Actualité de Chalcédoine

Actualité de Chalcédoine[1]

Pierre COURTHIAL

Du 8 octobre au 1er novembre 451 se tint à Chalcédoine, en Asie Mineure, en face de Constantinople, un concile œcuménique qui, sur le fondement de l’Ecriture Sainte-Parole de Dieu, confessa la Foi orthodoxe en ces termes:

« Nous enseignons tous unanimement
Un seul et même Fils notre Seigneur Jésus-Christ, 
le même parfait quant à Sa divinité,
le même parfait aussi quant à Son humanité,
vrai Dieu et aussi vrai homme…
consubstantiel au Père par Sa divinité,
consubstantiel à nous par Son humanité,
en tout semblable à nous, le péché excepté ;
engendré du Père, avant tous les siècles, quant à Sa divinité ;
quant à Son humanité né pour nous, dans les derniers temps, de la vierge Marie, mère de Dieu ;
nous confessons un seul et même Christ Jésus Fils unique
que nous connaissons être en deux natures
sans qu’il y ait entre elles
ni confusion, ni transformation, ni division, ni séparation,
car la différence des deux natures
n’est nullement supprimée par leur union ;
tout au contraire les propriétés de chacune sont sauvegardées
et subsistent en une seule personne et une seule hypostase… »

C’est en suite et au terme d’un long combat spirituel, d’une attentive méditation de la Parole de Dieu, et pour proclamer la gloire mystérieuse, évidente pour la foi, de l’unique Seigneur et Sauveur, que nos « pères » du Concile de Chalcédoine ont énoncé ce Credo orthodoxe qu’ont ratifié nos « pères » des confessions de foi de la Réformation sans aucune hésitation ; voici, par exemple, ce que déclare la confession réformée en France de 1559 :

« Nous croyons que Jésus-Christ, étant la Sagesse de Dieu et Son Fils éternel, a revêtu notre chair afin d’être Dieu et homme en une même personne, et un homme semblable à nous, capable de souffrir dans Son corps et dans Son âme, ne différant de nous qu’en ce qu’il a été pur de toute souillure.

Quant à Son humanité, nous croyons que le Christ a été l’authentique postérité d’Abraham et de David quoiqu’il ait été conçu par l’efficace secrète du Saint-Esprit. Ce faisant, nous rejetons toutes les hérésies qui, dans les temps anciens, ont troublé les Eglises.

Nous croyons qu’en une même personne, à savoir Jésus-Christ, les deux natures sont vraiment et inséparablement conjointes et unies, chacune d’elles conservant néanmoins ses caractères spécifiques, si bien que, dans cette union des deux natures, la nature divine, conservant sa qualité propre, est restée incréée, infinie et remplissant toutes choses, de même que la nature humaine est restée finie, ayant sa forme, ses limites et ses propres caractères.

En outre, quoique Jésus-Christ, en ressuscitant, ait donné l’immortalité à Son corps, nous croyons toutefois qu’Il ne l’a pas dépouillé de la réalité propre à Sa nature humaine. »

Nous considérons donc le Christ en Sa divinité de telle sorte que nous ne Le dépouillons point de Son humanité.

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Si nos pères de la Réformation ont pleinement repris les affirmations de nos pères de Chalcédoine, c’est qu’au XVIe siècle comme au Ve siècle il s’est agi, fondamentalement, du même combat spirituel. Certes, entre temps, les circonstances et le mode des questions avaient changé ; mais, sous d’autres formes, c’est le même conflit qui se poursuivait entre deux religions: la religion humaniste avec son affirmation insensée et mortelle du salut de l’homme par l’Homme et la religion chrétienne avec son affirmation, fidèle à la révélation biblique, du salut de l’homme par Dieu.

A Chalcédoine, l’Eglise a confessé que son Sauveur n’est autre que Dieu lui-même. Conformément aux Ecritures, elle a confessé, sans admettre la moindre atténuation (toute atténuation reviendrait sur ce point à une négation !) l’identité du Sauveur Jésus-Christ comme véritablement Dieu.

Les termes grecs employés : homoousios (consubstantiel), physeis (nature), prosôpon (personne), asynchutôs (sans confusion), atreptôs (sans transformation), adiairetôs (sans division), achôristôs (sans séparation), loin d’être, comme d’aucuns l’ont prétendu ou le prétendent, une preuve de la pénétration d’une métaphysique grecque dans la pensée chrétienne, pétrifiant et mutilant celle-ci par des définitions froides et négatives, cernent, avec la meilleure (jusqu’à présent !) précision possible, le mystère de l’incarnation de Dieu (pour nous et pour notre salut !) révélé par la Sainte Ecriture. L’orgueil de la raison prétendument autonome ne se scandalise de la confession et des termes précis de Chalcédoine que parce qu’ils obligent au choix à faire entre le Dieu-Sauveur de l’Ecriture et les mythes ou utopies pseudo-salvateurs qu’imaginent les hommes dans leur refus du vrai Dieu.

Le fait est que chaque fois (jusqu’à présent) que des chrétiens ont prétendu corriger ou améliorer Chalcédoine, aller au-delà de Chalcédoine, ils sont revenus en deçà de Chalcédoine et retombés dans les mêmes vieilles erreurs (baptisées parfois « nouveautés »), antérieures à Chalcédoine.

Certes, la révélation biblique a et aura toujours plus de contenu de sens que les confessions de la Foi orthodoxe de l’Eglise. Mais le progrès dans la confession de foi de l’Eglise ne pourra être poursuivi que dans la direction orientée selon la Parole de Dieu, précisée par Chalcédoine.

Lors de la réformation, dans une nouvelle bataille du conflit permanent entre la religion chrétienne et la religion humaniste, l’Eglise a confessé, une nouvelle fois, que l’homme ne pouvait être sauvé que par Dieu, c’est-à-dire que par grâce. Pas de salut possible par les œuvres. Mais aussi, bien sûr ! et précisément parce que la grâce souveraine de Dieu agit réellement en tous ceux qu’elle conjoint à Jésus-Christ par le moyen de la foi et leur donne d’agir avec gratitude dans une liberté retrouvée, pas de salut possible sans les œuvres, sans le fruit de l’Esprit Saint.

Aujourd’hui, en ce dernier quart du XXe siècle, c’est encore une nouvelle et plus terrible bataille du même conflit permanent entre l’humanisme et la foi chrétienne qui s’est engagée.

L’actualité de Chalcédoine et de la Réformation redevient évidente.

Mais d’abord – et c’est ce que cet article veut souligner – l’actualité de Chalcédoine.

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Toutes les formes diverses de l’humanisme (je désigne par ce terme la religion de l’Homme, avec son idée de salut de l’homme par l’Homme) sont disposées, dans leur refus, leur rejet, leur négation du Dieu Créateur et Sauveur dont parle l’Ecriture Sainte et qui parle avec l’Ecriture Sainte qu’Il a inspirée, à absolutiser n’importe quel relatif, à diviniser n’importe quoi ou n’importe qui. Notre époque n’est pas irréligieuse ; elle est, au contraire, pour toute religion, pour toute relation avec tout prétendu absolu, le seul « irrecevable » pour elle étant la religion chrétienne, la relation au seul vrai Absolu. Notre époque a tous les cultes possibles et imaginables, des plus terre à terre aux plus idéologiques et sophistiqués, sauf le culte du vrai Dieu.

Rien n’est plus à la page que les paroles de S. Paul :

« La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent la vérité captive dans l’injustice, car ce qu’on peut connaître de Dieu est clair pour eux: Dieu le leur a clairement montré.

« En effet les (attributs) invisibles de Dieu, Sa puissance éternelle et Sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans Ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne L’ont pas glorifié comme Dieu et ne Lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs raisonnements et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres.

« Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous; et ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par des images… remplacé la vérité de Dieu par le mensonge et adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. » (Rm 1.18-25)

Chalcédoine renverse les idoles que l’humanisme ne cesse d’ériger et de substituer au Dieu de la révélation. Chalcédoine rejette au néant, dont elles ne devraient jamais sortir, les prétendues divinités auxquelles les hommes, que l’humanisme rend fous, sont prêts à rendre un culte et à confier leurs destins. Chalcédoine, contre toute métaphysique païenne, s’inscrit ainsi dans la vraie tradition des vrais prophètes de l’Ancien Testament et des vrais apôtres du Nouveau Testament.

Le Sauveur Jésus-Christ, ce vrai homme, né d’une femme, né sous la Loi, qui a été tenté, qui a souffert, qui est mort, qui est ressuscité, qui est monté au ciel et qui reviendra, est, en vérité, Dieu, vraiment Dieu, éternellement consubstantiel au Père et à l’Esprit Saint.

Notre Sauveur est Dieu, Dieu seul sauve. C’est le sens même du nom de JÉSUS.

Dans la lumière actuelle de Chalcédoine qui reflète vraiment, quoique partiellement, la lumière actuelle de la Parole de Dieu, nous savons alors, comme il faut bien aujourd’hui le savoir, le dire et le démontrer en tous domaines de l’existence, que l’homme ne peut être sauvé que par Celui qui, étant Dieu – et parce qu’Il est Dieu –, s’est fait homme par amour et par grâce afin de mourir à notre place sous la plus juste malédiction et de ressusciter victorieusement pour que nous ressuscitions en Lui à une vie nouvelle. Il s’ensuit que l’Homme ne peut pas sauver l’homme et que c’est le mensonge de l’humanisme de le dire et de le croire. Ni l’Etat, ni la Science, ni l’Evolution, ni l’Eglise, ni la Révolution, ni l’ONU, rien au monde ne peut sauver l’homme. Loin d’être le salut de l’homme, l’humanisme est la mort de l’homme. Eternellement. Et déjà, temporellement.

Les quatre termes, faussement qualifiés de « négatifs », de Chalcédoine : « sans confusion », « sans transformation », « sans division », « sans séparation », soulignent à la fois la distinction qualitative et l’union qualitative qu’il y a, et qui demeurent, entre la divinité de Dieu et l’humanité de l’homme en l’unique personne de Jésus-Christ.

Alors que pour la pensée humaniste, quels qu’en soient les formes et les avatars, ou bien tout est indifférencié, ou bien toutes les différences ne sont que de degrés, Chalcédoine exprime avec force et netteté la Foi orthodoxe de l’Eglise quand celle-ci est soumise à la Parole de Dieu. La métaphysique grecque ne se trouve aucunement dans Chalcédoine; au contraire, Chalcédoine la dénonce pour la rejeter, parce que Chalcédoine est selon la Bible.

Le salut par Dieu, le salut par grâce, tel est le contenu de sens de la Sainte Ecriture, tel est le contenu de sens de Chalcédoine.

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L’actualité de Chalcédoine n’est pas seulement « théologique ». Elle se répercute en tous domaines: culturel, philosophique, politique, etc. Et ce, pour la simple raison que le salut qu’apporte le Christ Jésus est aussi universel que le péché qui a tout recouvert, pénétré et corrompu.

Parce que l’union personnelle, hypostatique, de Dieu et de l’homme en Jésus-Christ est unique et une-fois-pour-toutes, aucun autre homme et aucune institution humaine (même l’Eglise en tant que corps mystique du Christ, même l’Etat, qui a été établi par Dieu) n’a le droit de prétendre à quelque divinisation. S’il y a le Dieu-homme: Jésus-Christ, il ne peut y avoir d’Eglise déifiée ni d’Etat déifié. Seul, cet homme: le Christ Jésus est vraiment Dieu; et, en Lui, en sa personne, si les deux natures, divine et humaine, sont unies, elles ne le sont que sans confusion et sans transformation. A combien plus forte raison, ces réalités, belles et nécessaires quand elles sont fidèles à leur vocation: l’Eglise, l’Etat, la science, le travail, ne peuvent être, n’ont pas droit à être divinisées.

Ce n’est pas dans l’institution ecclésiale seulement (laquelle, d’ailleurs, ne doit pas être confondue avec l’Eglise-corps mystique de Christ !) et dans la théologie, mais en tous les domaines de son existence, de sa pensée, que l’homme a besoin d’être sauvé, sauvé du Malin, sauvé du péché, sauvé d’une corruption de mort.

Certes rien n’est profane de droit, même si tout est pécheur de fait, car tout est appelé à être « christifié », c’est-à-dire à être justifié et sanctifié en Jésus-Christ; ce Sauveur ayant le droit seigneurial de dire, en droit, de tout: « C’est à Moi ! » Mais la « christification » d’une réalité humaine, en quelque domaine que ce soit, n’est jamais une déification. En notre époque où l’on parle, à tort et à travers, de « sécularisation », contre toute cette sécularisation, mais aussi, à l’inverse, contre toute possible et prétendue déification, Chalcédoine est, plus que jamais, d’une prodigieuse actualité: ni confusion, ni transformation, ni division, ni séparation entre ce qui est du Créateur et ce qui est de la créature !

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Durant les premiers siècles de notre ère, l’Eglise a eu devant elle un Etat impérial qui s’auto-divinisait. Le culte de César n’était pas alors un vain mot: il y eut assez de « martyrs » pour le contre-attester.

Durant le millenium médiéval, ce sont les Etats européens qui, à leur tour, eurent devant eux une Eglise qui s’auto-divinisait, prétendant d’ailleurs gouverner par son souverain pontife un Etat suzerain des autres.

Aujourd’hui, un nombre croissant d’Etats (qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche, peu importe !) entendent s’occuper de « tout », c’est-à-dire deviennent de plus en plus totalitaires, avec l’acquiescement complice, et parfois même sous la poussée, d’un grand nombre de citoyens. Dans cette perspective, l’Etat « engloberait » tous les domaines de l’existence humaine qui ne tiendraient leurs quelques droits que de lui seul.

Face à ces prétentions « religieuses » d’un humanisme politique, ensuite ecclésial, puis, de nouveau, politique, Chalcédoine dresse et confesse Celui qui seul est Seigneur et a, de droit, tout pouvoir dans le ciel et sur la terre parce que cet homme, vraiment homme, est, et Lui seul, Dieu vraiment Dieu.

Le fondement de toutes les libertés et libérations vraies et légitimes, de quelque ordre qu’elles soient, est en Celui dont témoigne, fidèle à l’Ecriture Sainte, Chalcédoine. Devant Lui s’effondrent toutes les prétentions des hommes et des institutions humaines à une autorité autonome.

Quand des Eglises, pour leur jugement et pour leur malheur, rejettent Chalcédoine, elles rejettent du même coup la souveraineté du Dieu trinitaire, et de Sa parole, sur l’histoire du monde et l’existence des hommes et, par suite, deviennent complices des humanistes qui veulent (et croient), eux, « faire l’histoire » souverainement en confisquant les libertés des hommes et en manipulant ceux-ci.

Tandis que la mystérieuse souveraineté du Dieu trois fois saint établit la liberté et les libertés des hommes et que celles-ci ne tiennent leur réalité et leur sens que de Lui, selon Son dessein éternel et immuable, la prétendue souveraineté autonome et arbitraire des hommes ne tend (même au nom de la « Liberté ») qu’à supprimer les libertés.

Les « chrétiens » qui rejettent Chalcédoine en viennent forcément à n’avoir plus qu’un faux-Christ qui n’a plus de Christ que le mot, qu’un « Christ » immergé dans l’histoire temporelle et confondu avec elle, qu’un « Christ » qui n’est plus le vrai Dieu qui S’est fait homme, vraiment homme, par amour et par grâce, mais l’Homme – symbole d’une humanité imaginée – qui se fait dieu par orgueil. Au vrai Jésus-Christ, au Jésus historique de la Bible, est alors substitué tel pseudo-Christ de la religion humaniste; et la prétendue «  démythologisation » du Christ Jésus de la Sainte Ecriture n’aboutit en fait qu’à remplacer Celui-ci par tel Jésus « mythique », à la mode de telle ou telle forme d’humanisme, selon les Idées et les Pouvoirs de telle ou telle époque.

En la personne une du Christ – vraiment Dieu et vraiment homme – la nature divine créatrice et législatrice ne se confond pas avec la nature humaine créée et obéissante. La Loi parfaite de Dieu nous est ainsi révélée tant dans la souveraineté de Celui qui ordonne que dans l’obéissance de Celui qui se range à la volonté qu’il reconnaît au-dessus de la sienne. L’union des deux natures est ainsi totale sans qu’il y ait ni transformation, ni confusion.

Nos existences d’hommes libres et responsables (mais non pas « autonomes » !) n’ont de réalité et de sens que parce qu’elles ne dépendent, pour le jugement et pour la grâce, pour la grâce et pour le jugement, que de Dieu seul, et que ni le hasard, ni la nécessité, ni l’Etat, ni l’Eglise, ni rien d’autre ne peut nous dépouiller de notre dignité de créatures-images de Dieu, souillées par le péché mais appelées au salut qui est en Jésus-Christ.

L’Eglise contemporaine se trouve acculée à un choix: entre les divers saluts utopiques qu’une nouvelle fois nous propose l’humanisme et le salut que nous présente et que donne aux siens, la Parole de Dieu, le Christ confessé par Chalcédoine.


[1] Revue Ichthus, N° 116 (1983), 27-32.

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