D’une faculté de théologie à une autre

D’une faculté de théologie à une autre

Pierre Filhol[1]

Depuis 1950, il y a toujours eu sur ce campus, dans cette propriété où nous nous trouvons, une faculté de théologie protestante.

La première, du même nom, a été inaugurée en octobre 1940, en vue de former les pasteurs « pieux et instruits » de l’union nationale regroupant les Églises réformées évangéliques qui avaient refusé en 1938 d’entrer dans l’Église réformée unie par souci de fidélité doctrinale. Cet établissement était une faculté d’Église placée sous l’autorité exclusive de son synode national. Ce fut un acte courageux pour cette petite union d’Églises (une cinquantaine) que de décider la création de cet établissement, bien nécessaire certes, mais sans grands moyens pour y parvenir. Pas d’argent, une équipe professorale à constituer, avec au départ un seul docteur en théologie : le pasteur André Lamorte. Nécessité également de rechercher la meilleure implantation possible. Ce fut donc Aix-en-Provence, d’abord dans une propriété qui jouxtait la propriété actuelle, et ensuite ici même. Cette dernière fut achetée à la fin de 1949 grâce à un don très important d’une fondation évangélique de Philadelphie dont le Dr Barnhouse était président. Cette faculté fonctionna, avec des périodes difficiles à traverser : la guerre, une équipe professorale s’affaiblissant par des démissions successives et des étudiants se raréfiant (deux seulement pour la dernière année 1966-1967). Après 1967 commença « la traversée du désert ». Il y avait bien eu, en 1963, le projet d’une faculté évangélique regroupant la faculté d’Aix et les instituts bibliques issus des Églises de professants. Mais ce projet fut abandonné très vite, aucune des parties ne souhaitant vraiment le succès de l’opération. Enfin, une ultime tentative de relance de la faculté fut étudiée du début de 1969 à la fin de 1970 par un conseil d’administration regroupant des responsables, pasteurs et laïcs de l’UNEREI[2]. Mais les difficultés liées à la reconstitution d’une équipe professorale la firent échouer.

Puis se produisit ce que le pasteur Maurice Longeiret appelle « le clin d’œil de la providence », dans son excellent livre Réformés et confessants : pourquoi pas ?. Ce clin d’œil, dans un premier temps, fut l’arrivée du pasteur évangéliste Eugène Boyer, qui vint habiter à la faculté au début de l’année 1970. Eugène Boyer était très connu et apprécié des Églises de l’union nationale dont il avait desservi plusieurs paroisses, au moins ponctuellement. Il devint très rapidement l’animateur dynamique d’un petit groupe (représentant l’union d’Églises, l’association cultuelle pour l’entretien de la faculté et divers amis) dont la réflexion portait sur la pertinence et la faisabilité d’une faculté réformée confessante avec un corps professoral homogène et apte à délivrer un enseignement supérieur de bon niveau. La situation et l’attente de plusieurs communautés de l’Église réformée de France étaient propices à la mise en place de cette audacieuse entreprise. Eugène Boyer nous ouvrit aussi son « carnet d’adresses » américain avec, en particulier, des contacts noués avec le Dr Clowney, professeur au Westminster Theological Seminary de Philadelphie, qui devint un grand ami et soutien de la faculté.

Bien évidemment, il fallait l’accord complet de l’union d’Églises, toujours responsable de la première faculté, pourtant totalement arrêtée dans ses activités depuis 1967. Un projet de règlement pour cette nouvelle faculté fut soumis successivement à trois synodes de l’union nationale : 1972, 1973 et 1974. C’est ce dernier qui approuva définitivement le projet. Notons le travail très positif du président d’alors de l’union, le pasteur André Tholozan. Le pasteur Jean Bordreuil, membre influent de la délégation des Églises réformées évangéliques au conseil de faculté, concluait ainsi son rapport au synode national de 1974 : « L’union nationale a le devoir de soutenir sans réserve la faculté qui, entre autres résultats, formera et forme déjà des futurs pasteurs pour nos Églises. »

L’équipe professorale se constitua. Paul Wells, arrivé dans l’été 1972, assuma avec une grande disponibilité l’enseignement de plusieurs disciplines au cours de la première année universitaire 1972-1973. Le pasteur François Gonin, de l’Église réformée évangélique d’Aix, apporta sa compétence de sociologue et d’historien de l’Église. Le pasteur Pierre Courthial, dans l’été 1974, vint habiter à la faculté. C’est lui, assurément, qui donna toute sa crédibilité théologique à la nouvelle faculté, la faisant largement connaître dans le monde réformé français et étranger. Il enseignera la théologie pratique pendant dix ans et exercera les fonctions de doyen pendant plusieurs années. Cette équipe s’élargira ensuite avec l’arrivée de plusieurs jeunes professeurs venus de Suisse, des États-Unis, du Canada et aussi… de France. Rappelons le ministère de Gerald Boyer et de son épouse Eleanor, qui, avec leur grand talent, créèrent la brillante chorale de la faculté, faisant connaître celle-ci en France et dans les pays limitrophes. La faculté était prête à fonctionner, bâtie sur trois solides piliers : identité théologique clairement affirmée, homogénéité de l’équipe professorale et cohérence de son enseignement, autonomie de gestion et d’action totale puisque, désormais, le conseil de faculté était le seul responsable de l’établissement.

Mais n’oublions pas le rôle de l’Association cultuelle pour l’entretien de la faculté (ACEF), créée en 1950, propriétaire du 33, avenue Jules Ferry. L’assemblée générale de l’ACEF décida à l’unanimité, le 11 mai 1974, d’accueillir et d’héberger gracieusement la faculté. Sans cette décision, il n’y aurait sans doute pas eu de nouvelle faculté de théologie protestante à Aix. Mais, disons-le aussi, il n’y aurait pas eu non plus de nouvelle faculté sans l’aide pérenne et très généreuse des associations d’« amis de la faculté » en France, aux Pays-Bas, en Suisse et aux États-Unis.

Ainsi naquit miraculeusement la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, inaugurée le 14 octobre 1974, aujourd’hui Faculté Jean Calvin.

Un verset, mis en exergue au rapport que je présentais au synode national de 1973, me semble bien résumer sa mission : « Élargis l’espace de ta tente […] allonge tes cordages, et affermis tes pieux ! » (Ésaïe 54.2) Cette exhortation est toujours d’actualité quarante ans plus tard.


[1] Retraité de l’Éducation nationale et premier président du conseil de la Faculté libre de théologie réformée.

[2] Union nationale des Églises réformées évangéliques indépendantes, devenue, en 2009, UNEPREF, soit Union nationale des Églises protestantes réformées évangéliques de France.

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