Livre à lire
Daniel Bordreuil, Frédéric de Conninck, Werner Chabrerie, Maurice Hadjadj: Eglise, secte: deux mondes étrangers… (Excelsis, 1999).
Ce livre à quatre voix est une contribution réfléchie à un sujet qui tend à soulever de fortes réactions: la secte (Notez bien, le titre n’est pas « Les sectes »!). Puisque le sujet est complexe en raison de ses interférences légales, psychologiques, sociologiques et théologiques, l’éditeur a demandé à quatre spécialistes de traiter le phénomène sectaire. Le résultat est plutôt satisfaisant et permet au lecteur d’appréhender plusieurs facettes de la question des sectes et (surtout?) des tendances sectaires dans les Eglises chrétiennes. Plus qu’une étude objective des sectes ou des mouvements sectaires, ce livre constitue un appel lancé aux Eglises évangéliques d’avoir à examiner leurs attitudes et leur fonctionnement afin d’éviter de tomber dans le piège de « la secte d’inspiration chrétienne ». Comme le dit D. Witmann, page quatre de couverture: « [Les lecteurs] prendront conscience qu’il n’est pas aisé de tirer un trait entre Eglise et secte d’inspiration chrétienne, et que le sectarisme est pour tous un danger constant. »
Dans la première partie, intitulée « Approche juridico-politique », D. Bordreuil fait un recensement de ce que les Pouvoirs publics ont fait, dans ce domaine, depuis un quart de siècle. Ce dossier très intéressant comprend des articles de presse, des rapports officiels et la législation applicable aux sectes, y compris la loi récente relative à toutes les associations.
« L’approche sociologique » est présentée par F. de Conninck. A partir des études faites par les sociologues Max Weber et Ernst Troeltsch, il analyse les « types » Eglise et secte avec leur fonctionnement et leur place dans la société. Cette approche est, sans doute, celle qui est la plus déstabilisante des quatre proposées par le livre, en montrant qu’il n’y a pas de frontière fixe et nette entre les deux façons de « fonctionner ». C’est ainsi que, selon les circonstances, une même personne peut se sentir plus proche du comportement propre soit au « type » secte, soit au « type » Eglise.
Dans « l’approche psychologique », W. Chabrerie donne l’impression d’avoir eu trop à dire en trop peu de place. Brièvement, il décrit les caractéristiques de la secte, les mobiles de l’adhésion et de l’attachement à la secte et, en deux chapitres, le gourou et son comportement dans le groupe. Ensuite, il porte un regard critique sur les Eglises protestantes – en particulier sur les Eglises et Assemblées « évangéliques » avec leur désir d’autonomie – pour comparer certaines de leurs habitudes et de leurs tendances avec celles qu’il vient de montrer chez les sectes. Il termine en proposant deux pistes aux Eglises pour éviter la dérive sectaire.
M. Hadjadj présente une « approche théologique » qui sort des sentiers battus. Il commence par un examen de l’Eglise primitive. Etait-elle une secte? Comment a-t-elle fait face aux tendances sectaires présentes en son sein? Puis, à partir des chapitres 1 à 3 de l’Apocalypse, il propose une définition de l’Eglise. Enfin, se reconnaissant comme étant, de longue date, un évangélique « de l’intérieur », il effectue une analyse des Eglises évangéliques dans leur diversité au cours du siècle et demi qui vient de s’écouler. Il n’hésite pas à examiner, en les nommant, des leaders influents et des mouvements très répandus.
Chacun des auteurs apporte une conclusion à sa propre présentation. Celle de M. Hadjadj résume bien le ton du livre. Il appelle les Eglises évangéliques à reconnaître tous ceux qui sont Eglise afin d’éviter de s’enfermer dans une mentalité sectaire, et à respecter de façon plus rigoureuse les Ecritures afin d’écarter toute forme de dérive sectaire dans leur fonctionnement.
Ce livre, à la fois sobre et passionnant, est à la portée de tous les chrétiens. Il mérite une large diffusion dans la communauté chrétienne.
Diane Jerdan