Élection, alliance et certitude du salut

Élection, alliance et certitude du salut

Donald COBB*

Introduction

Il existe pour beaucoup une tension entre la certitude de l’élection et le caractère foncièrement conditionnel de nombreuses affirmations bibliques. En effet, si l’Ecriture nous dit, d’un côté, que Dieu nous ayant élus de toute éternité, personne ne peut nous arracher de sa main1, de l’autre, elle nous rappelle constamment le danger réel de l’apostasie. Les auteurs bibliques nous avertissent solennellement que si nous ne persévérons pas dans la foi et l’obéissance, nous ne pouvons nous attendre à autre chose qu’au jugement: « Si quelqu’un ne demeure en moi, il est jeté dehors comme le sarment, et il sèche; puis l’on ramasse les sarments; on les jette au feu et ils brûlent. »2

Comment résoudre cette « tension »? Précisons d’emblée qu’en posant cette question, nous ne touchons pas seulement à un point de doctrine mais, avant tout, à une question pratique.

Une réponse fréquente consiste à dire que les promesses d’élection dépendent de la réponse de l’individu. Dieu nous élit en fonction de notre foi et de notre persévérance. L’individu est l’arbitre final de son destin éternel et il a, lui seul, la responsabilité de persévérer dans le salut. Dans une telle perspective, les admonitions, avertissements et menaces s’expliquent sans peine: puisque la fidélité divine dépend de la fidélité humaine, les vrais régénérés peuvent « faire naufrage en ce qui concerne la foi »3. On affirme alors qu’il est possible de « perdre son salut ». Les écrits de l’exégète suisse du siècle passé, Frédéric Godet, en fournissent une bonne illustration4.

Si c’est le cas, est-il encore possible de parler de la certitude ou, plus important, de la consolation de notre élection? La réponse doit nécessairement être négative. Dans cette optique, la seule garantie décisive est celle que l’on peut se donner à soi-même par ses propres efforts.

C’est pourquoi la théologie réformée, pour sa part, s’est toujours efforcée de donner aux affirmations bibliques relatives à l’élection tout le poids qu’elles exigent: l’élection et le salut dépendent uniquement de Dieu et de sa volonté. Une certitude est donc possible et même normale. Cependant, c’est précisément ici que le problème semble surgir de nouveau: cette certitude cadre-t-elle réellement avec les données bibliques?

Notre conviction est que, pour comprendre le lien entre l’élection et les exhortations bibliques, il importe de replacer l’élection dans un contexte biblique plus large. Il faut, en particulier, approfondir la relation entre l’élection, le salut et l’alliance5.

I. L’élection et le salut dans l’Ancien Testament

A) L’élection et la communauté

En examinant les affirmations vétérotestamentaires relatives à l’élection, un premier aspect qui peut frapper est celui du rapport étroit entre l’élection et la communauté. L’élection, dans l’Ancien Testament, est d’abord l’élection d’un groupement de personnes.

Ainsi, dans les chapitres 12 et suivants de la Genèse, Dieu choisit Abraham; il s’attache au patriarche et établit une relation avec lui, en promettant de le bénir et de le rendre en bénédiction pour les nations. Cependant, Abraham n’est pas choisi en tant qu’individu seulement. Il est choisi avec sa descendance et, même, avec toute sa maison. Cet aspect communautaire est bien mis en évidence en Genèse 17. Dans ce chapitre, Dieu apparaît à Abraham en disant: « J’établirai mon alliance avec toi, et je te multiplierai à l’extrême. » (17:2) Mais il continue aussitôt en affirmant: « J’établirai mon alliance avec toi et ta descendance après toi, dans toutes leurs générations: ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de tes descendants après toi. » (v.7)

L’aspect communautaire de ce choix est souligné plus fortement encore dans le rite de la circoncision, instauré au même chapitre (vv. 9 à 14; cf. vv. 23 à 27). La circoncision doit être pratiquée sur tous les membres mâles de la maison d’Abraham. Pourquoi? Pour rappeler ce choix divin, ou cette alliance, qui porte sur Abraham et sur tous les siens. La circoncision est le signe que toute la maison d’Abraham est au bénéfice du choix électif de Dieu.

L’élection va de pair, dans ce passage, avec une vision communautaire et collective. Nous retrouvons cette même perspective plus tard, de manière plus frappante encore, dans l’Alliance du Sinaï. La notion d’élection se cristallise et devient explicite (cf. Ex 19:3 à 6). Une fois de plus, l’élection – d’Israël – est profondément liée à une réalité collective. Dans l’Alliance du Sinaï apparaît très explicitement la notion d’un peuple élu, comme en témoigne Deutéronome 7:6 à 9. Remarquons à quel point, dans ces versets, les termes « choisir » (ou « élire »)6 et « peuple » sont étroitement associés:

Car tu es un peuple saint pour l’Eternel, ton Dieu; l’Eternel, ton Dieu, t’a choisi pour que tu sois un peuple qui lui appartienne en propre parmi tous les peuples qui sont à la surface de la terre. Ce n’est point parce que vous surpassez en nombre tous les peuples, que l’Eternel s’est attaché à vous, et qu’il vous a choisis, car vous êtes le moindre de tous les peuples. Mais parce que l’Eternel vous aime, parce qu’il a voulu tenir le serment qu’il avait fait à vos pères, l’Eternel vous a fait sortir à main forte, vous a libérés de la maison de servitude, de la main de pharaon, roi d’Egypte. Tu reconnaîtras donc que c’est l’Eternel qui est Dieu. Ce Dieu fidèle garde son alliance et sa bienveillance jusqu’à la millième génération envers ceux qui l’aiment et qui gardent ses commandements.

L’élection dans l’Ancien Testament n’exclut pas mais, au contraire, prend en compte et revalorise la communauté.

Notons qu’à ce stade déjà, un constat important peut être fait, à savoir que, dans l’Ancien Testament, l’élection est étroitement liée à l’alliance. Dans la perspective biblique, les deux choses sont indissociables7. Dieu, par un choix souverain, appelle. Et en appelant, il conclut une alliance. L’alliance est ce qui cristallise le choix électif de Dieu. Elle est le cadre formel qui règle les rapports établis entre Dieu et les objets de son élection8. En fait, ce lien entre élection et alliance (en tant que réalité collective) ne saurait être négligé lorsqu’on étudie la question de l’élection et de la certitude du salut; nous y reviendrons plus loin.

B) Les « cercles concentriques » de l’élection

Ce rapport entre élection et alliance suscite une autre question: la réalité collective de l’alliance implique-t-elle que tous les membres de celle-ci y ont un statut semblable, sont élus de la même manière? Calvin aborde la doctrine de l’élection en disant que ce choix électif de Dieu comporte, en réalité, plusieurs degrés. Nous pouvons comparer ces degrés à des cercles concentriques:

  • Il y a un premier « cercle », le plus large, à savoir l’élection du sein des nations: l’Ancien Testament souligne à plusieurs reprises qu’Abraham et ses descendants ont été pris parmi les nations, et choisis – ou élus – par Dieu. C’est pour cette raison que le comportement d’Israël doit être caractérisé par la sainteté. Cette élection d’un peuple (souvent rétif, d’ailleurs) souligne la gratuité imméritée du choix, mais elle n’est pas synonyme d’une élection éternelle (c’est-à-dire du salut)9.
  • Il existe ensuite un deuxième « cercle », à l’intérieur du premier: au sein de la lignée d’Abraham, certains ont été choisis de façon plus particulière, tandis que d’autres ont été rejetés. Calvin cite, comme exemples de ceux que Dieu a écartés, Ismaël, Esaü et, surtout, les dix tribus d’Ephraïm10. Il souligne que ceux qui ont été rejetés l’ont été à cause de leur désobéissance, mais aussi parce que Dieu a voulu montrer la gratuité totale de son choix dans l’élection (cf. Ml 1:2 et 3).
  • Il y a, enfin, un dernier degré dans l’élection, une sorte d’épicentre autour duquel les deux autres « cercles » se coordonnent, à savoir l’élection à la vie éternelle. Au sein de la descendance d’Abraham, Dieu choisit un certain nombre d’hommes et de femmes, de telle façon qu’ils ne peuvent déchoir de leur vocation ou être rejetés11.

C) L’élection est une réalité diversifiée

Election d’un peuple au sein des nations, élection d’une partie des douze tribus d’Israël, élection de personnes particulières à la vie éternelle. Trois « cercles concentriques », qui expriment que l’élection est une réalité diversifiée. Cette présentation de Calvin établit un fait important: l’Ancien Testament, tout en faisant état de l’élection d’une communauté élue, reconnaît que tous les membres de cette communauté ne participent pas à l’élection de la même façon.

Rappelons-nous que cette distinction à l’intérieur de l’élection ne peut pas être dissociée – Calvin le souligne bien – de la désobéissance des membres du peuple de Dieu. Nous rencontrons là un leitmotiv des prophètes bibliques. L’infidélité des Israélites fait qu’il est possible d’appartenir au peuple élu, tout en étant sous le jugement de Dieu. C’est pourquoi Amos peut annoncer: « je vous ai choisis, vous seuls, parmi toutes les familles de la terre; c’est pourquoi je vous demanderai compte de tous vos errements. » (Am 3:2) Là où un Israël désobéissant se croit protégé du jugement à cause de son élection, Amos annonce que cette élection ne le protégera pas du jugement12.

On le voit très clairement: l’élection n’est pas nécessairement synonyme de salut. Au contraire, en présence de la désobéissance du peuple, elle fonde le jugement divin. En ce sens, on peut bien parler de degrés différents dans l’élection.

D) L’annonce de l’élection et la réalité de l’élection

Ayant constaté ces distinctions, nous pouvons nous étonner de ce qu’à maintes reprises dans l’Ancien Testament ce qu’implique l’élection est rappelé à un Israël désobéissant. Les promesses de l’élection sont annoncées à tout le peuple, même lorsque celui-ci ne participe pas fidèlement à l’alliance. Nous voyons cela de manière très frappante dans le « livre de la consolation » d’Esaïe (Es 40 à 55). Dans ces chapitres, Dieu ne cesse de rappeler l’élection et l’amour dont Israël est l’objet:

Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi13, race d’Abraham mon ami! Toi que j’ai saisi des extrémités de la terre et que j’ai appelé de ses confins, à qui j’ai dit: tu es mon serviteur, je te choisis et ne te rejette pas!14

Au milieu même de la désobéissance, et face au jugement qui en est la conséquence (42:22 à 24), Dieu met en avant son choix, son action créatrice et son engagement; ce peuple lui appartient encore (cf. 43:1 à 4; 44:1). Israël est le peuple que Dieu a fondé « depuis l’éternité » (44:7) et façonné « dès sa naissance » (44:24), qu’il a appelé par son nom (43:1). Aussi Dieu continuera-t-il à lui témoigner sa compassion, à être son Rédempteur et son Sauveur (48:17 et 20; 49:26; 54:8). A cause de son amour pour Israël, son « élu »15, Dieu suscitera Cyrus, afin d’opérer sa libération (45:4). Son alliance, sa compassion et sa fidélité ne pourront être ébranlées (49:15s.; 54:10; 55:3; 46:10 s.); son action bienveillante en faveur de son peuple continuera « jusqu’à la vieillesse »:

Ecoutez-moi, maison de Jacob, et vous tous, reste de la maison d’Israël, vous que j’ai pris à charge dès le sein maternel, que j’ai portés dès votre naissance! Jusqu’à votre vieillesse je serai le même, jusqu’à votre âge avancé je vous soutiendrai; je l’ai fait et je veux encore porter, soutenir et libérer (46:3 et 4)16.

Cependant, cela ne veut pas dire qu’Israël est nécessairement fidèle à Dieu! Au contraire, Esaïe rappelle, en même temps que la fidélité divine, l’infidélité du peuple. Israël est l’exemple même de l’aveuglement spirituel (Es 42:18 et 19) :

Sourds, écoutez! Aveugles, regardez et voyez! Qui est aveugle, sinon mon serviteur, et sourd comme mon messager que j’envoie? Qui est aveugle comme celui qui a trouvé la paix, aveugle comme le serviteur de l’Eternel?

Malgré l’élection, Israël n’a pas invoqué son Dieu, il s’est lassé de lui et s’est détourné de l’obéissance (43:22 à 24), il n’a « rien voulu reconnaître (…) et il n’a pas pris la chose à cœur » (42:25). Ce peuple auquel Dieu annonce son élection a le cœur endurci; il est « éloigné de la justice » (46:12). En raison de son amour électif pour Israël, Dieu efface le crime de ce dernier… et c’est dans ce contexte que Dieu doit appeler Israël à la repentance! « J’ai effacé tes crimes comme un nuage et tes péchés comme une nuée. Reviens à moi, car je t’ai racheté. » (44:22; cf. 43:10 et 25)

E) Les promesses de l’Alliance

Ces passages nous mettent en évidence un aspect essentiel de l’élection et de l’alliance dans l’Ancien Testament: les promesses et la réalité de l’élection appartiennent aux membres du peuple de Dieu, non pas que le peuple soit nécessairement fidèle, mais parce que ces promesses font partie intégrante de l’Alliance. L’essentiel de l’élection ne se trouve que dans le contenu de ces promesses – dans l’amour, l’engagement et la seigneurie de Dieu, le fait de lui appartenir, le pardon des péchés, etc. Et ce contenu reste et demeure la réalité centrale de l’alliance, que l’individu, voire le peuple dans son ensemble, y soit fidèle ou non. Il est donc légitime de parler de cette réalité essentielle en s’adressant au peuple de Dieu tout entier. Ne pas pouvoir annoncer cette réalité à tout le peuple reviendrait à dire, en fait, que l’alliance pourrait exister en vue d’une autre fin que celle de la communion avec le Dieu vivant.

Ces chapitres d’Esaïe signifient également que les affirmations bibliques sur l’élection et sur le contenu de l’alliance ne sont pas données simplement en vue d’une « information ». Elles ont, au contraire, un but précis, qui consiste à stimuler l’obéissance, à encourager les membres du peuple de Dieu à entrer dans la réalité de l’alliance, ou à saisir plus profondément cette réalité. Ces promesses servent, dans la logique de l’alliance, à susciter et à affermir la foi 17.

II. L’élection et le salut dans le Nouveau Testament

Lorsque nous nous tournons vers le Nouveau Testament, nous constatons, en ce qui concerne l’élection, un certain nombre de points communs avec l’Ancien Testament, en même temps qu’un certain nombre de différences. Une différence importante concerne le vocabulaire.

A) Apparition de la notion de prédestination

C’est, en effet, dans le Nouveau Testament qu’apparaît pour la première fois la notion de prédestination proprement dite. Cela se voit bien dans la terminologie: là où l’Ancien Testament utilise « connaître » (= « choisir »)18, le Nouveau Testament précise « connaître d’avance »19, et à côté de verbes comme « choisir » ou « élire » émerge celui de « prédestiner »20.

Comment expliquer cette nouveauté dans le vocabulaire? Non pas, certes, par le simple fait que les apôtres auraient amorcé une réflexion plus approfondie sur l’élection, ni en raison d’un changement dans l’économie de l’alliance (collective dans l’Ancien Testament, individuelle, et donc éternelle, dans le Nouveau)! La différence exprimée par un renouvellement dans le vocabulaire s’explique par le fait que le Christ est maintenant venu, afin de révéler le mystère caché du conseil de Dieu, l’amour éternel – et pas seulement temporel – du Père21.

Le Christ vient manifester, par sa prédication, par sa mort sur la croix et par sa résurrection le matin de Pâques, toute la profondeur insondable et éternelle de l’amour de Dieu pour les siens. Le Christ, cet agneau qui a été « désigné d’avance, avant la fondation du monde (pro katabolês kosmou) » (I P 1:20), est apparu en chair, afin d’offrir sa vie en faveur de « ceux que le Père lui a donnés ». La venue du Christ révèle ainsi que notre élection s’enracine dans ce dessein d’amour établi, lui aussi, dans l’éternité: « En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde (pro katabolês kosmou), pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. » (Ep 1:4) Le Christ nous fait pénétrer dans la pensée éternelle de Dieu, et nous y trouvons son amour et son élection – éternels – pour les siens.

Avec la venue du Christ, Dieu se révèle de façon définitive. Et en se révélant, il rend manifeste aussi son dessein éternel d’amour et d’élection.

B) Un peuple élu

Cette nouveauté ne signifie pas, pourtant, que le Nouveau Testament a oublié le caractère collectif de l’alliance, si présent dans l’Ancien Testament. L’insistance sur l’élection éternelle ne conduit pas les auteurs néotestamentaires à prôner une vision individualiste de la relation avec Dieu, comme certains l’ont prétendu22. Dans le Nouveau Testament, pas moins que dans l’Ancien, l’élection revêt un caractère communautaire.

Aussi, les auteurs du Nouveau Testament peuvent-ils parler du peuple élu qu’est l’Eglise. Paul met en avant le Christ, qui « s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire un peuple qui lui appartienne (…) » (Tt 2:14). L’apôtre Pierre, également, peut s’adresser à l’Eglise en employant des termes très proches de ceux que l’on trouve en Ex 19:3 à 6, pour décrire le peuple d’Israël: « (…) vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté (…); vous qui, autrefois, n’étiez pas un peuple et qui, maintenant, êtes le peuple de Dieu » (1 P 2:9 et 10)23. Pour cette même raison, Paul va jusqu’à dire que l’Eglise est « l’Israël de Dieu » (Ga 6:16) et parler de « ceux qui sont de la maison de la foi » (6:10).

L’élection dans le Nouveau Testament, pas plus que dans l’Ancien, n’est présentée comme une réalité simplement individuelle. Ce caractère communautaire de l’Eglise fait qu’il est encore possible, dans le Nouveau Testament, de faire partie de celle-ci, tout en n’étant pas régénéré. Cela se voit clairement dans les affirmations du Nouveau Testament au sujet de ceux qui ont apostasié. Hébreux 10:29, par exemple (qui n’évoque pas du tout l’idée de « perdre son salut »!), parle du « (…) châtiment mérité par celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance par lequel il avait été sanctifié, et qui aura outragé l’Esprit de la grâce ». Ici encore, l’appartenance à l’alliance n’est pas obligatoirement synonyme du salut.

Dans cette même optique, Paul mentionne l’exemple d’Hyménée et de Philète, « (…) qui se sont écartés de la vérité (…) et qui renversent la foi de quelques-uns » (2 Tm 2:18; cf. 1 Tm 1:19 et 20). Ce comportement, pourtant, ne remet pas en question la réalité de l’Eglise ou de l’élection car, comme Paul le remarque lui-même: « Dans une grande maison (oikia), il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais [il y en a] aussi en bois et argile; et les uns sont pour l’honneur, mais les autres pour le mépris. »24 L’Eglise, cette « maison de la foi » (cf. aussi I Tm 3:15) est bien, pour le Nouveau Testament, un corpus mixtum, comme l’Israël de l’Ancien Testament25. Aussi le Christ de l’Apocalypse peut-il avertir, en s’adressant à l’Eglise de Sardes (cf. Ap 3:1): « Je connais tes œuvres: tu as le renom d’être vivante, mais tu es morte » (v. 2), ou encore, à l’Eglise (3:14) de Laodicée: « (…) parce que tu es tiède et que tu n’es ni froide ni bouillante, je vais te vomir de ma bouche » (v. 16).

Ces quelques exemples suffisent à montrer que, sur ce point précis, il n’y a pas pour le Nouveau Testament de différence entre le peuple de l’ancienne Alliance et celui de la nouvelle26. L’élection, l’alliance et l’Eglise demeurent, dans le Nouveau Testament, des réalités communautaires, où la foi – mais aussi l’incrédulité et l’apostasie – sont des possibilités. Nous pouvons donc parler à bon droit, pour le Nouveau Testament aussi, de degrés différents dans l’élection.

C) L’annonce de l’élection dans le Nouveau Testament

Cependant, comme dans l’Ancien Testament, l’annonce de l’élection va de pair avec l’affirmation de la réalité profonde de l’alliance. C’est pourquoi, d’après le Nouveau Testament, le Christ a aimé l’Eglise, et « s’est livré lui-même pour elle » (Ep 5:25); c’est l’Eglise, en tant que telle, qu’il a sanctifiée et purifiée « par l’eau et la parole », afin que cette Eglise puisse « paraître devant lui (…) sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut » (v. 26 et 27). De même, selon l’apôtre Paul dans son discours aux anciens d’Ephèse, c’est l’Eglise que Dieu « (…) s’est acquise par son propre sang »(Ac 20:28).

Cette mise en avant des caractères essentiels de l’élection et de l’alliance ressort des propos de Paul, lorsqu’il écrit à toute l’Eglise de Colosses: « Il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son fils bien-aimé, en qui nous avons le pardon des péchés. » (Col 1:13-14) Dans ce « nous » se trouve compris tous les destinataires de cette épître, c’est-à-dire tous les membres de l’Eglise de Colosses. C’est à l’Eglise en tant que telle que cette réalité de la communion avec Dieu est annoncée. Voilà pourquoi, un peu plus loin, Paul poursuit, en disant: « Vous qui étiez morts par vos offenses et par l’incirconcision de votre chair, il vous a rendus à la vie avec lui, en nous faisant grâce pour toutes nos offenses. » (2:13)

Ainsi, les auteurs du Nouveau Testament, sachant bien que tous les membres de l’Eglise ne participent pas à la régénération et à la communion avec Dieu, peuvent néanmoins s’adresser à l’Eglise comme au peuple élu, et aux membres de celle-ci comme « aux élus » de Dieu (I P 1:1), car c’est là la réalité profonde de l’Eglise et de l’alliance. Dans aucun de ces passages, il n’y a le désir d’établir une distinction rigoureuse entre Eglise visible et Eglise invisible. Les auteurs bibliques ne cherchent nullement, ici, à s’adresser aux seuls membres régénérés de l’Eglise, laissant les autres de côté, et nous aurions tort de leur imputer, dans ces descriptions, de telles motivations. Leur but est plutôt de souligner la réalité de l’Eglise, en tant qu’objet de la grâce divine, aimée et choisie, incluse – dans l’éternité déjà – dans le dessein de Dieu. Cela est légitime, car en parlant de l’alliance, il est normal, et même essentiel, de parler de ce qui fait son centre et sa raison d’être, à savoir l’amour de Dieu accordé, avant l’existence du monde, aux siens. Voilà pourquoi l’Eglise existe: pour l’élection et la bénédiction éternelles (Ep 1:4 à 6)27.

Notons qu’ici encore, cette prédication de l’élection et de la réalité profonde de l’Eglise a pour but, non de donner un simple renseignement, mais de susciter la foi et l’obéissance. C’est pourquoi cette affirmation de l’élection et de ce qui fait le « centre vivant » de l’Eglise (cf. Ep 1 à 3) débouche nécessairement sur l’exhortation à vivre d’une manière digne de l’appel de Dieu (cf. Ep 4:1 ss). Le prédicat d' »élus de Dieu » va de pair avec l’exhortation à adopter les attitudes et le comportement qui conviennent aux membres de l’Eglise du Seigneur (Col 3:12 à 15). Ainsi, comme dans l’Ancien Testament, l’annonce de l’élection et de la réalité du salut est faite à toute l’Eglise dans un but exhortatif, afin de stimuler la réponse de ses membres28.

III. L’élection et les exhortations bibliques

Jusqu’ici nous avons surtout traité de l’élection en rapport avec les promesses et affirmations de la communion avec Dieu, de la réalité de l’élection et de l’alliance. Nous constatons que ces promesses et affirmations sont, en fait, autant de moyens que Dieu met en œuvre pour susciter la foi et l’obéissance. Nous voulons voir maintenant ce qu’il en est des exhortations, des menaces, et des mises en garde par rapport à la possibilité d’apostasier, en nous posant d’abord la question à propos des membres fidèles de l’alliance.

A) Les exhortations bibliques et les membres fidèles de l’alliance

Quelle utilité, en effet, les exhortations bibliques peuvent-elles avoir pour les membres fidèles de l’alliance? Nous pourrions penser, eu égard au changement radical de vie dont parle l’Ecriture, que les exhortations n’ont pas de place dans la vie des chrétiens qui sont réellement régénérés. Le croyant, qui est « engendré par Dieu » (I Jn 3:9; 5:18; 2:29)29, est passé « de la mort à la vie » (3:14); il « ne peut pécher », c’est-à-dire tomber de nouveau sous l’emprise ou la domination de la désobéissance, vu que « la semence de Dieu demeure en lui » (3:9)30. Pourquoi aurait-il donc encore besoin d’être exhorté à la fidélité ?

En réalité, l’Ecriture ne considère jamais la fidélité permanente du chrétien comme un automatisme ou un donné qui découlerait de la nature du croyant. Les auteurs bibliques savent que si Dieu lui-même ne protégeait pas les siens, une vraie persévérance dans la foi ne serait pas possible31. Or, Dieu parachève le salut des siens, attise et ranime cette « semence de vie » précisément par le biais des exhortations et de l’annonce de la Parole. Il garde les fidèles dans la foi au travers des admonitions à rester en communion avec lui, et à ne pas s’en éloigner. Les exhortations – et même les menaces – bibliques ne sont donc pas superflues en ce qui concerne le membre régénéré de l’Eglise. Au contraire, elles sont, comme les promesses, un des moyens principaux que Dieu emploie pour susciter et renforcer une attitude de dépendance à son égard.

Les expressions formulées au conditionnel (« si vous demeurez en moi… », etc.), les exhortations à persévérer dans la fidélité, ou à revenir au Seigneur, et même les menaces sont nécessaires dans la vie des membres régénérés de l’Eglise, car c’est par de tels moyens que Dieu protège et construit cette vie nouvelle qu’il a fait naître en eux.

B) L’exhortation et les membres infidèles de l’alliance

Cependant, la portée des exhortations bibliques ne se limite pas à cet aspect. L’alliance, comme nous l’avons déjà vu, est une réalité communautaire. Tous ceux qui en font partie ne participent pas nécessairement à sa réalité profonde. L’Eglise compte aussi, parmi ses membres, des irrégénérés. Or, pour de telles personnes, les exhortations bibliques servent comme avertissements de la nécessité impérieuse d’entrer véritablement dans la réalité de l’Eglise et de l’alliance.

Les auteurs bibliques peuvent mettre solennellement en garde les membres de l’Eglise par rapport au fait que l’infidélité et l’incrédulité auront pour conséquence le jugement de Dieu et le rejet par celui-ci car, dans l’alliance de Dieu, nous n’avons pas seulement affaire à de vrais croyants. L’alliance – l’Eglise -est un corpus mixtum; c’est pourquoi Paul peut avertir contre des hommes – des « loups redoutables » – qui « du milieu de vous (…) » se lèveront et « prononceront des paroles perverses, pour entraîner les disciples après eux » (Ac 20:29-30). Et c’est aussi pourquoi ce même apôtre peut rappeler à Timothée que le serviteur de Dieu doit reprendre les « contradicteurs » qui font partie de l’Eglise « (…) dans l’espoir que Dieu leur donnera la repentance (metanoïan), pour arriver à la connaissance de la vérité (…) afin de les soumettre à sa volonté » (II Tm 2:25).

Ainsi, les exhortations de l’Ecriture, dans la perspective de l’alliance, gardent tout leur sérieux. Les auteurs bibliques savent que ceux qui ont réellement été touchés par le Saint-Esprit et éveillés à une vie nouvelle ne pourront pas continuer sans les exhortations de persévérer et d’aller de l’avant dans la foi. Mais ils savent aussi qu’il y a des membres de l’alliance, du peuple de Dieu et de l’Eglise du Seigneur, qui ont encore besoin de passer par une repentance et une vraie conversion. Et s’ils ne le font pas, les menaces et avertissements se réaliseront bien à leur sujet. En fait, les exhortations et admonitions fonctionnent de la même manière que les affirmations et promesses de l’élection: leur but est de susciter une réponse obéissante. De la sorte, elles n’ont rien de secondaire ou de superflu.

C’est donc dans le contexte de l’alliance – et sans qu’il soit le moins du monde question de « perdre son salut » – que les auteurs néotestamentaires peuvent avertir l’ensemble de leurs lecteurs qu’une attitude d’infidélité résultera -réellement! – dans un « retranchement » de la part de Dieu: « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu: (…) bonté envers toi, si tu demeures dans cette bonté; autrement, toi aussi tu seras retranché. » (Rm 11:20b à 22)

C) Le centre de l’alliance

Quelles conclusions pouvons-nous tirer des différents points de cet exposé? Premièrement, il n’existe pas, dans l’Ecriture, une opposition entre élection et salut. Le salut et la communion avec Dieu forment le « centre vivant » de l’élection et de l’alliance (l’alliance étant le cadre formel du choix électif de Dieu); celles-ci existent pour, et ont leur valeur par rapport à, ceux-là. L’élection et l’alliance, si on les sépare de cette réalité du salut et de la communion avec Dieu, perdent leur raison d’être. C’est pourquoi les promesses de l’alliance peuvent être annoncées indifféremment à tous les membres de cette dernière32.

Cependant, et c’est là une deuxième conclusion que nous imposent les données bibliques, élection et salut ne peuvent pas non plus être confondus. L’élection, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, comporte un aspect communautaire, ou collectif, très net. Les fidèles (ou régénérés) sont membres du peuple élu, et c’est en eux que se réalisent la finalité et le contenu de l’élection. Mais puisque, dans toute l’Ecriture, l’infidélité et l’apostasie restent des possibilités réelles dans l’alliance, tous ne participent pas à l’élection de la même façon. Tous les membres du peuple de Dieu ne sont pas nécessairement des membres régénérés de celui-ci. S’il ne faut pas opposer les « élus à la vie éternelle » aux « membres du peuple de Dieu », il ne faut pas davantage les assimiler. Il y a donc, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, un lien entre élection et salut, ainsi qu’une distinction entre ces deux 33.

Ce cheminement a été nécessaire pour voir comment comprendre les promesses du salut et de l’élection, ainsi que les exhortations, mises en garde et menaces bibliques. Dans le cadre de l’alliance – d’un corpus mixtum – elles fonctionnent comme des instruments que Dieu utilise afin, d’une part, de susciter et d’affermir la foi et, d’autre part, de mettre en garde de manière sérieuse les membres récalcitrants.

IV. L’acquisition des promesses de l’élection dans le cadre de l’Alliance

Cette manière de comprendre le rapport entre les promesses de l’élection et la réalité de l’apostasie soulève une question importante: si les promesses de l’élection sont adressées à tout le peuple de Dieu, comment peut-on affirmer qu’elles sont particulières, valables – uniquement – pour ceux qui ont réellement la vie éternelle? Pour poser la question autrement: comment pouvons-nous, en tant que membres du peuple de Dieu, avoir une certitude réelle par rapport à notre élection et à notre salut? Est-il possible de résoudre cette tension entre les promesses de l’élection, du salut acquis… et la menace d’être « disqualifiés » par l’Evangile (I Co 9:26-27)?

A) L’élection et la priorité de Dieu

Il est essentiel de noter que les promesses d’élection et de salut éternels sont vraies pour tous ceux qui participent à la réalité profonde de l’alliance. Pour ceux qui sont réellement régénérés, ces promesses ne sont pas uniquement des « promesses conditionnelles ». Elles sont des affirmations de ce qui leur est réellement donné par Dieu. Celui qui participe véritablement à l’alliance participe à la totalité de l’alliance, et cette totalité comprend le choix éternel de Dieu pour le salut.

Dans notre marche par la foi, l’annonce de l’élection est là pour nous rappeler que notre régénération et notre choix par rapport au Seigneur ne viennent pas de nous-mêmes. Leur fondement n’est pas notre décision prise à un moment donné dans le temps, mais la décision souveraine de Dieu, « le bon plaisir de sa volonté », dans l’éternité déjà (Ep 1:5). Ces affirmations de l’élection démontrent donc la priorité absolue de Dieu en ce qui concerne notre salut34. Nous sommes élus à la vie éternelle parce que Dieu, dans sa grâce – avant notre choix et, même, avant notre existence – a pris sa décision à notre égard et s’est attaché à nous: « c’est lui qui nous a sauvés et nous a adressé un saint appel, non à cause de nos œuvres, mais à cause de son propre dessein et de la grâce qui nous a été donnée en Christ-Jésus avant les temps éternels. » (II Tm 1:9).

De même, puisque le fondement de notre élection et de notre salut réside en Dieu et en sa décision, une confiance réelle est possible. Le salut est l’œuvre de Dieu; il ne peut donc être renversé, ni par les aléas de l’existence, ni même par l’attitude du croyant. Dieu est celui qui choisit, qui accorde la foi, et qui s’engage à achever ce qu’il a lui-même commencé.

B) L’élection et la foi

Cependant, ces promesses de l’élection et du salut s’adressent à notre foi. A vrai dire, elles ne peuvent pas en être dissociées. Il n’est pas possible de reconnaître notre élection, et de saisir la certitude qui en découle, autrement que par une démarche de foi qui regarde à la fidélité de son maître, et qui reconnaît les droits que celui-ci a sur la vie de son enfant. Dans le contexte de l’alliance que Dieu établit avec nous, nous avons donc à fixer les yeux, de manière constante et renouvelée, sur le Christ, source de notre salut, sur Dieu, celui qui nous a attachés à lui-même, et sa seigneurie sur notre vie (cf. Hé 12:2).

C’est dire que la certitude de notre salut ne saurait être « chosifiée ». Elle n’est jamais une possession, acquise une fois pour toutes, indépendamment de cette démarche de foi. Je ne puis l’avoir que dans la mesure où, regardant au Christ, je lui fais confiance pour la promesse qu’il m’a faite et que je cherche à agir en conséquence. L’Ecriture est claire à ce sujet: le fait de connaître le Père – par le Fils qui, dans son « bon plaisir » le révèle – est intimement lié à l’invitation et à l’action de venir à Christ (Mt 11:27-28; cp. Jn 6:37). Et c’est seulement si nous venons effectivement à lui, par une foi constamment renouvelée et obéissante, que la certitude de notre élection peut se renforcer et se renouveler. Si nous commençons à fixer notre regard sur nos propres vies, nos capacités, forces ou mérites, nos décisions passées…, nous perdons toute l’assurance réelle que nous pourrions avoir35.

Etre assuré de notre élection est donc réellement possible. Nous pouvons et nous devons compter sur la promesse que personne ne nous arrachera de la main du Père (Jn 10:28-29), et que rien ne nous séparera de l’amour de Dieu en Jésus-Christ (Rm 8:39). Mais une telle assurance est impossible en dehors d’une attitude de foi qui saisit ces promesses et s’en remet constamment à Dieu. Autrement dit, cette assurance ne s’obtient jamais, dans cette vie, de manière définitive, en ce sens où je pourrais, une fois cette assurance reçue, détourner mon regard du Christ. Elle s’acquiert uniquement par – et dans – la foi qui s’attache, de manière constante, au Christ.

Conclusion

Dans le contexte communautaire de l’alliance et du peuple de Dieu, les promesses de l’élection et du salut, ainsi que les exhortations, admonitions et menaces, ont leur place. L’alliance et l’Eglise sont des réalités dynamiques, vivantes. Or, dans ce cadre dynamique, les promesses et exhortations de l’Evangile sont là, les unes et les autres, pour nous faire avancer sur le chemin de la foi et de l’obéissance. Au lieu de parler d’une tension entre les deux, il est donc préférable de reconnaître leur but commun et leur complémentarité profonde.

Aussi serait-il fâcheux, voire désastreux pour l’Eglise, de vouloir soustraire un de ces deux « pôles » de la prédication, par souci d’une présentation « unifiée » du message biblique. Une mise de côté des promesses et de l’annonce de l’élection risque fort de conduire à un anthropocentrisme moralisant dans la prédication – avec les conséquences que l’on sait: l’insécurité au sujet du salut, s’exprimant souvent par un activisme légaliste chez les membres de l’Eglise. D’un autre côté, négliger les exhortations et avertissements bibliques au profit d’une insistance unilatérale sur la grâce, l’élection et le caractère définitif du salut menace de conduire le peuple de Dieu à une passivité qui est tout sauf biblique. De même, une telle insistance prive l’Eglise d’une partie non négligeable des instruments divins nécessaires au maintien, ou à la formation, de la foi. Seule une prédication qui tient compte de la totalité du message biblique peut être la source d’une édification durable.

Sur le plan personnel, l’Ecriture nous rappelle que les promesses de l’élection et du salut sont à saisir, par chacun de nous, en même temps que les avertissements au sujet de l’apostasie. Nous avons à nous remettre sous cette protection divine qui ne permettra pas que nous soyons arrachés de la main du Père. Mais nous avons également à écouter les avertissements et exhortations comme s’adressant à nous. Personne n’est si avancé dans sa sanctification qu’il puisse se dispenser des admonitions de l’Ecriture. C’est pourquoi nous avons, nous aussi, à nous examiner, afin de savoir si Christ est réellement « en nous » et si nous sommes « dans la foi »(II Co 13:5 à 7).

Dans sa sagesse infinie, Dieu a agi de telle sorte que notre marche par la foi ne ressemble pas à l’automatisme d’une horloge ou d’une machine de précision. Mais il nous fait avancer pas à pas dans une relation vivante avec lui, afin qu’en marchant, nous soyons conscients du besoin permanent que nous avons de nous remettre à lui, sans quoi nous ne pourrions avancer… et pour que nous soyons constamment émerveillés, aussi, de ce que, à travers les aléas et dangers de la vie, il nous tient par la main et achève en nous son élection et son salut éternels.


* Donald Cobb travaille, en Suisse, parmi les Kurdes.
1 Cf., par exemple, Ep 1:4 et Jn 10:29.
2 Jn 15:6.
3 I Tm 1:19; cf. 6:21.
4 Godet dit au sujet de Rm 8:30, par exemple, que « Paul ne veut pas dire que Dieu n’adresse cet appel qu’à ceux qu’il lui a plu d’élire pour la gloire, mais il affirme que ceux dont Dieu a d’avance contemplé la foi, sont infailliblement appelés (…) au jour et à l’heure les plus favorables à l’accomplissement du décret en leur personne ».Commentaire sur l’épître aux Romains (Genève: Labor et Fides, 1968, 3e édition), 215 (c’est nous qui soulignons).
5 Il n’entre pas dans notre propos de traiter, sur le plan dogmatique, des rôles respectifs de Dieu et de l’homme dans cette élection. C’est, bien sûr, ce débat qui sépare les théologiens de types réformé et arminien.
6 Le verbe bachar, employé aux vv. 6 et 7 de ce passage, signifie, d’après les lexiques: « choisir », « sélectionner », « donner préférence à », « élire ».
7 G. von Rad souligne, en ce qui concerne la notion d’alliance dans le Deutéronome, que l’alliance et l’amour électif de Dieu sont « presque synonymes ». Théologie de l’Ancien Testament, tome I Théologie des traditions historiques (Genève: Labor et Fides, 1967, traduc. fr. 2e édition), 197.
8 J. L’Hour développe de manière exemplaire le rapport entre l’alliance et le comportement éthique et religieux qu’elle engendre. Cf. l’ensemble de son livre: La morale de l’alliance (Paris: Cerf, 1966).
9 Insitution chrétienne, III, XXI, 5. Calvin cite à l’appui les passages suivants: Dt 32:8 s, 4:37, 7:8, 10:14 s.; Ps 47:5, 100:3, 105:6, 33:12.
10 IC, III, XXI, 6. Pour ce qui est des dix tribus d’Israël, Calvin se réfère au Ps 78:67 s.: « Cependant, il eut du mépris pour la tente de Joseph, il n’a pas fait de la tribu d’Ephraïm son élue (‘èphraïm lo’ bhachar). Il a élu (wiyyibhechar) la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il aimait. »
11 IC, III, XXI, 7.
12 Cf. aussi, par exemple, Jr 11:8, 9:25, 34:17 s.
13 Becharthîjha, de bachar: « je t’ai élu » (c’est le même verbe qui est employé au verset suivant).
14 Es 41:8 et 9.
15 Weyisra’él bechîrî. Cf. 43:20.
16 Cf. aussi Jr 31:3.
17 C. Westermann dit, par exemple, que « le cri Consolez mon peuple conduit ultimement au cri Sortez du milieu d’elle; entre ces deux se trouve la proclamation du prophète, qui avait la tâche de conduire son peuple du premier cri jusqu’au second « ; Isaiah 40-66 (Londres: S.C.M.., 1969, 33.
18 Yada’. Cf. Am 3:2; Gn 18:19; Ex 33:12-13; Jr 1:5 et passim.
19 Proginôskô. Cf. Rm 8:29, 11:2; I P 1:20. Cf. aussi la forme substantivée de ce verbe: prognôsis, Ac 2:23; I P 1:2. Proginôskô et prognôsis sont inusités dans les livres canoniques de la LXX (on trouve Proginôskô en Sg 6:13, 8:8, 18:6, et prognôsis en Jdt 9:6, 11:19, mais, notons-le, en référence à des événements connus d’avance ounon, comme dans le Nouveau Testament, à des personnes choisies d’avance).
20 Proorizô: désigner, ou déterminer, d’avance; pré-destiner: cf. Ac 4:28; Rm 8:29 s.; I Co 2:7; Ep 1:5 et 11.
21 Cf. Ep 1:9, 3 à 6:9; Col 1:26-27; I Co 2:7; cf. aussi O. Weber, Foundations of Dogmatics, tome II (Grand Rapids: Eerdmans, 1983), 441 s.
22 A. Kuen, par exemple, affirme qu’à la différence de l’ancienne Alliance, « (…) l’appel au salut prend dans la bouche de Jésus-Christ et des apôtres un caractère individuel, conditionnel et sélectif ». Je bâtirai mon Eglise (Saint-Légier: Editions Emmaüs, 1967), 56.
23 Cf. aussi 2 Co 6:16; Hé 4:9, 10:30, 13:12; Ap 1:6, 5:9 s. et passim.
24 V. 20, notre traduction. Cf. Rm 9:20-24.
25 Cf. 1 Co 10:1-11 où la désobéissance d’Israël et le jugement divin qui s’en est suivi (l’anéantissement) sont présentés comme un « exemple » pour l’Eglise de Corinthe, avec cet avertissement: « ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber!  » (v. 12)
26 C’est là toute l’argumentation de l’épître aux Hébreux: la nouvelle Alliance, dont Christ est le Souverain sacrificateur (3:1, 4:14 à 5:10, 6:20 et passim), le Médiateur (7:25, 8:6, 12:24) et le garant (7:22), contient la réalité du pardon et l’accomplissement de la promesse, dont l’ancienne Alliance conclue avec le peuple d’Israël n’a été que l’ombre (10:1; cf. 7:22, 8:6). Il est donc d’autant plus important d’y participer fidèlement (10:28 à 31, 11:39 à 12:2). Car si le jugement a frappé les membres infidèles de l’ancienne Alliance, combien plus sévère le jugement de Dieu sera-t-il pour nous: « Prenez garde! ne repoussez pas celui qui vous parle. Car si ceux qui repoussèrent celui qui sur la terre les avertissait n’ont pas échappé au châtiment, à bien plus forte raison ne pourrons-nous y échapper nous-mêmes, si nous nous détournons de celui qui, des cieux, nous avertit (…). Car notre Dieu est aussi un feu dévorant. » (12:25 et 29; cf. 3:12 à 14, 4:1 et 2:6-7)
27 C. Hodge remarque, au sujet d’Ephésiens 2:11 à 22, que dans ce passage, comme souvent ailleurs dans la Bible, l’Eglise est présentée sous son aspect profond: « Puisque (…) les Ecritures parlent toujours des hommes selon leur condition, appelant croyants ceux qui professent la foi, et chrétiens ceux qui confessent le Christ, de même elles parlent de l’Eglise visible comme de l’Eglise véritable, et attribuent à celle-là ce qui n’est vrai que de celle-ci. (…) Beaucoup étaient réellement tels, tous en faisaient profession, et ils étaient donc abordés en qualité [de membres de l’Eglise véritable]. Mais l’union avec l’Eglise visible ne les rendait pas plus participants de l’Esprit du Christ que la profession de foi ne faisait d’eux de vrais croyants ». A Commentary on the Epistle to the Ephesians (Londres: Banner of Truth Trust, 1964), 124.
28 La Confession helvétique postérieure (art. 10) souligne, dans cette même perspective, que « (…) les promesses de Dieu sont faites à tous les fidèles en général (…) ». Elle rappelle ensuite les paroles de Matthieu 7:7-8, puis débouche sur l’exhortation personnelle: « Souvenons-nous donc (…)! » Confessions de foi des Eglises réformées de France et de Suisse (Montpellier: Imprimerie de Mme V.E. Picot, 1825), 58.
29 Ho gegennêmenos ek tou Theou (Col: « est né de Dieu »); cf. Jn 1:12-13, 3:3-7.
30 Cf. G. C. Berkouwer, Faith and Perseverance (Grand Rapids: Eerdmans, 1956), 95, 96 ss.
31 Cf., par exemple, Mt 24:22 et 24 et ibid., 95 s.
32 Rappelons-nous la présentation de Calvin: « (…) Dieu en conviant quelque peuple à soi, et en lui faisant la promesse de la vie éternelle, a encore une façon plus spéciale d’en élire une partie, en sorte que tous ne sont point élus effectivement d’une grâce égale », IC, III, XXI, 7 (402; c’est nous qui soulignons).
33 Il est vrai que certains passages de l’Ecriture affirment que seuls ceux qui jouissent de la communion avec Dieu participent à l’élection (cf. Rm 9:6-8; Hé 3:6 et 14; I Jn 2:19). Cette ambivalence entre participation et non-participation à l’élection et à l’alliance constitue une certaine difficulté pour la compréhension de ces textes.
34 Cf. G. C. Berkouwer, Divine Election (Grand Rapids: Eerdemans, 1966), 150 ss.
35 Comme le disait déjà Calvin: « Nous savons que les promesses de Dieu sont valables quand nous les recevons par la foi; que, au contraire, quand la foi est anéantie, elles sont abolies. » IC, III, XXIV, 16 (454).

Les commentaires sont fermés.