La vie

La vie

La vie dans l´Ancien Testament1

Lorsque l´Ancien Testament parle de la vie de l´homme, il reste sur le terrain matériel et concret de l´existence, sans chercher des réponses abstraites à des problèmes théoriques sur la destinée de l´homme ou la philosophie de sa vie. L´étude des mots utilisés permet de comprendre assez bien le sens de cette notion qui diffère quelque peu de celle qui s´exprime par notre vocabulaire habituel.

1. La vie contient, d´abord, une idée d´unité profonde de l´être vivant. Nos distinctions entre vie physique, vie intellectuelle ou vie spirituelle n´existent pas. L´homme est un tout, parfaitement un. Son corps et son esprit, sa respiration et son âme sont à ce point associés que l´une des parties peut désigner la totalité, sans aucune difficulté. C´est bien le cas pour l´un des mots le plus souvent employés pour parler de la vie, le mot hébreu néphèsch, dont le sens primitif provient du verbe respirer, souffler, et qui désigne le souffle vital manifesté, en tout être vivant, par sa respiration. Dieu donna la vie à l´homme en lui soufflant dans les narines un souffle de vie (Gn 2:7). Ainsi ce mot correspond-il à notre mot âme, dans son sens premier (de: anima, ce qui vit), et non pas dans le sens spirituel et mystique que nous lui donnons. Par exemple, cette âme, cette vie de l´homme, a son siège dans le sang (Lv 17:11; Dt 12:23) et de nombreux textes de l´Ancien Testament, où nos traductions mettent âme, devraient plutôt se traduire par vie (avoir l´âme vide ou desséchée, c´est avoir faim ou soif, Nb 11:6; Es 29:8). Le même mot arrive à désigner l´homme dans sa totalité, et pourrait se traduire aussi, dans bien des cas, par le pronom personnel: moi, je,… (Ps 3:3, « beaucoup disent de mon âme’ signifie « beaucoup disent de moi’; Ps 103:1, « mon âme, bénis l´Eternel’). On pourrait dire la même chose d´autres termes (la chair, le corps) qui représentent la totalité et l´unité de l´homme. La vie forme une unité qu´on ne peut diviser. Chaque partie du corps (chair, cœur, sang, etc.) a une fonction totale qui est à la fois physique et psychologique.

2. Une seconde notion contenue dans l´idée de la vie est celle du mouvement et de l´action. Le verbe vivre (haya) semble avoir, dans les langues sémitiques, comme origine, le sens d´une contraction musculaire par opposition à la mort dont la racine verbale signifie: s´étendre, se détendre. La vie est donc une tension de tout l´être, animé d´une puissance qui se manifeste par le mouvement. Ce n´est pas le fait passif de l´existence, mais la présence d´une force active qui meut l´homme et le pousse à se mouvoir. Cela nous est confirmé par l´emploi de l´adjectif vivant, appliqué à des choses non douées de vie, mais animées de mouvement: on parle d´une plante vivante par opposition à une plante desséchée (Ps 58:10), mieux encore, d´une eau vivante par opposition à une eau stagnante qui ne remue pas (Gn 26:19; Lv 14:5). C´est aussi dans ce sens que le substantif hayya désigne un animal vivant, et particulièrement un animal sauvage par opposition à l´animal domestique, au bétail du troupeau, dont l´existence est plus paisible que celle des animaux des champs et des bois (Gn 7:14; 8:1; Lv 11:2). Les morts ne possèdent plus cette puissance active de la vie et deviennent des êtres faibles, des ombres sans forces, des habitants du séjour des morts où la vie continue à l´état de ralenti extrême (Ps 88:11; Es 14:9-10; 26:14).

3. Une idée plus importante encore qui se rattache à la notion de vie est celle de la plénitude et de l´intensité de la vie. Le mot qui correspond à notre substantif vie est presque toujours employé dans l´Ancien Testament à la forme du pluriel: hayyim ou hayyin. Ce pluriel n´indique pas une pluralité, mais une intensité particulière de la vie, une perfection et une plénitude qu´il est facile de préciser par l´emploi du verbe vivre dans les textes. Non seulement vivre signifie exister, au sens ordinaire du mot, mais encore retrouver la vie, revivre ou survivre, alors que la faiblesse, la maladie et la mort s´attaquaient au vivant. Celui qui meurt de faim, vit, lorsqu´il retrouve de la nourriture (Gn 43:8; 2 R 7:4); celui qui est menacé de mort vit, lorsqu´il est délivré (Gn 20:7); celui qui est malade vit, lorsqu´il recouvre la santé (Jos 5:8; Nb 21:8-9; 2 R 1:2; Es 38:9), de sorte que le verbe vivre veut dire guérir et revenir à la vie après la mort, par une restauration pleine et entière des forces vitales. On ne peut pas parler de vie quand on est malade, faible, éprouvé et malheureux.

Cette intensité de la vie dépasse même la personne et s´étend à tout ce qui la concerne et à tout ce qu´elle possède, en dehors de son corps. Vivre, ce n´est donc pas seulement jouir d´une bonne santé, mais c´est aussi connaître l´abondance et la prospérité. La vie dans la pauvreté et la misère n´est pas vraiment la vie, pour les hommes de l´Ancien Testament. Quiconque connaît la vie possède l´abondance des biens matériels et obtient le succès dans ses entreprises. Ceci est déjà vrai du bétail qui est nourri avec abondance (on disait: faire vivre son bétail, c´est-à-dire lui donner une abondante nourriture, 2 S 12:3; Es 7:21-22); de même pour une nation ou une ville en ruine, qui est reconstruite et redevient prospère (Né 4:2); mais c´est surtout vrai pour l´homme dont la vie et prospérité son identiques (Dt 8:1). par là, nous arrivons à l´idée que la vie est synonyme de bonheur et de paix (la paix n´est pas l´absence de guerre, mais la félicité parfaite, le bien-être et le bonheur; c´est le sens de la formule de salutation: la paix soit avec toi! (Jg 19:20; 1 Ch 12:18). Posséder la vie, c´est donc posséder le plus grand bien qui puisse exister (Jb 2:4) et ce que l´homme désire avant tout, c´est d´avoir une longue vie parce que ce mot signifie un rassasiement de bonheur (1 R 3:11; Pr 3:16; Ps 34:13; 91:16). La formule d´acclamation vive le roi! (1 S 10:24; 2 S 16:16) exprime le souhait non pas simplement d´une prolongation de la vie du roi, mais d´une vie dans la paix, la prospérité et le bonheur, bref d´une vie dans sa plénitude. Le malheur, l´adversité, la maladie sont autant de signes de mort ou d´affaiblissement de la puissance de vie qui mène à la mort.

4. Nous aboutissons ainsi à l´idée capitale dans l´Ancien Testament à propos de la vie. La plénitude de la vie, s´identifiant au bonheur de l´homme, ne peut pas être envisagée en dehors de Dieu. Ce qui donne à l´homme la vraie vie dans sa totalité, c´est son attitude en face de la Loi de Dieu Quiconque obéit aux commandements de Dieu s´engage sur le chemin de la vie; celui-là au contraire qui est infidèle à la Loi de l´Eternel marche sur la route de la mort. Vie et mort s´appellent obéissance et désobéissance à la volonté de Dieu (ou à la sagesse de Dieu, dans les livres sapientiaux: Proverbes, Ecclésiaste), ou encore le bien et le mal, non pas dans le sens d´une notion morale abstraite, mais dans le sens précis de ce qui est bien ou mal aux yeux de Dieu. C´est pourquoi le bonheur et la prospérité de la vie sont une bénédiction de Dieu. L´homme ne vit pas de pain seulement, mais de tout ce qui vient de la bouche de Dieu (Dt 8:3). Il est placé devant un choix: « Voici, je mets devant toi la vie et le bien, la mort et le mal… Je te prescris d´aimer l´Eternel et d´observer ses commandements, afin que tu vives et que tu multiplies et que l´Eternel ton Dieu te bénisse… de cela dépendent ta vie et la prolongation de tes jours…’ (Dt 30:15-20; cf. aussi 32:47; 28:1-14; Ps 36:9-10; Pr 3:1-10, etc.) La vie est un don de Dieu, une grâce qu´il accorde, dans sa plénitude, à ceux qui l´aiment et lui obéissent.

Ceci n´est possible que parce que l´Eternel est le Dieu de la vie. Il est, selon l´expression fréquente de l´Ancien Testament, le Dieu vivant (Nb 14:28; 2 R 2:2; Jr 10:10; Ez 20:31; 33:11). Une telle formule était devenue d´un usage courant lorsqu´on prononçait des paroles solennelles ou des serments, parfois même avec un abus que dénoncent les prophètes (Jr 4:2; 5:2). Que signifie-t-elle? Dire que Dieu est vivant, c´est dire, plus encore que pour l´homme, qu´il possède la vie dans son unité, son activité et sa plénitude. La vie de Dieu n´est pas uniquement ce qui le distingue des idoles mortes (Ps 115), mais ce qui fait qu´il est agissant. Dieu est la vie et il donne la vie; il n´est pas un être passif dans un ciel lointain: il crée le monde et l´homme, il parle, il dirige, il intervient dans l´histoire, il punit, il délivre (Dt 32:39; Es 57:14-18; 40:12-26; Né 9:6). Toutes les expressions imagées qui se rapportent à la vie ne se comprennent que dans la relation avec Dieu: l´arbre de vie (Gn 2:9; 3:22; Pr 3:18), le chemin de la vie (Ps 16:11), la source de vie (Ps 36:10), le livre de vie (Ps 69:29), le pays de la vie (Jb 28:13), la lumière de la vie (Ps 56:14). Naturellement, cette vie donnée par Dieu ne peut être que la vie dans la prospérité, le bonheur et la paix, et aussi dans sa longue durée (Ps 103:3-5).

5. Dans l´ancien Israël, puisque la mort était la descente dans le séjour des ombres loin de Dieu, la suprême bénédiction était une prolongation des jours de l´homme sur la terre, avant d´aller rejoindre ses pères ou son peuple dans la tombe (Ps 89:47-49; Gn 49:33). Quelques textes de l´Ancien Testament paraissent indiquer pourtant, avec des termes qui restent vagues et mystérieux, que le fidèle pouvait connaître une vie pour toujours auprès de Dieu (Ps 16:10-11; 73:22-28; Jb 19:25-26). Ils constituent toutefois une exception dans les livres de l´Ancien Testament. Habituellement, on trouve, au contraire, la croyance que l´homme reçoit au cours de sa vie sa rétribution de la part de Dieu, et que précisément une longue vie est la récompense des justes. Mais la mort violente et prématurée d´un homme juste semblait mettre en doute la justice de Dieu, et posait un problème douloureux à la foi des croyants. Le livre de Job en est un témoignage poignant, et la réponse à une telle question n´apparaît encore que très confusément. Il faudra les dures expériences de la persécution et de la mort brutale des plus fidèles sous l´oppression des empires païens (grecs et romains) pour que naisse dans les esprits la lumière d´une espérance: celle d´une résurrection des morts à la fin des temps, et du jugement de Dieu qui condamnera les uns et accordera aux autres la félicité de la vie éternelle dans le royaume de Dieu. La vie éternelle ne sera pas une immortalité de l´être spirituel, car l´homme tout entier passe par la mort. Ce sera une nouvelle vie à partir d´une résurrection au dernier jour, jusque dans l´éternité. Les deux seuls textes qui en parlent explicitement sont Esaïe 26:19 et Daniel 12:2.

F. Michaeli

La vie dans le Nouveau Testament

1. Le mot vie dans les traductions du Nouveau Testament correspond à l´un des trois termes grecs zoë, psychê et bios. Le premier est de beaucoup le plus courant. Le second, qui est moins fréquent, signifie proprement âme; comme l´hébreu néphesch, il désigne le souffle de vie, le principe de vie, et par suite l´être vivant, surtout l´être humain (Mt 2:20; 6:25; 10:39; Mc 3:4; Lc 12:20; Jn 10:11; Ac 2:41). Le troisième, qui est moins fréquent encore, s´applique surtout à la vie considérée dans ses modalités, que ce soit les circonstances où elle s´écoule (Lc 8:14; 1 Tm 2:2) ou les ressources nécessaires à son entretien (Mc 12:44).

2. Si la notion que l´on a de la vie dans l´Ancien Testament l´enferme généralement dans les limites de ce monde, il n´en est pas de même dans le Nouveau Testament: la résurrection de Jésus d´une part, le don du Saint-Esprit de l´autre ont renouvelé profondément cette notion et ont fait éclater le cadre où elle était contenue.

Cela n´empêche pas les auteurs du Nouveau Testament de parler de la vie telle que la connaît l´expérience commune. A l´idée de vie s´associe aussi celle de mouvement (Ac 17:28). Est vivant ce qui est doué de force et d´efficacité (Rm 12:1; Hé 4:12; 1 P 1:3). La vie est passagère (Jc 4:14), confinée dans un laps de temps déterminé (Rm 7:1-3; Hé 9:17), dont la mort est le terme (Ph 1:20). On ne vit vraiment que si l´on est en bonne santé (Mc 5:23). La vie est le plus grand des biens (Mc 8:36-37). L´homme peut disposer librement de ce bien et vivre à son gré (Lc 15:13; Col 3:7; 2 Tm 3:12).

Comme dans l´Ancien Testament, la vie et la mort ne sont pas considérées comme des phénomènes inséparables l´un de l´autre et s´enchaînant naturellement. Ce n´est pas d´un point de vue scientifique que l´on parle, mais du point de vue des rapports de l´homme avec Dieu, dans l´éclairage de la foi. Ainsi, sans oublier qu´il faut manger pour vivre, le Nouveau Testament déclare que la vie dépend essentiellement de Dieu (Mt 4:4; Lc 12:15; cf. Jn 6:27), qui la donne (Ac 17:25, 28). Il est en effet le Dieu vivant (Mt 16:16; Ac 14:15) et immortel (1 Tm 6:16; Ap 4:9-10), celui qui fait naître toutes choses à la vie (1 Tm 6:13). Il peut également reprendre la vie qu´il a donnée (Lc 12:20) ou la détruire (Mt 10:28). Il s´ensuit que l´homme est responsable de l´usage qu´il fait de sa vie devant Dieu, le juge des vivants et des morts (Rm 14:7-12; 1 P 4:5). Cependant, le Nouveau Testament, à la différence de l´Ancien Testament, insiste moins sur les conséquences immédiates de l´obéissance et de la désobéissance à la volonté divine que sur celles qui apparaîtront au jugement dernier.

Cela correspond à une évolution générale de la pensée religieuse d´Israël: au fur et à mesure que ce peuple vit lui échapper, par suite des malheurs qui le frappèrent, les bénédictions que sa foi lui faisait espérer, il tendit à reporter dans l´avenir la manifestation de la justice de Dieu, et singulièrement du secours promis à son peuple. Le « jour du Seigneur’ devint le point de convergence des préoccupations des gens pieux, parce qu´il est celui où enfin l´on connaîtra la vie dans sa plénitude. Ainsi se constitue une notion de la vie libérée de tout ce qui assombrit l´existence actuelle: une vie où ne figurent plus ni la maladie, ni la souffrance, ni la mort, ni non plus ce qui en est la cause profonde: le péché; une vie où l´homme partagera la vie glorieuse de Dieu, parce que rien ne le séparera plus de lui. Comme le royaume de Dieu, avec lequel elle se confond, elle peut être caractérisée par ces mots: justice, paix et joie par le Saint-Esprit (Rm 14:17), et aussi par celui de gloire (Rm 2:7; 2 Co 3:11; 2 Tm 2:10; 1 P 5:1, 4; cf. Rm 3:23). Cette vie-là mérite seule, en somme, le nom de vie, et l´on se dispense souvent d´une expression plus précise pour la désigner. Cependant on l´appelle aussi la vie éternelle. A noter que cet adjectif indique, plutôt que la durée infinie de cette vie, sa relation avec le -> temps du salut où elle doit être manifestée. C´est pourquoi on la nomme encore la vie à venir (1 Tm 4:8). Comparée à elle, la vie terrestre actuelle, dominée par le péché et la mort, n´est au fond qu´une mort (Mt 8:22; Col 2:13; 1 Tm 5:6; Ap 3:1).

3. Il va de soi que Dieu dispose seul de cette vie comme de la vie naturelle (Ac 13:48), et que les hommes ne peuvent que l´hériter (Mc 10:17; Mt 19:29; Lc 10:25; Tt 3:7; 1 P 3:7), que la recevoir (Mc 10:30 = Lc 18:30). Cependant, l´attitude que l´on prend maintenant à l´égard de Dieu et de sa révélation en Christ peut nous en rendre dignes (Mt 25:46; Mc 10:17, 29s; Lc 10:28; Jn 5:29; 12:25; Rm 2:7; 6:22-23; cf. Mt 7:13-14). Cette vie sera donnée par un acte de Dieu analogue à celui de la création: la résurrection, qui ne concerne pas seulement l´âme, mais la personne humaine tout entière, car la pensée biblique, à la différence de la pensée grecque et occidentale, ne conçoit pas d´existence humaine dépourvue de toute corporéité.

Mais tout cela ne serait resté que des spéculations religieuses sans l´événement qui constitue la pierre d´angle (Ac 4:11; 1 P 2:4; cf. Rm 10:9; 1 Co 15:3s) de l´Evangile: la résurrection de Jésus-Christ d´entre les morts, par laquelle la vie incorruptible a été manifestée (2 Tm 1:10) et l´espérance des croyants fondée, de sorte qu´elle est une espérance vivante (1 P 1:3). Les premiers chrétiens ont salué dans cet événement le premier acte du salut. Car la résurrection du Christ constitue le début d´une œuvre qui doit finalement embrasser tous les hommes: « Tous seront rendus vivants en Christ, mais chacun à son propre rang.’ (1 Co 15:22-23) Ainsi le Christ peut être appelé le « prince de la vie’ (Ac 3:15), c´est-à-dire celui qui marche en tête des hommes pour les conduire à la vie; « le premier-né d´entre les morts’ (Col 1:18; cf. Ac 13:33), destiné à être suivi de plusieurs frères (Rm 8:29).

4. On se met au bénéfice de cette œuvre de salut par la -> foi: en croyant à l´acte sauveur de Dieu en Jésus-Christ. Et l´apôtre Paul de reprendre (Rm 1:17; Ga 3:11) la parole d´Habacuc (2:4): « Le juste vivra par la foi.’ Celui qui croit aura la vie (1 Tm 1:16; Jn 3:15-16).

Quand? Là se pose au lecteur du Nouveau Testament un problème délicat. En effet, la vie y apparaît, non seulement comme une espérance, mais en maints passages aussi comme une réalité présente. Comment se fait-il que des croyants qui vivent encore dans la chair (Ph 1:22), c´est-à-dire dans les conditions d´existence communes à tous les hommes ici-bas, qui donc attendent encore leur résurrection ou la transformation qui doit en tenir lieu si cet événement intervient avant leur mort (1 Co 15:50-57; 1 Th 4:13-18), puissent se déclarer déjà « ressuscités avec le Christ’ (Col 3:1) ou écrire: « Pour nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie’ (1 Jn 3:14)? C´est ce qu´il nous faut voir encore.

On conçoit sans peine qu´un renouvellement profond se produise dans l´existence de celui qui sait qu´il aura part un jour à la vie du Ressuscité. Il voit les choses autrement, il vit autrement aussi. Il saisit déjà la vie éternelle à laquelle il a été appelé (1 Tm 6:12), il y participe en quelque mesure. Aussi l´idée que les croyants connaissent dès maintenant la vie éternelle se trouve-t-elle incluse dans la plupart des notions qui servent à caractériser leur existence actuelle.

La parole de Dieu, c´est-à-dire l´Evangile de la mort et de la résurrection du Christ, est une parole vivante (Hé 4:12; 1 P 1:23), une parole de vie (Ac 7:38; cf. Jn 6:63, 68), une semence incorruptible qui a produit la régénération (= la nouvelle naissance) des croyants (1 P 1:23; cf. 1:3). Il s´ensuit que le ministère de la Parole répand « une odeur de vie qui donne la vie’ (2 Co 2:16).

L´Esprit vivifie (2 Co 3:6). C´est un Esprit de vie, sous le régime duquel on est libéré de la loi du péché et de la mort (Rm 8:1; cf. 8:13), et parmi les charismes dans lesquels il se manifeste figure celui de guérison (1 Co 12:9). Cet esprit n´est d´ailleurs rien ni personne d´autre que le Seigneur lui-même (2 Co 3:17; cf. Ga 2:20), que 1 Corinthiens 15:45 appelle un « Esprit vivifiant’ La présence active de l´Esprit dans les cœurs ne constitue cependant que les prémices (Rm 8:23), que les arrhes (2 Co 1:22; 5:5) de la plénitude de vie à laquelle les croyants sont destinés. Ceux qui vivent par l´Esprit sont engagés à marcher aussi selon l´Esprit (Ga 5:25), à semer pour l´Esprit, afin de moissonner au temps convenable de l´Esprit la vie éternelle (Ga 6:8-9).

Les relations que nous venons de noter entre l´Esprit et la vie se retrouvent lorsque l´apôtre parle en Romains 6 de la communion avec le Christ instaurée par le baptême (que Tite 3:5 appelle le baptême de régénération). En recevant ce sacrement, les croyants reconnaissent que le Christ est mort pour eux et qu´eux-mêmes sont morts en lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts, eux aussi vivent d´une vie nouvelle (littéralement: en nouveauté de vie, Rm 6:4). L´apôtre ne dit pas qu´ils sont ressuscités, mais seulement qu´ils sont morts afin de vivre pour Dieu, comme le Christ avec lequel ils sont devenus une même plante. Ainsi ils auront part finalement au don de Dieu: la vie éternelle (Rm 6:23). Les épîtres aux Ephésiens et aux Colossiens vont plus loin et affirment la résurrection des fidèles comme un fait accompli (Ep 5:5-6; Col 2:12-13; 3:1), sans manquer cependant de noter que cette résurrection demeure pour le moment cachée avec le Christ en Dieu (Col 3:3) et que la richesse débordante de la grâce de Dieu n´éclatera que dans les siècles à venir (Ep 2:7). Remarquons encore que de telles affirmations n´engagent pas les croyants à se reposer sur ce qu´ils sont devenus dans la foi, mais à vivre d´une manière digne de cette grâce (Ep 4:1): l´impératif suit aussitôt l´indicatif (Col 3:2, 5s). C´est pourquoi aussi l´apôtre et ses compagnons, endurant dans l´obéissance les souffrances attachées à leur ministère, portent toujours dans leur corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus y soit aussi manifestée. S´ils ne redoutent pas cette mortification, c´est qu´ils savent que celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus les ressuscitera aussi avec lui, et qu´ils constatent que, tandis que leur être extérieur se détruit, l´être intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Co 4:10-18; cf. 6:4-10). La mort est ainsi devenue indifférente à l´apôtre, car, pour lui, vivre, c´est Christ (Ph 1:21): soit par sa vie, soit par sa mort, il pourra glorifier le Christ, et rien ne pourra jamais le séparer de lui (1 Th 5:10), ni de l´amour de Dieu manifesté en lui (Rm 8:28-39). La mort lui procurerait même un gain (Ph 1:21): elle le rapprocherait du Seigneur (2 Co 5:6-8). Mais ce qu´il préfère incomparablement, c´est que ce qu´il y a de mortel en lui soit absorbé par la vie, sans qu´il ait à mourir (2 Co 5:4). Il pense évidemment à l´accomplissement final.

5. Nous avons intentionnellement laissé de côté, pour les examiner à part, les écrits johanniques, parce qu´ils témoignent d´une manière plus radicale encore, qu´en Christ, l´on accède dès maintenant à la vie éternelle.

Constatons, d´abord, que la notion de vie y occupe une place primordiale: ainsi la première épître se termine en déclarant que le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu véritable et la vie éternelle (5:20), et la première conclusion de l´évangile dit que cet ouvrage a été écrit afin que ses lecteurs croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que ceux qui croient en lui aient la vie en son nom (20:31). En effet, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné à son Fils d´avoir la vie en lui-même (Jn 5:26). Le Fils vivifie qui il veut (Jn 5:21). Il est le pain de vie (Jn 6:35, 48). Il donne à boire de l´eau vive (Jn 4:10). Parce qu´il conduit au Père et le révèle, il est la vie (Jn 14:6). On accède à la vie qui est en lui par la foi (Jn 3:15-16; 6:40, 47; 20:31; 1 Jn 2:7-10). Le signe qu´on est passé de la mort à la vie, c´est précisément qu´on aime ses frères (1 Jn 3:14). Ce passage est assimilé à une naissance, dont l´origine est en Dieu (Jn 1:13; 1 Jn 2:29; 3:9; 4:7; 5:1, 4, 18). C´est encore de cette naissance qu´il s´agit lorsqu´on parle de naître d´en haut ou de naître d´eau et d´Esprit (Jn 3:3-8); elle est seulement mise en rapport, dans ces deux dernières expressions, avec le baptême et le don du Saint-Esprit.

Dans les écrits johanniques, la vie éternelle n´est donc plus avant tout un bien à venir. Celui qui croit, qui écoute la parole du Christ, qui aime de son amour, a maintenant déjà la vie éternelle. Il ne vient plus en jugement; il est passé de la mort à la vie (Jn 5:24; cf. 3:36). Cette vie est évidemment destinée à durer jusque dans le monde à venir, dont la venue n´est pas mise en doute (Jn 4:14; 6:27; 12:25); mais quelque changement qui doive se produire alors, rien d´important ne s´ajoutera à ce que les fidèles possèdent déjà dans la foi et l´obéissance au Christ. Ce qu´ils sont dès à présent sera simplement manifesté (1 Jn 3:1-2). L´attente est donc détendue, parce que déjà comblée: le croyant peut donc connaître dès maintenant une joie parfaite (Jn 15:11; 17:13, etc.) et une paix incomparable (Jn 14:27; 16:33).

La différence frappante que nous venons de noter entre l´enseignement de Paul et celui de Jean n´est en définitive pas si considérable qu´il paraît au premier abord. Elle ne manifeste que la différence de tempérament qui sépare deux témoins du même Evangile. L´un est un homme d´action tendu vers le but, l´autre un contemplatif tout attentif à ce qui est. Le premier considère ainsi avant tout ce qui va sortir finalement de l´œuvre prodigieuse que Dieu a entreprise en Christ et à laquelle il participe activement, véritable re-création du monde; l´autre est comblé à la vue de ce que Dieu a déjà fait en Christ et son regard de croyant pénètre si profondément au-delà des apparences qu´à ses yeux tout est déjà accompli.


1 Vocabulaire biblique, J.-J. von Allmen éd. (Neuchâtel/Paris: Delachaux et Niestlé, 1954), 301-305.

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