Pertinence et actualité de la foi réformée à la fin du 20e siècle

Pertinence et actualité de la foi réformée
à la fin du 20e siècle

Pierre BERTHOUD[1]

Introduction

La formulation classique de la foi réformée telle qu’elle est définie dans les confessions de foi de la Réforme est-elle encore d’actualité sur la scène contemporaine ? Cette question a souvent été posée aux acteurs de la Faculté Jean Calvin depuis son inauguration en 1974. Pour y répondre, il faut prendre en considération ce qu’elle recèle implicitement :

  1. Elle nous conduit à réfléchir aux présuppositions qui orientent la vision du monde de tout un chacun. En effet, la pensée et le style de vie de nos contemporains sont influencés par des présupposés philosophiques plus ou moins explicites. Dans ce domaine, il n’existe pas de neutralité. Nous posons tous des axiomes qui sous-tendent la perspective globale du monde et de l’homme à laquelle nous adhérons. La vraie question est celle de la cohérence de notre vision et de son rapport à la réalité. Notre vision rend-elle compte de la réalité si riche et complexe qui nous entoure ? Ainsi, par exemple, la méthode historico-critique, dans la mesure où elle jette le doute sur le caractère surnaturel des écrits bibliques, étant tributaire du rationalisme issu des lumières, occulte tout un aspect de la révélation biblique. Elle est, par conséquent, incapable de rendre compte de l’unité et de la diversité de la pensée et de l’action divines telles qu’elles se dévoilent progressivement dans l’Ancien et le Nouveau Testaments.
  2. Il s’ensuit que la question initialement posée, implicitement tributaire de présupposés philosophiques, relève d’une discipline particulière du cursus théologique, à savoir l’apologétique dont l’enseignement occupe une place essentielle à la Faculté Jean Calvin. Si la vérité que Dieu nous dévoile et nous communique dans les Écritures ne change pas, elle s’adresse cependant à chaque nouvelle génération selon les préoccupations de celle-ci et les questions qu’elle se pose. Tant que la foi réformée demeure à l’écoute des Écritures et reste attachée à la doctrine des apôtres, elle est en mesure, avec l’aide du Saint-Esprit, de faire preuve de créativité dans son effort de mettre en évidence toute la pertinence de la Parole et de la Sagesse divines. Dans les lignes qui suivent, nous allons aborder trois aspects de l’apologétique : sa vocation, son défi ultime et son déploiement, qui nous aideront à mieux cerner la question.

I. Une vocation

Cette vocation présente deux facettes :

  1.  L’apologétique est d’abord défense de la foi, de la vérité de l’Évangile. La perspective chrétienne globale ne se présente pas comme un discours religieux qui serait déconnecté de la réalité. Bien au contraire, elle éclaire tous les aspects du monde, de la condition humaine et de la cité. Elle suppose un champ unifié de la connaissance qui refuse la dichotomie si chère à nos contemporains entre la réalité mesurable et l’illusion religieuse. Cette vérité est accessible à l’intelligence sans pour autant donner une connaissance exhaustive. Tout en soulignant son caractère personnel, elle se démarque du relativisme et du subjectivisme du consensus ultramoderne. Il s’ensuit que l’une des tâches de l’apologétique est de défendre l’Évangile contre les attaques dont il est l’objet et d’établir sa crédibilité philosophico-religieuse, historique et rationnelle. Cette approche ne met nullement en cause une démarche de foi authentique. Elle lui donne, au contraire, une assise solide.
  2. L’apologétique présente un autre aspect significatif, celui d’une communication qui rend l’Évangile compréhensible par nos contemporains. Cela implique écoute et connaissance de l’environnement culturel, et créativité dans la manière de transmettre la vision et le message bibliques. Tout en étant porteurs d’une vérité qui dépasse l’horizon de notre monde, il est essentiel que nous rejoignions notre prochain au cœur même de son existence, de ses débats et de ses questionnements afin qu’il puisse saisir toute l’actualité et la pertinence de la sagesse divine dans un langage qui lui soit familier. Sans cette sensibilité et cette imagination créative, il est à craindre que le chrétien demeure inaudible au sein d’un monde qui ne partage ni sa vision, ni ses repères, ni ses valeurs !

II. Un défi ultime

Quant au défi ultime, il touche à l’existence et au caractère de Dieu :

  1. La pensée contemporaine postule l’existence de l’être plutôt que du non-être. Ainsi, par exemple, l’exposition de vitraux contemporains consacrés au thème de la Genèse qui s’est déroulée en 2000 à Aix-en-Provence. Sur l’affiche de l’exposition composée à partir d’un vitrail créé par Dominique Masset intitulé « Préambule de la Genèse », on pouvait lire cette phrase des plus significatives : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? » Cette question suppose l’existence de quelque chose et nous invite, en même temps, à réfléchir au « pourquoi » de ce quelque chose, c’est-à-dire à l’origine de cette réalité et au sens qu’il faut tenter de lui donner. Cette interrogation en rejoint une autre, celle que l’on retrouve sur le célèbre tableau de Paul Gauguin intitulé « Que sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? ». Cette fois-ci, l’artiste pose la question de l’origine de la destinée humaine, laquelle est très étroitement associée à celle du sens et de la finalité de l’existence.
  2. Si quelque chose existe, quelle en est la nature ? La perspective humaniste et matérialiste de bon nombre de nos contemporains les conduit à postuler que l’ultime réalité est infinie et impersonnelle et se définit, essentiellement, en termes de matière ou d’énergie. Elle présente une approche foncièrement autonome et horizontale. Mais, à partir d’un tel présupposé, comment rendre compte de la complexité de l’univers qui ruisselle d’intelligence et du caractère unique du terrien ? En revanche, la perspective biblique postule que l’ultime réalité est l’Être infini et personnel. C’est le point de départ de toute philosophie qui est à l’écoute des Écritures et du contenu qu’elles véhiculent. Cette perspective globale offre une réponse à la question des origines, qui tient compte de l’unité et de la diversité du réel et qui met en lumière une conception originale de l’être humain, qualitativement différent de l’ensemble du monde vivant.
  3. Face au silence de l’univers et à la solitude que nos contemporains éprouvent si douloureusement, l’Évangile affirme avec force que le Créateur est l’ultime vis-à-vis de la créature humaine et, surtout, qu’il n’a pas gardé le silence, mais qu’il a choisi de s’exprimer selon les catégories du langage humain, de telle sorte que les fils d’Adam peuvent comprendre réellement sa Parole de vérité et de vie. Cette sagesse divine éclaire les questions de l’origine, du mal et de la condition humaine tout en focalisant l’attention sur la personne de Jésus le Christ, source de sens, de réconciliation et d’espérance[2].

III. Un déploiement

Après avoir évoqué la vocation et le défi de l’apologétique, il nous faut aborder son déploiement. Nous en distinguons trois étapes :

  1. Grâce à la révélation écrite et incarnée, l’être humain a accès à la pensée divine. Cela signifie que le Seigneur ne laisse aucun aspect fondamental de l’univers et de la condition humaine dans l’obscurité. Toute question honnête mérite une réponse honnête. La communication que cet Être infini et personnel transmet est donc vraie et fiable. Elle s’adresse à l’intelligence en vue de provoquer un changement de mentalité qui touche à tous les aspects de la personne humaine, y compris sa volonté et ses affections. C’est ce que nous appelons la conversion.
  2. Le Dieu de la Bible n’est pas celui des philosophes, distant et inactif. C’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob… le Dieu de Jésus-Christ ! En tant que chrétiens, nous avons à manifester son existence en menant notre vie terrestre sous son regard, en sa présence et en lui faisant confiance à chaque instant. Le Dieu vivant agit encore aujourd’hui dans l’espace et le temps, au cœur de l’histoire, de notre histoire. Il n’est pas une illusion, nous sommes témoins des traces qu’il a laissées dans l’histoire, dans nos vies, dans nos communautés et dans nos cités.
  3. Aimer le Seigneur ne va pas sans aimer le prochain et cela sans compter. Dieu a fait renaître le chrétien à la vie afin qu’il vive pleinement sa vocation humaine. La relation de celui-ci avec le Christ le libère de lui-même et du péché qui l’attire et le ronge. Elle lui permet de reconnaître et de voir son prochain comme son vis-à-vis, d’aller au-devant de lui, de reconnaître sa dignité et de lui manifester une compassion sincère. Cette qualité relationnelle authentique et vraie constitue un argument déterminant dont le Saint-Esprit se sert pour conduire nos contemporains à se réconcilier avec Dieu le Père qui s’est révélé en Jésus de Nazareth.

Conclusion

Toute théologie qui est à la fois à l’écoute de la Sagesse que le Seigneur nous a communiquée et attentive au monde et à la culture environnante, demeure actuelle, pertinente et perspicace. C’est vrai, en particulier, pour la foi réformée qui s’enracine dans la doctrine des apôtres et reste attachée à la foi chrétienne historique. Plus encore, une étude rigoureuse et une méditation approfondie des Écritures permettent de constater à quel point la sagesse divine éclaire et transforme le moindre recoin de l’existence humaine lorsqu’elle s’ouvre à sa lumière. La Parole incarnée est, sans nul doute, le chemin, la vérité et la vie. C’est ainsi que l’apologétique est un moyen fort efficace dont le Dieu trinitaire se sert pour conduire l’être humain au cœur du mystère de la foi ! Puisse-t-elle continuer à jouer ce rôle essentiel dans la formation que la Faculté Jean Calvin offre à ses étudiants.


[1] Pierre Berthoud est professeur émérite de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence et l’actuel président du Conseil de Faculté.

[2] Pour une étude plus approfondie de la question, cf. Pierre Berthoud, En quête des origines. Les premières étapes de la Révélation : Genèse 1-11, Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2008, p. 177 ss.

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