Une théologie authentique pour la croissance de l’église

UNE THÉOLOGIE AUTHENTIQUE

POUR LA CROISSANCE DE L’ÉGLISE

D’une théologie philosophique à une théologie pour la connaissance de la foi

 

 

Jae Jin KIM*

 

 

Introduction

 

Le mot «théologie», employé pour la première fois par Platon, se compose des mots grecs theos, Dieu, et logos, discours. En général, la théologie se définit comme  la science de Dieu. Mais une telle définition littérale, qui ne répète que la signification des mots, ne nous semble pas suffisante. Selon Martin Buber, le mot «Dieu» comporte déjà plusieurs sens. Gerald O’Collins rappelle que Karl Rahner définit ainsi la théologie: la théologie est une explication consciente et méthodologique de la révélation divine admise et comprise dans la foi. D’après la définition de Rahner, la théologie peut être entendue comme impliquant l’acte d’accepter dans la foi ce que Dieu a dit à l’homme, et de répondre à ces paroles divines par son langage et sa vie. Peter Eicher donne la définition suivante: «Comme Dieu a parlé à l’homme au cours de l’histoire, la théologie est l’acte de saisir ce logos qui lui parle à travers l’histoire.» En faisant la synthèse de ces définitions, la théologie a pour tâche de comprendre la révélation de Dieu à l’aide de la raison humaine, de l’expliquer logiquement et de pratiquer, dans la vie historique, ce que l’on a compris.

 

Par conséquent, les éléments essentiels qui constituent la théologie sont la révélation de Dieu, la foi de l’homme et la réponse de celui-ci dans la vie réelle. La théologie met en évidence ces éléments, d’une façon logique et objective, pour que l’homme puisse les comprendre. Car, pour s’imposer comme une science, la théologie doit prétendre à une universalité qui peut être reconnue par la raison humaine. S’il lui manque un de ces trois éléments – par exemple, la logique et l’objectivité –, la théologie ne pourra pas être considérée comme une science. De plus, si la théologie se contente d’être une science métaphysique, elle ne sera qu’une chimère spéculative de l’homme, parce que le discours sur Dieu sans révélation divine n’est qu’un discours spéculatif. D’ailleurs, sans foi, on ne peut pas comprendre le Dieu transcendant. Une théologie qui n’est pas utile au peuple et à l’Eglise en période de persécution n’est qu’une discussion futile et un jeu de langage. Une théologie qui ne se concrétise pas en paroles et dans la vie n’a aucune consistance réelle. Nous pouvons considérer une théologie qui satisfait ces exigences comme une théologie authentique.

 

Nous allons d’abord examiner quels sont les éléments qui constituent la théologie, c’est-à-dire la révélation de Dieu, la foi et la confession en paroles et en actes; nous dirons pourquoi la théologie doit être une théologie pour l’Eglise. Comme Jésus-Christ est Dieu pour l’homme, autrefois, tunc, et maintenant, nunc, la théologie a toujours un devoir missionnaire. Pour cela, nous allons voir, successivement, comment la révélation divine est communiquée à l’homme à travers l’histoire; c’est le point de départ du discours théologique. Nous verrons, ensuite, où on peut trouver aujourd’hui la révélation de Dieu; puis, quel est le contenu de la révélation: concrètement quelle est la révélation et qui s’est révélé. Nous évoquerons, ensuite, quelles sont les conditions préalables pour comprendre la révélation de Dieu et son contenu. En conclusion, nous nous demanderons comment on peut faire une théologie authentique. L’objectif de cette étude est d’arriver à bien comprendre sur quelle théologie doit se fonder l’Eglise, ce qu’elle doit proclamer et pratiquer aujourd’hui.

 

I. La révélation de Dieu comme point de départ de la théologie

 

L’histoire d’Israël commence par l’apparition de Dieu à Abram, l’ancêtre d’Israël, et par sa parole qui lui commande de quitter son pays. (Gn 12.1: «Va-t’en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père.») Et celle du christianisme, par la résurrection de Jésus, c’est-à-dire par l’apparition de Jésus devant ses disciples pour témoigner de sa propre résurrection. Dieu dans l’Ancien Testament et Jésus-Christ dans le Nouveau se manifestent selon un même processus: se montrer aux hommes, s’adresser à eux, leur faire des promesses et les réaliser. Dans cette perspective, le Dieu du christianisme est en même temps le Dieu de la révélation et un Dieu personnel. Nous le discernons par les expériences qu’ont faites les ancêtres d’Israël. Un jour l’Eternel apparut à Abram et lui donna cet ordre:

 

«L’Eternel dit à Abram: ‹Va-t’en de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai; je rendrai ton nom grand. Deviens donc une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi.› Abram partit, comme l’Eternel le lui avait dit, et Loth partit avec lui. Abram était âgé de soixante-quinze ans, lorsqu’il sortit de Harân.» (Gn 12.1-4)

 

Selon ce témoignage, c’est Dieu qui ordonne à Abram: «Va-t’en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai.» (12.1b) Mais l’ordre de Dieu est prononcé avec une promesse de bénédiction: «Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai; je rendrai ton nom grand. Deviens donc une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai celui qui te maudira. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi.» (12.2-3) Croyant la promesse de Dieu, Abram quitte sa patrie et son père (12.4). On voit que, entre l’ordre de Dieu et l’obéissance d’Abram, il y a un dialogue appuyé sur la foi. Dieu s’est présenté à Abram comme un être qui bénit; Abram l’a cru et lui a obéi.

 

Le Dieu qui est apparu à Abram, l’ancêtre d’Israël, pour lui ordonner de partir, apparaît de nouveau à Moïse sur la montagne, à Horeb; il l’appelle et lui parle. Moïse, qui faisait paître le troupeau à Madian, arrive un jour à Horeb, à l’ouest du désert (Ex.3.1). Il voit que le buisson est en feu mais qu’il ne se consume pas (3.3). Il s’approche du buisson et, tout à coup, il entend la voix de Dieu dans le buisson en feu:

 

«L’Eternel vit qu’il faisait un détour pour voir; et Dieu l’appela de l’intérieur du buisson, et dit: Moïse! Moïse!› Et il répondit: Me voici! Dieu dit: N’approche pas d’ici, ôte tes sandales de tes pieds, car l’endroit sur lequel tu te tiens est une terre sainte.» (Ex 3.4-5)

 

Voici la parole de Dieu que Moïse a entendue:

 

«L’Eternel dit: J’ai bien vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu son cri à cause de ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays découlant de lait et de miel, dans la région où habitent les Cananéens, les Hittites, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens et les Yébousiens.» (Ex 3.7-8)

 

Le Dieu qui a appelé Moïse lui répond très concrètement quand ce dernier lui demande: «Quel est ton nom?» Dieu lui dit: «Je suis celui qui suis.» (3.14a) Dieu dit encore à Moïse: «Tu parleras ainsi aux Israélites: L’Eternel, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’a envoyé vers vous. Voilà mon nom pour l’éternité, voilà comment je veux être invoqué de génération en génération.» (3.15) D’après les expériences de Moïse, nous pouvons savoir que Dieu apparaît lui-même à Moïse, l’appelle et lui donne des commandements. De plus, il lui explique son nom et sa relation avec les ancêtres de Moïse.

 

L’initiative que Dieu prend de se révéler, qui se manifeste dans les expériences divines faites par Abram et Moïse, se retrouve aussi dans la manière de choisir les prophètes. Suivant les transmissions orales des prophéties dans l’Ancien Testament, l’Eternel appelle un homme élu et lui confie la charge de transmettre son message. Nous nommons ces élus «prophètes». Les prophètes d’Israël communiquent aux Israélites les messages qu’ils ont directement reçus de Dieu. Par exemple, un jour, Samuel entend la voix de Dieu qui l’appelle et il court chez son maître Eli. Samuel devient le porte-parole des messages de Dieu. On peut trouver des cas semblables dans les Ecritures:

 

«Alors l’Eternel appela Samuel. Il répondit: Me voici!… L’Eternel appela de nouveau Samuel… L’Eternel appela de nouveau Samuel… L’Eternel vint et se présenta. Il appela comme chaque fois: Samuel, Samuel! Et Samuel répondit: Parle, car ton serviteur écoute. Alors l’Eternel dit à Samuel: Voici que moi je vais faire en Israël une chose qui fera que les deux oreilles de quiconque l’entendra en tinteront.» (1S 3.4, 6, 8, 10-11)

 

Dans ces histoires, c’est toujours Dieu qui apparaît directement de sa propre initiative. Il entre en contact avec Samuel, il l’appelle et lui ordonne de transmettre ses messages. Obéissant à sa consigne, Samuel devient le serviteur de Dieu.

 

Dans les expériences divines chez les ancêtres d’Israël et dans les histoires de l’appel des prophètes, il est clair que les Israélites connaissent l’existence de Dieu par les révélations directes qu’ils ont expérimentées. Ils connaissent ainsi qui est Dieu et quel est son pouvoir. C’est toujours Dieu qui prend l’initiative d’appeler Abram, Moïse et Samuel; c’est Dieu qui leur a parlé: «L’Eternel dit à Abram…» (Gn 12.1b). Apparaître à un homme, l’appeler et lui parler, telle est la révélation de Dieu. Ce n’est pas Abram qui a cherché Dieu, mais c’est Dieu qui s’est présenté à Abram. En bénissant Abram, Dieu se manifeste comme celui qui bénit. Le Dieu qui se révèle le premier, tel est l’objet de la théologie chrétienne. Ainsi, son sujet essentiel n’est jamais l’homme, mais bien Dieu lui-même. La théologie chrétienne n’est pas un discours flou; elle doit être une compréhension humaine et une interprétation de la révélation de Dieu.

 

Le Dieu de l’Ancien Testament, qui se montre à l’homme, l’appelle et lui donne des ordres réapparaît, de la même manière, dans le Nouveau Testament. Jésus ressuscité appelle le jeune Saul qui va à Damas et lui commande de partir en mission à l’étranger. Sur la route vers Damas, où il se rend afin d’arrêter ceux qui croient la résurrection de Jésus, Saul entend la voix de Jésus ressuscité:

 

«Comme il était en chemin et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel  resplendit autour de lui. Il tomba par terre et entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il répondit: Qui es-tu, Seigneur? Et le Seigneur dit: Moi, je suis Jésus que tu persécutes, il te serait dur de regimber contre les aiguillons. Tout tremblant et stupéfait, il dit: Seigneur, que veux-tu que je fasse? Alors le Seigneur lui dit: Lève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire. Les hommes qui voyageaient avec lui s’étaient arrêtés, muets de stupeur; ils entendaient bien la voix, mais ne voyaient personne. Saul se releva de terre et, malgré ses yeux ouverts, il ne voyait rien; on le prit par la main pour le conduire à Damas. Il fut trois jours sans voir, et ne mangea ni ne but.» (Ac 9:3-9)

 

Dans tous ces événements, il est indéniable que Dieu s’est présenté le premier à Abram, ancêtre d’Israël, à Moïse, leader du peuple, et au prophète Samuel. Comme il les a mobilisés et leur a donné des ordres, Jésus ressuscit�� s’est révélé à Saul, l’a appelé et lui a ordonné d’être le témoin de sa résurrection.

 

D’après la description de la scène de la révélation du Saint-Esprit, lors de la Pentecôte, dans les Actes des Apôtres, la priorité d’initiative du Saint-Esprit correspond à celle de la révélation chez Dieu et chez Jésus:

 

«Lorsque le jour de la Pentecôte arriva, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un souffle violent qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres leur apparurent; elles se posèrent sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.» (Ac 2.1-4)

 

Suivant ce rapport, quoique l’on n’ait rien fait, tout à coup le Saint-Esprit s’est posé «le premier» sur chacun de ceux qui étaient là. Puis, ils se sont mis à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer (Ac 2.4b). Le Saint-Esprit, lui aussi, se pose sur l’homme avec la priorité d’initiative. Comme les prophètes élus, ceux qui sont visités par le Saint-Esprit deviennent les témoins de Christ, parce que c’est l’ordre de Jésus-Christ et sa promesse. «Mais vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre.» (1.8)

 

Le Dieu du christianisme est donc un Dieu qui se révèle le premier. En tant que discours sur Dieu, la théologie qui ne se fonde pas sur la révélation directe de Dieu, bref, sur la parole de Dieu, ne sera rien d’autre qu’un discours religieux spéculatif de l’homme, n’ayant ni objet de témoignage ni contenu. Car le Dieu qui n’est pas expérimenté, en réalité, dans l’histoire n’est qu’une idéologie religieuse ou un idéal. Si la théologie se réfère à un Dieu conceptuel, qui n’existe que dans la mentalité humaine, elle est déjà morte. Insistons encore une fois sur le fait que Dieu se présente avec des paroles. Ainsi, le sujet de la théologie n’est jamais l’homme, mais Dieu lui-même qui se manifeste avec des paroles. De nos jours, où pouvons-nous entendre les messages de Dieu?

 

II. La théologie biblique en tant que message révélé par Dieu

 

Les messages révélés revêtent deux formes. L’une est «la parole» qu’on peut entendre sortant de la bouche de Dieu (Gn 12.4; Ex 1.17, 12.31s, 23.22), l’autre est «un événement historique» réalisé par Dieu. Or, la parole en hébreu (dabar) signifie également l’«histoire d’un événement». Ces «messages révélés» revêtent ainsi les deux formes inscrites dans la Bible. Il y a là non seulement ces deux formes, mais encore «les interprétations» de l’auteur. Nous allons voir pourquoi ces messages de Dieu en «paroles» et en «événements» et leurs interprétations, qui sont contenus dans la Bible, sont considérés comme étant les paroles de Dieu.

 

A) Le message de Dieu révélé en «paroles» et en «événements»

 

Puisque la Bible transmet les paroles de Yahvé, il va de soi qu’elle est le corpus des messages révélés par Dieu. L’Ancien Testament témoigne de la manière par laquelle Dieu s’adresse directement à l’homme. Voici quelques exemples:

 

«L’Eternel dit à Abram: Va-t’en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai.» (Gn 12.1)

«L’Eternel vit qu’il faisait un détour pour voir; et Dieu appela de l’intérieur du buisson et dit: Moïse! Moïse! Il répondit: Me voici!» (Ex. 3:4)

«Maintenant le cri des Israélites est venu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Egyptiens. Maintenant, va, je t’envoie vers le Pharaon; fais sortir d’Egypte mon peuple, les Israélites.» (3.9-10)

 

L’Ancien Testament montre ainsi le travail de Dieu qui, le premier, appelle l’homme, lui parle et réalise ses propres paroles dans l’histoire.

 

D’ailleurs, une forme de prophétie, comme «Ainsi parle l’Eternel» que l’on trouve dans les livres des prophètes, atteste que leur témoignage est précisément la parole de Dieu. Les prophètes transmettent concrètement les paroles au nom de Dieu, puis ils ajoutent «Dieu a parlé ainsi». De telles formules, que l’on trouve dans les livres des prophètes, indiquent que leurs messages sont bel et bien la parole de Dieu. De plus, la Bible montre que Dieu a directement donné à Moïse les Dix Commandements. «Alors Dieu prononça toutes ces paroles en disant: Je suis l’Eternel, ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude.» (Ex 20.1-2) Considérant que l’Ancien Testament enregistre les messages de Dieu, la Bible peut être considérée comme étant la parole divine.

 

En quel sens le Nouveau Testament enregistre-t-il les messages de Dieu? L’évangile de Jean témoigne que «la parole a été faite chair» (Jn 1.14). Cette parole est celle du commencement: «Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.» Si «la parole de la création» qui était au commencement est incarnée en Jésus historique venant dans le monde, le Nouveau Testament, qui se fait le témoin de ce Jésus de Nazareth comme Christ, n’est autre que la parole de Dieu. En vérité, le Nouveau Testament rapporte, dans sa grande partie, les paroles personnelles de Jésus, prononcées de son vivant ou par ses messagers. Ses paroles présentées sous les formules de «Jésus dit» ou «Jésus répond» ne se séparent jamais de celles de la création, prononcées au commencement. Autrement dit, «les paroles incarnées», bref les paroles sur Jésus-Christ, sont celles de l’Eternel dont  témoigne l’Ancien Testament. Dès lors, la théologie orthodoxe de la Réforme confesse que la Bible est la parole de Dieu. Alors, comment les interprétations des apôtres et des auteurs de la Bible pourront-elles être reconnues comme les paroles révélées de Dieu?

 

B) La parole de Dieu en tant qu’explication des événements

 

L’apôtre Pierre prêche l’avènement du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, en citant la prédiction de Joël:

 

«Alors Pierre, debout avec les onze, éleva la voix et s’exprima en ces termes: Vous Juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, sachez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles! Ces gens ne sont pas ivres comme vous le supposez, car c’est la troisième heure du jour. Mais c’est ce qui a été dit par le prophète Joël: Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions. Et vos vieillards auront des songes… Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.» (Ac 2.14-17, 21)

 

Pierre continue à prêcher l’avènement du Saint-Esprit en rapport avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ:

 

«Israélites, écoutez ces paroles! Jésus de Nazareth, cet homme approuvé de Dieu devant vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes; cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l’avez fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies. Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il soit retenu par elle.» (Ac. 2:22-24)

«Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité; nous en sommes tous témoins. Elevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui avait été promis, et il l’a répandu, comme vous le voyez et l’entendez.» (Ac 2.32-33)

 

La raison essentielle pour laquelle le sermon de Pierre peut être considéré comme parole révélée de Dieu est à chercher dans son point de départ, qui s’appuie sur la révélation directe de Dieu par le Saint-Esprit. Car l’événement de la Pentecôte est un accomplissement de la parole de Dieu annoncée par Joël, prophète de l’Ancien Testament. Et le sermon de Pierre sur l’événement de la Pentecôte est aussi une interprétation par le Saint-Esprit. Rappelons que Jésus a déjà dit à ses disciples: «Mais le Consolateur, le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que moi je vous ai dit.» (Jn 14.26) L’apôtre Paul, qui a écrit tant d’épîtres dans le Nouveau Testament, est aussi «un serviteur du Christ» choisi et envoyé pour enseigner Jésus ressuscité à l’étranger. L’interprétation de Paul sur la parole révélée de Dieu et sur son événement prend la valeur de «la parole de Dieu», car l’apôtre a répandu l’Evangile seulement «par une révélation de Jésus-Christ» (Ga 1.12).

 

De nos jours, nous pouvons connaître les paroles de Dieu uniquement par la Bible écrite dans les deux formes de «langue orale parlée» et de «langue événementielle». S’il est possible de connaître des messages en dehors de la Bible, ces messages ne sont pas ceux du Dieu chrétien. Il faut que les paroles chrétiennes soient fondées sur l’unité de la Trinité: la parole de Dieu le Père doit être celle du Fils Jésus-Christ, et celle du Fils Jésus-Christ doit être celle du Saint-Esprit (cf. Jn 14.24, 26). C’est pourquoi la théologie chrétienne doit être une théologie de la Bible, paroles révélées par Dieu; bref, elle doit être une théologie biblique. Une théologie qui ne s’accorde pas aux témoignages de la Bible n’est pas une théologie chrétienne. Dans cette condition, à qui ou à quoi la Bible rend-elle témoignage?

 

III. Une théologie centrée sur le Christ

 

Le Nouveau Testament et l’Ancien Testament sont les enregistrements de témoignages sur Jésus et le royaume de Dieu proclamé par lui. Nous découvrons, dans la Bible, Jésus de Nazareth comme un être humain et nous y lisons le récit de sa vie. L’évangile l’atteste: «Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu.» (Mc 1.1) L’évangile selon Jean exprime plus concrètement que le but pour lequel la Bible a été écrite est de manifester la vie et la grâce de Jésus: «Mais ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.» (Jn 20.31) A ce point, on ne peut pas nier que le Nouveau Testament soit le témoignage de la divinité de Jésus-Christ, de ses œuvres et de sa grâce pour l’homme.

 

Jésus-Christ lui-même proclame que l’Ancien Testament est aussi le témoignage de sa personne: «Vous sondez les Ecritures [= l’Ancien Testament], parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi.» (Jn 5.39) En fait, Jésus ressuscité explique aux disciples qui vont à Emmaüs combien l’Ancien Testament se rapporte à lui:

 

«Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.» (Lc 24.27)

«Et ils se dirent l’un à l’autre: Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures?» (Lc 24.32)

 

Dans cette perspective, Hans-Jürgen Herrmisson estime que Jésus-Christ est le centre externe de l’Ancien Testament. A son tour, Gerhard dit également que Jésus-Christ est à la fois «le centre des Ecritures» et «son but final».

 

Ayant tout considéré, nous ne pouvons rencontrer Jésus-Christ, le Fils de Dieu, que par les Ecritures. Et c’est uniquement par Jésus-Christ que nous aurons la vie éternelle. En dehors de la Bible, nous ne pourrons acquérir aucune connaissance de Dieu. Hors de Jésus-Christ que la Bible présente, il nous est impossible d’avoir la vraie vie, par quelque moyen que ce soit. Insistons encore: nulle part en dehors de la Bible nous ne pouvons connaître Dieu incarné en Jésus de Nazareth, et personne ne peut avoir une vraie vie sans l’intervention de Jésus-Christ. A ce point de vue, une juste connaissance de la Bible n’est nullement différente de la connaissance du Christ. Ce que manifeste la Bible est justement «le royaume de Dieu» qui est donné à l’homme par la vie et par les messages de Jésus-Christ. Comme ce Jésus-Christ dont témoignent les Ecritures est bel et bien le Dieu des chrétiens, les paroles et la vie de Jésus constituent le contenu de la foi chrétienne.

 

C’est pour cela qu’il ne faut jamais que la théologie chrétienne soit quelque chose d’autre qu’une théologie qui témoigne de la vie et de la mort ainsi que de la résurrection de Jésus-Christ. La théologie chrétienne doit exposer pourquoi Jésus-Christ est mort sur la croix et ressuscité après trois jours, quel est le rapport entre sa mort et sa résurrection et notre vie, enfin ce qu’elles pourront nous apporter. Notons que le Dieu chrétien, attesté par la Bible, est le Dieu de la Trinité. Le Nouveau Testament et l’Ancien Testament manifestent en même temps Dieu le Père qui se révèle par Jésus-Christ, Jésus-Christ mort sur la croix pour nous et ressuscité après trois jours et, enfin, le Saint-Esprit qui nous fait comprendre le sens de la vie de Jésus. Si Dieu, objet de la théologie chrétienne, n’est pas le Dieu trinitaire, ce Dieu n’est pas celui qu’atteste la Bible, paroles révélées de Dieu, parce que «le Dieu chrétien et Jésus sont un». Et Jésus-Christ est la parole de création au commencement, qui envoie le Saint-Esprit pour en témoigner. Une théologie qui ne vise pas à témoigner de Jésus-Christ est non pas une théologie chrétienne, mais une philosophie religieuse ou une théologie de la religion. Pour ces deux dernières, Jésus-Christ n’est pas le seul objet de leur témoignage.

 

IV. Une théologie réformatrice pour la croissance de l’Eglise

 

Selon l’Ancien Testament, le roi Josias, fils d’Ammon, roi de Juda du sud, est connu dans l’histoire d’Israël comme un réformateur qui a rétabli la foi en l’Eternel. Il régna sur Juda de 640 à 609 av. J.-C. (2R 22.1). Contrairement aux rois précédents Ammon et Manassé, il a expulsé catégoriquement l’idolâtrie des Baals. Il a fait disparaître de Jérusalem les hauts lieux des dieux étrangers, les poteaux d’Achéra et toutes les idoles (2Ch 34.3); il a étendu sa rénovation religieuse jusqu’en Juda du nord. Il a détruit l’autel de Béthel (1R 13.2; 2R 23.15). A Samarie, il a immolé les prêtres des hauts lieux et y a brûlé leurs ossements. La rénovation religieuse du roi Josias est bien décrite en 2Rois 23.1-25 et 2Chroniques 34.6-7.

 

Or, le motif fondamental de cette rénovation du roi Josias est la découverte du livre de la loi, autrement dit «les paroles de Dieu», dans la Maison de l’Eternel à Jérusalem. Par ce livre de la loi, découvert au cours de la réparation de la Maison de l’Eternel, il a compris les erreurs de la foi de Juda. Par «le livre de la loi», bref par «les paroles de Dieu», il a appris que la désobéissance à ces paroles a été cause de la souffrance de son peuple: «Allez consulter l’Eternel pour moi, pour le peuple et pour tout Juda, au sujet des paroles de ce livre qu’on a trouvé; car grande est la fureur de l’Eternel. Elle s’est enflammée contre nous, parce que nos pères n’ont point obéi aux paroles de ce livre pour agir selon tout ce qui est écrit sur nous.» (2R 22.13) Par la prophétesse Houlda, il apprend encore les paroles suivantes: «Puisqu’ils m’ont abandonné et qu’ils ont brûlé des parfums à d’autres dieux, afin de m’irriter par toute l’œuvre de leurs mains, ma fureur s’est enflammée contre ce lieu: elle ne s’éteindra pas.» (2R 22.17) A la suite de cette affaire, Josias exécute une ample rénovation religieuse. En somme, sa rénovation est un mouvement qui s’efforce de retourner aux paroles de Dieu qui se trouvent dans le livre de la loi.

 

Ce mouvement de la foi pour revenir à la parole de Dieu se reproduit après la captivité. Croyant que la cause de la ruine de Juda du sud et d’Israël du nord provient de la désobéissance aux paroles de Dieu, Esdras, le sacrificateur, rassemble tout le peuple sur la place devant la porte des Eaux et lit la parole de Dieu:

 

«Le sacrificateur Esdras apporta la loi devant l’assemblée, composée d’hommes et de femmes et de tous ceux qui comprenaient ce qu’ils entendaient. C’était le premier jour du septième mois. Il lut dans le livre depuis le matin jusqu’au milieu du jour, devant la place qui est en face de la porte des Eaux, en présence des hommes, des femmes et de ceux qui comprenaient. Tout le peuple était attentif à la lecture du livre de la loi.» (Né 8.2-3)

 

Et Néhémie écrit encore que les Lévites «lisaient distinctement dans le livre de la loi de Dieu, et ils en donnaient le sens pour faire comprendre ce qu’ils avaient lu» (Né 8.8). «Tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la loi.» (Né 8.9) Nous voyons là trois choses importantes. Primo, le peuple retourne à Dieu et a lu le livre de la loi; secundo, les Lévites ont expliqué les paroles de Dieu; tertio, le peuple s’est repenti en pleurs en entendant les paroles de Dieu.

 

Or, nous découvrons dans le sermon de Pierre lors de la Pentecôte que ce triple processus suscite la croissance de l’Eglise. Selon les Actes des Apôtres, Pierre adresse un discours aux Juifs sur l’événement de la Pentecôte: «Alors Pierre, debout avec les onze, éleva la voix et s’exprima en ces termes: Vous Juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, sachez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles!» (Ac 2.14) Après avoir entendu son homélie, ils demandent à Pierre: «Après avoir entendu cela, ils eurent le cœur vivement touché, et ils dirent à Pierre et aux autres apôtres: Frères, que ferons-nous?» (Ac 2.37) Voici la réponse de Pierre:

 

«Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon de vos péchés; et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. Et, par beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les exhortait, en disant: Sauvez-vous de cette génération perverse. Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés; et en ce jour-là, furent ajoutés environ trois mille âmes.» (Ac 2.38-41)

 

Ces passages des Actes montrent que la croissance de l’Eglise dépend de la proclamation «des paroles de Dieu» et de la bonne interprétation. En un mot, l’Eglise grandit quand elle s’appuie sur la théologie des paroles divines.

 

La Réforme de Martin Luther commence aussi par la redécouverte des paroles de Dieu. C’est pour cela que sa Réforme se fonde sur le Sola Scriptura. Luther est convaincu que, suivant 2 Thessaloniciens 2.13, la seule véritable parole de Dieu est capable d’agir sur ceux qui l’entendent. Ainsi, sans entendre «la véritable parole de Dieu», personne ne peut être un véritable chrétien. Signalons alors la déclaration de l’apôtre Paul: «Ainsi la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole du Christ.» (Rm 10.17) Sans entendre les témoignages du Christ, comment peut-on devenir le chrétien qui croit en Jésus-Christ? Sans entendre la parole de Dieu, comment peut-on trouver la foi en Dieu? K. Barth déclare, dans son article intitulé «Das Wort Gottes als Aufgabe der Theologie»: «Seul le Dieu qui se révèle est le Dieu du vrai christianisme. Il est le Dieu incarné en homme en Jésus-Christ.» Il insiste ainsi sur «le devoir des pasteurs de proclamer un tel Dieu».

 

Comme nous l’avons examiné, la «Réforme», ou le «mouvement rénovateur de la foi», est en somme un mouvement qui tâche de redécouvrir «la parole de Dieu» et de retourner à la Bible. Dans cette optique, la «Réforme», ou «le renouvellement de la foi», voire la «croissance de l’Eglise» ne se trouvent pas dans la «théologie philosophique» fondée sur la raison humaine, mais dans les actes qui conduisent à bien comprendre et à proclamer la parole de Dieu. Dieu est là où se proclame la parole de Dieu, et le philosophe est là où se manifeste une doctrine philosophique. Le lieu où la parole de Dieu n’est pas prêchée n’est pas une véritable Eglise. Le pasteur qui ne prêche pas la parole de Dieu n’est pas un serviteur de la parole de Dieu. En un mot, seule une théologie réformatrice fondée sur la parole de Dieu peut se considérer comme une théologie légitime, qui contribue à la croissance de l’Eglise. Ici se pose une question: quelles sont les conditions préalables pour établir une théologie réformatrice de la parole de Dieu?

 

V. Une théologie de la connaissance en quête de la foi

 

Justin Martyr, apologiste chrétien qui passe pour être un «philosophe vêtu en chrétien», prétend, dans sa propre biographie, Dialogue avec le Juif Trypho, que le but de la philosophie est de faire croître la sensation de bonheur dans le cœur humain, en lui procurant une connaissance authentique sur l’existence de Dieu. Il a fait une recherche sur la philosophie stoïcienne, la philosophie aristotélicienne et la philosophie pythagoricienne et, pour finir, il est devenu platonicien. Malgré tout cela, aucune philosophie n’arrive à le toucher. A ce moment-là, il rencontre un vieux monsieur. Ce dernier lui dit qu’avec l’aide du Saint-Esprit, les prophètes n’ont fait qu’enseigner ce qu’ils avaient vu et entendu. Et il lui conseille de s’intéresser à la Bible. Plus tard, Justin écrit ceci dans sa biographie: «A ce moment-là, mon âme s’est enflammée tout de suite, et j’ai aspiré à l’amour des prophètes et des compagnons du Christ. En réfléchissant sur leurs instructions, j’ai remarqué qu’il y avait là un soutien sûr et une vérité très utile.» Justin déclare que «seul le christianisme est la véritable philosophie». Il a compris que «seul le christianisme est apte à bien répondre à tous les problèmes philosophiques».

 

Ce christianisme de Justin est basé sur la révélation, et non sur la faculté intellectuelle de la raison. Il est convaincu que la vérité révélée du christianisme ne peut jamais être remplacée par la réflexion philosophique de la raison. Il dit alors: «A l’exception des prophètes, personne ne peut nous instruire sur Dieu et sur la vraie religion, car les prophètes n’enseignent que selon l’inspiration de Dieu.» Il se fait martyriser à cause de sa conviction théologique.

 

Comme dans le cas de ce Justin Martyr, nous trouvons également chez Blaise Pascal (1623-1662) le changement de la foi dû à un changement de théologie. Le 23 novembre 1654, il fit une expérience inoubliable, profonde et admirable, de Dieu. Toute sa vie, il a gardé dans son cœur cette intuition mystérieuse qu’il décrit comme «la Nuit de Feu». Appuyé sur l’expérience mystérieuse de ce jour-là, il affirme, dans son Mémorial, en citant le passage d’Exode 3.15, que «le Dieu chrétien n’est pas le Dieu des philosophes et des intellectuels, mais bien le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob». Tel est le point de départ que Pascal a pris pour démontrer que Dieu existe et qu’on peut le connaître. Contre René Descartes (1596-1650), considéré comme le père de la philosophie moderne, et sa proposition philosophique: «je pense, donc je suis» (Cogito, ergo sum), il revendique sa proposition cognitive: «je crois pour connaître» (Credo ut intelligam). Il prétend que l’on doit faire reposer la certitude existentielle de l’homme non sur la raison pure «cogito, je pense», mais sur la foi dans les témoignages de la Bible, c’est-à-dire «credo, je crois». Pour ces raisons, il accepte la proposition d’Augustin: «Je crois pour comprendre» (credo ut intelligam). Comme Justin Martyr, Pascal devient un fervent apologiste de l’Eglise chrétienne par la connaissance du Dieu de la Bible.

 

Le cas de Karl Barth (1868-1986), théologien de l’Eglise réformée du XXe siècle, est semblable à celui de Pascal. Au début, il s’adonne au «christianisme social» sous l’influence du «socialisme religieux» de W. Herrmann. A la suite de son expérience où il a vu Johan Christophe Blumhardt (1805-1880) chasser les mauvais esprits, il s’intéresse au message proclamé par Jésus sur «le royaume de Dieu». Il finit par découvrir, dans la Bible, ce «royaume de Dieu» et Jésus-Christ. En 1931, Barth publie La foi en quête de la connaissance, étude sur Monologion et Proslogion d’Anselme de Canterbury (1033/34-1109). Dans cet ouvrage, il interprète la méthodologie théologique d’Anselme pour «je crois pour connaître» (Credo ut intelligam). Par son interprétation du verset de 1 Corinthiens 2.9, Anselme affirme que «l’essentiel de la connaissance de Dieu est justement Dieu lui-même». D’un ton véhément, il déclare que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (Ex 3.6) dans l’Ancien Testament est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ dans le Nouveau Testament. Dans La dogmatique de l’Eglise, Barth prétend que la connaissance du vrai Dieu se fait par Dieu lui-même. A son avis, le Dieu caché s’étant révélé dans Jésus-Christ, nous ne pouvons le connaître que par Jésus. Il assure que la connaissance de Dieu équivaut à celle de la foi en Jésus-Christ. Adoptant la connaissance par la foi comme sa méthodologie théologique, Barth établit dans Fides quaerens intellectum, étude sur Anselme, la dogmatique de l’Eglise d’une façon cohérente, logique et systématique.

 

Par les exemples des trois apologètes chrétiens cités ci-dessus, nous apprenons que l’expérience de Dieu a changé leur théologie. La théologie de chacun s’est transformée grâce à leur expérience de foi. De ce point de vue, la question théologique s’accorde à celle de la foi, et la question de la foi s’accorde à celle de la théologie. Il en résulte que la bonne compréhension de Dieu précède la prédication. De plus, une théologie authentique est directement liée à la croissance efficace de l’Eglise, la communauté du peuple de Dieu. Un message basé sur une théologie philosophique peut faire des croyants philosophes, mais il ne peut pas faire des chrétiens qui croient en Jésus-Christ. Un message basé sur une théologie philosophique peut rendre les croyants sceptiques vis-à-vis de la vérité, mais il n’arrive pas à les pousser vers une foi solide en Jésus-Christ ressuscité des morts. C’est pourquoi, pour l’instauration d’une foi authentique, nous ne pouvons nous attendre qu’à une juste connaissance de Dieu le Père, du Seigneur Jésus-Christ et du Saint-Esprit; autrement dit, nous devons attendre une théologie fondée sur la révélation de Dieu. On ne peut espérer une véritable communauté chrétienne qu’avec une foi authentique. Car la raison humaine est incapable de comprendre le Dieu transcendant. Selon le mot de Luther, le fini ne peut pas embrasser l’infini. La théologie postmoderne du XXIe siècle, qui réclame un relativisme religieux, ne parvient pas à admettre la tradition de la théologie réformatrice de Luther. Par conséquent, la théologie pour la croissance de l’Eglise doit être une théologie de la foi en quête de connaissance. Parmi les devoirs de la théologie chrétienne, le témoignage du Christ précède la discussion critique de la vérité. Cela veut dire que la théologie est une science pour la foi, mais pas une science pour la connaissance. Rappelons ce que dit l’auteur de l’épître aux Hébreux: «Or, sans la foi, il est impossible de lui plaire; celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe, et qu’il récompense ceux qui le cherchent.» (Hé 11.6)

 

Conclusion. Une théologie du Christ pour les hommes d’aujourd’hui

 

La réalité de la théologie ne réside pas dans la répétition du témoignage des faits passés; elle doit plutôt témoigner du Christ pour les hommes d’autrefois comme du Christ pour ceux de nos jours. La théologie chrétienne est obligée de renouveler le témoignage sur Dieu, qui est présenté dans la Bible, pour en faire le Dieu pour l’humanité entière, et elle doit le proclamer au monde. La théologie chrétienne doit, partant de l’axiome: «Dieu a parlé», expliquer ce que signifie sa parole pour nous à présent. La théologie chrétienne n’est pas une théologie de la nature qui parle de sa force physique, d’après les études menées sur elle. Elle doit être une théologie de la révélation, voire une théologie de la parole de Dieu fondée sur sa révélation. N’oublions pas que Jésus est là non seulement pour les Israélites de l’époque, mais encore qu’il est le Christ pour nous aujourd’hui. Malgré la persistance de la nature humaine perverse, les temps et la situation ont changé. Alors, pour porter témoignage de la parole de Dieu annoncée par Jésus, la théologie réformatrice doit le mettre dans un nouveau cadre pour l’adapter à une nouvelle ère.

 

La théologie chrétienne doit donc toujours témoigner et prêcher la parole de Dieu, sous une nouvelle forme, à tous ceux qui sont persécutés et tourmentés, du passé comme du présent. L’amour de Dieu pour l’homme est toujours le même hier et aujourd’hui. Lorsque la théologie annonce le Dieu qui aime l’homme et veut le sauver (cf. Jn 3.16), ceux qui veulent et doivent être sauvés prêteront l’oreille à ce message. Souvenons-nous que, apprenant que Jésus guérit les malades, chasse les démons et nourrit ceux qui ont faim avec cinq morceaux de pain et deux poissons, un grand nombre de personnes se sont précipitées auprès de lui. Aujourd’hui aussi, si l’Eglise annonce une telle parole, le peuple tourmenté accourra vers elle. Quand la théologie est celle d’une communauté dans le besoin, elle est une «théologie authentique». Quand Pierre annonce le sens de la mort de Jésus-Christ, «ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés; et, en ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes» (Ac 2.41). Ainsi, lorsque la mort de Jésus-Christ sur la croix et sa résurrection sont prouvées et déclarées pour nous tous aujourd’hui, ceux qui sont en peine viendront à l’Eglise pour être sauvés.

 

 

 

 

* Jae Jin Kim est docteur en théologie de l’Université de Münster. Il est professeur et chercheur à l’Université Yonsei, professeur associé en théologie à l’Université Sungsil et pasteur collaborateur à l’Eglise presbytérienne de Séoul.

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