L’exégèse de Jean Calvin,
Actualité et spiritualité
Donald COBB*
Avant toute autre chose, Jean Calvin fut un homme de la Bible. Si, de nos jours, le Français moyen le connaît – éventuellement ! – comme un des réformateurs du XVIe siècle ou comme le grand protagoniste de la « double prédestination », il faut pourtant souligner que l’œuvre de Calvin est, en très grande partie, celle d’un exégète, c’est-à-dire d’un interprète de l’Ecriture. Cela se voit déjà dans ses activités à Genève: à partir de 1549, Calvin prêchait deux fois tous les dimanches et, une semaine sur deux, encore cinq fois dans la semaine[1]. En plus des prédications, il enseignait trois fois par semaine, en moyenne, à l’Académie[2]. L’importance accordée à l’explication de la Parole se voit clairement, par ailleurs, dans les commentaires : Calvin a commenté pratiquement tous les livres du Nouveau Testament et environ les deux tiers des livres de l’Ancien – ce qui est assez exceptionnel, non seulement au XVIe siècle, mais à toute époque de l’histoire de l’Eglise[3].
Jean Calvin fut donc un commentateur de l’Ecriture, commentateur qui est encore écouté de nos jours. L’éloge de K. Barth, dans la préface de son commentaire de l’épître aux Romains, mérite d’être cité :
« Avec quelle énergie [Calvin] se met-il à l’œuvre, afin de re-penser son texte après avoir constaté, lui aussi, scrupuleusement ‹ce qui s’y trouve›, autrement dit, afin d’être aux prises avec lui jusqu’à ce que le mur entre le Ier et le XVIe siècle devienne transparent, jusqu’à ce que, là-bas, l’apôtre Paul parle et qu’ici l’homme du XVIe siècle entende, jusqu’à ce que l’entretien entre le document et le lecteur soit entièrement concentré sur l’objet (qui, ici et là-bas, ne peut pas être différent !)[4]. »
L’appréciation est sans doute excessive. Elle illustre néanmoins bien l’attachement de Calvin à l’Ecriture et l’importance qu’il accordait à la tâche de l’exégète : montrer comment cette Ecriture s’adresse à l’Eglise, non seulement à celle du Ier siècle, mais encore à l’Eglise d’aujourd’hui. Or, quelle est précisément la méthode exégétique de Calvin? Quels en sont les fondements et les visées ? Au-delà de ces interrogations qui pourraient n’être que d’un intérêt historique, de quelle façon pouvons-nous parler de l’actualité d’une exégèse vieille de pratiquement cinq cents ans? Que peut-elle nous montrer sur le plan de la spiritualité ? C’est à ces questions que nous voulons chercher quelques réponses dans le présent article.
I. Les fondements et les influences
A) Le point de départ de l’exégèse de Calvin
Au départ de l’exégèse calvinienne se trouve une conviction décisive : l’auteur de l’Ecriture n’est autre que Dieu lui-même. Il en est l’auctor et c’est ce fait qui confère au Nouveau, comme aussi à l’Ancien Testament, leur auctoris, leur autorité[5]. Pour Calvin, l’Ecriture sainte donne une vraie connaissance de Dieu, car c’est comme si ce dernier y parlait « de sa propre bouche » et s’offrait à nous[6]. L’Ecriture a donc le rôle de « registres authentiques » de Dieu pour que la vérité divine ne tombe pas dans l’oubli[7].
Pour autant, Calvin ne perd pas de vue la réalité humaine des auteurs bibliques. Même s’il insiste moins là-dessus que ne le feront les exégètes des siècles suivants, les écrivains humains de la Bible sont loin d’être de simples instruments passifs dans la main de la divinité ; leur personnalité y est mise en jeu et c’est aussi eux-mêmes qui pensent, qui argumentent, qui écrivent, à partir de leur situation et selon leur compréhension. En d’autres termes, la Bible, tout en étant Parole de Dieu, est en même temps un livre d’hommes. Cela ne se voit peut-être nulle part plus clairement que dans le commentaire de Calvin sur le Psautier : en effet, dit-il, nous voyons les psalmistes assaillis de doutes, de difficultés, mais aussi amenés, dans leur ébranlement et leur faiblesse mêmes, à crier à Dieu. C’est même grâce à cette humanité réelle des auteurs que le livre des Psaumes « […] nous apporte un bien qui est souhaitable sur tous autres », à savoir qu’il montre que « […] non seulement nous avons accès familier à Dieu, mais aussi qu’il nous est permis et libre de déployer devant Dieu nos infirmités, lesquelles nous avons honte de déclarer devant les hommes[8]. »
B) Une attitude d’écoute
De ce double point de départ, il découle une attitude qui sera fondamentale pour toute l’exégèse calvinienne : l’Ecriture en tant que Parole de Dieu doit recevoir toute notre attention, car c’est uniquement dans un esprit de soumission que nous pouvons recevoir la révélation que Dieu nous donne de lui-même[9]. En même temps, en tant que paroles d’hommes, cette Ecriture doit se comprendre d’après son sens grammatical, selon la pensée de l’auteur humain et dans les situations précises où elle a pris forme. Si nous devions résumer en une phrase le principe fondamental de cette exégèse, nous pourrions dire qu’elle consiste en l’écoute attentive de la Parole.
Le réformateur explique sa méthodologie dans un des seuls endroits où il en parle explicitement, à savoir la préface de son commentaire de l’épître aux Romains qui date, pour la version française, de 1539. Cette préface, qui est doublement intéressante puisque c’est aussi le premier commentaire biblique de Calvin, publié alors qu’il avait tout juste 30 ans[10], précise que l’« office » – c’est-à-dire la tâche ou la responsabilité – du commentateur se ramène, finalement, à un seul objectif : « découvrir l’intention de l’auteur qu’il a entrepris d’exposer ». En allant au-delà de cet objectif, l’exégète sort des limites propres à sa tâche: « […] Dans la mesure où il mène les lecteurs hors de [l’intention de l’auteur], dans cette mesure il s’éloigne de son but ou du moins extravague quelque peu hors de ses limites[11]. »
C’est pour cette raison que le reproche que l’on rencontre le plus souvent dans les commentaires est que l’exégèse d’un tel ne rend pas compte de la pensée de l’auteur biblique[12]. Citons quelques exemples, tirés du commentaire de l’épître aux Romains :
– Sur Romains 4.21 : « Erasme a traduit ceci autrement […] et je m’ébahis pourquoi; car bien que le sens ne change en rien pour cela, toutefois, il me semble bon d’approcher le plus qu’on peut des mots de S. Paul[13]. »
– Sur Romains 8.3 : « Le mot et a été cause qu’Erasme s’est abusé et a pensé qu’il fallait suppléer le verbe l’a fait […]. Toutefois, j’ai suivi ce qui me semblait être du sens naturel de S. Paul[14]. »
– Sur Romains 8.19 : « J’ai retenu les propres mots de S. Paul parce que la traduction d’Erasme, à savoir ‹jusqu’à ce que les enfants de Dieu soient manifestés› m’a semblé être par trop hardie, sans toutefois exprimer suffisamment l’intention de l’apôtre[15]. »
On le voit, c’est souvent Erasme – exégète très coté à l’époque – qui est pris à partie dans les commentaires. Mais ce n’est pas le seul. Nous pouvons aussi mentionner Augustin, que Calvin affectionne pourtant pour ses positions doctrinales. C’est ainsi que nous lisons, sur Romains 5.5 :
« [Paul] dit en outre que cet ‹Esprit nous a été donné›, c’est-à-dire conféré par la bonté gratuite de Dieu et non pas attribué pour nos mérites, comme S. Augustin l’a fort bien observé. Toutefois, ce dernier s’abuse en l’exposition de ces mots l’‹amour de Dieu›. […] Il est vrai que c’est une sentence sainte et bonne, mais elle ne convient pas à l’intention de S. Paul […][16]. »
Ces quelques citations le montrent bien: la responsabilité de l’exégète est de rendre compte de ce que dit l’Ecriture, de l’intention de son auteur humain – qui est aussi l’intention de l’Esprit qui l’a inspiré. Cette façon d’aborder le texte biblique peut paraître évidente à nos yeux. L’exégèse, du moins l’exégèse évangélique, se veut une retranscription fidèle de ce qui se trouve dans le texte biblique. Or, si cela va plus ou moins de soi, c’est dire en réalité à quel point l’influence de Calvin nous a marqués, nous qui nous situons, d’une façon ou d’une autre, dans le sillage de la Réforme. Il faut pourtant savoir qu’au XVIe siècle une telle perspective n’allait pas de soi, comme le montre l’engouement à cette époque pour l’exégèse allégorique de la Bible, point sur lequel nous devrons revenir.
C) Calvin en dialogue avec ses contemporains et prédécesseurs
Quelles sont les influences de Calvin ? Il n’est pas toujours facile de les démêler dans les commentaires, car Calvin ne cite pas souvent les sources secondaires qu’il utilise, du fait justement que la tâche de l’exégète est avant tout de laisser parler l’Ecriture et de rendre compte de ce qu’elle dit. Lorsqu’il le fait, c’est le plus souvent par crainte que, en passant telle ou telle position sous silence, le lecteur en soit troublé. Comme il le dit dans sa préface au commentaire des Psaumes : « […] afin de m’éloigner tant plus de toute ostentation, je me suis abstenu le plus souvent de réfuter les autres. […] Je n’ai jamais touché les opinions contraires, sinon là où il était à craindre qu’en me taisant, je laisse les lecteurs en suspens[17]. »
Pourtant, Calvin connaissait, lisait et utilisait les ouvrages exégétiques disponibles à l’époque. Dans la préface du commentaire des Romains, il mentionne nommément ceux de Ph. Melanchthon, de H. Bullinger et de M. Bucer, des contemporains, fers de lance comme lui de la Réforme. Nous l’avons déjà vu, les commentaires sont aussi en dialogue régulier avec Erasme. Plus important encore, il y a les Pères de l’Eglise. Comme le souligne O. Millet, le réformateur de Genève – plus que ses contemporains protestants – a une connaissance étendue des théologiens des premiers siècles de l’Eglise[18]. Cela se voit dans son Institution de la religion chrétienne, qui regorge de références à Augustin, à Jérôme, à Bernard de Clairvaux, comme aussi à Thomas d’Aquin et à Pierre Lombard[19]. Mais cet apport des docteurs anciens n’est pas moins présent dans les commentaires, même s’il est plus discret. Jean Chrysostome, en particulier, a exercé une grande influence sur la méthode exégétique de Calvin, en raison de la sobriété de ses commentaires[20].
Cette brève énumération permet de relever un fait important: le réformateur de Genève ne néglige pas ce que les autres, avant lui ou à son époque, ont compris de la Parole. En ce sens-là, Calvin n’a rien d’un iconoclaste. Il sait que l’interprétation de la Parole ne se réinvente pas à chaque génération. L’exégèse se fait en dialogue avec ses frères et pères spirituels, qu’ils soient ou non de son bord théologique. Pourtant, on constate aussi une réelle indépendance. Cela se voit au niveau de l’enseignement doctrinal dans les grandes lignes comme aussi sur des détails parfois très précis. Un exemple – mais il y en a beaucoup – se trouve dans le commentaire sur Colossiens 2.14:
« Les commentateurs interprètent ce passage de diverses manières, mais il n’y en a pas un qui me satisfasse. Les uns pensent que S. Paul parle simplement de la Loi morale : mais il s’abusent […]. Erasme, dans sa traduction, a embrouillé le fil du texte […]. Retenez donc l’explication que j’ai donnée, car c’est la vraie et naturelle[21]. »
On le voit, Calvin n’hésite pas, lorsqu’il l’estime nécessaire, à proposer une interprétation qui va à l’encontre de toute la tradition exégétique avant lui[22]. Comment expliquer l’apparente opposition entre cette grande indépendance et, dans le même temps, l’influence constante de ses contemporains et devanciers ? La solution réside simplement dans le fait que Calvin ne cherche, en matière d’exégèse, ni le conservatisme ni l’innovation[23]. Le désir de reprendre ce que d’autres ont dit de juste, comme aussi le besoin de s’en démarquer par moments, procède l’un et l’autre du fait que Calvin veut être sûr d’entendre ce que Dieu dit dans sa Parole. L’apport des autres est un moyen – mais ce n’est qu’un moyen – de mieux s’approcher du sens de l’Ecriture[24].
Notons que Calvin, à ce niveau, reste réaliste : il reconnaît que, dans l’histoire présente, l’accord parfait entre exégètes n’existera pas. Le « conflit des interprétations » demeurera une constante jusqu’au retour du Christ. Cela ne doit pourtant pas être un prétexte pour faire dire à la Bible ce que l’on veut. Au contraire, dit-il, les différences d’interprétation sont là comme une exigence à se mettre davantage encore à l’écoute de l’Ecriture. Des divergences sont donc permises, voire, dans certains cas, nécessaires, mais le but reste toujours de saisir ce que dit le texte, de s’enraciner davantage dans la vérité de la Parole[25].
II. La méthode et les objectifs de l’exégèse calvinienne
On entend dire parfois qu’il y aurait en quelque sorte deux Calvin, le systématicien froid et rigoriste de l’Institution chrétienne et le Calvin des commentaires, beaucoup plus humain, chaleureux et pastoral. Cette différence se confirme-t-elle d’après les textes ? Si oui, que peut-elle nous montrer de la méthode exégétique du réformateur ? En réalité, pour être tout à fait complet, il faut reconnaître qu’il y a, non pas deux, mais bien trois Calvin ! Le dogmaticien et le commentateur biblique, mais aussi le prédicateur. En effet, si les commentaires présentent une autre facette de Calvin que l’Institution chrétienne, les prédications laissent découvrir un autre aspect encore. Quel est le rapport entre ces trois « faces » du théologien de Genève ?
A. Un lien triple
En fait, s’il y a une différence sensible entre les trois choses, c’est que l’une et les autres remplissent des fonctions, et répondent à des besoins différents. Dès le début de son activité, Calvin fait une distinction entre son activité d’exégète et son œuvre de dogmaticien: un livre doctrinal comme l’Institution chrétienne doit permettre au lecteur d’appréhender l’enseignement global de l’Ecriture, de percevoir les lignes de forces et les idées maîtresses. Les commentaires, quant à eux, visent à dégager, de la façon la plus succincte possible, le sens du texte sacré.
Nous arrivons ici à un des traits les plus caractéristiques des commentaires de Calvin. Revenons à la préface du commentaire des Romains : « […] La principale qualité d’un expositeur consiste en une brièveté facile et qui ne comporte point d’obscurité[26]. » C’est le célèbre principe de brevitas et facilitas, qui traverse toute l’œuvre exégétique de Calvin[27]. Non pas que la brièveté soit une qualité à maintenir à tout prix; il y a des passages de l’Ecriture qui posent problème et Calvin n’hésite pas à faire des développements plus approfondis pour en démêler les difficultés. Mais, sans tomber dans le piège des explications partielles, la tâche de l’exégèse est de dire, le plus limpidement possible, le fait biblique. Pour Calvin, l’explication de l’Ecriture, c’est bien cela: ce n’est pas le lieu d’entrer dans des considérations doctrinales ou historiques interminables, qui éloigneraient le lecteur du texte lui-même. On perçoit dans cette démarche un grand souci pédagogique. De fait – et les moutures successives de l’introduction à l’Institution chrétienne le montrent bien – un des objectifs du manuel de théologie est justement d’alléger le plus possible les commentaires pour que ceux-ci puissent s’en tenir à l’essentiel[28].
Il y a là une différence de taille entre Calvin et bon nombre de ses contemporains. Prenons comme exemple le commentaire de Martin Luther sur Galates 3.1-5[29]. En nous penchant sur l’exégèse du réformateur allemand, nous constatons que ce dernier profite du texte biblique pour développer, sur une trentaine de pages[30] :
– l’importance de faire des reproches à ceux qui en ont besoin ;
– l’existence simultanée, en l’homme régénéré, de l’œuvre de l’Esprit et du péché ;
– le caractère répréhensible de la sorcellerie (y compris celle, dissimulée, des anabaptistes !) ;
– le fait que les papistes « crucifient à nouveau » Jésus-Christ, notamment dans les ordres monastiques ;
– la différence entre la justification par la foi et par les œuvres ;
– le message du livre des Actes des Apôtres ;
– la réaction de l’Eglise de Rome et des anabaptistes au message de Luther…
– et ainsi de suite !
En comparaison, Calvin traite en quatre pages le même passage, cherchant simplement à dégager le sens du texte.
Cette spécificité de la démarche exégétique du réformateur de Genèse permet aussi de comprendre la différence entre les commentaires et les prédications. Autant les commentaires se restreignent, dans l’ensemble, à exposer l’Ecriture, autant les prédications visent à appliquer le sens que l’exégèse a éclairé. A ce niveau, on voit une réelle différence entre les deux; la prédication chez Calvin n’est pas simplement l’exégèse redite. Cela se remarque déjà en termes de longueur; dans l’Opera calvini, le commentaire des Galates fait 105 pages[31]. En revanche, les quarante-trois prédications que Calvin a données sur cette même épître à partir de 1557 représentent, dans le même tome, plus de 550 pages ![32] La différence ne réside pas uniquement en la longueur; les prédications, beaucoup plus que les commentaires, sont axées sur l’édification, l’exhortation et l’affermissement dans la foi. C’est en fait surtout ici, dans la prédication, que Calvin cherche à développer le lien avec la vie de l’Eglise.
Faisons, à ce sujet, une parenthèse: contrairement à Luther, dont les écrits exégétiques sont émaillés d’invectives contre la papauté, cet aspect de la situation du XVIe siècle prend relativement peu de place dans les commentaires. On peut s’en étonner lorsqu’on se rappelle que Calvin s’est fait une réputation, entre autres, de polémiste hors pair. Bien sûr, il s’en prend dans son exégèse à des interprétations du Moyen Age ou de son époque et, plus d’une fois, aux abus de l’Eglise de Rome. Mais, dans l’ensemble, les commentaires bibliques restent centrés sur le texte.
Loin de poser une opposition entre Calvin dogmaticien et Calvin commentateur – ou encore Calvin prédicateur –, il faut donc y voir des approches complémentaires permettant de saisir le message de l’Ecriture et de vivre en chrétiens. Certes, les trois choses sont, sinon cloisonnées, du moins distinguées. Cependant, il ne s’agit pas, dans l’esprit de Calvin, de les isoler l’une des autres mais d’opérer une certaine délimitation pour que chaque facette puisse être approfondie de la façon la plus limpide possible, en évitant tout encombrement inutile.
III. La spiritualité dans les commentaires de Calvin
Du fait, justement, que l’exégèse ne se confond pas avec la prédication, nous pouvons éprouver une certaine difficulté à aller très loin dans la question de la spiritualité de l’exégèse calvinienne. Ce n’est pas que les commentaires soient arides ou desséchants. Mais, d’une certaine façon, la spiritualité y est « médiate » ; elle est surtout donnée au travers du sens du texte, avec ses spécificités grammaticales et son contexte historique. Cette approche qui consiste, non pas à piller le texte pour y dérober une application à tout prix, mais à le serrer du plus près possible pour savoir d’abord ce qu’il voulait dire pour ceux qui l’entendaient pour la première fois, a des implications importantes pour la spiritualité.
Là encore, Calvin opère une rupture par rapport aux méthodes exégétiques de l’époque. Il faut savoir qu’au XVIe siècle, l’exégèse allégorique de l’Ecriture régnait plus ou moins en maîtresse incontestée[33]. Si pour Thomas d’Aquin, qui donna à cette approche sa définition classique[34], le sens allégorique ne pouvait pas être en conflit avec le sens littéral et devait même en découler directement, à l’époque de Calvin la lecture allégorique faisait régulièrement fi du sens littéral avec tout ce qu’il avait de situé, et de la pensée de l’auteur biblique lui-même (étonnamment, Lefèvre d’Etaples, qui semble avoir influencé le jeune Calvin, était un grand protagoniste de l’approche allégorique, ainsi comprise)[35]. Or, pour Calvin, le vrai sens de l’Ecriture est « naïf » – c’est-à-dire qu’il découle naturellement du texte – et il est simplex, en ce sens où il n’est pas multiple, ayant plusieurs « couches », qui pourraient être en conflit les unes avec les autres ou s’annuler les unes les autres.
Cette remarque n’est pas sans rapport avec la spiritualité de l’exégèse calvinienne, car dans la lecture allégorique, telle que pouvait la pratiquer un Lefèvre d’Etaples, la personne et les circonstances de l’auteur biblique – David dans les Psaumes, par exemple – n’ont aucun intérêt en soi. L’important, c’est la façon dont ce que ce dernier a écrit renvoie plus loin, au Christ et à notre édification. Le texte et celui qui l’a composé sont un simple tremplin pour aller vers un « ailleurs » qui nous est plus proche et plus important. T.H.L. Parker souligne qu’une des différences entre Calvin et Erasme, friand lui aussi de l’exégèse allégorique, est qu’Erasme n’aurait jamais prêché quotidiennement, comme l’a fait Calvin, durant pratiquement une année, sur le Deutéronome ou une année et demie sur la Genèse[36]. L’intérêt de ces textes n’aurait été que ce qu’ils peuvent montrer, de façon métaphorique, du Christ. Ceci étant, pourquoi ne pas aller directement à la source, au Nouveau Testament ? Pour Calvin, par contre, l’histoire biblique est importante d’abord comme le lieu où Dieu agit, où il se révèle et se fait connaître[37].
En somme – et ceci est fondamental –, il s’agit dans l’exégèse calvinienne, non pas de pénétrer derrière le sens évident de l’Ecriture pour accéder à une signification spirituelle, cachée, qui seule nous concerne, mais de comprendre ce que le texte dit vraiment, dans la situation où elle a été entendue pour la première fois et où elle a édifié, réconforté et encouragé ceux qui l’ont entendue. La raison en est simple : l’Esprit, qui est aujourd’hui accordé aux croyants, est le même qui a inspiré la Parole dans les situations précises où elle fut donnée. On ne peut comprendre ce que l’Esprit veut nous dire aujourd’hui qu’en cherchant à comprendre ce qu’il disait, ce qu’il voulait faire comprendre à ce moment-là[38].
Pour autant, il ne faudrait pas conclure que les commentaires de Calvin seraient dénués d’applications pratiques. Calvin sait établir le lien entre l’époque biblique et le XVIe siècle – mais il le fait, le plus souvent, en rapport avec le texte dans sa situation première. Ainsi, dans son explication des effets du ministère de Paul, en Galates 3.2, il dit : « C’est pourquoi, que ceux qui voudront s’acquitter du ministère de l’Evangile ainsi qu’il appartient, apprennent non seulement à parler et à haranguer, mais aussi à pénétrer jusqu’au dedans des consciences, afin qu’elles sentent en elles Christ crucifié, et que son sang goutte en elles[39]. » Autre exemple: lorsque le Psaume premier affirme que « les méchants ne résistent pas au jour du jugement » (Ps 1.5), Calvin commente, avec beaucoup de perspicacité, qu’il y a dans ces paroles « […] une sorte de concession: comme si le prophète avouait tacitement que les méchants vivent effectivement dans le plaisir et connaissent la réussite, alors que les choses sont confuses dans le monde […] mais que les choses ne seront pas toujours ainsi confuses[40]. » De la sorte, « […] il faut élever les yeux plus haut, si nous désirons voir le conseil des justes dont il est ici fait mention[41]. » Et l’on pourrait multiplier les exemples. C’est d’ailleurs dans ce domaine que l’on voit la plus grande évolution dans les commentaires. Ce genre d’application pratique, assez rare au début, va croissant au fur et à mesure que le réformateur prend de l’expérience en tant que pasteur et homme de terrain[42].
En somme, l’Ecriture n’est pas, pour Calvin, une sorte de livre magique qui nous édifierait en dehors de son contenu, compris dans son contexte. En même temps – et il faut le souligner – il n’y a pas davantage chez lui d’opposition entre exégèse (lecture « scientifique ») et lecture « personnelle » de l’Ecriture. Certes, il y a une distinction entre les deux. Mais la lecture qui nourrit s’appuie toujours sur une exégèse sérieuse. De même, l’exégèse « scientifique » n’existe pas pour elle-même, elle est au service de l’Eglise et de son édification.
Conclusion. L’exégèse de Calvin : quelle actualité ? quelle spiritualité ?
Calvin reste un homme de son époque. Son exégèse en porte nécessairement les marques, ainsi que les limitations. Au niveau des précisions géographiques et linguistiques en particulier, il y a souvent des erreurs de détail. De même, l’exégèse moderne est beaucoup plus attentive que ne l’a été le réformateur au mouvement global des livres bibliques: on a parfois l’impression, dans les commentaires, que les arbres cachent la forêt, que le développement de l’ensemble n’est pas toujours clairement perçu. Il serait encore possible de souligner que l’exégèse calvinienne reste relativement peu sensible à la façon dont la forme du texte – les questions de style ou de genre – permet d’en saisir et de mieux en circonscrire le fond. L’actualité de la démarche du réformateur ne se trouve pas nécessairement sur ce plan-là. En même temps, il faut se garder des comparaisons trop rapides ; juger l’exégèse calvinienne selon les critères et les avancées de la science exégétique moderne nous ferait forcément tomber dans l’anachronisme.
Plus globalement, il y a aussi des passages où nous pourrions avoir la conviction que Calvin n’a pas saisi l’essentiel. Certaines de ses explications sont forcées ou peu fondées; en cela d’ailleurs, Calvin est en bonne compagnie, puisque des explications forcées ou peu convaincantes, nous en trouvons autant – et souvent davantage – chez bon nombre d’exégètes plus récents ! Cela étant dit, il ne faut pas non plus exagérer ces faiblesses. Ce qui est frappant, c’est de voir à quel point les commentaires, pourtant vieux de pratiquement cinq siècles, restent solides dans l’ensemble et font preuve de bon sens et de sensibilité exégétiques. L’interprète moderne ou simplement le croyant désireux de mieux comprendre l’Ecriture, qui se donne la peine de faire le détour par ces commentaires, trouvera souvent des observations perspicaces, des perspectives qui stimulent et édifient.
Peut-être la chose la plus importante que l’exégèse de Calvin nous apprend est-elle cette attitude d’écoute sérieuse envers l’Ecriture comme Parole de Dieu qui est aussi entrée dans l’histoire, et par rapport à laquelle nous avons à tout mettre en œuvre afin de comprendre ce qu’elle a dit et, par conséquent, ce qu’elle nous dit, aujourd’hui encore.
Dans son testament, rédigé en avril 1564, environ quatre semaines avant sa disparition, Calvin écrivit ceci : « Je déclare […] avoir essayé, selon la mesure de grâce qu’il m’avait donnée, d’enseigner purement sa parole tant en sermons que par écrit, d’exposer fidèlement l’Ecriture sainte. Pareillement, dans toutes les disputes qui m’ont opposé aux ennemis de la vérité, je n’ai point usé de ruse ou de mauvaise foi. Au contraire, j’ai procédé entièrement à soutenir sa Parole[43]. » Dans quelle mesure ces mots ne souffriraient-ils d’aucune exception ? Nul ne le sait. Toujours est-il que nous avons là, certainement, une clé importante pour discerner la démarche et la spiritualité de l’exégèse calvinienne, comme aussi un rappel de ce qui doit caractériser notre démarche à nous aussi, chrétiens du XXIe siècle, vis-à-vis de la Parole de Dieu.
* D. Cobb est professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
[1] T.H.L. Parker, Calvin’s Old Testament Commentaries, Louisville, Westminster-John Knox Press, 1993, 9-10.
[2] Cet enseignement se faisait, avec des interruptions, sur des semaines alternées. Enseignant en latin, sans notes et sur la base du texte hébreu ou grec qu’il traduisait directement, Calvin entendait donner à l’Eglise une intelligence de l’Ecriture. Le réformateur poursuivit d’ailleurs cette tâche, alors même que sa santé, déjà fragile, défaillait, jusqu’à la veille de sa disparition. La plupart de ses commentaires de l’Ancien Testament, malheureusement indisponibles en français, sont des transcriptions de ces lectures. De fait, seuls trois commentaires de l’Ancien Testament ont été écrits comme suivant le mode habituel : ceux de la Genèse, de Josué et des Psaumes. Les choses se présentent autrement pour les commentaires du Nouveau Testament, qui sont sans exception des commentaires au sens classique du terme. Ibid.
[3] Les seuls livres du Nouveau Testament que Calvin n’a pas commentés sont 2-3 Jean et l’Apocalypse. Pour ce qui est de l’Ancien Testament, Calvin a fait des commentaires sur la Genèse, Exode-Lévitique-Nombres-Deutéronome (une harmonie des quatre derniers livres du Pentateuque), Josué, les Psaumes, Esaïe, Jérémie, Lamentations, Daniel, Osée, les petits prophètes, et une partie d’Ezéchiel (Calvin est décédé avant d’avoir achevé ses cours sur ce livre).
[4] K. Barth, L’épître aux Romains, Genève, Labor & Fides, 1972 pour la traduction française, 14-15 (italiques dans le texte). La préface de la deuxième édition du commentaire de Barth date de 1921.
[5] Cf. T.H.L. Parker, Calvin’s Preaching, Louisville, Westminster-John Knox Press, 1992, 2.
[6] Institution de la religion chrétienne, I,vi,1 (dans la suite IRC) et passim. L’expression revient constamment sous la plume du réformateur, notamment dans les premiers chapitres de l’Institution.
[7] IRC, I,vi,3.
[8] Commentaires de Jehan Calvin sur le livre des Pseaumes, t. I, Paris, Librairie de Ch. Meyrueis et Cie, 1859, vi. Le commentaire lui-même date de 1557. Ici et dans d’autres citations de Calvin, nous avons légèrement modernisé le français, soit dans l’orthographe, soit dans l’expression, ou encore les deux.
[9] IRC, I,vi,2.
[10] Le premier ouvrage de Calvin est en fait son commentaire du De Clementia de Sénèque. Il en a commencé la rédaction à l’âge de 20 ans et l’a achevé en 1532. Calvin avait alors 23 ans.
[11] J. Calvin, Epître aux Romains, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Kerygma/Farel, 1978, 7. Dans la suite Comm.
[12] Bien souligné in T.H.L. Parker, Calvin’s New Testament Commentaries, Grand Rapids/Londres, Eerdmans/SCM Press, 1971, 56.
[13] Comm., 112.
[14] Comm., 176.
[15] Comm., 192.
[16] Comm., 120.
[17] Commentaires de Jehan Calvin sur le livre des Pseaumes, t. I, xii.
[18] « Calvin connaît admirablement les Pères de l’Eglise; c’était en quelque sorte sa spécialité parmi les théologiens du camp de la Réforme et la référence privilégiée aux autorités patristiques, bien que subordonnée à la souveraineté de la seule Ecriture, constitue un trait original de sa pensée réformatrice. » Calvin et la dynamique de la parole. Etude de la rhétorique réformée, Paris, Librairie Honoré Champion, 1992, 168.
[19] Les recherches de T.H.L. Parker sur les commentaires d’Esaïe 30-41 ont conduit cet historien à conclure que l’exégèse de Calvin s’appuyait « essentiellement sur certains Pères de l’Eglise et ses contemporains ». Calvin’s New Testament Commentaries, 88.
[20] Cf., par exemple, D. Steinmetz, « Calvin and Patristic Exegesis », in Calvin in Context, Oxford/New York, Oxford University Press, 1995, 122-140, et O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole, 168-181.
[21] Epîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Kerygma/Farel, 1978, 356 s. On trouve un deuxième exemple de l’extrême liberté que l’on découvre par moments chez Calvin dans son commentaire sur Ph 3.9 : « Tous les autres ont traduit: ‹Et que je sois trouvé en lui.› Mais ils suivent trop rapidement le fil du texte, comme s’il ne comportait point de poids. […] Mais comme le mot grec signifie aussi bien ‹recouvrer ce qu’on a quitté de son propre gré›, […] je n’ai point craint d’être d’une opinion contraire aux autres. » Comm., 295. Ces deux exemples sont repris de T.H.L. Parker, Calvin’s New Testament Commentaries, 89.
[22] Pour être tout à fait complet, il faut dire que, dans ces deux cas précis, c’est plutôt à la tradition exégétique antérieure qu’il faut donner raison! La relative indépendance interprétative du réformateur montre donc aussi, par moments, les limitations de ce dernier, souvent liées d’ailleurs à des limitations linguistiques (grec ou hébreu).
[23] Ainsi de même, R.W. Holder, « Calvin as Commentator on the Pauline Epistles », in Calvin and the Bible, éd. Donald K. McKim, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 249s.
[24] On trouve cette affirmation extraordinaire dans la préface de l’épître aux Romains : « […] Celui-là ne sera aucunement supportable qui, avec ses mains polluées (c’est-à-dire d’une façon profane) ou n’étant point bien préparé, en viendra à manier et traiter la chose la plus sacrée qui soit au monde. C’est donc une audace qui comporte sacrilège de tirer ça et là les Ecritures sans [discernement aucun], et de s’en jouer à plaisir comme d’une chose qui n’est faite que pour le passe-temps […]. » Comm., 9-10.
[25] Ibid.
[26] Comm., 7.
[27] Cf., par exemple, R.C. Gamble, « Brevitas et facilitas: Toward an Understanding of Calvin’s Hermeneutic », WTJ, 47 (1985), 1-17.
[28] Ainsi, dans l’« Argument du présent livre » de la version française de 1541 de l’Institution, Calvin écrit ceci : « Si [plus tard], notre Seigneur me donne le moyen et opportunité de faire quelques commentaires, j’userai de la plus grande brièveté qu’il me sera possible, parce qu’il ne sera pas besoin de faire longues digressions, vu que j’ai ici déduit au long quasi tous les articles qui appartiennent à la chrétienté. » IRC, xviii (noter que ces mots traduisent le texte latin de 1537; en 1541, le commentaire de l’épître aux Romains existe déjà). Pratiquement vingt ans plus tard, cette démarche reste inchangée ; seul l’achèvement de la plupart des commentaires bibliques a modifié la situation; c’est pourquoi, dans la préface de l’édition de 1559 de l’Institution, le réformateur dit ceci : « […] il n’est guère besoin qu’en mes commentaires, dans lesquels j’expose les livres de l’Ecriture sainte, j’entre en longue dispute des matières qui y sont traitées, vu que le présent livre est un guide général pour guider ceux qui désirent être aidés. » Ibid., xix.
[29] Voici le texte des Galates (d’après la NBS) : « Galates stupides, qui a pu vous fasciner, alors que sous vos yeux Jésus-Christ a été dépeint crucifié? Voici seulement ce que je veux apprendre de vous : est-ce en vertu des œuvres de la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou parce que vous avez entendu le message de la foi ? Etes-vous donc stupides à ce point ? Après avoir commencé par l’Esprit, allez-vous maintenant achever par la chair ? Avez-vous fait tant d’expériences pour rien ? Si du moins c’est pour rien! Celui qui vous accorde l’Esprit et qui opère des miracles parmi vous, le fait-il donc en vertu des œuvres de la loi, ou parce que vous avez entendu le message de la foi ? »
[30] Trente-sept, pour être précis, dans la traduction française. Cf. M. Luther, Œuvres, t. XV, Labor & Fides: Genève, 1969, 197-233 (l’original date de 1535).
[31] Commentarius in Epistolam Pauli ad Galatas, in Corpus Reformatorum, t. LXXVII (éd. G. Baum, E. Cunitz, E. Reuss, Brunsvigae, Appelhans & Pfenningstorff), 1892, 162-267.
[32] Opera Calvini, vol. L, 268-695, et vol. LXI, 5-135.
[33] Cf., pour ce qui suit, T.H.L. Parker, Calvin’s New Testament Commentaries, 60-68.
[34] « [L]orsque les réalités de la loi ancienne signifient celles de la loi nouvelle, on a le sens allégorique; quand les choses réalisées dans le Christ, ou dans ce qui signifie le Christ, sont le signe de ce que nous devons faire, on a le sens moral; pour autant, enfin que ces mêmes choses signifient ce qui existe dans la gloire éternelle, on a le sens anagogique. » Somme théologique, Paris, Cerf, 1999, Q1, art. 10 (page 163 ; Thomas d’Aquin écrivit le premier tome de la Somme vers 1269).
[35] T.H.L. Parker, Calvin’s New Testament Commentaries, 61 s.
[36] T.H.L. Parker, ibid., 66-67.
[37] Ibid., 65.
[38] Cf. IRC, I,ix,3. Signalons que Calvin pratique occasionnellement une interprétation qui s’approche de la lecture allégorique ou reprend des interprétations allégoriques des Pères de l’Eglise. Ainsi, à la mention des oiseaux de proie qui « s’abattirent sur les cadavres » qu’Abraham avait disposés en vue de l’établissement de l’alliance en Gn 15.11, Calvin fait la remarque suivante : « Bien que le sacrifice soit dédié à Dieu, toutefois il n’est pas exempté de l’incursion et de la violence des oiseaux. Les fidèles aussi, après être repus sous la protection de Dieu, ne sont pas tellement couverts de sa main qu’ils ne soient assaillis de toutes parts, d’autant que Satan et le monde ne cessent de les gêner et molester. Afin donc que le sacrifice que nous avons offert une fois à Dieu ne soit pas violé mais demeure pur et entier, il faut repousser les assauts contraires, ce qui ne se fait pas sans que nous ayons beaucoup de peine et de travail. » Comm., 237 (le commentaire, dans sa première édition, date de 1554). La distinction ici entre lecture allégorique et application pastorale, on le voit, est minime. De même, dans le commentaire de Lv 11.3ss, Calvin retient l’interprétation allégorique, d’une part, du sabot fendu comme signifiant un nécessaire discernement des « mystères de l’Ecriture » et, d’autre part, des animaux qui ruminent comme une exhortation à « méditer ses doctrines célestes ». Cependant, comme le remarque T.H.L. Parker, ce genre d’interprétation reste, chez Calvin, extrêmement rare. Calvin’s Old Testament Commentaries, 77.
[39] Comm., 58.
[40] Comm., t. I, 4.
[41] Ibid.
[42] Ce point est bien souligné par R.W. Holder, « Calvin as Commentator on the Pauline Epistles », 226-227.
[43] Reproduit in Th. de Bèze, La vie de Jean Calvin, Chalon-sur-Saône, Europresse, 1993, 116 (l’original date de 1564).