Calvin interprète de la Genèse

Calvin interprète de la Genèse

Emile NICOLE*

« Calvin, patriarche des Protestants de France, fait paraître plus d’esprit et plus de jugement dans ses commentaires de l’Ecriture que Luther. Il est néanmoins trop subtil dans ses raisonnements, et la religion, selon ses principes, semble être plus appuyée sur les conséquences qu’il tire du texte de la Bible que sur le texte même. Comme il était accoutumé à prêcher des moralités au peuple et à faire des leçons de théologie, il en a rempli ses commentaires. Il accommode aussi la plupart des choses à ses préjugés, et aux disputes qu’il avait avec différentes personnes. C’est ce qu’on peut voir dans son commentaire sur la Genèse et même dans tous les autres, parce qu’il est assez uniforme dans sa méthode[1]. »

Ce n’est pas tant par goût pour la provocation que l’on choisit d’introduire cet exposé par la citation de la trop célèbre Histoire critique du Vieux Testament de Richard Simon[2]. On peut être impressionné par la perspicacité des remarques de l’oratorien sur les qualités des commentaires de Calvin. Certes, sa notice d’une page et demie se présente davantage comme une critique que comme un éloge. Il reproche à Calvin d’être trop subtil, d’accommoder la plupart des choses à ses préjugés et à ses disputes, de ne savoir de l’hébreu guère plus que l’alphabet, d’être entêté, de vouloir être chef de parti.

Ses critiques sont aussi marquées par le contentieux confessionnel : il reproche à Calvin (et à Luther) leur rejet de la Tradition comme autorité, ce qui les oblige à tirer de l’Ecriture les preuves de leur doctrine, et ainsi à trop tirer le sens des textes (cf. le reproche de subtilité), de ne laisser passer aucune occasion de « médire de l’Eglise romaine et de ses cérémonies[3] », de ne rien oublier « de ce qui pouvait appuyer son parti[4]. » Il ne reconnaît pas une qualité à Calvin sans accabler Luther.

Tout cela ne surprend pas de la part d’un auteur catholique du XVIIe siècle, mais ces critiques n’empêchent pas Richard Simon de relever bien des qualités chez Calvin et, dans ces traits positifs des critiques de Richard Simon, on peut percevoir un éloge bien plus éloquent que les louanges du calviniste le plus convaincu.

1) Il note le soin que prend Calvin de ne pas avancer des arguments fragiles[5], et donne comme exemple son refus dans l’interprétation du premier verset de la Genèse, « Dieu créa », d’utiliser la forme plurielle du nom de Dieu, Elohim, comme preuve de la Trinité. Il cite avec approbation Calvin qui déclare à ce propos : « J’avertirais plutôt le lecteur de se garder de considérations aussi violentes[6]. »

2) A propos de la connaissance de l’hébreu, le seul point où Simon donne à Luther l’avantage sur Calvin, cet avantage tourne vite au désavantage de Luther. Il déclare : « Quoique Luther fût plus savant dans la langue Hébraïque que Calvin qui n’en connaissait guère que les caractères, ce dernier est néanmoins plus exact car il était plus capable de faire des réflexions sur ce qu’il lisait dans les autres auteurs[7]. » La connaissance que Calvin avait ou non de l’hébreu est, en effet, débattue, on y reviendra, mais il est indéniable qu’il a utilisé des ouvrages spécialisés et en a tiré profit. Simon, après avoir donné l’avantage à Calvin sur ce point, revient cependant à sa critique : Calvin ne se serait pas assez exercé à la critique, au grec et à l’hébreu. Il en donne pour preuve le fait qu’il affirme que le verbe bara signifierait en hébreu « créer à partir de rien ». Cela convient bien à l’interprétation du premier verset : « Dieu créa le ciel et la terre. » Mais Calvin se trouve en difficulté au verset 21 : « Dieu donc créa les grandes baleines… » alors que le verset 20 disait, selon la traduction de Calvin : « Que les eaux produisent reptile ayant âme vivante et volaille qui voltige sur la terre ! » Si, d’après le verset 20, les poissons ont été produits par l’eau, comment peut-on prétendre qu’ils auraient été créés à partir de rien ? Calvin, pour maintenir le sens qu’il estimait propre au verbe bara dans son commentaire du verset 1, s’engage dans une démonstration compliquée, proposant des solutions qu’il écarte l’une après l’autre, pour se ranger finalement à cette explication peu convaincante: en disant que Dieu a créé (c’est-à-dire à partir de rien) les baleines, Moïse aurait pris en compte l’ensemble du processus de création, depuis le rien initial jusqu’aux baleines, et non l’action divine propre au cinquième jour où elles ont été produites à partir de l’eau. La critique de Richard Simon sur le sens du verbe bara paraît bien pertinente, mais il est déplacé d’attribuer cette faiblesse dans l’exégèse de Calvin à un défaut de connaissance de l’hébreu. C’est plutôt un problème de sémantique générale: est-il raisonnable de penser qu’un verbe, en une langue quelconque, ait un sens aussi précis que « créer à partir de rien » ?

Deux autres réserves peuvent être faites sur les critiques de Richard Simon :
a) Il en conclut que la doctrine de la création ex nihilo, à laquelle il adhère, ne peut être tirée du texte biblique, d’où le recours nécessaire à la Tradition[8].
b) Les seuls exemples relevés par Richard Simon se limitent au premier chapitre de la Genèse, ce qui peut éveiller quelque doute ; qu’a-t-il effectivement lu des commentaires de Calvin ? Il semble toutefois que si les critiques de détails restent limitées au premier chapitre, les appréciations d’ensemble conviennent à l’ensemble du commentaire, et même de l’œuvre exégétique de Calvin, avec des réserves qui ne tiennent pas à une lecture partielle.

3) L’intérêt de Calvin pour la morale, sans connotation péjorative[9], et pour la connaissance de l’âme humaine. Richard Simon a déjà fait remarquer que Calvin « était accoutumé de prêcher des moralités au peuple[10]. »Il revient sur ce point dans un dernier paragraphe :

« Calvin ayant l’esprit fort élevé, on trouve dans tous ses commentaires sur l’Ecriture un je-ne-sais-quoi qui plaît d’abord, et, comme il s’était principalement appliqué à connaître l’homme, il a rempli ses livres d’une Morale qui touche et il tâche même de rendre sa Morale juste et conforme à son texte. S’il avait été moins entêté et qu’il n’eut pas eu envie d’être chef de parti, il aurait pu travailler fort utilement pour l’Eglise[11]. »

Cette dernière remarque ouvre la voie à des critiques déjà mentionnées. Il revient ensuite à la connaissance de l’être humain et de sa misère :

« On peut ajouter qu’il n’y a guère d’Auteur qui ait mieux connu que lui le néant de la Créature depuis le péché. Et comme il s’applique principalement à marquer les défauts auxquels les hommes sont sujets, il touche le cœur au lieu que la plupart des réflexions de Luther ne sont que de vaines spéculations et des disputes ridicules[12]. »

Mais Simon ne peut s’empêcher de terminer sans contrebalancer son appréciation positive par une critique : « Calvin a néanmoins ce défaut dans tous ses ouvrages d’avoir fait paraître avec excès le néant de l’homme depuis le péché et de l’avoir toujours laissé dans ce même néant sans avoir égard à l’état de grâce[13]. »

4) Ce dernier paragraphe, qui se termine donc par cette critique, contient cependant encore deux appréciations positives. D’abord, son sérieux dans la démonstration : « Il tâche de rendre au moins probable ce qu’il avance. »[14] Ensuite, la qualité de son style : « Il a même affecté une certaine grandeur de style qui contribue beaucoup à faire valoir ses pensées[15]. »

Après cette entrée en matière où Richard Simon a servi de guide insolite, on propose de revenir sur certains traits mentionnés et d’en relever quelques autres.

Le présent apport à ce colloque reste celui d’un interprète actuel de l’Ancien Testament. A la lecture des commentaires contemporains de l’Ancien Testament on tombe, ici ou là, sur une mention de Calvin parmi les interprètes cités ; il est un des rares noms qui échappent à l’oubli des exégètes du passé, et l’on peut se demander si ce traitement de faveur est dû à la notoriété du personnage, à la sûreté de son jugement exégétique, ou à la disponibilité de ses ouvrages, au moins en anglais.

En cette année du cinq centième anniversaire de la naissance du réformateur, le présent auteur apporte sa modeste contribution, en ayant fait le modeste effort, largement récompensé, d’aller au-delà de la consultation épisodique habituelle, pour lire de manière plus suivie le commentaire sur la Genèse ainsi que certains des sermons sur la Genèse[16].

I. ABONDANCE

Calvin a beaucoup commenté l’Ancien Testament et de manière suivie, aussi bien dans ses commentaires que dans ses cours et ses sermons, qui, tous, sont des commentaires suivis du texte. Richard Simon se révèle d’ailleurs bien informé : « Comme il était accoutumé à prêcher des moralités au peuple et à faire des leçons de théologie, il en a rempli ses commentaires[17]. » Sous le ton condescendant, on retrouve les trois types d’explications suivies du texte: la prédication, la leçon et le commentaire, et aussi le lien étroit qui les unit, leur grande similitude.

Pour un spécialiste de l’Ancien Testament, commenter autant de livres de l’Ancien Testament que Calvin représente déjà une performance que bien peu ont égalée. Quand on ajoute commentaires et leçons, Calvin a commenté la moitié de l’Ancien Testament[18]. L’édition anglaise de ces commentaires représente quinze volumes de 500 pages, soit environ 7500 pages ! Et pour un prédicateur, prêcher autant de sermons sur l’Ancien Testament représente une performance au moins aussi difficile à atteindre.

Quand un « généraliste » comme Calvin dépasse autant les spécialistes, chacun dans leur domaine, cela donne à réfléchir sur la stature du personnage. Mais aussi, et c’est peut-être plus profitable pour chacun d’entre nous, sur l’orientation de sa pensée, sur sa volonté de donner au texte biblique la première place. Le choix du commentaire suivi, aussi bien pour les leçons que pour la prédication, est très significatif.

L’importance que Calvin attache à ses commentaires et à ses cours peut aussi se mesurer aux hautes autorités auxquelles il dédicace ces œuvres. – Il dédicace le commentaire sur la Genèse à Henri de Navarre, le futur Henri IV, alors âgé de 9 ans et demi[19].– Le commentaire sur Esaïe est dédicacé au jeune roi d’Angleterre Edouard VI (1537-1553)[20].– Les leçons sur Jérémie à un prince allemand, Frédéric, prince palatin[21].– Les leçons sur Daniel au roi de Suède Gustave[22].

II. SÉRIEUX

– Recours fréquent à l’hébreu comme texte original, et comparaison fréquente avec la Septante et la Vulgate.

– Effort personnel de traduction. Sa traduction est très littérale ce qui convient bien à un commentaire. La traduction figurant dans les sermons n’est pas identique[23].

– Mention d’interprétations antérieures et contemporaines, les interprètes juifs sont souvent cités.

– Exposé d’arguments contre les interprétations qu’il récuse, et en faveur de celle qu’il propose. Il ne se contente pas d’affirmer, il cherche régulièrement à prouver ce qu’il avance.

– Il reste lucide sur la plus ou moins grande fiabilité des interprétations qu’il propose[24].

Toutes les caractéristiques que l’on attend d’un commentaire sérieux et que l’on trouve moins dans les sermons que dans les commentaires.

L’utilisateur d’un commentaire est souvent déçu par la brièveté de certaines démonstrations, et l’on trouve fréquemment chez Calvin des appréciations subjectives telles que « cela n’a pas de couleur » ou « cela est bien froid »[25], qui manquent évidemment de précision et de consistance. Mais, quelle que soit la prétention des exégètes à la rigueur scientifique, leur entreprise comporte une part inévitable d’intuition ; on ne saurait reprocher à Calvin ce qui est en fait le lot de tout interprète. Ou faudrait-il lui reprocher d’énoncer plus candidement ce que d’autres cherchent à se dissimuler ?

Pour revenir à la question de l’hébreu, Richard Simon prétend qu’il n’en connaissait guère plus que l’alphabet, mais la preuve qu’il avance n’est pas concluante. On a cherché à savoir où et quand il aurait appris l’hébreu[26]. Le catalogue de la bibliothèque de l’Académie quelques années après la mort de Calvin permet de repérer les ouvrages spécialisés auxquels il avait accès[27]. La mention de l’original hébreu intervient très régulièrement au cours du commentaire sur la Genèse. Les mentions ne concernent pas seulement les mots du texte, mais aussi la syntaxe, notamment les questions d’accord portant sur le genre et le nombre:en Genèse 4.7, il insiste sur le fait que le péché étant féminin, les suffixes qui suivent étant masculins ne peuvent s’y rapporter. Donc, au lieu de rapporter la suite au péché, « ses désirs se portent vers toi, mais toi domine sur lui », Calvin la rapporte à Abel, inférieur à son frère par la naissance, que celui-ci serait exhorté à dépasser par la piété, alors qu’il s’est laissé distancer en apportant une offrande que Dieu n’a pas agréée. Cette interprétation originale que Calvin présente comme « le sens vrai et naturel » (p. 102) apparaît bien peu naturelle, et Calvin n’a pas remarqué que le participe qui suit le mot péché, et que Calvin dans sa traduction et son commentaire rapporte bien au péché, « le péché gît à la porte » (pp. 91 et 102), est, lui aussi, au masculin, ce qui ruine son argumentation et oblige à une autre solution, facile. Le péché, féminin, est traité comme masculin parce qu’il est représenté sous les traits d’un animal. On remarquera encore une autre distraction de même ordre par rapport à l’hébreu, elle peut simplement être un indice de la hâte avec laquelle Calvin était contraint de travailler. Un témoin note moins d’une heure de préparation par heure de leçon.

A propos du nom de Jacob, on lit cette déclaration étrange : « Le nom de Jacob signifie : celui qui est vaincu après avoir combattu en vain. »[28] Commentaire présenté en rapport avec la naissance de Jacob. Mais il est fort probable que Calvin ne donne pas ici le sens du mot hébreu, mais il rappelle que Jacob a saisi son frère par le talon, circonstance mise explicitement en rapport avec le nom de Jacob dans le récit, comme signe qu’il luttait et qu’il a été distancé par son frère[29].

III. CONFIANCE AU TEXTE BIBLIQUE

Le lecteur contemporain ne peut qu’être frappé, en lisant le commentaire sur la Genèse, par le nombre de critiques du texte biblique que Calvin cite pour y répondre.

Exemples:

– Comment Moïse pouvait-il avoir connaissance des événements qu’il rapporte ? Il n’en a pas été le témoin et il ne pouvait bénéficier d’aucun écrit antérieur. Il ne s’agit pas de critiques supposées, Calvin renvoie à des personnes qui énoncent ces critiques: « Il y a des présomptueux et des arrogants qui s’élèvent ici et qui demandent par moquerie (…)[30]. »

– Autre critique, Calvin parle de gens qui «  jappent contre Moïse »[31]. Pourquoi Dieu a-t-il tant attendu pour créer le monde ? Que faisait-il ? La réponse à ce type de critiques est une des préoccupations constantes de Calvin.

A propos de l’accroissement du troupeau de Jacob : « Afin que nul ne pense que ce qui ne convient point avec la raison soit une fable, Moïse vient au-devant et dit que le saint personnage fut enrichi et augmenté par une façon extraordinaire[32]. »

On s’arrêtera sur deux exemples significatifs.

A propos de la création du soleil et de la lune, appelé le grand et le petit luminaire, il évoque ceux qui reprochent à Moïse[33] de s’être exprimé de manière incorrecte. Il évoque deux problèmes,

– le fait que la lune soit appelée un luminaire alors qu’elle ne fait que renvoyer la lumière du soleil,

– et le fait que la lune soit citée avec le soleil comme les deux grands luminaires, alors qu’il y a des corps célestes bien plus grands que la lune. Calvin évoque plusieurs fois Saturne, faisant remarquer qu’on sait qu’il est bien plus grand que la lune.

Calvin répond que Moïse s’exprime de manière simple en tenant compte de ce qui se voit, de ce qui apparaît au témoin ordinaire. Vus de la terre, le soleil et la lune sont les deux sources principales de lumière, les deux corps célestes les plus grands. Et, à partir de là, il introduit une réflexion sur la science qu’il dénomme souvent philosophie. Il est parfaitement légitime, utile, de s’adonner à la recherche pour mieux connaître le monde. Mais l’Ecriture n’a pas été écrite pour enseigner la science, elle est destinée aux plus simples pour leur faire comprendre l’action de Dieu[34].

Quelques versets plus loin, à propos de la création des oiseaux à partir de l’eau, ce qui semble peu convenir à la raison, concède Calvin, les moqueurs tirent cela en calomnie (Commentaire, 33). Il réplique :

a) S’il n’y avait d’autre motif que le bon vouloir de Dieu, que pourrions-nous objecter ?
– Dieu a bien fait le monde à partir de rien, ne pouvait-il pas faire aussi les oiseaux à partir de l’eau?
– Est-il plus absurde que Dieu crée les oiseaux à partir de l’eau que la lumière à partir des ténèbres. Et il conclut cette première série de considérations par une menace : le Créateur pourrait bien réduire à néant ceux qui s’élèvent avec tant d’arrogance contre lui !

b) S’il faut en venir à des raisons naturelles, l’eau a plus d’affinité avec l’air qu’avec la terre : c’est au cinquième jour que sont créés les poissons et les oiseaux (que les eaux grouillent), alors que les animaux terrestres le sont au sixième (que la terre produise).

c) Mais Calvin conclut que Moïse a plutôt voulu nous émerveiller, nous surprendre. Dieu qui a créé la nature n’a pas suivi la nature comme son guide pour la créer. Il faut que nous soyons surpris et ébahis.

Calvin est ici tributaire d’une traduction inexacte du texte hébreu, imputable au grec et au latin dont il dépend de manière évidente. Latin : « Que les eaux produisent reptile d’âme vivante et volatile sur la terre et sous le firmament du ciel. » Grec : « Que les eaux produisent des reptiles d’âme vivante et des oiseaux volant sur la terre sous la voûte du ciel. » Alors que l’hébreu dit : « Que les eaux grouillent de grouillants, âmes vivantes, et que sur la terre volent les oiseaux sur la face de l’étendue du ciel. » Dans le texte hébreu,

– il n’est pas question que les eaux produisent, elles grouillent,

– les oiseaux sont bien distincts des animaux aquatiques.

La difficulté que Calvin cherche tant bien que mal à résoudre, les oiseaux produits par l’eau, n’existe donc pas.

Pourquoi Calvin, qui dans son commentaire recourt souvent à l’hébreu, citant des mots hébreux, des constructions de phrase en hébreu, ne le fait-il pas ici ? Nous le retrouvons en défaut, mais ses efforts pour répondre à ce problème, inexistant, sont une preuve touchante de la confiance qu’il fait au texte biblique. Il pense, à tort, que le récit dit que les oiseaux ont été produits par l’eau. Eh bien, il le croit ! Aussi étonnant cela soit, les oiseaux ont été produits par l’eau. Dieu a voulu ainsi nous surprendre, nous faire comprendre qu’il peut faire n’importe quoi.

La différence avec la façon de traiter la question des grands luminaires est très instructive. Pour les grands luminaires, son argument est: Moïse parle le langage de l’apparence, il n’enseigne pas la science. Mais ce même argument, il se garde de l’employer pour les oiseaux produits par l’eau. Parce que là, cela ne peut pas être le langage de l’apparence, le récit biblique ne nous parle pas de ce qui apparaît, mais de la façon dont Dieu a créé les oiseaux. Et même si cela va à l’encontre de ce qui paraît naturel aux humains, cela ne peut qu’être vrai.

Tirons déjà une première conclusion : ne pensons pas que la difficulté à recevoir avec confiance le texte biblique soit un phénomène limité aux temps modernes, qui serait né avec les Lumières. A l’époque de Calvin, les critiques sont nombreuses et Calvin, lui, fait confiance au texte biblique. La nature des questions posées, des critiques formulées, peut varier au cours des âges, comme aussi la pertinence des réponses proposées, mais restent constants le phénomène des critiques et la démarche de foi pour y répondre ou les écarter.

Un autre indice de la confiance qu’il porte au récit biblique, c’est sa manière de raisonner sur les événements racontés ; il cherche, assez souvent, à combler les silences du récit, à se représenter ce qui n’est pas raconté.

L’entreprise est évidemment hasardeuse, et on peut souvent penser que Calvin cherche trop souvent à deviner, comme il le reproche souvent à d’autres. Mais cela prouve à l’évidence que, pour lui, les événements racontés sont bien réels.

Par exemple, Rébecca, enceinte, troublée par le mouvement qui agite les jumeaux dans son ventre, consulte Dieu (Gn 25.22). Comment consulte-t-elle Dieu ? Le récit ne le dit pas. Calvin y consacre un paragraphe dans son commentaire (Commentaire, 375). L’opinion la plus courante, dit-il, est qu’elle est allée consulter un prophète. Le récit semble bien indiquer qu’elle est allée quelque part : « Elle alla consulter le Seigneur. » (v. 22) Mais il considère que cette supposition (litt. divination) n’a pas de couleur. Et il avance des arguments:

– Quels autres prophètes aurait-elle pu trouver que son beau-père ou son mari ?

– A l’époque, Dieu a presque toujours manifesté sa volonté par des oracles; il faut comprendre : en communiquant de manière directe avec les humains.

– La chose était si importante qu’il ne convenait pas qu’elle soit transmise par un être humain. 

Les arguments paraîtront plus ou moins pertinents, mais on voit que Calvin ne se borne pas à donner son avis, il cherche à le justifier, il cherche à comprendre ce qui était pratiquement réalisable. Cela montre que pour lui les événements sont bien réels.

Et il se préoccupe aussi de l’application pratique. Il est conscient que cette révélation directe à Rébecca pourrait donner de mauvaises idées à certains, favoriser l’illuminisme, aussi il précise qu’aujourd’hui Dieu n’a pas besoin du miracle d’une communication directe pour nous faire connaître sa pensée: nous avons la Loi, les Prophètes et l’Evangile, et cela doit nous suffire pour diriger notre vie.

Ce n’est pas la seule fois où Calvin cherche à comprendre comment Dieu a communiqué avec les patriarches. Comment Caïn et Abel ont-ils su que Dieu agréait l’offrande de l’un et non celle de l’autre ? Calvin récuse la supposition des interprètes juifs, il dit que c’est leur habitude d’ajouter des détails aux récits: le feu du ciel aurait consumé l’offrande d’Abel[35]. On n’a pas le droit, dit-il, d’inventer des miracles dont les Ecritures ne parlent pas. Et il estime très probable que ce soit en constatant que ses affaires périclitaient, alors que celles de son frère prospéraient, qu’il a compris que Dieu n’agréait pas son offrande. Calvin cherche l’explication la plus simple, qui en rajoute le moins au récit, mais il en rajoute quand même un peu, en insérant une remarque de morale: c’est à la bénédiction terrestre que les hypocrites tiennent le plus[36]. Précédemment, Calvin avait avancé l’hypothèse que Caïn était un hypocrite dont le culte était de simple apparence : « Il n’y a nul doute que Caïn se soit comporté à la façon des hypocrites, c’est-à-dire qu’il a voulu apaiser Dieu en s’acquittant d’offrandes extérieures et ne s’est pas soucié de se donner totalement à lui[37]. »

Un trait notable de cette confiance dans la réalité des faits est le soin que prend Calvin à situer le jardin d’Eden avec ses quatre fleuves. Cela occupe trois pages et demie[38] de l’édition de 1961, agrémentées d’une carte dessinée par Calvin : « Je mettrai ici une figure devant les yeux par laquelle on pourra entendre où j’estime que Moïse met le paradis[39]. » Il avance une interprétation originale dans laquelle les quatre fleuves sont en fait l’Euphrate et le Tigre, qui se rejoignent dans la région de Babylone (cela fait deux fleuves), ils entourent la région et, ensuite, se séparent pour se jeter dans le golfe Persique (ce qui fait quatre).

Calvin explique la suite du récit en rapport avec cette localisation du paradis. L’entrée a été d’abord gardée par un ange, mais ensuite, le jardin ayant perdu son charme, il n’a plus été gardé : « Depuis que la fertilité bienheureuse et la plaisance de ce lieu furent aboliesla frayeur du glaive a été superflue[40]. »

Tout cela confirme que, pour Calvin, le texte biblique ne nous plonge pas dans l’univers de la fiction narrative, mais qu’il nous met bien en rapport avec un passé réel dans un monde réel. On pourrait aussi évoquer la manière dont il envisage le serpent dans le récit de la chute. C’est bien un vrai serpent, même si Satan s’est servi de lui pour tenter l’être humain.

III. SOBRIÉTÉ

La sobriété est une des caractéristiques auxquelles Calvin tient particulièrement. Ce n’est pas seulement une question de tempérament ou de goût personnel. Il relie cette qualité au respect que le croyant doit avoir pour Dieu et pour sa Parole. Vouloir en savoir plus que ce que Dieu a dit, c’est se départir de la modestie, de l’humilité qui conviennent à la créature devant le Créateur. Dieu dans l’Ecriture ne nous dit pas tout, il nous dit ce qui nous est utile, et nous devons nous appliquer à nous en contenter.

Commentant dans un sermon la réponse que Rébecca a reçue de Dieu lorsqu’elle s’inquiétait du remue-ménage dans son ventre, Calvin explique que lorsque nous sommes tourmentés par un problème, il n’y a rien de mieux que de demander conseil à Dieu, de recourir à l’Ecriture, et lorsque nous avons la réponse de nous en contenter:

« Quand donc nous serons tormentez de cela, que nous venions à Dieu, c’est à dire que nous escoutions ce qui nous est monstré en l’escriture saincte, prions Dieu qu’il nous ouvre les yeux et les aureilles, afin que nous apprenions quelle est sa volonté. Et puis, avons-nous cela ? Il nous y faut nous arrester du tout et estre paisibles. Car il n’est point question de disputer plus outre, quand Dieu nous prononce son arrest[41]. »

Et il ajoute que nous ne serons vraiment aptes à recevoir l’instruction de l’Ecriture que si nous avons cette attitude modeste, humble, de nous vouloir rien savoir sinon ce qui est contenu dans l’Ecriture[42].

On peut parfois estimer que Calvin n’est pas aussi sobre qu’il le prétend. Par exemple sur Caïn et Abel. Alors que le récit ne dit rien de la conduite ou de l’attitude des deux adorateurs, Calvin, lui, prétend qu’il n’y a nul doute que Caïn se soit comporté comme un hypocrite, ce qui fait dire au commentateur contemporain Walter Bruggemann : « Calvin en sait plus que le texte[43]. »Le réformateur estime pouvoir et devoir justifier le rejet de l’offrande de Caïn et l’acceptation de l’offrande d’Abel, qui, ni l’une ni l’autre, ne sont expliquées dans le récit de la Genèse, ce qui aurait pu conduire Calvin à orienter son commentaire vers la souveraineté de Dieu, comme il le fait en commentant le choix de Jacob et le rejet d’Esaü.

Mais il est fort probable que Calvin a été influencé par la façon dont les auteurs du Nouveau Testament parlent de Caïn et Abel.– « C’est par la foi qu’Abel offrit un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn. » (Hé 11.6) Calvin cite d’ailleurs le passage et parle de la foi d’Abel.– « Ne faisons pas comme Caïn qui était du Mauvais et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises alors que celles de son frère étaient bonnes. » (1Jn 3.12)

Ce qui est particulier à Calvin, c’est de stigmatiser Caïn comme un hypocrite, il y revient plusieurs fois.

Calvin fait d’ailleurs preuve de sobriété en écartant la supposition que Dieu aurait manifesté par un miracle son agrément du sacrifice d’Abel. Il avance une explication plus ordinaire. Il refuse aussi de chercher une faille dans le type d’offrande présenté par Caïn.

Que l’on soit toujours convaincu ou non par la façon dont Calvin suit cette règle de sobriété, de modestie, on ne peut que l’approuver et chercher à la suivre soi-même aussi bien que l’on peut.

IV. souci pastoral

Avant d’être un théologien, un interprète du texte, Calvin est un pasteur. Ce trait ne caractérise pas seulement les sermons, ce qui est naturel, mais également les cours, qui se terminent toujours par une prière assez longue, et même, très largement, les commentaires. Aussi c’est dans le commentaire sur la Genèse qu’on relèvera les exemples de cet émouvant et édifiant souci pastoral.

Pour tout lecteur qui entreprend la lecture suivie de plusieurs pages du commentaire, il semble bien que Calvin ne manque aucune occasion de tirer une application pratique.

L’ivresse de Noé lui donne l’occasion de dénoncer l’usage excessif de la boisson. Il concède d’abord que l’on pourrait faire preuve d’indulgence à l’égard de Noé qui, ayant bien travaillé, a voulu se récompenser et se réjouir en prenant du vin[44]. Mais il nous invite à constater que Dieu, lui, n’a pas eu cette indulgence, l’ivresse à laquelle Noé s’est livré a flétri sa mémoire. « Que pensons-nous donc qu’il fera aux ventres oisifs et aux gouffres insatiables qui ne se proposent d’autre combat sinon à qui consommera le plus de vin[45] ? »

Commentant le passage où Dieu a fait à Adam et Eve des vêtements de peau, il explique d’abord qu’il ne faut pas nous imaginer Dieu en train de fabriquer lui-même des vêtements à Adam et Eve, il a plutôt suggéré à Adam et Eve de le faire. Mais Calvin ne manque pas l’occasion d’en tirer deux conclusions :

– L’une, spirituelle, le vêtement de peau rappelle à l’être humain sa faute, à la différence du lin ou de la laine, la peau rappelle à l’être humain sa propre nudité, cette nudité dont il a honte depuis qu’il est pécheur.

– L’autre, pratique : Dieu a voulu habituer l’être humain à des vêtements simples.

« Et plût au ciel que les délicats qui ne pensent point être bien accoutrés et ornés si tout ne va pas en excès, pensent à ceci! Non qu’il faille condamner tout ornement quel qu’il soit, mais parce que, quand on désire trop curieusement d’être joli et de reluire, non seulement on méprise ce maître qui a voulu que le vêtement soit un signe de pudeur[46], mais on fait comme la guerre à la nature[47]. »

L’intérêt de Calvin pour la pratique ne se limite pas à des considérations de morale élémentaire comme la mise en garde contre les excès de vin ou d’habillement. Il fait aussi des remarques d’ordre psychologique. Observant que Caïn a attendu d’être dans les champs pour agresser son frère, qu’il lui a d’abord adressé la parole, peut-être de manière amicale, il en conclut que c’est quand les hypocrites sont les plus aimables avec nous qu’il faut nous méfier le plus d’eux :

«  Quand ils n’ont pas le moyen de nuire comme ils le voudraient par une violence ouverte, soudainement ils se mettent à faire quelque paix trompeuse (litt. fourrée). Mais il ne faut pas espérer que ceux qui se montrent comme des bêtes cruelles envers Dieu entretiennent une amitié pure et fidèle avec les hommes[48]. »

 Durant toute l’activité de Calvin et longtemps après, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, Genève a vécu sous la menace du duc de Savoie.

On peut remarquer qu’ici l’intérêt pour la réflexion pratique perturbe, en fait, la rigueur de l’interprétation. Calvin, comme à son habitude, commence par citer le texte « Caïn dit à Abel ». Puis il signale que certains considèrent qu’il a parlé à son frère de manière déloyale en dissimulant sa colère. Mais il fait remarquer qu’on ne sait pas ce que Caïn a dit à son frère. Cependant il pense que Moïse veut faire ressortir ici en bref la déloyauté de ce méchant hypocrite, qui a fait semblant d’être en bons termes avec son frère, lui parlant familièrement jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion de commettre son meurtre. C’est en parlant amicalement avec son frère qu’il l’aurait attiré dans les champs pour le tuer. Et il en tire l’application que l’on vient d’évoquer: c’est quand les méchants sont aimables qu’il faut s’en méfier le plus. L’argumentation est déjà assez fragile: alors qu’on ne sait pas ce que Caïn a dit à Abel – et Calvin le reconnaît – Calvin tire son application de la supposition qu’il lui a parlé amicalement, en dissimulant sa colère.

Mais, ensuite, il avance une autre supposition: que Caïn, bien que Dieu lui ait donné tort, s’est disputé avec son frère à propos de la décision de Dieu. Et il conclut qu’il préfère cette opinion. Caïn n’a pu cacher son trouble : « Il s’est jeté sur son frère en l’accusant et en lui exposant avec colère et indignation la cause de sa tristesse[49]. » Dans sa hâte à tirer une leçon pratique du texte biblique, Calvin s’appuie sur une interprétation qu’il va ensuite écarter au profit d’une autre.

On saisit l’occasion de cette évocation des hypocrites, dont il faut se méfier, pour mentionner, par honnêteté, que Calvin, qui ne manque pas une occasion de tirer une application pratique, saisit de temps à autre l’occasion de lancer une flèche à des adversaires, notamment les papistes. A propos de la malédiction de Canaan prononcée par Noé (Gn 9.25), « Maudit soit Canaan, qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères », traduit par Calvin « serviteur des serviteurs », Calvin évoquant le titre que se donne le pape de serviteur des serviteurs[50], déclare : « Puisque le pape prétend avec tant d’insistance qu’il est parfois prophète, je veux bien le croire, prophète contre son gré comme Caïphe. Je ne veux pas nier que ce titre lui ait été dicté par le Saint-Esprit. Qu’il soit donc ‹serviteur des serviteurs›, tout comme Canaan[51] ! »

Calvin commente l’affection privilégiée qu’Isaac porte à Esaü et que Rébecca porte à Jacob (Commentaire, 379). Il blâme d’abord l’attitude d’Isaac : il savait par l’oracle que Jacob devait être l’héritier de la promesse et non pas Esaü, son affection était donc au rebours de la décision de Dieu, il aurait dû « par piété et modestie dompter et assujettir son affection pour obéir à Dieu ».

Cette remarque montre l’intérêt pastoral de Calvin et sa sensibilité. Il comprend qu’on puisse avoir un penchant pour un fils plutôt que pour l’autre, mais il affirme qu’Isaac aurait dû faire effort pour résister à cette inclination pour son fils aîné, qui allait à l’encontre de la décision divine. Au lieu de résister à cette inclination, Isaac se laisse en plus entraîner par son goût pour le gibier qui, dit le récit, est la cause de son attachement à Esaü.

Calvin en vient à Rébecca. Son affection pour Jacob était-elle aussi discutable que celle d’Isaac pour Esaü ? Calvin laisse d’abord la question ouverte : « On ne sait pas si la mère a failli dans le sens contraire. » Et cette absence, momentanée, de réponse donne à Calvin l’occasion de faire des remarques sur la paix des ménages : « Nous voyons bien souvent que les affections des pères et des mères sont tellement divisées que si la femme voit que son mari aime l’un des enfants, elle mettra son affection en l’autre par une émulation contraire. »

Le commentateur revient à Rébecca. Si elle a préféré Jacob à cause de la prophétie, c’était légitime, « mais il se peut aussi bien que son amour ait été désordonné ». D’où une nouvelle réflexion pratique : « En cela se montre trop la corruption de notre nature. » Il n’y a pas de lien plus saint que le mariage pour tenir les êtres humains en accord, les enfants lorsqu’ils naissent renforcent encore ces liens, et cependant ils fournissent souvent une occasion de discorde. Mais finalement Calvin revient à Rébecca pour conclure que la suite du récit va montrer que c’est l’intérêt qu’elle portait à la bénédiction de Dieu, qui a dominé dans sa préférence pour Jacob. Ainsi elle a certainement été conduite à préférer Jacob par soumission à Dieu.

Ce parcours assez sinueux montre tout l’intérêt que Calvin porte aux réflexions pratiques. S’il avait tout de suite conclu que Rébecca s’est soumise à la décision divine, il aurait perdu l’occasion de faire réfléchir son lecteur sur ce problème des préférences de tel parent pour tel enfant. Deux fois, il maintient l’interprétation en suspens pour prolonger ces réflexions et ne pas les limiter à la préférence d’un parent pour un enfant (Isaac). On peut se poser la question : le fait-il sciemment ? ou hésite-t-il réellement ? Les conclusions exégétiques auxquelles parvient Calvin ne sont pas toujours fermes. Elles sont parfois hésitantes, et c’est une des qualités de l’interprète de renseigner son lecteur sur la fiabilité des réponses proposées: sûre, moins sûre, incertaine. Calvin reste ici prudent sur la conclusion à laquelle il se range finalement : « Il est plus probable qu’elle fut induite par l’autorité de Dieu à préférer le puîné à l’aîné. »

On rejoint ici les observations faites par Richard Stauffer, reprenant des propos de Calvin sur la prédication. Ils ne conviennent pas seulement à sa prédication, mais aussi à ses commentaires : « La prédication doit toujours comporter une application pratique[52]. » Calvin considère que « Dieu est déshonoré » dans la prédication si elle ne comporte pas d’application. « Si on ne fait qu’exposer l’Ecriture sainte, cela s’écoule et nous n’en sommes pas touchés au vif. » (Ibid.) « Si la doctrine n’est pas aidée d’exhortations, elle est froide, elle ne nous percera pas le cœur. »

« Deux choses sont requises que nous fassions bien comprendre ce qui est demandé pour le salut, et puis que nous ajoutions l’insistance, afin que la doctrine touche les cœurs au plus vif, et que non seulement on sache ce qui est bon, mais qu’on soit incité à le suivre et à y adhérer. Voilà les deux choses qu’on n’a pas le droit de séparer. »

On laissera le lecteur sur cet exemple, parmi bien d’autres, de prédication dans le commentaire sur la Genèse. Calvin a expliqué comment Satan, en flattant nos premiers parents, les a trompés, et il poursuit:

« C’est pourquoi, si nous ne voulons pas être pris dans le même filet, apprenons à dépendre totalement de la seule volonté de Dieu qui est le seul auteur de tous les biens. Parce que l’Ecriture nous fait comprendre que nous sommes nus et pauvres, et que c’est en Christ que nous pouvons retrouver ce que nous avons perdu en Adam, présentons-nous vides à Christ pour être remplis de ses richesses[53]. »


* E. Nicole est professeur d’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.

[1] R. Simon, Histoire critique du Vieux Testament, Rotterdam, Reiner Leers, 1685, 434.

[2] R. Simon (1638-1712), oratorien, considéré comme le « père de la critique biblique moderne » en raison de l’hypothèse qu’il soutint concernant la rédaction du Pentateuque dans son ouvrage Histoire critique du Vieux Testament, publié initialement en 1678, puis interdit en France. Cf. Richard Woodbridge, « Richard Simon, le ‹père de la critique biblique », in s. dir. J.R.A. Armogathe, Le Grand Siècle et la Bible, Paris, Beauchesne, 1989, 193-206, et J. Bernier, « Richard Simon et l’hypothèse des écrivains publics : un échec humiliant », ETR, 82, 2007, 156-176.

[3] Simon, Histoire critique, 435.

[4] Simon, Histoire critique, 436.

[5] « Il paraît néanmoins plus réservé que Luther et il prend garde à ne se servir pas de preuves faibles, d’où ses adversaires peuvent prendre quelque avantage sur lui. » Simon, Histoire critique, 434.

[6] « Plutôt j’avertirai les lecteurs de se donner garde de telles gloses si violentes. » Commentaires sur l’Ancien Testament. Le livre de la Genèse, Genève, Labor & Fides, 1961, 25. Dans la suite, pour les commentaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament: Comm.

[7] Simon, Histoire critique, 435.

[8] « Il est bien vrai que Dieu a fait le monde de rien, et que le chaos ou la matière des anciens Philosophes est une pure fable, mais on ne peut pas le prouver invinciblement de ce passage de la Genèse, à moins qu’on n’y joigne la Tradition que nous avons de la création du Monde. » Histoire critique, 435.

[9] Sans aucune connotation péjorative dans la pensée de Richard Simon, pour qui c’est une qualité indéniable des commentaires de Calvin. On le rejoint volontiers sur ces deux points: appréciation positive de la morale, injustement dénigrée aujourd’hui, et qualité morale des ouvrages de Calvin.

[10] Simon, Histoire critique, 434.

[11] Simon, Histoire critique, 435.

[12] Simon, Histoire critique, 436.

[13] Simon, Histoire critique, 436.

[14] Simon, Histoire critique, 436.

[15] Simon, Histoire critique, 436.

[16] Dans la suite de l’exposé, le Commentaire sur la Genèse sera cité d’après l’édition parue chez Labor & Fides en 1961, cf. note 7.

[17] Simon, Histoire critique, 434.

[18] Genèse à Josué, Esaïe aux Douze, Psaumes, Lamentations, Daniel, soit 63% du nombre de pages dans la Bible hébraïque, 46 % du nombre de lettres en hébreu.

[19] Dédicace en juillet 1563. Datée par erreur de 1554 dans l’édition Labor et Fides, Commentaire, 15. Le commentaire sur la Genèse a bien été achevé en 1554 (CR, XXIII, xv), mais c’est l’édition de 1563 qui a été dédicacée à Henri duc de Vendôme, roi héritier de Navarre (CR, XX, 116-122).

[20] Roi de 1547 à 1553, de 10 à 16 ans. Dédicace d’Esaïe en décembre 1550, le roi a 13 ans.

[21] Frédéric III, électeur palatin du Rhin et comte palatin du Haut-Palatinat de 1559-1576, introduit la réforme calviniste dans son Etat, d’après Emile Léonard, Olevianus et Ursinus, chargés de définir la foi de la réforme palatine, « représentaient Zurich plus encore que Genève ». Emile Léonard, Histoire générale du protestantisme, II, Paris, PUF, 1961, 11. D’après Léonard (p. 10), Frédéric III est né en 1525. 

[22] Gustave Ier Vasa (1495-1560), roi de Suède de 1523 à 1560.

[23] Erreur typographique dans le Comm., 214, traduction de Gn 14.15. « Hobab qui est à la fenestre [sic] de Damas » au lieu de senestre, c’est-à-dire la gauche.

[24] Cf. Gn 2.2, Comm., 26 sur l’Esprit de Dieu se mouvait, voltigeait ou gisait, couvait.

[25] Cf. sur la traduction « vent » en Gn 1.2 : « cela est si froid qu’il n’y a nul besoin de réfutation. » (Comm., 25) « Cela est bien froid. » (Comm., 57)

[26] Cf. M.W. Elliot, « Calvin the Hebraiser ? Influence and Independance in Calvin’s Old Testament lectures, with special reference to the commentary on Jeremiah », in s. dir. Anthony N. S. Lane, Interpreting the Bible, in honour of David F. Wright, Leicester, IVP, 1997, 99-112.

[27] Cf. Anthony N.S. Lane, « The Sources of Calvin Citations in his Genesis Commentary », in s. dir. Anthony N. S. Lane, Interpreting the Bible, in honour of David F. Wright, Leicester, IVP, 1997, 47-97.

[28] Comm., 378.

[29] Cf. la signification donnée au nom d’Esaü : « Ainsi Esaü a porté le nom de son âpreté, parce que dès sa première enfance il était formé comme un homme déjà fort et puissant. » Comm., 378, et l’évocation du nom donné à la naissance lors de l’octroi du nouveau nom Israël : « Jacob avait été ainsi appelé dès le ventre de sa mère, comme nous l’avons vu, parce qu’il s’était efforcé de retenir son frère en lui empoignant la plante du pied. » (Comm., 474-475)

[30] Comm., 17.

[31] Comm., 19.

[32] Comm., 447.

[33] « … débattent contre Moïse de ce qu’il n’a pas parlé plus exactement. » (Comm., 31)

[34] Calvin écrit à une époque où la science est encore rudimentaire. D’ailleurs, il a un développement assez étrange sur la lumière de la lune, qui serait bien un corps épais, mais pas, selon lui, un corps obscur ou ténébreux ; elle produirait bien de la lumière, mais pas assez pour que celle-ci parvienne jusqu’à la terre, elle devrait donc emprunter au soleil ce qui lui fait défaut (Comm., 32).

[35] Comm., 98.

[36] Comm., 99.

[37] Comm., 98.

[38] Comm., 50-53.

[39] Comm., 51.

[40] Comm., 91.

[41] Corpus Reformatorum. Calvini Opera, LIX, 48. Dans la suite : CR.

[42] « Bref, journellement ceci est pour nous monstrer que jamais nous ne pourrons estre disposez, pour recevoir instruction de l’escriture saincte, et de chercher là toute nostre sagesse, sinon que nous aions ceste modestie là, et ceste humilité en nous de n’appeter point de rien cognoistre ne savoir, sinon ce qui est là contenu. » CR, LIX, 48.

[43] W. Bruggemann, Genesis, Interpretation, Atlanta, John Knox Press, 1982, 56. C’est nous qui traduisons.

[44] Comm., 165.

[45] Comm., 166.

[46] « Vergogne ».

[47] Comm., 89.

[48] Comm., 103.

[49] Comm., 103.

[50] Plus précisément, serviteur des serviteurs de Dieu, servus servorum Dei, titre remontant à Grégoire Ier (540-604).

[51] Comm., 169.

[52] R. Stauffer, « L’homilétique de Calvin », Interprètes de la Bible. Etudes sur les réformateurs du XVIe siècle, Paris, Beauchesne, 1980, 173.

[53] Comm., 74. Cette dernière citation apporte un démenti à la critique finale de Richard Simon, qui reproche à Calvin d’avoir « toujours » laissé l’homme « dans ce même néant sans avoir égard à l’état de grâce ». Histoire critique, 436.

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