l’alliance, et de l’alliance eschatologique. De même, le choix et l’ordre
des passages cités en 3.6-14 semblent déterminés par une lecture traditionnelle des Écritures, lecture qui est souvent en rapport explicite avec l’alliance. Plus encore, les images de Galates 3.15-4.7 sont fournies par la diathêkê, comprise
comme « alliance » et illustrée par les pratiques testamentaires de l’époque. Enfin, dans la conclusion de Galates 4.21-31, Paul développe expressément le rapport entre deux alliances, celle du Sinaï et l’alliance eschatologique annoncée
par Ésaïe. L’ensemble de ces deux chapitres montre donc que Paul ne réagit pas contre l’enseignement des judéo-chrétiens en mettant simplement en opposition, comme on le prétend souvent, loi et grâce ou loi et foi ; à un argument d’alliance, il
oppose plutôt un argument d’alliance différent, aboutissant à des conclusions contraires parce que définissant l’alliance « originelle » d’une manière assez radicalement différente.

Au-delà d’une explication des points particuliers du texte, cette présentation de l’alliance en Galates 3-4 – qui résume, il faut bien le dire, l’essentiel de l’Évangile paulinien – laisse penser que, loin d’être « transcendée » (Sanders) ou de constituer
une catégorie négligeable (Dunn), l’alliance reste importante, voire déterminante pour la théologie de l’apôtre, y compris là où le terme lui-même n’est pas ou peu utilisé.

Si l’alliance fournit la trame de la partie biblique-théologique de Galates 3-4, comment Paul comprenait-il ce concept ? C’est ici qu’il faut poser la question de la continuité ou de la rupture entre l’Ancien Testament et l’Évangile, ou encore entre
l’ancienne alliance et la nouvelle alliance en Christ. À ce sujet, notre étude donne des résultats contrastés. D’une part, Paul considère l’alliance du Sinaï comme définitivement dépassée en Christ. La loi avait une finalité limitée et, surtout,
provisoire. Une fois la bénédiction réalisée en Christ, elle ne peut plus fournir le cadre dans lequel la promesse était saisie jusque-là67. Fondamentalement, la loi a été
une parenthèse dans l’histoire du salut ; certes, il s’agissait d’une parenthèse utile et nécessaire, mais pas plus. Cela étant dit, l’argument paulinien suppose aussi un degré de continuité souvent négligé : l’alliance avec Abraham confère
une continuité à l’ensemble de l’histoire du salut, aussi bien dans son caractère de promesse que dans son modus operandi qui est la foi en la promesse. La venue du Christ représente aussi bien la finalité que l’accomplissement de l’alliance abrahamique ; c’est par l’œuvre de la croix et le don de l’Esprit que ce qu’elle promettait est venu à fruition. Du reste, dans la logique de l’apôtre, l’alliance abrahamique n’est pas dépassée par l’alliance nouvelle, car
c’est en Christ que les nations commencent, maintenant, à recevoir la bénédiction de la justice, de la vie et de l’Esprit. C’est donc en Christ qu’elle trouve sa réalité et sa concrétisation.

Un dernier point. Les propos somme toute assez négatifs sur la loi dans ces chapitres pourraient faire douter de la pérennité de cette dernière sous quelque forme que ce soit. Cette question, qui mériterait un développement à part, ne peut
recevoir ici qu’une réponse très partielle. Rappelons-nous que le problème immédiat en Galatie concernait la circoncision et l’adoption de la loi de Moïse, notamment dans ses éléments les plus visibles (cf. Ga 4.10, notamment).
À ce sujet, Paul est clair : la loi, comprise comme Torah de Moïse, n’est plus valable comme règle de vie pour le peuple de Dieu. Cependant, une fois ce point établi, Paul pourra parler de
la « loi du Christ » (Ga 6.2) et souligner que le commandement d’amour – qui provient précisément de l’Ancien Testament !68 – accomplit l’essentiel de la loi (5.14). En parlant du
« fruit de l’Esprit », il précisera de même que « la loi n’est pas contre de telles choses » (5.23). Il convient donc, très certainement, de faire une distinction entre la loi sous sa forme mosaïque et la loi dans sa configuration essentielle, telle qu’elle est donnée dans le cadre de l’alliance eschatologique et réalisée dans la vie des chrétiens par l’Esprit.
Nous pourrions encore parler de « Torah eschatologique », ce qui permettrait de souligner, à la fois, la continuité et la différence par rapport à « la Torah mosaïque »69.

Dans toutes ces questions, il apparaît clairement que l’épître aux Galates garde sa place, aujourd’hui encore, comme source essentielle de réflexion pour la théologie et la vie de l’Église. Que cet écrit de Paul, pourtant vieux de bientôt deux mille
ans, nous aide à prendre conscience, de façon toujours renouvelée, de notre enracinement dans l’alliance du Dieu d’Abraham et, en même temps, de la réalité nouvelle de la vie eschatologique et de l’Esprit que nous recevons en Christ !


  1. Donald Cobb est professeur de grec et de Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Il a récemment soutenu une thèse de doctorat sur la compréhension et la fonction rhétorique de la diathêkê (alliance) en Galates
    3-4. Le présent article résume plusieurs aspects de ce travail.

  2. Berîth se trouve dans 27 des 39 livres de l’Ancien Testament. Parmi les livres historiques, il n’est absent que de Ruth et Esther. On constate également son absence de quelques livres sapientiels : Ecclésiaste et Cantique
    des cantiques, auxquels on peut ajouter le livre des Lamentations. Il manque également dans plusieurs des petits prophètes, mais cela semble plutôt lié à la taille réduite de ces livres et au caractère circonscrit de leur message.
    On trouve le plus d’occurrences du mot dans la Genèse (27 fois) et le Deutéronome (27 fois, mais si l’on excepte l’expression l’« arche de l’alliance », ce nombre descend à 22). Berîth est également employé 25 fois
    dans le livre de Jérémie.

  3. A. Jaubert, La notion d’alliance dans le judaïsme aux abords de l’ère chrétienne, Paris, Seuil, 1963, p. 15-16.

  4. Rm 9.4 ; 11.27 ; 1Co 11.25 ; 2Co 3.6, 14 ; Ga 3.15, 17 ; 4.24 ; Ep 2.12.

  5. E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism. A Comparison of Patterns of Religion, Minneapolis, Fortress Press, 1977, p. 514.

  6. J.D.G. Dunn, « Did Paul have a Covenant Theology ? Reflections on Rom 9:4 and 11:27 », in The Concept of the Covenant in the Second Temple Period, S.E. Porter et J.C.R. De Roo (sous
    dir.), Leyde-Boston, Brill, 2003, p. 306.

  7. Cf. Ga 3.15, 17 ; 4.24.

  8. Cf., par exemple, J.Chr. Beker, Paul the Apostle. The Triumph of God in Life and Thought, Philadelphie, Fortress, 1982, p. 57-58 : « Du fait que Galates constitue une réponse polémique au premier degré, et non une proposition
    dogmatique rigoureuse, une idée fondamentalement cohérente de l’argument n’émerge pas. Son déploiement est complexe et énigmatique, comme le montre la relation entre loi et Évangile. […] Bien que la force antithétique de l’argument
    paulinien soit évidente, sa logique est absconse, intuitive et souvent incohérente, car elle est dictée par la crise immédiate. »

  9. Cf. Ga 1.22-24 ; 2.4-5, 12.

  10. Ga 5.2-3, 6 ; 6.12-13.

  11. Nous reprenons ici, avec des modifications, des indications déjà développées in D. Cobb, « La loi provient-elle de la foi ?› Exégèse et théologie dans l’épître aux Galates », Contre vents et marées. Mélanges offerts à Pierre Berthoud et Paul Wells,
    J.-Ph. Bru (sous dir.), Kerygma-Excelsis, Aix-en-Provence-Charols, 2014, p. 56-57.

  12. Ce point relève d’une conviction commune au judaïsme du Second Temple, comme le montre le livre paracanonique des Jubilés (15.26) : « Tout nouveau-né dont la chair n’est pas circoncise le huitième jour n’appartient pas aux enfants du pacte [= de l’alliance] que le Seigneur a conclu avec Abraham, mais aux enfants de la perdition.
    Aussi bien n’a-t-il pas sur lui le signe d’appartenance au Seigneur, mais (un signe le vouant) à la perdition, à la destruction sur la terre et à l’extermination, car il a violé l’alliance du Seigneur notre Dieu. » La Bible. Écrits intertestamentaires (coll. Pléiades), sans lieu, Gallimard, 1987, p. 700-701 (c’est nous qui soulignons).

  13. Le privilège de pouvoir invoquer Abraham comme « père » et de se dire ainsi « fils d’Abraham » est un élément essentiel du judaïsme à l’époque du Nouveau Testament. Cf., par exemple, Mt 3.9 ; Lc 1.55, 73 ; 3.8 ; 16.24, 27, 30 ;
    19.9 ; Jn 8.33, 37, 39, 53, 56 ; Ac 13.26 ; Rm 4.1 ; Jc 2.21.

  14. Cf. notamment la prophétie d’Ézéchiel : « Je ferai sur vous l’aspersion d’une eau pure, et vous serez purifiés […]. Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous suiviez mes prescriptions, et que vous observiez et pratiquiez mes ordonnances. »
    (Ez 36.25-27) Cette situation s’assimile ailleurs chez Ézéchiel à l’alliance promise pour les temps eschatologiques (Ez 16.60, 62 ; 34.25 ; 37.26). Les commentateurs, en général, voient dans ces passages un parallèle avec l’« alliance
    nouvelle » de Jérémie 31. Ainsi, par exemple, G. von Rad, Théologie de l’Ancien Testament : t. 2, Théologie des traditions prophétiques d’Israël, Genève, Labor et Fides, 1967, p. 203.

  15. Comme Paul le dit explicitement en Ga 3.29 : « Or, si vous êtes à Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse. » (Notre traduction) Sauf indication, les traductions bibliques sont tirées de la Bible Segond
    révisée, dite « à la Colombe ».

  16. Ga 3.2-3, 14.

  17. Ga 3.7-9, 11, 14.

  18. Cf. Ps 2.7-8, où le Messie (v. 2) s’exclame : « Je publierai le décret de l’Éternel ; il m’a dit : Tu es mon fils ! C’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage,
    et pour possession les extrémités de la terre. »

  19. « Pourtant le nombre des fils d’Israël deviendra comme le sable de la mer, qui ne peut ni se mesurer ni se compter ; à l’endroit où on leur disait : Vous n’êtes pas mon peuple ! On leur dira : Fils du Dieu vivant ! »

  20. Ga 4.1-7, bien que ne mentionnant pas Abraham, reprend clairement le contenu des deux premières parties.

  21. « Cela pour que la bénédiction d’Abraham parvienne aux païens en Jésus Christ, et qu’ainsi nous recevions, par la foi, l’Esprit, objet de la promesse. » (Ga 3.14, TOB) Cette mention de « promesse de l’Esprit » fait certainement
    référence à Ez 36.25-27 et Ez 37.1-14, mais aussi, sans doute, à d’autres, comme Es 44.2 (cf. infra).

  22. « Dodécalogue » = table de douze commandements.

  23. Les malédictions dans ce chapitre visent des péchés qui pourraient passer inaperçus, qui se font « en cachette » ou seraient commis contre des personnes sans moyen de se protéger. Paul cite le v. 26 avec quelques modifications. D’abord,
    il retient, avec la version grecque de l’Ancien Testament (la LXX), une notion « totalisante » moins appuyée dans l’hébreu : « Maudit soit tout homme (pas anthrôpos) qui ne persévère pas dans toutes les paroles
    (en pasin tois logois) de ce livre de la loi […]. » (Notre traduction) Ensuite, Paul y intègre une expression que l’on trouve plusieurs fois dans le Deutéronome en rapport avec les malédictions de l’alliance : « Car il est
    écrit : Maudit soit quiconque ne persévère pas dans toutes les choses qui sont écrites dans le livre de la loi, afin de les mettre en pratique. » (Dt 28.61 ; 29.19, 20, 26) La reprise de cette expression sert très
    certainement à intensifier la malédiction, déjà très forte dans le Deutéronome.

  24. Ainsi, par exemple, F. Watson, Paul and the Hermeneutics of Faith, Londres-New York, T&T Clark, 2004, p. 317 ; J. Milgrom, Leviticus 17-22. A New Translation With Introduction and Commentary (coll. AB), New York-Londres,
    Doubleday, 2000, p. 1709-1710.

  25. Cf. notamment 1QS II,1-18.

  26. Lv 18.5 est repris, de façon allusive, en Ez 20.10, 13, 21, comme aussi en Né 9.29, et, dans la littérature du Second Temple, en Si 45.5 ; 4Esd 7.21 ; CD III.18 ; 4Q266 (4QDa), frag. 11,12a ; 4Q504, frag. 6.16,
    etc.

  27. Ainsi, par exemple, Si 44.18-21 : « Le grand Abraham, ancêtre d’une multitude de nations […] observa la loi du Très-Haut et entra dans une alliance avec lui. Dans sa chair il établit l’alliance et dans l’épreuve il fut trouvé fidèle.
    C’est pourquoi Dieu lui assura par serment que les nations seraient bénies en sa descendance […]. » Cf. aussi 1M 2.52 : « Abraham n’a-t-il pas été fidèle dans l’épreuve, et cela ne lui a-t-il pas été compté comme
    justice? » (TOB)

  28. L’ensemble des citations de ce passage est tiré de la NBS.

  29. Cf. Né 9.32 : « Et maintenant, notre Dieu, Dieu grand, vaillant et redoutable, toi qui gardes l’alliance et la fidélité, ne regarde pas comme peu de chose la peine qui nous atteint […]. »

  30. Cf., par exemple, B.W. Longenecker, « Defining the Faithful Character of the Covenant Community », Paul and the Mosaic Law (sous dir. J.D.G. Dunn), Tübingen, Mohr-Siebeck, 1996, p. 81 ; S.E. Porter, « The Concept of Covenant
    in Paul », The Concept of the Covenant in the Second Temple Period, p. 282-283.

  31. Cf. Ac 3.25 ; 7.8, et, pour le judaïsme rabbinique, L.H. Schiffman, « The Rabbinic Understanding of Covenant », Review and Expositor 84 (1987), p. 289-298.

  32. Cf., par exemple, Dt 30.19-20 : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance, pour aimer l’Éternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix
    et pour t’attacher à lui. »

  33. Cf., pour la promesse de justification, Es 45.8, 24-25 ; 46.13 ; 48.18 ; 51.5-6, 8 ; 53.11 ; 54.14.

  34. Une clause à cet effet faisait habituellement partie des documents testamentaires : « Aussi longtemps que je suis en vie, j’ai toute autorité sur mes biens, afin, si je le souhaite, de compléter et modifier à leur sujet le présent testament,
    voire de l’abroger. » Plusieurs demandes de révocation de testament provenant de cette période ont d’ailleurs été conservées.

  35. Cf., pour un bon tour d’horizon des différentes propositions, M. Rastoin, Tarse et Jérusalem. La double culture de l’Apôtre Paul en Galates 3,6-4,7 (coll. AnBib), Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 2003, p. 174-185.

  36. Cf. S.W. Hahn, « Covenant, Oath, and the Aqedah : [DIATHEKE] in Galatians 3:5-18 », CBQ 67 (2005), p. 79-100 ; J.J. Hughes, « Hebrews IX 15 ff. and Galatians III 15 ff. A
    Study in Covenant Practice and Procedure », NovT 21 (1979), p. 27-96 ; J.C. Meyer, The End of the Law : Mosaic Covenant in Pauline Theology (coll. NACSBT), Nashville, B&H Publishing Group, 2009, p. 139 ; Th.R.
    Schreiner, Galatians (coll. ZECNT), Grand Rapids, Zondervan, 2010, p. 227.

  37. S.W. Hahn, « Covenant, Oath, and the Aqedah », p. 81.

  38. Comme Hahn le remarque encore, l’alliance entre Israël et les Gabaonites en donne une bonne illustration (Jg 9.15, 19-20 ; cf. aussi 2S 21.1-14). L’auteur mentionne également 1M 11.9 : « Il envoya des ambassadeurs au
    roi Démétrius pour lui dire : ‹Viens, concluons ensemble une alliance (diathêkê) : je te donnerai ma fille […] et tu régneras sur le royaume de ton père. » (Notre traduction. Cf. 1, 11) Hahn commente ce passage :
    « L’auteur de 1 Maccabées nous fournit l’exemple d’un Juif hellénistique n’écrivant pas si longtemps avant Paul, qui comprenait [diathêkê] dans le sens de [berîth], ou ‹alliance›, et qui appliquait
    le terme, avec ce sens, à une situation humaine relativement récente. » « Covenant, Oath, and the Aqedah », p. 84-85.

  39. Nous modifions la traduction de la Colombe pour mieux refléter les éléments dégagés dans ce qui précède.

  40. La TOB paraphrase bien, à notre avis, l’idée de ce verset : « Dès lors, que vient faire la loi ? Elle vient s’ajouter pour que se manifestent les transgressions, en attendant la venue de la descendance à laquelle était destinée
    la promesse. »

  41. Cf. Épictète, Entretiens, I, 11, 4 (éd. J. Souilhé), Paris, Les Belles Lettres, 1943, p. 44-47, qui assimile l’amour du paidagôgos pour l’enfant à celui des parents.

  42. Cf. la définition du Grand Bailly : « Qui conduit des enfants, c.-à-d. 1 esclave chargé de conduire les enfants à l’école. » (Italiques et caractères gras dans le texte)

  43. Ga 3.13, 23-25 ; 4.3, 5a.

  44. Ga 3.26-29 ; 4.6, 8-11, 21, 28.

  45. Ga 3.14 ; 4.5b, 31. Dans ces versets, le « nous » a donc le sens de « nous tous ». Cf. R. Burnet, « Les ambiguïtés du ‹nous› dans l’épître aux Galates », Regards croisés sur la Bible. Études sur le point de vue. Actes du IIIe Colloque international du Réseau de recherche en narrativité biblique,
    Paris, Cerf, 2007, p. 467-476.

  46. Cf., à ce sujet, M. Rastoin, Tarse et Jérusalem, p. 93-144.

  47. Cf., par exemple, Ps 2.8, cité plus haut, note 17.

  48. De fait, l’Ancien Testament déjà rapproche par endroits le descendant (ultime) d’Abraham du descendant idéal de David, c’est-à-dire du Messie. Cf., par exemple, Ps 72.17 (« Son nom subsistera toujours, aussi longtemps que le soleil,
    son nom se perpétuera. Par lui on se bénira mutuellement, toutes les nations le diront heureux »), texte qu’il convient de rapprocher de Gn 12.3.

  49. Cf. J.K. Goodrich, « ‘As long as the heir is a child’ : The Rhetoric of Inheritance in Galatians 4:1-2 and P.Ryl. 2.153 », NovT 55 (2013), p. 61-76. L’objection est parfois
    avancée qu’une telle métaphore ne saurait convenir dans l’argument de Galates, puisqu’elle suppose que le père est décédé, ce que l’on ne saurait dire de Dieu. La remarque est légitime en soi mais elle oublie que l’élément de comparaison
    dans une métaphore est toujours imparfait ; il s’applique, par définition, à certains aspects du référentiel et non à tous.

  50. Comme le montrent bien les v. 4-5 : « Mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi […]. »

  51. Selon M.C. De Boer, Galatians. A Commentary (coll. NTL), Louisville, Westminster-John Knox, 2012, p. 253, c’est toujours le sens qu’aurait cette expression en dehors du Nouveau Testament. Voir aussi, du même auteur, « The
    Meaning of the Phrase [ta stoixeia tou kosmou] in Galatians », NTS 53 (2007), p. 204-224.

  52. Quis rerum divinarum heres sit, 134 (éd. M. Harl), Paris, Cerf, 1966, p. 233.

  53. Cf. aussi Col 2.8, 20-23, où l’on trouve la même expression avec, très certainement, le même sens.

  54. Cf. v. 7 et, pour le contexte commercial du verbe exagorazô (« racheter », v. 5) en rapport avec le rachat des esclaves, C. Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament. Réédition en un volume des Notes de lexicographie néo-testamentaire,
    Fribourg-Paris, Éditions Universitaires Fribourg-Cerf, 19912, p. 38-40, en particulier la note 4.

  55. Cf. aussi Rm 9.25-26, rapportant ces versets d’Osée, là aussi, aux non-Juifs qui, par le Christ, sont intégrés au peuple de Dieu (v. 24).

  56. Dans la rhétorique gréco-romaine, on désignait habituellement la partie finale d’un argument par le terme peroratio (epilogos en grec). Cette conclusion comportait souvent, entre autres, des « effets de manches », comme
    dans la plaidoirie finale d’un avocat lors d’un procès.

  57. Versets 24-25.

  58. Cf., entre autres, M.-J. Lagrange, Saint Paul, épître aux Galates (coll. EB), Paris, Gabalda, 19424, p. 128.

  59. Ainsi, par exemple, R.B. Hays, Echoes of Scripture, p. 114-115 : « Les ‹deux alliances› de Galates 4.24 ne sont pas l’ancienne alliance du Sinaï et la nouvelle alliance en
    Christ. Le contraste s’établit plutôt entre l’alliance ancienne et celle, plus ancienne encore, conclue avec Abraham, laquelle révèle en fait, d’après la relecture paulinienne, son vrai sens en Christ. Dans le schéma de Paul, la liberté
    et les droits d’héritage des communautés chrétiennes de la Gentilité ne sont pas une nouveauté mais des vérités plus anciennes, implicites depuis toujours en Isaac, contenues dans la promesse faite à Abraham. » (Italiques dans le texte)

  60. Notre traduction. De façon significative, ce verset est également cité dans la prédication de Paul à la synagogue d’Antioche en Pisidie (Ac 13.34). L’ensemble de cette prédication contient d’ailleurs des points communs très intéressants
    avec Ga 3-4. Cf. aussi Es 54.10 (LXX) : « Pas plus que l’action de laisser s’ébranler les montagnes, tes collines ne seront déplacées ; de même, ma fidélité envers toi ne défaillira pas, et l’alliance qui te donne la paix
    (hê diathêkê tês eirênês sou) ne sera pas enlevée, dit le Seigneur, qui a compassion de toi. » (Notre traduction)

  61. Il est à rappeler qu’on trouve en Ga 3.6-14 ces mêmes mentions de l’Esprit, de la bénédiction et d’une descendance. Il est fort possible que Paul ait eu, à ce moment déjà, ce verset à l’esprit. Ainsi R.B. Hays, The Letter to the Galatians, Introduction, Commentary and Reflections (coll. NIB), Nashville, Abingdon Press, 2002, p. 261, et d’autres.

  62. Es 41.8.

  63. Le verbe ôdinô signifie « connaître les douleurs de l’enfantement » et, par extension, « enfanter » (ou simplement « connaître la douleur »). Dans ces chapitres d’Ésaïe, on ne le trouve ailleurs qu’en Es 54.1 : « Réjouis-toi,
    stérile, toi qui n’enfantes pas ! Éclate de joie, toi qui n’as pas éprouvé les douleurs (hê ouk ôdinousa) ! » L’utilisation de ce verbe confirme le rapprochement entre les deux passages.

  64. Cf. aussi Es 49.19-21 : « Oui, tes ruines, tes solitudes, cette terre de décombres, tes habitants y seront désormais à l’étroit ; et ceux qui te dévoraient s’éloigneront. Ils répéteront à tes oreilles, ces fils dont tu fus privée :
    l’espace est trop étroit pour moi ; fais-moi de la place, pour que je puisse m’établir. Et tu diras en ton cœur : Qui me les a enfantés ? Car j’étais privée d’enfants, j’étais stérile. J’étais déportée, répudiée : qui les
    a élevés ? J’étais restée seule : ceux-ci, où étaient-ils ? »

  65. La perspective universelle du livre d’Ésaïe, notamment des chapitres 40-66, est souvent relevée. L’œuvre du Serviteur, en particulier, sera pour Israël, mais elle signalera aussi le salut des nations. Cf., par exemple, Es 42.1-6 ;
    45.22-25 ; 49.1-7 ; 51.4.

  66. Cf. Flavius Josèphe, Antiquités juives, 1, p. 220-221.

  67. Sur la fonction de l’alliance du Sinaï comme « vecteur » provisoire de la promesse jusqu’à la venue du Christ, voir notre article, « La loi provient-elle de la foi ? », p. 58-61.

  68. Lv 19.18.

  69. Il est également important de souligner que Galates ne donne qu’une vision partielle de la loi de l’Ancien Testament. Il manque notamment l’aspect positif que l’on voit dans certains psaumes (cf., par exemple, Ps 19.8-12
    ou le Psaume 119). Il faut souligner que la présentation de la loi en Ga 3-4 vise à dénouer une situation de crise, ce qui explique partiellement les formulations très peu nuancées de Paul. Ailleurs, celui-ci pourra se montrer plus
    favorable envers l’obéissance à la loi dans sa forme spécifiquement mosaïque (Rm 14.1-10, 14-16) et même, à l’occasion, en retenir certaines pratiques (Ac 18.18, 21 ; 20.16). Ces données n’infirment pas le côté négatif de la loi mais
    elles montrent que, pour être complet, le tableau doit être nuancé en tenant compte de tous les éléments. Ce qui paraît surtout important en rapport avec Galates est de reconnaître que, une fois le Christ venu, la loi ne peut plus avoir le même rôle ni la même priorité qu’elle avait auparavant.
    De même, c’est à la lumière du Christ que ses aspects négatifs – ou encore simplement « matériels » et contraignants – se précisent et se voient plus clairement. En d’autres termes, la présentation de Galates 3-4 concerne ce que la loi est devenue à la lumière de l’événement christique.

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