LE PARADIS DANS LES RELIGIONS DU MONDE

LE PARADIS
DANS LES RELIGIONS DU MONDE

Yannick IMBERT*

Avant de parler de paradis, il faut parler de mort, et parler de mort, c’est parler de ce qui demeure la réalité la plus certaine que nous puissions tous connaître. Pour certains, « la vie nous parle de mort, et même elle ne parle que de cela[1] ». Comme le rappelle un autre grand observateur de la société humaine, la vie humaine est toujours vécue dans la perspective d’une fin inéluctable. Il faut que l’être humain vive, et qu’il vive, « avant que la poussière retourne à la terre, comme elle y était, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné » (Ecclésiaste 12.9). Dans un  ouvrage présentant les croyances religieuses sur l’« au-delà », les auteurs soulignent que

le mot seul [la mort] évoque la peur. Chaque personne, chaque être humain, expérimente quotidiennement la vie dans des myriades d’aspects. La mort se tient à l’orée de cette expérience, mais demeure malgré tout toujours présente. Concevoir une fin de la vie et de soi défie l’imagination, bien que la réalité de la mort soit certaine pour tout le monde[2].

Mais cette idée, qui défie l’imagination, l’éthique et même la métaphysique humaine depuis des siècles, est cependant l’une des plus obsédantes pour l’humanité, quoique nous fuyions sa réalité quotidienne, en essayant soit de la maîtriser, soit de l’ignorer.

Et pourtant, si vous faites une recherche Google pour le mot « paradis », on a plus de chances de trouver un article sur les paradis fiscaux ou sur les dernières affaires privées de Vanessa Paradis que sur un sondage indiquant ce que croient les Français sur ce sujet oublié du « paradis ». Comme souvent, pour de tels sondages, il faut se tourner vers les grands journaux catholiques. La Vie a publié, par exemple, en 2010, les résultats d’un sondage conduit par l’Institut CSA auprès d’un échantillon de la population française. Qu’indique ce sondage ? Tout d’abord, les Français n’ont aucune hésitation concernant la nature d’un possible paradis sur terre :

Un bonheur qui passerait par « un moment de sérénité » (38%), paradis qui s’ouvrirait sur « un jardin extraordinaire » (20%). Ces deux images arrivées en tête expriment surtout une aspiration à une certaine qualité de vie et relèguent en troisième position la « maison de vos rêves », choix plus prosaïque qui n’inspire que 18% des sondés[3].

Tout cela n’est certainement pas une surprise. Si on parle de paradis sur terre, qu’est-ce que cela pourrait bien être d’autre ? Mais la vraie question est celle du paradis, c’est-à-dire de l’existence après la mort. Qu’en disent les Français, cette population qui semble être matérialiste à l’extrême ? « Dans un monde toujours plus séculier et matérialiste, où l’idéologie religieuse et la discussion du surnaturel sont généralement considérées avec mépris[4] », on devrait s’attendre à des résultats sans surprise. Or, quelque 36% des sondés répondent qu’ils croient en l’existence d’un paradis quel qu’il soit et, à l’inverse, 59% n’y croient absolument pas. La vraie conclusion, indique le philosophe Paul Clavier, qui a été consulté pour l’interprétation de ce sondage, c’est que « deux tiers des Français estiment donc que leur vie se limite à sa durée biologique, ce qui implique que tout ce qu’on a accompli sur terre est irréparable et que nous ne sommes guère dans l’espérance[5] ».

Seulement 31% des croyants (catholiques) interrogés retiennent l’idée d’une « rencontre avec Dieu » comme expression décrivant de manière adéquate la nature de ce paradis. Pour la majorité des Français, revoir sa famille, ses amis, trouver le « bien-être » final est l’essence même du paradis. Ainsi une perspective relativement matérialiste serait combinable avec l’existence du paradis. Ce paradis français, c’est simplement l’aboutissement de toutes les attentes matérialistes : vivre bien avec ceux que nous aimons. Quant aux spéculations sur les modalités précises de ce « paradis », les Français semblent ne pas s’y intéresser, les spéculations sur l’état de l’être humain après la mort étant légion, comme le sont les descriptions possibles du lieu de rassemblement des « décédés »[6]. Cela explique peut-être aussi qu’un cinquième des Français déclarent croire à la réincarnation.

Dans ce contexte, quelles sont les positions des quelques religions représentatives du paysage religieux français et quelles réponses apportent-elles aux attentes de nos contemporains ?

I. L’islam

Le mot grec parádeisos a été utilisé par les traducteurs de la Septante (LXX) pour rendre compte du terme hébreu pardes (plus tard associé à gan) ; c’est de la composition de ces deux termes que vient le mot « paradis », image qui se réfère plus directement à un « jardin », au jardin originel, au jardin d’Eden[7]. Un phénomène similaire en arabe apparaît dans le Coran avec l’utilisation du terme firdaws, qui désigne le plus haut niveau du paradis (jannah), lieu par excellence de félicité et de béatitude.

Si on cherche dans le Coran la nature de l’existence éternelle, on est rapidement confrontés à la nécessité d’examiner une diversité de termes associés à cette réalité. En effet, dans le Coran, l’utilisation des noms est l’un des principaux vecteurs de la connaissance indispensable pour décrire la nature des choses, comme c’est le cas pour la nature d’Allah qui l’est plus par ses noms que par ses attributs. Plusieurs épithètes sont donc attribuées au jardin paradisiaque :

Firdaws : le plus haut Jardin du paradis (sourate Al-Mu’minoon, 23:11).

Dār al-maqāmah : la Demeure de stabilité (sourate Fātir, 35:22).

Dār as-salām : la Demeure de la paix (sourate Yūnus, 10:25).

Dār al-’Āhirah : la Demeure dernière (sourate al-’Ankabūt, 29:64).

Al-Jannah : le Paradis, terme le plus utilisé dans le Coran et les Hadith (sourates al-Baqarah, 2:35 ; Al-i-Imran, 3:133, 3:142 ; al-Ma’idah, 5:72).

Jannat al-’adn : les Jardins d’Eden (sourate ar-Ra’d, 13:23).

Jannat al-Huld : les Paradis d’éternité (sourate al-Furqān, 25:15).

Jannat al-Ma’wā : Paradis de refuge (sourate an-Nagm, 53:15).

Jannat an-Naīm : les Jardins de délice (sourate al-Mā’idah, Yūnus, 10:9).

Maq’ad as-Sidq : le Siège de vérité (sourate al-Qamar, 54:55).

Al-Maqām al-’Amīn : le Séjour de sécurité (sourate ad-Duhhān, 44:51)

Il y a plus de 120 références pour le mot « jardin » dans le Coran, et l’expression la plus couramment utilisée est  jannat al-firdaws, littéralement le « jardin (jannat) du paradis (firdaws) ». La gamme des épithètes utilisées pour qualifier le jannat indique régulièrement un lieu, non seulement de bonheur éternel, mais aussi un refuge, une retraite abritée et sécurisée (khalwa). Quant au terme « Jardin d’Eden », il suggère la paix spirituelle et l’harmonie de l’état primitif de l’homme retrouvées dans la vie de l’au-delà.

Ces épithètes qualifient et décrivent aussi, très souvent, un jardin dans lequel l’humanité retrouvera une parfaite communion avec les biens matériels et le plaisir qu’ils procurent. Cela a donné lieu à nombre de clichés concernant ce paradis. Dans la conception populaire, c’est le plaisir matériel qui est souvent souligné, le paradis dans le Coran étant conçu comme un jardin sensuel, un paradis « terrestre » dans lequel des biens charnels attendent les bienheureux. Mais ce serait oublier de nombreux autres textes comme la sourate 35:34-35 :

Et ils [les croyants] diront : « Merci à Dieu qui a extirpé de nous l’affliction ! Oui, notre Seigneur est pardonneur, certes, reconnaissant, qui nous a installés de par Sa grâce dans la Demeure de stabilité où nulle lassitude ne nous touche. »

Nous croyons et affirmons bien souvent, et la conception musulmane populaire le  laisse effectivement souvent penser, qu’il n’y a rien de spirituel dans ce paradis musulman. Cette critique de la vision coranique du « paradis » a souvent été formulée par la théologie chrétienne, souvent sans porter une attention exégétique suffisante aux textes considérés[8].

Il n’en demeure pas moins que les plaisirs sensuels sont présents à chaque étape de la description paradisiaque, comme l’explicite, en quelques mots, ce verset de la trente-septième sourate : « Et ils auront auprès d’eux des belles aux grands yeux, le regard chaste, des belles comme le blanc caché de l’œuf[9]. » Des richesses attendent les « esclaves choisis » (sourates 43:70-71 ; 55:70-71 ; 44:51-53), ainsi que des fruits et de l’honneur (sourate 37:40-43 ; 43:72-73 ; 44:55), ainsi que des garçons éternellement jeunes (sourate 76:19). En sourate 56:22-38, on peut lire une description plus étendue :

Et des houris aux grand yeux, semblables à la perle bien gardée, pour paiement de ce qu’ils œuvraient. Ils n’entendront là ni vanité, ni incrimination ; que le mot « Paix ! Paix ! ». Et les gens de la droite… ils sont parmi les jujubiers aux fruits abondants mais sans épines, et aussi parmi les acacias en lignes, parmi l’ombre étendue et l’eau qui se déverse, et les fruits abondants ni cueillis ni interdits, avec de hauts lits et des belles qu’en vérité nous avons ouvragées d’ouvrage, puis faites vierges, amoureuses, toutes du même âge – pour les gens de la droite ![10]

Dans ce jardin de délices, les « esclaves choisis d’Allah » trouvent tout le plaisir qu’ils désiraient, plaisir premièrement sensuel, mais aussi spirituel de la communion divine :

Aux croyants et aux croyantes, Dieu a promis des Jardins sous quoi coulent les ruisseaux, pour qu’ils y demeurent éternellement, et des demeures excellentes, aux jardins d’Eden. Or, de Dieu l’agrément est plus grand encore. C’est là l’énorme succès[11].

En ajout à ce verset du Coran, certains hadiths soulignent fortement la nature spirituelle du paradis, lieu de présence d’Allah. Sahih Muslim, livre 40, Hadith 7056 dit, par exemple : « Abu Huraira a rapporté que le Messager d’Allah (que la paix soit sur Lui) a dit : La terre consommera tous les fils d’Adam, sauf sa moelle épinière à partir de laquelle son corps sera reconstitué (le Jour de la Résurrection)[12]. »

On pourrait donc comparer, compter les différentes sourates et conclure que le Coran parle plus souvent du plaisir sensuel dans le paradis que de communion avec Allah. C’est effectivement, dans le langage employé, bien le cas. En conclure que le paradis musulman est un paradis sensuel conçu principalement pour les « mâles » en quête de jeunes vierges, il n’y a qu’un pas que l’apologétique chrétienne a volontiers franchi[13]. Mais, au-delà de la seule caricature, ce serait sous-estimer la manière dont certains courants musulmans ont interprété le paradis « matériel » par une description analogique d’un état spirituel. Un commentateur indique : « Il est bienséant que les ‹houris›, les palais, les jardins, fontaines [mentionnés dans le Coran] consistent en des états de la vision de Dieu. A chaque vision correspond un goût (plaisir) différent[14]. » On peut lire, dans cette perspective, des passages comme celui-ci :

De la même manière, l’inclinaison des houris du paradis vers ses habitants est l’amour de Dieu. C’est comme si Dieu lui-même embrassait (les habitants du paradis), comme lorsque deux formes s’embrassent, c’est l’amour de deux esprits. Mais au niveau de la réalité de l’esprit et le sens de la forme, il ne peut y avoir aucune étreinte[15].

Dans cette mystique du jardin, le plaisir charnel est le plus puissant symbole de communion divine ; il ne faut donc pas nécessairement prendre littéralement les descriptions coraniques. Cependant, la plupart des courants théologiques musulmans souligneront que l’aspect « formel » de la béatitude éternelle n’est pas Allah lui-même mais la qualité de la vie des « choisis » dans ce paradis retrouvé. A cette vie, seule la vision béatifique de Dieu reste à ajouter ; c’est précisément ce qui a séparé l’école mu’tazilite de la plupart des autres écoles de pensée[16]. Al-Ash’arī (théologien proche des mu’tazilites et dont les disciples fonderont l’école concurrente – l’asharisme) comparera la vision d’Allah au plus élevé des plaisirs. Malgré les débats sur la nature précise de la « vision d’Allah », Al-Ash’arī laissera ouverte la possibilité que cette « vue » soit similaire à la vue naturelle dont le Créateur a pourvu les hommes tandis que l’école mu’tazilite maintenait l’exclusivité de la vision béatifique[17].

Cette vision béatifique n’était toutefois pas identique à celle qui est promue dans la théologie chrétienne, particulièrement dans la théologie médiévale de la visio beatifica[18]. Dans la théologie chrétienne, la vision béatifique est essentielle à la communion des saints dans le royaume éternel. Dans la conception musulmane, la vision béatifique n’est que ponctuelle et intermittente[19]. Louis Gardet conclut bien à propos :

Pour la tradition musulmane, le bonheur de l’élu se définit d’abord par la jouissance de biens créés. Tor Andrae a pu montrer que les descriptions paradisiaques du Coran sont en consonance avec des hymnes du diacre Ephrem et diverses sources syriaques[20].

Dans la vision coranique, le plaisir matériel paradisiaque est un signe de plaisir divin. L’image du jardin est symboliquement aussi celle d’un lieu de retraite, de paix, reflétant harmonie et calme[21]. En effet, les théologiens musulmans soulignent souvent que, si la création est bonne, il ne faut pas s’étonner de retrouver le plaisir de cette création dans l’état paradisiaque. En fait, les falāsifa seuls ainsi que les mystiques sūfīs verront dans les délices sensibles une pure métaphore. Cependant, la plupart des théologiens, qui admettent le principe des plaisirs sensibles, se garderont bien de rationaliser ou de commenter sur leur mode précis. Ceci dit, ils souligneront, néanmoins, que si la description des biens matériels est similaire à ceux que nous connaissons ici-bas, leur nature sera essentiellement différente ; mais cette distinction n’est que pure sémantique. Dans un ouvrage d’exégèse coranique datant de la fin du XVe siècle, il est rapporté qu’Al-Suyuti parle, dans son commentaire, d’un vin

qui ne suscite pas de folies, rien qui ne pervertit leurs esprits, ils ne seront pas épuisés suite à sa consommation (lire yunzafûna ou yunzifûna, de nazafa ou anzafa, se dit d’une boisson, en d’autres termes, ils ne sont pas sujets à l’ébriété [par ce vin], ce qui diffère du vin de ce bas monde)[22].

Nous voyons bien là un effort pour minimiser la critique de la vision paradisiaque coranique dans laquelle les plaisirs sensuels interdits sur terre sont pourtant bien valorisés. Dans tous les cas, une différence essentielle (essentia) est soulignée entre les plaisirs terrestres et « paradisiaques ». Cela ne signifie pourtant pas que certains théologiens musulmans n’aient pas utilisé l’attrait de ces images de plaisirs à venir afin de « motiver » les fidèles pour suivre les voies d’Allah[23]. Un autre auteur remarque que

 

pour les théologiens chrétiens, le paradis islamique était l’exemple ultime que l’islam était une religion qui manquait de spiritualité. Par contraste, l’islam offrait une matérialité : la promesse d’un monde physique dans lequel il serait possible de vivre une vie faite de sensations et entourée de biens[24].

Les apologètes chrétiens ont aussi voulu montrer la contradiction qui existe entre une vie musulmane légalisée et une promesse de paradis décomplexé, y compris au niveau de la sexualité. C’est la fameuse « image » populaire des soixante-douze vierges, les houris, qui attendent « là-haut » le croyant. Mais souligner l’acceptation d’une immoralité dans le paradis musulman est une erreur qui néglige de prendre en compte d’autres textes coraniques comme  la sourate 4:57 : « Et quant à ceux qui ont cru et fait de bonnes œuvres, bientôt Nous les ferons entrer aux Jardins sous lesquels coulent des ruisseaux. Ils y demeureront éternellement. Il y aura là pour eux des épouses purifiées. Et Nous les ferons entrer sous un ombrage épais. » Soulignons ici, en passant, la différence d’usage entre les termes houris et épouses purifiées, cette dernière expression renvoyant clairement à la dimension conjugale. Cette différence est importante pour l’exégèse coranique ; aussi ne pas prêter attention à la manière dont les théologiens musulmans interprétèrent la description coranique du paradis n’est certainement pas une manière honnête de promouvoir le dialogue interreligieux.

Dans le Coran, le symbolique et l’éternel sont ainsi profondément mêlés, rendant difficile de distinguer derrière les termes exprimant une réalité matérielle, terrestre, la réalité céleste. Par exemple, la notion de « miséricorde » est particulièrement symbolisée par l’eau, en particulier la pluie. En effet, dans le Coran, l’idée de révélation, qui signifie littéralement « envoyer vers le bas », est symbolisée par la pluie « envoyée » par le Très Miséricordieux ; elle est une « miséricorde » qui « donne la vie ».

En fin de compte, au travers de toutes les descriptions matérielles du paradis coranique, c’est, le plus souvent, le motif de l’ascension vers le ciel qui est mis en avant. La vision coranique du paradis est ainsi superficiellement assez claire, mais pleine de clichés populaires : promesse d’un paradis dans lequel les plaisirs interdits seront désormais librement accessibles[25]. Il y a plusieurs manières de considérer la nature spirituelle et matérielle de ce paradis auquel le croyant accède par la validité et la perfection de ses œuvres[26]. A cela nous devons porter attention : la théologie musulmane est profondément diverse et la manière dont le paradis a été interprété et vécu l’est également. L’espérance qui y est attachée s’incarne donc de bien des manières. C’est à cette espérance de la vie dans le « paradis » que les apologètes, que nous sommes tous, devront s’attacher. Notre tâche sera d’accueillir et de comprendre la nature de ce « paradis » et l’espérance qui y est attachée pour en discerner l’impossibilité.

II. Le bouddhisme

Comment le bouddhisme, pratique religieuse et spirituelle en plein essor en France, traite-t-il le sujet du paradis ? Il peut sembler, a priori, bien étrange de parler de « paradis » dans le bouddhisme. Ne prône-t-il pas, en effet, une dissolution de tout dans le Tout ? Dans ce cas, la seule chose dont il serait possible de parler est de cette extinction lors de la mort, la manière dont l’individu rejoint le nirvana, lieu de l’au-delà dont nous ne savons rien. Même l’entrée du Bouddha dans le nirvana n’apporte que peu d’éclairage, surtout si on considère « enfer » et « paradis » comme étant d’abord des états de conscience[27]. Ainsi, la devise bouddhiste concernant les « fins dernières » pourrait être : « Ni Dieu, ni âme. » A noter que ces « fins dernières », si elles sont totalement absentes du « Petit Véhicule » (bouddhisme Hīnayāna), font partie des enseignements du « Grand Véhicule » (bouddhisme Mahāyāna). Il est donc question d’un paradis sans dieu, c’est-à-dire d’un paradis dont on ne peut rien connaître puisqu’il est, par définition, cessation de toute existence particulière. Cette conclusion, qui peut sembler sans appel, correspond à ce que nous imaginons, le plus souvent, de la conception bouddhiste du nirvana. Le bouddhisme prêcherait alors l’impermanence absolue de tout être et de toutes choses et conduirait paradoxalement  vers un paradis sans divinité ni âme. Cependant Max Müller, grand philologue du XIXe siècle, a déjà, en son temps, indiqué qu’il y avait un gouffre entre la conception théorique et la conception populaire du bouddhisme [28].

Le paradis bouddhiste, le nirvana, est donc multiple et ne se résume pas à l’absence de tout, à la désintégration du « soi ». Le croire serait une énorme caricature, même si un grand nombre d’enseignements bouddhistes soulignent cette dé-personnalisation : cela présente une grande opportunité apologétique. En réalité, le bouddhisme offre trois options essentielles pour la vie après la mort, pour l’état de « paradis », si l’on peut dire.

La première option que les écoles bouddhistes ont élaborée est l’enseignement du samsara continu, un cycle quasi sans fin de renaissance et de souffrance. La deuxième option est celle du nirvana, l’enseignement le plus connu relatif à l’au-delà bouddhiste. Dans cette perspective, le salut dans le bouddhisme primitif est le nirvana, processus parfois complexe d’extinction du karma par lequel est abandonné ou consumé tout ce qui constitue le « moi ». Ainsi, le nirvana n’est ni un lieu ni un état, mais la fin de la renaissance, ce qui pose la question de la nature précise de ce nirvana. Il y a là une première difficulté. De plus, cet enseignement remet à plus tard la dissolution finale du soi jusqu’à ce que tous les êtres vivants aient été éclairés. Si le nirvana s’applique à l’extinction des désirs, la plupart du temps après la mort, il est cependant potentiellement possible de connaître cet état de son vivant, mais seulement en de très rares occasions[29]. D’ordinaire, il n’y a donc pas de réelle possibilité de sortir du cycle karmique. L’espoir d’entrer dans l’état de « grâce », s’il est possible de parler ainsi, dans le nirvana est hautement compromis.

Dans ces deux premières écoles bouddhistes, surtout pour la deuxième, atteindre le nirvana est soumis à une pratique individuelle qui devient une porte d’accès seulement pour l’individu. Cette pratique du bouddhisme Mahāyāna, connue sous le nom de « moyens habiles », a conduit à d’autres interprétations du salut, comme celle d’une renaissance dans un pays pur. Là, on peut continuer à aspirer à l’illumination dans un cadre agréable, sans crainte d’une renaissance sous une forme humaine. Une grande partie du bouddhisme Mahāyāna accorde une importance cruciale à l’upāya kausalya qui devient donc le « moyen habile » ou l’« expédient salvifique » employé par un être déjà éveillé et mû par la compassion pour guider les autres sur la voie de l’éveil. Dans le  bouddhisme Mahāyāna, le paradis n’est donc que la direction du nirvana prise par un individu en attendant l’éveil du reste de l’humanité. Dans cette perspective, l’espérance personnelle est conditionnée par l’accès de toute l’humanité à l’éveil, espérance hautement conditionnelle et aléatoire.

Examinons maintenant la troisième option bouddhiste qui est la doctrine, ou tradition, de la « Terre pure ». Si les deux premières « options » nient la réalité d’une permanence du « soi » ou de l’entité personnelle[30], cette dernière école a introduit la grande nouveauté d’une persistance personnelle après la mort. Cette perspective pour le moins originale est née au sein de la grande tradition du bouddhisme Mahāyāna (le Grand Véhicule). Cette nouvelle école bouddhiste fondée par Honen (1133-1212) s’est concentrée sur et a systématisé l’enseignement du Bouddha Amitābha, ou Bouddha de la Lumière Infinie[31]. Des sūtras qui font autorité en ce qui concerne la doctrine de la « Terre pure », le plus ancien date d’environ 221-266[32].

Dans cette tradition bouddhiste, l’avenir de l’individu est plus clairement identifié que dans d’autres traditions du bouddhisme Mahāyāna, en particulier par sa référence à un lieu incarnant l’espoir de l’être humain. L’accession à la « Terre pure » se fait sur la base de trois conditions indispensables : la foi (xìn) en l’efficacité des vœux d’Amitābha, le vœu (yuàn) d’entrer dans sa Terre pure et la pratique de l’invocation (xíng) du nom du Bouddha Amitābha[33]. Un auteur indique que, « en résumé, la foi (qui est définie en termes de ‹pleine conscience› ou ‹attention juste›) est l’instrument qui permet de réaliser la naissance dans la Terre pure. Cette naissance, de plus, implique l’éveil de soi et des autres[34]. » On retrouve ici la dimension communautaire qui ne soumet plus l’entrée d’un individu dans le nirvana à l’éveil de toute l’humanité, mais qui crée un lien entre le devenir d’un individu et le devenir des autres. Ainsi, mon entrée dans la « Terre pure » peut ouvrir l’accès des autres individus à cette béatitude.

Un aspect fascinant de cette perspective bouddhiste est sa manière de répondre au problème principal que le bouddhisme tente de résoudre : celui de la souffrance. Dans la tradition bouddhiste de la « Terre pure », le voyage de l’illumination est relativement facile, car il n’a pas à dépasser la souffrance, l’illusion, qui bloque sur terre le progrès de l’éveil. Le danger de renaître sur terre dans une condition peut-être pire que la précédente n’existe pas : le cycle karmique perd alors toute sa radicale répétition. C’est l’une des caractéristiques principales de cette école bouddhiste, qui présente ainsi un futur matérialisé. Cependant, ce n’est pas la seule manière, ni même la plus répandue, d’envisager l’au-delà, la vie après la mort, le « paradis », dans une perspective bouddhiste… ni même dans cette école de pensée. Il convient, en effet, de noter que la « Terre pure » n’est pas une demeure éternelle, mais plutôt un lieu médian où les habitants progressent vers l’illumination complète[35]. La dimension matérielle de cette « terre » serait donc transitoire. Mais il semblerait que la matérialité de la « Terre pure » ne soit pas la seule compréhension possible de cet enseignement. Certains auteurs remarquent, par exemple, qu’il est possible de considérer symboliquement la « Terre pure » comme décrivant l’état même de Bouddha : « Il semble ainsi que la Terre pure ne soit pas fonctionnellement un lieu où nous allons afin d’être finalement illuminés. Mais nous sommes plutôt illuminés immédiatement au moment de notre mort : nous devenons ce que nous avons toujours été[36]. » Cependant, la plupart des auteurs s’accordent pour montrer la spécificité physique du paradis de cette école bouddhiste, paradis béatifique offert à tous[37]. La « Terre pure » du Bouddha Amitābha est ainsi un domaine rempli de merveilles et d’ornements où les humains jouissent de la présence des Bouddhas et Bodhisattvas au fur et à mesure que chacun progresse vers l’éveil.

Quoi qu’il en soit, deux choses apparaissent clairement dans ces quelques perspectives bouddhistes.

Premièrement, le paradis bouddhiste pose la question de la subsistance de la personne après la mort, notamment parce que les notions de « paradis » et d’« enfer » sont finalement devenues parties intégrantes du bouddhisme populaire dans toute l’Asie, comme elle le sera plus clairement dans le bouddhisme de la « Terre pure » :

Avant qu’il ne réalise l’état d’Eveil, le  Bouddha Amitābha jura de créer une terre où les vivants qui récitaient son nom pourraient naître… si vous récitez simplement Namo Amitābha Bouddha, vous renaîtrez dans la Terre de la Plénitude Ultime[38].

Même si nous trouvons dans une tradition bouddhiste la persistance de la personne humaine dans cet au-delà, la perspective la plus répandue est celle de la « dissolution » de la personnalité dans le nirvana. Dans un monde obsédé par l’identité personnelle, le bouddhisme fait cependant une percée remarquée et remarquable ! Comment donc maintenir ces deux constats a priori en contradiction ? Telle est pour nous l’un des défis qui nous incite à présenter l’espérance du royaume d’une manière plus pertinente.

Deuxièmement, la perspective bouddhiste met en avant la dramatique présence de la souffrance : comment être certain que la souffrance ne nous attend pas après la mort ? A cette question, l’apologète pourra aussi apporter en réponse l’espérance de la résurrection et de la glorification promise en Christ.

Conclusion

Les perspectives sur le paradis de ces deux religions sont étonnamment éloignées des soucis de la société contemporaine. Dans celle-ci, le paradis est bien loin des esprits et des préoccupations quotidiennes. Face aux crises financières et politiques qui assaillent les sociétés occidentales, y compris la nôtre, face au besoin de se « préparer un avenir », une retraite, la question du « paradis » peut sembler fort étrange, voire apparaître comme une simple fuite en avant. On peut cependant se demander si, loin d’avoir abandonné toute notion de « paradis », la société contemporaine ne l’a pas seulement sécularisé, comme nous l’avons indiqué en introduction. La volonté humaine affichée de pouvoir/devoir dépasser toutes ses frontières frôle l’eschatologie humaniste.

Nous voyons aussi que les perspectives de ces deux religions concernant l’existence après la mort, qu’elle soit nommée « paradis » ou autrement, soulèvent des interrogations auxquelles nous devons et pouvons répondre. L’islam pose la question de l’accès au paradis, par les œuvres ou par la foi, ainsi que celle de la dimension communautaire du « paradis ». Le bouddhisme, quant à lui, pose la question de la survivance de la personnalité humaine après la mort et interroge sur la dignité et l’intégrité de la personne humaine. Il pose aussi la question de la souffrance perpétuelle. Face à toutes ces questions, la venue et la proclamation du Royaume propose une vraie espérance, même, et surtout, en des temps troublés : une certitude d’avenir, une communion de justice et de paix qui ne dépendent pas des finitudes humaines.

Face à l’islam, le Royaume annonce une vie de communauté éternelle. Face au bouddhisme, le Royaume annonce la fin de la douleur et de la souffrance, de manière radicale et pour l’éternité (Apocalypse 21.1-4). Contre l’islam, le Royaume annonce une entrée gracieuse dont la réalité est déjà manifeste dans la vie de ceux que Dieu appelle ses enfants. Contre le bouddhisme, le Royaume met en valeur la personnalité intégrale des individus au sein d’une création restaurée. L’islam et le bouddhisme présentent à nos contemporains des options qui relèvent, l’un et l’autre, d’une religion des œuvres.

Enfin, et en guise de conclusion, faisons un petit détour par la kabbale juive. Dans la tradition kabbalistique, le Pardès, littéralement « le verger », qui est de même origine que le mot gréco-latin « paradis », désigne un lieu où l’étudiant de la Torah peut atteindre un état de béatitude[39]. Ce Pardès, le Zohar l’interprète dans une perspective très intéressante qui lie l’accession au « paradis » à l’approfondissement de la connaissance et de l’interprétation de l’Ecriture. Ainsi, le Zohar propose une interprétation herméneutique du Pardès :

– PESHAT, c’est-à-dire le sens littéral du texte qui ne traite que du monde sensible ;

– REMEZ, c’est-à-dire l’allusion, qui constitue un niveau plus élevé de l’étude ;

– DERASH, c’est-à-dire l’interprétation figurée, qui est la parabole, la légende, le proverbe ;

– SOD, c’est-à-dire le secret, qui représente le niveau ésotérique traitant de la métaphysique et de la révélation des réalités surnaturelles, secrètes et mystérieuses[40].

La béatitude qui attend les « progressants » est donc une béatitude herméneutique : le paradis est un paradis interprétatif[41]. Celui qui entre dans le Pardès entre dans la compréhension du Dieu de la Torah. Cette perspective kabalistique, avec toutes les hésitations qu’elle requiert, n’est pas sans intérêt : elle rappelle, en effet, la centralité de la révélation de Dieu dans l’annonce de la réalité du jardin eschatologique[42]. C’est aussi ce que rappelle notre imaginaire visuel apocalyptique contenu dans le livre de l’Apocalypse : notre anticipation est fondée sur la révélation de Jésus-Christ. L’au-delà est essentiellement dévoilement du Royaume accompli, ce même Royaume inauguré dans la naissance, la mort, la résurrection et l’ascension de Christ. Dans un certain sens, la vie future est fondée sur un accomplissement passé[43]. L’espérance chrétienne souligne, en y apportant une plénitude, que le Royaume est premièrement communion avec un Dieu qui se révèle et qui se laisse connaître. Ce serait avec bénéfice que nous pourrions lier, d’un point de vue apologétique, la doctrine de l’adoption avec celle du « paradis » ou de l’entrée dans le Royaume sabbatique.

Loin des clichés populaires ou en dépit d’eux, le symbole du paradis continue à bénéficier d’un attrait dont nos contemporains ne peuvent pas se passer. De la notion de progrès[44] à la transformation de la nature humaine, de l’espérance personnelle à la disparition du « moi », les notions contemporaines de paradis ne cessent pas de mettre en danger la nature humaine. Dans ces « dénuement et incompréhension essentielle »[45], l’humanité montre, dans toutes ses sociétés, des plus anciennes aux plus contemporaines, que le face-à-face avec la mort est constitutif de ce que nous faisons et pensons[46].

En fin de compte, il y a, dans l’humanité, un désir inassouvi de comprendre la tension qui existe entre le désir de vie, incarnée de manières très différentes, et l’implacable certitude de la mort :

C’est donc l’impossibilité pour l’homme de s’accommoder de son destin terrestre limité et son aptitude à conquérir une condition divine (ressentie pourtant comme sa vocation) qui a dû rendre légitime l’idée de l’âme, ainsi qu’en témoignent, comme on l’a vu, les rites funéraires attestés déjà dans la préhistoire[47].

Face à cette impossibilité, nos contemporains cherchent une espérance, une direction, un ancrage. Mais dans un monde en fuite devant la mort, en fuite devant lui-même, dans une société qui n’existe elle-même que par la mort, comme le dirait Louis-Vincent Thomas[48], nous sommes face à l’implacable présence de la mort et donc à la question de la survie de notre personne.

Il ne faut pas croire que nos sociétés sécularisées sont à l’abri de ces conceptions paradisiaques. Si la majorité des Français croit encore en un hypothétique paradis qu’elle se crée matériellement, c’est parce que toute société est, en fin de compte, un système de culture, de croyance et de pouvoir en lutte contre la puissance dissolvante de la mort et que les deux notions d’« enfer » et de « paradis » seront toujours présentes dans la vie humaine[49]. Paradis sécularisé ou paradis religieux, la question demeure : comment présenter l’espérance de la vie éternelle dans le Royaume, un Royaume de paix et de justice dans lequel nous existerons en pleine conscience et intégrité ? Pour les témoins de Christ, la question est toujours d’actualité.


* Y. Imbert est professeur d’apologétique et d’histoire à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] Jankelevitch, La mort, Paris, Flammarion, 1977, 58-59.

[2] C.M. Moreman, Beyond the Threshold : Afterlife Beliefs and Experiences in World Religions, Lanham, Rowman and Littlefield, 2008, 1. Etienne Seguier, « Les Français croient-ils au paradis? », La Vie, 5 août 2010, http://www.lavie.fr, accédé le 2 octobre 2012. Le rapport original est disponible sur le site de l’Institut CSA, http://www.csa.eu, accédé le 2 octobre 2012. Il est légitime de nous demander si cette conception du paradis terrestre n’est pas, dans l’imaginaire occidental, nourrie par des textes classiques comme celui d’Hésiode qui, dans Les travaux et les jours, écrit : « Les hommes vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l’écart et à l’abri des peines et des misères… le sol fécond produisait de lui-même une abondante et généreuse récolte, et eux, dans la joie et la paix, vivaient dans leurs champs au milieu de biens sans nombre. » Hésiode, Les travaux et les jours, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 90.

[3] E. Seguier , « Les Français croient-ils au paradis? », La Vie, 5 août 2010, http://www.lavie.fr, accédé le 2 octobre 2012. Le rapport original est disponible sur le site du CSA, http://www.csa.eu, accédé le 2 octobre 2012.

[4] C.M. Moreman, op. cit., 2.

[5] E. Seguier, art. cit.

[6] C.M. Moreman, op. cit., 1.

[7] Finalement, l’image symbolique du jardin n’est pas anodine. Dans le contexte du Proche-Orient ancien, le jardin décrit le domaine royal, une cité délimitée au sein d’un monde inhospitalier, le symbole de la vie dans le désert. Cette idée de séparation, de mise à part, apparaît donc aussi dans cette notion quasi universelle de « paradis » Comme le rappelle Jean Delumeau : « Dans les mentalités de jadis un lien quasi structurel unissait bonheur et jardin : ce qui ressort, en ce domaine, des traditions gréco-romaines avec lesquelles fusionnèrent, au moins partiellement, à partir de l’ère chrétienne, les évocations bibliques du verger d’Eden. » J. Delumeau, Une histoire du paradis, vol. 1, Paris, Fayard, 1992, 15.

[8] Par exemple, le récit le plus détaillé des Jardins du Paradis dans le Coran est dans la sourate al-Rahman (sourate 55, « Le Très Miséricordieux »), dans laquelle quatre jardins sont décrits, répartis en deux paires et divisés selon leur niveau d’accessibilité aux croyants. De nombreux apologètes et théologiens chrétiens ont malheureusement tendance à lire de manière littéraliste le Coran afin de mieux le critiquer, alors qu’ils affirment la nécessité de ne pas toujours lire la Bible de manière littéraliste. Une telle différence d’approche peut parfois relever de la manipulation textuelle et ainsi décrédibiliser l’entreprise apologétique. Il est crucial d’approcher les textes coraniques avec un vrai souci d’exactitude exégétique.

[9] Sourate 37:48-49. Sourate 55:56-58 ajoute : « qu’aucun homme ni djinn avant eux n’aura souillées ».

[10] Cf. C. Luxenberg, The Syro-Aramaic Reading of the Koran : A Contribution to the Decoding of the Language of the Koran, Berlin, Verlag Hans Schiler, 2007, 247-291.

[11] Sourate 9:72.

[12] Nous pourrions ajouter d’autres passages comme Sahih Muslim, livre 40, Hadith 6780.

[13] D’autant plus que « cette vie luxurieuse dans le Jardin avec des vierges (consorts)… ne fut certainement pas établie en accord avec les idéaux de l’ascétisme chrétien ». A. Uzdavinys, Ascent to Heaven in Islamic and Jewish Mysticism, Londres, Matheson Trust, 2011, 20.

[14] W.C. Chittick, Sufism : A Beginner’s Guide, Oxford, OneWorld, 2008, 123-124, disponible en ligne http://sufibooks.info/Sufism/William_Chittick_Sufism_A_Beginner’s_Guide.pdf, accédé le 16 octobre 2012.

[15] Ibid., 140. Cf. Bahâ od Dîn Walad (1148-1231), surnommé « sultan des savants » (Sultân al-’Ulama), a écrit Ma’arif (cf. chapitre 104, 1:147-148).

[16] L. Gardet, L’islam : religion et communauté, Paris, Desclée de Brouwer, 1967, 106.

[17] W.M. Watt, Islamic Philosophy and Theology, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1987, 86.

[18] « Le problème de l’anthropomorphisme a été surtout centré sur une seule et unique question : est-il possible pour un humain de voir Dieu ? Selon une tradition datant du Prophète, lorsque les croyants entreront dans le paradis, ‹Allah retirera le voile et la vision de leur Seigneur sera le don le plus précieux qui leur sera conféré. » D.W. Brown, A New Introduction to Islam, Oxford, Wiley, 2011, 178. Cf. A.J. Wensinck, The Muslim Creed : Its Genesis and Historical Development, Londres, Taylor & Francis, 2007, 65ss.

[19] Gardet, L’islam, op. cit., 106.

[20] Gardet, ibid., 105.

[21] J.B. Lehrman, Earthly Paradise : Garden and Courtyard in Islam, Berkeley, University of California Press, 1980, 31.

[22] Tafsîr Jalalayn, Commentaire de la sourate 37:47. Le Tafsîr Jalalayn est un ouvrage commencé en 149 par Jalal Eddine al Mahallî et terminé en 1505 par Jalal Eddine as-Suyuti. Cf. Tafsîr Jalalayn, http://www.altafsir.com, accédé le 4 octobre 2012. Al-Suyuti (1445-1505) était un savant Shâfi’ite dont la théologie a été à la frontière de l’ash’arisme et du soufisme.

[23] « En insistant sur la liberté et la responsabilité humaine les mu’tazilites ont fait dépendre la destinée ultime de l’homme de lui-même. » Watt, Islamic Philosophy and Theology, 67. L’accès au paradis est donc principalement conditionné par les œuvres du croyant, d’où la stricte séparation entre trois types de personnes qui se présenteront aux portes de ce Jardin. Le Kītāb al-Imān décrit la division de l’humanité en trois groupes au jour du jugement : (1) les infidèles et polythéistes seront jetés dans le feu éternellement (98:6) ; (2) les croyants qui n’ont pas accompli leurs obligations seront temporairement jetés dans ce feu ; (3) les vrais croyants reposeront dans le paradis éternellement (9:111). F. Saleh, Modern Trends in Islamic Theological Discourse in 20th Century Indonesia : A Critical Survey, Leiden, Brill, 2001, 116.

[24] N. Rustomjl, The Garden and the Fire : Heaven and Hell in Islamic Culture, New York, Columbia University Press, 2009, 161.

[25] « La logique d’un monde à venir ne donne pas toujours une vision compréhensible et cohérente de la vie après la mort. » N. Rustomjl, ibid., 21.

[26] C’est certainement ce qui distingue le plus le paradis musulman du paradis « biblique » : dans la conception coranique, la communion divine est secondaire – probablement à cause de l’impossibilité d’une communion avec Dieu. En fin de compte, « qu’est-ce qui est si nouveau dans la notion de Jugement dernier ? Comme dans le cas du Talmud, le jugement collectif reflétait l’éthique tribale de la solidarité. Un jugement pour chaque individu le séparait du contexte social et familial. » (N. Rustomjl, The Garden and the Fire : Heaven and Hell in Islamic Culture, 4.) Cette dimension corporelle est vitale pour la compréhension musulmane de la vie humaine.

[27] Q. Ludwig, Le grand livre du bouddhisme, Eyrolles, 2012, 118ss.

[28] T. Rogers, trad., Buddhaghosha’s Parables, Introduction de F.M. Müller, Londres, Trübner, 1870. Traduction personnelle. Cité aussi dans F. Lenoir, La rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Paris, Fayard, 1999.

[29] D. Gira, Comprendre le bouddhisme, Paris, Centurion, 1989, 64.

[30] C.B. Becker, Breaking the Circle : Death and the Afterlife in Buddhism, Southern Illinois University Press, 1993, 46.

[31] C’est aussi une appellation simplifiée de l’école de la Terre pure (jìngtǔzōng), improprement dite Amidisme, une section très importante du bouddhisme mahāyāna.

[32] M.L. Blum, The Origins and Development of Pure Land Buddhism, Oxford, Oxford University Press, 2002, 147-152. Les plus importants pour cette école sont le Soutra d’Amida (sk. Sukhāvatī vyūha sūtra, ch. Ēmítuó jīng), le Soutra de Vie-Infinie (sk. Sukhāvatī vyūha sūtra, ch. Wúliàngshòu jīng) et le Soutra des contemplations de Vie-Infinie (ch. Guān Wúliàngshòu jīng).

[33] Caractéristiques de la vision du Bouddha Amitābha sont les « vœux » formulés par le Bouddha servant de base à la compréhension la plus basique de cette pratique bouddhiste. Parmi les plus significatifs, il y a les vœux suivants, traitant de l’accession à la Terre pure. 

[34] M. Kiyota, Mahāyāna Buddhist Meditation : Theory and Practice, University Press of Hawaii, 1978, 263.

[35] « Malgré une compréhension caractéristique de la pratique du bouddhisme Mahayana qui met la réalisation religieuse à la portée de la vie quotidienne, le message bouddhiste de la Terre pure apparaît étranger à l’audience contemporaine, aussi bien occidentale qu’orientale. » D. Hirota, Toward a Contemporary Understanding of Pure Land Buddhism, vol. 3, Albany, State University of New York Press, p. vii. Cf. K.K. Tanka, The Dawn of Chinese Pure Land Buddhist Doctrine : Ching-ying Hui-yüan’s Commentary on the Visualization Sutra, Albany, State University of New York Press, 1990 ; et aussi B.J Cuevas, Travels in the Netherworld : Buddhist Popular Narratives of Death and the Afterlife in Tibet, Oxford, Oxford University Press, 208.

[36] P. Williams, Mahayana Buddhism : The Doctrinal Foundations, London, Routledge, 2004, 274.

[37] Une petite clause d’exclusivité est cependant à apporter : dans le bouddhisme de la Terre pure, si le « paradis » est ouvert et accessible à la renaissance, les femmes n’y renaîtront que sous la forme d’hommes. Q. Ludwig, Le grand livre du bouddhisme, op. cit., 37. Certains auraient plus de commentaires à faire concernant cette « transmutation » des genres et sur la non-conservation de l’intégrité de la personne humaine sexuée !

[38] H. Hua, The Buddha Speaks of Amitabha Sutra : A General Explanation, Burlingame, Buddhist Text Translation Society, 2003, 26.

[39] Ce terme est tiré d’une anecdote philosophique et mystique qui trouve une explication dans le Pardes Rionim du Rav Moshe Cordovero. Celui-ci prend l’image de quatre rabbis (Elisha ben Abouya, [Rabbi] Shimon ben Azzaï, [Rabbi] Shimon ben Zoma et rabbi Akiva) pénétrant dans un verger mais dont les « niveaux » respectifs de pénétration du sens des Ecritures ne sont pas équivalents. Des références à cet « incident » se retrouvent dans le Talmud (Haguiga 14b, où Ben Azaï et Ben Zoma n’ont pas le titre de Rabbi), le Zohar (I, 26b) et l Tikounei Zohar (Tikun 40).

[40] Cela n’est pas sans rappeler les quatre sens de l’Ecriture : sens littéral, sens allégorique, sens tropologique et sens anagogique.

[41] Ce point de vue n’est pas seulement kabbalistique. Quand Maïmonide (1138-1204) traite du Pardès, il désigne pour lui, globalement, une forme d’étude qu’il qualifie de « sagesse divine et science des lois de la nature » (cf. Hilkhot yessodé ha-Torah, 4:13).

[42] Pour Haï Gaon (939-1038), qui commente le passage talmudique précité, « le Pardès réfère au jardin d’Eden, réservé aux justes, et qui se trouve dans les âravot, septième ciel où sont enchâssées les âmes des justes » (cf. Otsr Guenonim, T. 4, sefer 2, Haguiga, p. 61.). Le firmament est atteint par une ascension extatique dans la pure tradition de la littérature mystique des Palais, c’est-à-dire par une forme de transe, expérience qui ne se produit pas physiquement, ni même intellectuellement, mais au cœur du mental humain.

[43] A noter que pour Grégoire de Nysse, par exemple, le paradis « terrestre » est une annonce eschatologique qui a été écrite au passé. Le jardin d’Eden est alors « la terre des vivants » où pénétreront un jour les élus… « celle où la mort n’est pas entrée ». Cité dans J. Delumeau, Mille ans de bonheur : Une histoire du paradis, vol. 2, Paris, Fayard, 1995, 28, note 47-48.

[44] J. Delumeau, ibid., vol. 2, chapitre 17, 311-327.

[45] F. Lenoir, dir., La mort et l’immortalité : Encyclopédie des croyances, Paris, Bayard, 2004, 24.

[46] E. Morin remarque : « Il n’existe pratiquement aucun groupe archaïque, si primitif soit-il, qui abandonne ses morts ou qui les abandonne sans rite. » E. Morin, L’homme et la mort, Correa, 1976, 21.

[47] F. Lenoir, dir., op. cit., 27.

[48] L.-V. Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot, 1978, 11.

[49] Ibid., 10.

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