Recension
Paul WELLS1
Martin I. Klauber, sous dir., The Theology of the French Reformed Churches : From Henry IV to the Revocation of the Edict of Nantes, Reformation Heritage Books, Grand Rapids, 2014, Reformed Historical-Theological Studies, ISBN 978-1-601178-313-4.
Les contributions à ce recueil passionnant proviennent, à quelques exceptions européennes près, d’historiens calvinistes d’Amérique du Nord et l’influence féconde de la réévaluation de la scolastique postréformation faite par Richard A. Muller y est très sensible. Édité par Martin I. Klauber de la Trinity Evangelical Divinity School, cet ouvrage est précieux pour toute personne intéressée par la théologie réformée du xviie siècle, particulièrement en France et en Europe.
Peu de textes accessibles sur le sujet ont été publiés, aussi ce livre est-il une aubaine pour ceux qui, dans le monde anglo-saxon et ailleurs, s’intéressent au développement de la théologie réformée en France dans le siècle qui a suivi celui de Calvin. Les contributions couvrent la période qui suit l’accession d’Henri de Navarre au trône de France et sa conversion au catholicisme en 1589. Cet événement a marqué la fin des guerres sanglantes de religion en France et permis la promulgation d’un édit de tolérance pour les huguenots français (1598), édit qui a été abrogé par Louis XIV, près d’un siècle plus tard, en 1685. Durant cette période, les protestants ont joui de libertés limitées qui sont allées en diminuant avant de faire place à une oppression civile grandissante.
Cette collection d’essais, étant donné le choix des sujets, est à l’évidence orientée vers ce qui intéresse les théologiens et les historiens du monde occidental. Cela est dommage parce que l’un des principaux intérêts de la période considérée, dans la situation mondiale actuelle – où nombre de chrétiens sont opprimés (un chrétien meurt pour sa foi toutes les douze minutes, selon certains) –, est de savoir comment les réformés français ont réagi face à l’emprise croissante de l’autoritarisme royal catholique romain : persécution, emprisonnement, bannissement et martyre. Qu’ont-ils, alors, pensé, écrit et fait ? Un texte sur ce sujet aurait été assurément bienvenu. Quelle a été la théorie politique des réformés français et n’ont-ils pas poussé leur loyalisme et leur soumission vis-à-vis de l’autorité civile jusqu’à des limites inacceptables ? Étaient-ils tellement obsédés par l’autorité pontificale que le roi de France a évité d’avoir à subir une opposition active de leur part, ce qui a suscité le dicton catholique de l’époque, « Soumis comme un huguenot » ?
Les avertissements que le grand Agrippa d’Aubigné a adressés aux Églises françaises ont été oubliés et ainsi, durant la Fronde du temps de Mazarin et la minorité de Louis XIV, les réformés français ont été les supporters les plus fidèles de la monarchie des Bourbons. Plus tard, Jean Claude, dans son écrit Plaintes des protestants cruellement opprimés dans le royaume de France, a été le grand défenseur des huguenots persécutés, mais sa défense biblique a peut-être été modérée par sa collaboration avec Richard Simon et Pierre Bayle (De la tolérance, 1685), qui sympathisaient avec la libre pensée des Lumières.
Cela dit, la valeur de ce livre est qu’il permet à ceux qui ne lisent ni le latin ni le français de connaître l’histoire et les écrits de théologiens généralement moins bien connus que leurs contemporains puritains. Pour ceux qui ont un intérêt spécial pour la théologie, il fournit une analyse utile de l’une des controverses majeures de la théologie réformée continentale en mettant l’accent sur les écrits prolifiques de Moïse Amyraut, qui occupent près de trois pages dans la bibliographie.
Le livre est divisé en deux parties ; la première est historique avec six articles, et la seconde présente quinze études consacrées aux théologiens et aux questions abordées dans les Églises françaises. Comme on pouvait s’y attendre, il y a un certain chevauchement, qui aurait pu être évité, entre les deux sections et quelques répétitions concernant certains détails historiques (par exemple, dans l’article sur Pierre Jurieu).
Cette période a été une époque de crise pour les réformés français dont ils ne se sont jamais vraiment remis. En dépit de la tolérance limitée permise par l’Édit de Nantes, on assiste, à partir de ce moment-là, à un étranglement progressif de la vie de l’Église réformée en France. On estime qu’au moment de la Révocation non seulement des dizaines de milliers de huguenots, mais aussi quelque six cents pasteurs ont émigré de France. D’autres se sont rétractés, réellement ou superficiellement. Au siècle suivant, la libre pensée des Lumières a fait son œuvre sur le reste avec pour résultat qu’à la veille de la Révolution il ne restait plus que 472 Églises (à comparer avec les 1200 Églises plantées en 1570), avec des effectifs réduits dans des enclaves protestantes en nombre limité, et à peine 180 pasteurs, dont un bon nombre avaient suivi les philosophes et adopté le déisme. Le calvinisme avait été perdu pour la France ; il n’a jamais été restauré au sens ecclésiologique et, même aujourd’hui, il se limite au témoignage d’individus isolés.
Les articles historiques portent sur la croissance des Églises réformées dans la dernière partie du xvie siècle, sur l’influence de Théodore de Bèze, sur les synodes réformés durant le temps limité de la tolérance, la réception des Canons de Dordrecht et la difficulté croissante de la vie de l’Église durant la rigueur instituée par Louis XIV. À noter qu’entre l’assassinat d’Henri IV perpétué par un extrémiste catholique en 1610 et la Révolution de 1789, quatre rois Bourbons seulement ont régné, dont le pouvoir a été grandissant, de façon considérable, jusqu’à ce qu’il commence à décliner avant 1789. La continuité de cette politique répressive a gravement atteint les huguenots. Ce fait n’est pas toujours correctement évalué en ce qui concerne aussi bien la politique d’exclusion, dont les protestants ont été victimes, que leurs manières de réagir face à celle-ci. Ce qui se passait, à cette époque, en Angleterre et en Hollande n’a pas aidé non plus et Louis XIV a dû trembler lorsqu’il pensait au sort de Charles Ier ou au fédéralisme en développement aux Pays-Bas. Un chapitre sur ce sujet aurait été très utile, ainsi qu’un échange sur la manière dont les huguenots ont interprété théologiquement leur persécution.
Les études théologiques écrites par des spécialistes de la période sont à la fois détaillées et bien documentées. Le lecteur trouvera des présentations approfondies des figures principales de l’époque : l’Écossais John Cameron, Moïse Amyraut, Pierre du Moulin, Jean Daillé, André Rivet, Charles Drelincourt, Claude Pajon, Jean Claude et Pierre Jurieu. Il y a un bel équilibre entre les questions théologiques et les considérations homilétiques et pastorales. Assez surprenante est l’absence de toute discussion approfondie sur l’influence de l’école genevoise avec les Turretin – l’oncle Bénédict (1588-1631) et le neveu François (1623-1687) – et Jean Diodati (1576-1649), qui a traduit la Bible en italien. Une autre influence genevoise est celle de Bénédict Pictet, qui a écrit une théologie en trois volumes (1696) et une éthique chrétienne en deux volumes qui a eu une grande influence.
La principale question théologique de l’époque a été, sans nul doute, la condamnation de l’arminianisme et la crainte éprouvée par du Moulin, Rivet et d’autres que l’amyraldisme, qui s’est développé à partir de « l’universalisme » de Cameron – dont l’influence sur ses étudiants était considérable –, ne soit une invitation au synergisme. Du Moulin a écrit sur les arminiens (qu’il qualifie de « singes de Pélage ») et le chapitre 9 de son ouvrage Anatomie de l’arminianisme (1619) révèle ses qualités de théologien et de polémiste.
Les adversaires d’Amyraut craignaient que sa conception à deux étages du décret divin du salut – Christ mourant hypothétiquement pour tous et, ensuite, étant reçu par la foi par ceux qui croiraient à l’Évangile – conduirait inévitablement à la prescience arminienne et à la limitation de la souveraineté de Dieu dans le salut. Ils estimaient que cette théologie labourait un sillon différent de celui des Canons de Dordrecht, notamment son troisième canon, qui avaient été accepté, en 1620, par le Synode d’Alais et dont le modérateur était du Moulin. Pourtant, la théologie enseignée à Saumur par Amyraut, La Place et Capel, dans la ligne de Cameron, a conservé sa popularité tout au long de cette période et n’a jamais été formellement condamnée comme hérétique par un synode de l’Église. R.A. Muller, dans son article sur Amyraut, souligne que sa pensée « quoiqu’elle soit à peine une reprise de la pensée de Calvin s’inscrit dans les limites confessionnelles établies par les Canons de Dordrecht » (p. 198). Malheureusement, Amyraut, un théologien de qualité, est seulement rappelé, de façon générale, dans ce contexte.
Une autre controverse, postérieure à celle que la théologie de Saumur a suscitée, mais pas sans rapport avec elle, a porté sur l’action du Saint-Esprit dans la conversion. Elle était centrée sur les idées de Claude Pajon (p. 299ss). Pajon a peu publié, mais ses idées ont été largement diffusées et très discutées, générant deux controverses en 1665-1667 et en 1676-1685. Pajon est allé plus loin qu’Amyraut qui a proposé que, si l’Esprit agit immédiatement sur l’intelligence dans la conversion, il ne le fait, ensuite, que de façon médiate sur la volonté. Pajon semble avoir dénié à l’Esprit une action immédiate à la fois sur l’intelligence et sur la volonté. Ses adversaires, parmi lesquels Jean Claude et Pierre Jurieu, estimaient que l’enseignement de Pajon présentait des difficultés non seulement en ce qui concerne le péché originel de l’être humain, mais aussi quant à l’action providentielle dans la conversion. Pajon n’a jamais été condamné pour hérésie ; il a évité de l’être en répondant (en 1671) aux arguments formulés par le janséniste Pierre Nicole, contre les calvinistes.
L’un des chapitres les plus prenants (chap. 14) pour ceux qui s’intéressent à la doctrine du Saint-Esprit dans la théologie puritaine est le chapitre écrit par Michael Haykin et consacré au sceau de l’Esprit, où il étudie un sermon de Jean Claude sur Éphésiens 4.30 et la pneumatologie huguenote. Claude, l’influent pasteur de Charenton, près de Paris (l’Église réformée la plus importante en France avec, à un moment donné, jusqu’à 15 000 membres et quatre pasteurs), qui a eu aussi des polémiques avec Nicole et Bossuet, avait déjà écrit sur le péché contre le Saint-Esprit. Son sermon sur « le glorieux sceau de Dieu » révèle la richesse de la prédication huguenote. Claude présente le sceau de l’Esprit comme le signe de royale appartenance (terme non négligeable à la lumière de nos remarques ci-dessus !) et distingue le fait d’attrister l’Esprit de lui résister et de l’outrager (p. 332). Il conclut : « Vivons, dans cet âge, sobrement, justement et pieusement en attendant le jour béni et l’apparition glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ. Rappelons-nous que nous avons été scellés pour ce grand jour de notre rédemption. Profitons-en jusqu’à ce que, finalement, Dieu nous permette de jouir de la promesse qu’il nous a faite […] que la chair suivra l’Esprit dans le paradis éternel […]. » (P. 333) Pas étonnant que Claude ait été l’un des prédicateurs influents de son époque, un égal de Bossuet.
La question qui reste sans réponse dans ces études est la suivante : dans quelle mesure les différentes polémiques internes qui ont grondé pendant toute la période ont-elles affaibli le témoignage des Églises protestantes et les ont tenues à l’écart des deux problèmes politiques existant en France, à savoir, d’une part, l’opposition du romanisme renaissant et de ses éloquents défenseurs et, d’autre part, l’autoritarisme du roi. Pourquoi les Églises françaises n’ont-elles pas développé, au début du xviiie siècle, une forme de résistance autre qu’un respect passif envers la monarchie, avant les soulèvements désastreux des Camisards dans les Cévennes ? Pourquoi aucune théorie d’opposition n’a-t-elle pas été développée en France comme l’a fait Samuel Rutherford en Écosse (Lex Rex) ou Louis Althusius en Hollande dans sa Politica, où il était préconisé qu’un tyran pouvait être détrôné et même mis à mort ? Cela n’était pas nouveau et il y eut aussi des précédents français. Les « monarchomaques » (p. 140) ont contesté le pouvoir absolu de la monarchie, se référant à la section finale de l’Institution de Calvin et à l’écrit de Théodore de Bèze, Le droit des magistrats, où étaient développées leurs idées sur une juste et active opposition à la tyrannie. L’Église réformée française était-elle trop dans le sillage de la noblesse protestante et ses théologiens ont-ils été trop attachés à ce qui semblait acceptable et souhaitable à leurs chefs et à leurs protecteurs nobles ?
Le fait que la France, au xviie siècle, ait été peu unifiée au point de vue linguistique – puisque la majorité de la population était analphabète et conversait en un patois souvent incompréhensible en dehors de sa localité immédiate – a peut-être contribué à freiner la croissance de l’Église réformée et limité celle-ci aux plus instruits : la noblesse ou les classes commerciales et professionnelles. Que ce soit les disputes théologiques, l’oppression croissante du roi ou, plus largement parlant, l’appartenance à certaines classes sociales des réformés, la question demeure et elle est fascinante : pourquoi le nombre des réformés a-t-il diminué plutôt qu’augmenté au cours de ce siècle qui a connu une tolérance limitée ? Il semble qu’en France, durant cette période, « les roturiers et les paysans ne savaient pas grand-chose des doctrines de l’Église catholique et ne participaient guère aux manifestations religieuses officielles » (p. 142) et que l’identité religieuse était faible. L’Église catholique a entrepris de rectifier cela et des hommes comme Pierre de Bérulle et François de Sales ont entrepris d’éduquer la population. Y avait-il des efforts comparables de la part des Églises réformées pour « élargir leur tente » ?
Au-delà de la tragédie racontée dans ces pages, n’est-il pas révélateur de la foi réformée en France que la seule contribution à ce volume, écrite par une théologienne française, soit l’article historique de Marianne Carbonnier-Burkard, qui enseigne dans une institution qu’il est difficile de considérer comme calviniste ? Les théologiens et les historiens français s’intéressent peu à la théologie de Calvin ou à celle de ses successeurs et ne vont guère au-delà de la situation historique des huguenots et de leur lutte pour la liberté de conscience. Il serait hautement souhaitable que ce volume incite, en France, de jeunes chercheurs évangéliques à creuser dans leur patrimoine théologique largement inexploré.
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Paul Wells est professeur émérite à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. ↩