La confession des péchés dans les lois sur les sacrifices
Ron BERGEY*
« Lorsque quelqu’un péchera involontairement », il doit offrir un sacrifice d’expiation (cf. Lv 4.2 et 3, 13 et 21, 22 et 26, 27 et 31 ; Nb 15.22 et 24, 25-26, 27-28, 29). Y a-t-il une expiation pour le péché volontaire ? L’auteur de l’épître aux Hébreux dit : « En effet, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés. » (10.26) En règle générale, seuls les péchés involontaires peuvent être expiés. Or, le mensonge, l’extorsion et le faux serment (5.21-22, 6.21, 24) requièrent un sacrifice de culpabilité justement pour les expier (6.26). Comment la loi peut-elle considérer ces actes, clairement volontaires, comme involontaires ? Quant au cas d’un faux serment au nom de Dieu pour cacher un vol, acte qualifié d’« infidélité », c’est-à-dire de « sacrilège » soumis à la loi de la peine de mort, comment peut-il être expié en tant qu’acte délibéré ? (Nb 5.6-7, 8b ; cf. Lv 5.15) Quel rôle la confession des péchés joue-t-elle dans ces cas de péchés volontaires qui, curieusement, semblent être traités comme s’ils étaient involontaires ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord tenir compte de la triple classification des péchés qui se dégage des lois sur les sacrifices nécessaires pour faire l’expiation.
I. Trois catégories de péchés dans le Lévitique
Le péché – surtout dans les lois sur les sacrifices présentes dans le Lévitique et dans les Nombres, mais aussi ailleurs dans l’Ecriture – peut être avoir trois types différents. Il y a le péché imputable : a) à la négligence ou à l’ignorance, c’est-à-dire le péché involontaire ou une chose faite par mégarde (hatta’ « péché ») ; b) à la faiblesse humaine (aussi hatta’) ; c) à une volonté délibérée ou à un défi (notamment ‘avon « faute » ; pesha‘ « rébellion » ; ma‘al « infidélité/sacrilège »).
1. Péché involontaire
Pécher involontairement, c’est d’abord accomplir quelque chose « contre l’un des commandements de l’Eternel en faisant des choses qui ne doivent pas se faire » (Lv 4.1, etc.). Les « commandements » sont soit prohibitifs (ne pas faire ceci), soit permissifs (faire cela). En ce qui concerne les commandements permissifs, négliger de mettre en œuvre tel ou tel commandement ne nécessite pas une expiation, car il n’y a pas de souillure du sacré puisqu’il n’y a pas d’acte constituant une impureté. Dans ce cas, le péché n’affecte que la personne. En revanche, agir contre un commandement prohibitif, c’est-à-dire faire quelque chose qu’il ne faut pas faire, est un acte qui provoque une souillure (tame’/timme’ ; par exemple 5.3 ; 7.20-21 ; 14.19) ou même une profanation (hol/hillel ; par exemple 19.8 ; 20.3 ; 21.12 ; 22.15) des choses saintes.
Pécher involontairement est parfois nuancé par l’expression « s’en apercevoir plus tard » (cf. 5.3, 4). Ceci ne veut pas dire que la personne n’est pas consciente de son acte. Elle peut connaître la loi et agir contre elle involontairement (par exemple toucher par inadvertance un cadavre ou tuer quelqu’un accidentellement). Elle peut aussi agir sans savoir qu’elle a violé un commandement. Elle ne s’aperçoit de sa culpabilité qu’ultérieurement (cf. les exemples rituels 1S 14.32-34 ; Ez 45.20 et, hors du domaine du rite, 1S 26.21 ; Pr 5.22-23).
Ce genre de péché est l’objet de lois sur le sacrifice d’expiation (hatta’t ; litt. « sacrifice pour le péché ») et le sacrifice de culpabilité (’asham) offerts par quelqu’un qui pèche « involontairement » (4.2, 13, 22, 27 ; 5.15, cf. aussi v. 4 « sans y avoir prêté attention d’abord », v. 18 « sans le savoir »). Poussée par la mauvaise conscience, ou se sentant coupable, une personne se rend compte après coup que l’acte constitue un péché, une impureté ou que le délai pour la purification d’une souillure est dépassé.
Les péchés involontaires doivent être expiés (kipper) par le sang. S’il s’agit de quelqu’un du peuple (4.27), l’expiation pour son péché est faite sur l’autel des holocaustes situé dans le parvis. S’il s’agit du péché d’un prêtre (4.3) ou d’un dirigeant (4.13), l’expiation est faite sur l’autel des parfums dans le lieu saint, devant le voile. Autrement dit, l’impureté souille l’autel et celui-ci doit être purifié par le sang appliqué par le prêtre. Le sang est comme un détergent qui fait partir la saleté au lavage. Il n’y a pas d’impureté personnelle comme dans le cas de l’impureté physique. La formule de conclusion est : « C’est ainsi que le prêtre fera pour [en faveur de, au nom de] cet homme et le pardon lui sera accordé. » (4.20, 26, 31, 35)
S’il s’agit d’une impureté physique à cause des écoulements du sang ou de la lèpre, la personne doit être purifiée par un sacrifice d’expiation. La conclusion du rite est la suivante : « Le prêtre fera expiation pour [en faveur de, au nom de] elle et elle sera pure [de taher]. » (12.6, 8 ; 14.9, 20) Il n’y a pas de péché qui souille l’autel, il n’y a donc pas besoin de pardon. Tous les versets sur le sacrifice d’expiation montrent clairement que celui-ci est plutôt un sacrifice de purification ou, mieux, de « purgation » de l’autel.
La « purge » des péchés involontaires est effectuée au moyen du sang du sacrifice d’expiation. La manipulation rituelle du sang est de la responsabilité des prêtres et explique que cette question soit traitée dans les lois lévitiques. Le sang de ce sacrifice est mis par le prêtre sur l’autel afin de le purger. Ainsi la purgation enlève la souillure d’une chose sainte. La personne qui a commis ce péché sera pardonnée (Lv 5.25, 26 ; cf. 4.31). Elle sera pardonnée pour avoir souillé l’autel et de sa faute. Le pardon, prononcé par le prêtre, est accordé de la part de l’Eternel.
2. Péché volontaire imputable à la faiblesse humaine
Le péché imputable à la faiblesse humaine (aussi hatta’) est clairement volontaire. Le sacrifice de culpabilité (5.14-26) concerne ces offenses « que peut commettre un homme » (5.22) : le mensonge, l’extorsion, le faux serment (5.21-22 ; 6.21, 24). Le sacrifice d’expiation s’applique aussi à ce genre de péché (5.4). La différence est que le sacrifice de culpabilité a trait aux cas de sacrilège, concernant des choses consacrées, ou au mensonge fait sous serment sur l’honneur de Dieu. Or, il est clair que ces péchés ont été commis en toute connaissance de cause.
3. Péché délibéré, de défi
En revanche, le péché fait de manière délibérée, comme le précise Nombres 15.30, est sévèrement sanctionné : « Mais si quelqu’un, qu’il soit israélite ou étranger, agit de manière délibérée, il insulte l’Eternel. Il sera exclu du milieu de son peuple. » (Nb 15.30) Quelle différence y a-t-il entre le péché volontaire et celui-ci? Ce péché qualifié « de délibéré » (litt. « la main levée ») est un acte de défi contre l’autorité divine. C’est un acte calculé et il montre avec évidence le refus obstiné de la personne de se soumettre à la volonté de Dieu. Il n’y a pas de sacrifice ni de pardon pour ce genre de péché. La punition est l’exclusion (karat «être coupé») du coupable de la communauté. Un exemple de ce genre de péché est la révolte de Qoré, Datan et Abirâm, qui ont osé, en toute connaissance de cause, défier l’autorité de Moïse (Nb 16). Ils sont tous morts par un acte de Dieu à cause de leur révolte. Seule, leur mort pouvait arrêter la contagion de la souillure due à leur rébellion. Comme le dit l’auteur de l’épître aux Hébreux : « En effet, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés. » (10.26) Il se réfère, semble-il, au péché imputable à un acte de défi. Sans sacrifice, il n’y a pas non plus de pardon.
Ces trois types de péchés se trouvent dans la manière dont certaines personnes ont agi à l’égard de Jésus. Concernant ceux qui le crucifient, Jésus prie : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23.34 ; cf. la prière d’Etienne, Ac 7.60) En exécutant les ordres des autorités, ils ont agi dans l’ignorance. Pierre, en reniant Christ trois fois, illustre le péché imputé à la faiblesse humaine. Interrogé au sujet de son rapport avec Jésus, il a eu peur pour sa vie et ment en refusant d’admettre qu’il connaît Jésus (Lc 22.54-61). Après la résurrection, il est pardonné par Christ qui lui demande trois fois s’il l’aime (Jn 21.15-19). En revanche, en trahissant Jésus, Judas a agi la main levée, de manière calculée, et n’a jamais été pardonné. En se suicidant, il a été coupé de son peuple (Mt 27.5).
Selon les lois régissant les sacrifices d’expiation et de culpabilité, la purgation de l’autel et le pardon de l’acte nécessitant la purge sont effectués et pour les péchés commis par inadvertance et pour ceux attribués à la faiblesse humaine. Certains péchés sont qualifiés d’« involontaires » et, en même temps, d’«infidélité » (5.15, 20 ou « sacrilège »). Ce dernier regroupe clairement des délits délibérés : extorsion, mensonge, faux serment (5.20 ; cf. 5.1-4). Mais la règle générale est toujours que seul le péché « involontaire » peut être expié (par exemple Lv 4.2). Ceci soulève la question suivante : comment ces péchés « volontaires » peuvent-ils être traités comme s’ils étaient « involontaires » ?
II. La confession des péchés en rapport avec les sacrifices
1. Lévitique 5
La première référence à la confession des péchés se trouve en Lévitique, chapitre 5 : « Celui donc qui se rendra coupable de l’une de ces choses confessera son péché. Puis il offrira à l’Eternel en réparation pour le péché qu’il a commis une femelle de petit bétail, une brebis ou une chèvre, comme victime expiatoire. Et le prêtre fera pour lui l’expiation de son péché. » (5.5-6).
Comment « ces choses » – péchés involontaires (par exemple souillures physiques) et volontaires (par exemple faux serment) – peuvent-elles être traitées de la même manière ? (5.1-4) En réalité, seul le péché involontaire peut être expié (par exemple Lv 4.2).
Or, le péché volontaire nécessite en plus la confession (5.5, 16.21, 26.40 ; Nb 5.6-8 ; cf. Ps 51 ; Dn 9.4, 20 ; Esd 10.1, 6 ; Né 1.6, 9.2-3). Après avoir confessé son péché (5.5), le coupable peut offrir un sacrifice (hatta’t) pour expier ou purger (kipper) la souillure à cause de son péché (hatta’t, 5.6). L’usage du même mot pour le péché et le sacrifice montre qu’il s’agit de la loi du talion.
« Confesser » (hithpael de yada‘) veut dire « faire connaître » ou « admettre verbalement » le tort au prêtre qui représente Dieu, ainsi que, le cas échéant, à l’offensé. Les offrandes pour les fautes sont le fruit de cette repentance. En confessant son tort, l’offrant montre que sa volonté ne s’oppose pas à celle de Dieu. Au moyen de la confession, le péché délibéré, imputable à la faiblesse humaine, est ramené au niveau du péché involontaire. Ainsi le pardon peut être accordé (5.10).
2. Lévitique 16
Les deux autres occurrences dans le Lévitique exposent le même principe. D’abord, la confession des péchés le jour des expiations : « Il [Aaron, le grand prêtre] posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant et confessera sur lui toutes les fautes des Israélites et toutes les transgressions par lesquelles ils ont péché ; il les mettra sur la tête du bouc, puis il le chassera dans le désert avec l’aide d’un homme prêt pour cette fonction. » (16.21) Une « faute » (‘avon) est du genre de péché impardonnable, sanctionné par karat (Nb 15.30). Le mot « transgression » (pesha‘) est celui qui est employé pour une révolte politico-militaire (1R 12.19) et pour les péchés punis par l’exil (1R 8.50). Le bouc chassé (émissaire) est une victime substitutive exilée qui subit le karat à la place du peuple.
3. Lévitique 26
La troisième mention de la confession des péchés se trouve au chapitre 26 du Lévitique. Il s’agit d’une menace de la malédiction de l’exil à cause du refus, persistant et répété, de respecter les stipulations d’alliance. Il n’y a pas de sacrifices possibles pour ces péchés imputables au défi à la volonté de Dieu. « Ils confesseront leur faute et celle de leurs ancêtres, l’infidélité dont ils auront fait preuve envers moi et la résistance qu’ils m’auront opposée. C’est à cause de ces fautes que, moi aussi, je leur résisterai et les conduirai dans le pays de leurs ennemis. Alors leur cœur incirconcis s’humiliera et ils paieront la dette de leur faute. » (26.40-41) Les péchés qualifiés, ici, de «faute» (‘avon), d’« infidélité » (ma‘al) et de « résistance » (qari ou « hostilité ») sont tous les actes qui attirent la peine la plus sévère, comme le montrent les usages du premier terme. Ceux qui commettent ces fautes seront vomis du pays (18.25) ou coupés (karat) du peuple (19.8 ; 20.17, 19). Seule, la confession fait que ces péchés, normalement impardonnables, sont ramenés au niveau inférieur où ils peuvent être expiés et les auteurs pardonnés.
4. Nombres 5
Un autre exemple du rôle de la confession du péché est fourni par le cas d’un faux serment fait pour cacher un vol en Nombres 5 :
Lorsqu’un homme ou une femme péchera contre son prochain en commettant une infidélité envers l’Eternel et qu’il se rendra ainsi coupable, il confessera son péché et il restituera l’objet mal acquis dans son intégralité en y ajoutant un cinquième. Il le remettra à celui envers qui il s’est rendu coupable… en plus du bélier expiatoire avec lequel on fera l’expiation pour le coupable. (5.6-7, 8b)
Faire un faux serment est qualifié d’« infidélité » (ma‘al), un terme, comme cela a été noté ci-dessus, pour le « sacrilège ». Le coupable a menti en évoquant le nom de l’Eternel pour appuyer son serment. Ceci requiert trois choses : a) vis-à-vis de l’Eternel, la confession ; b) vis-à-vis du propriétaire, la restitution du bien volé et la réparation de 20% de la valeur de l’objet ; c) par l’intermédiaire du prêtre, le sacrifice expiatoire d’un bélier (vv. 6-10). Ce sacrifice purge, au nom du coupable, l’impureté de l’autel à cause de son péché. La confession ramène cette « infidélité » au niveau inférieur du péché qui peut être expié (v. 7 ; cf. Lv 5.5).
III. D’autres exemples de la confession des péchés en dehors des lois sur les sacrifices
1. Exode 34
Dans la confession de foi sur la bonté et la sévérité de l’Eternel, en Exode, il est dit :
L’Eternel, l’Eternel est un Dieu de grâce et de compassion, lent à la colère, riche en bonté et en vérité. Il garde son amour jusqu’à mille générations, il pardonne la faute, la révolte et le péché, mais il ne traite pas le coupable en innocent et il punit la faute des pères sur les enfants et les petits-enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération ! (34.6-7 ; cf. Nb 14.18)
Cette déclaration de la grandeur de l’amour divin infiniment plus grand que sa colère suit le renouvellement de l’alliance après l’incident du veau d’or. La confession du péché et l’intercession de Moïse en faveur du peuple a sauvé celui-ci de l’extinction (Ex 32-33). Certes, les trois ou quatre générations qui sont sorties d’Egypte, bien que pardonnées, ont subi les conséquences de leur acte idolâtre. Mais grâce à la confession du péché de la part du médiateur Moïse, ce péché a été ramené au niveau du péché involontaire et a donc pu être pardonné.
2. Psaume 51
Un grand exemple est fourni par David, qui a commis l’adultère avec Bath-Shéba. Cet acte est passible de la peine de mort de l’homme et de la femme (Lv 20.10). Puisqu’il n’y a pas d’expiation pour ce péché imputable au défi vis-à-vis de la loi, David, d’un cœur brisé et humilié, confesse sa faute en guise de sacrifice :
Lave-moi complètement de ma faute et purifie-moi de mon péché, car je reconnais mes transgressions et mon péché est constamment devant moi […] Si tu avais voulu des sacrifices, je t’en aurais offerts, mais tu ne prends pas plaisir aux holocaustes. Les sacrifices agréables à Dieu, c’est un esprit brisé. Ô Dieu, tu ne dédaignes pas un cœur brisé et humilié. (Ps 51.3-6, 18-19)
Le même langage se trouve en Lévitique 26 : « Ils confesseront leur faute… Alors leur cœur incirconcis s’humiliera… » (Versets 40-41) La confession, faisant partie de la repentance, a ramené ce péché irrémédiable à un niveau inférieur et pardonnable.
3. 2 Chroniques 7
En dernier lieu, pendant l’exil, ou avant la construction du second temple, il n’était pas possible d’offrir des sacrifices. La confession est devenue le seul moyen de purger la souillure et d’être pardonné (Dn 9.4, 20 ; Né 1.9, 9.2-3). Si le peuple exilé confesse son péché, l’Eternel se souviendra de son alliance avec les pères, Abraham, Isaac et Jacob, et de son pays (Lv 26.40-46). Ceci anticipe la promesse faite aux exilés : « Si mon peuple, celui qui porte mon nom, s’humilie, prie et me cherche et s’il renonce à ses mauvaises voies, je l’écouterai du haut du ciel, je lui pardonnerai son péché et je guérirai son pays. » (2Ch 7.14)
*R. Bergey est professeur d’hébreu biblique et d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.