Hommage à deux professeurs émérites : Pierre Berthoud et Paul Wells

Hommage à deux professeurs émérites
Pierre Berthoud et Paul Wells[1]

William EDGAR[2]

« Cette Faculté de théologie, c’est le miracle de Dieu », aimait à dire un de ses professeurs, surtout durant les heures d’épreuve. La Faculté de théologie d’Aix-en-Provence a une histoire qui est, en effet, une preuve de la providence de Dieu qui l’a conduite clairement, passant par des hauts et des bas, jusqu’à ce jour. Liée à la volonté d’une minorité de chrétiens évangéliques en France au xxe siècle et enracinée dans le mouvement de la Réformation au xvie siècle, elle se nomme, aujourd’hui, Faculté Jean Calvin.

L’année 1938 a été lourde de signification pour le protestantisme français. Au mois d’avril, à Lyon, a eu lieu l’assemblée constituante pour l’unité de l’Église réformée de France. Sans entrer dans le détail, il est permis de dire que la déclaration de foi qui y fut adoptée, assez semblable à celle du synode de 1872, comporte un préambule qui, en préconisant pour les pasteurs une adhésion « sans s’attacher à la lettre des formules », a ouvert la porte au pluralisme. Le nom de cette Église, officialisé en juin à Paris, est Union nationale des associations cultuelles de l’Église réformée de France (UNACERF). La Confession de foi dite de La Rochelle, pilier de l’Église réformée depuis 1559 jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, est mentionnée, avec le Symbole des Apôtres, parmi les symboles que l’Église a confessés dans le passé. De plus, le texte indique que l’autorité de l’Écriture sainte repose sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit. Cette affirmation est trop limitative. Si la doctrine réformée a toujours nettement affirmé que le témoignage intérieur de l’Esprit confirme l’autorité de la Parole, elle n’a jamais réduit cette autorité au témoignage intérieur de l’Esprit.

Une minorité de pasteurs et de laïcs (trente-sept pasteurs et quarante-cinq laïcs) ne pourront pas, en toute bonne conscience, être membres de la nouvelle ERF. Ils estiment que le préambule laisse la porte ouverte à presque n’importe quel point de vue et que la formulation sur le témoignage intérieur de l’Esprit invite au subjectivisme. Ils refusent donc d’entrer dans la nouvelle Église et un synode soucieux de rester fidèle aux principes de la Réforme est convoqué, en août de cette même année, à Saint-Jean-du-Gard. Au début, cette nouvelle union a repris le nom d’Union nationale des Églises réformées évangéliques (UNEREF). Mais, en mars 1948, elle est obligée (sous la pression de l’ERF) d’ajouter à son nom l’adjectif « indépendantes », et elle devient l’Union nationale des Églises réformées évangéliques indépendantes (UNEREIF, pour faire court, EREI)[3]. Cette union nouvellement constituée affirme « l’autorité des Saintes Écritures en matière de foi, et le salut par la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification ». Sa discipline précise que, pour devenir membre, il faut être attaché de cœur à l’ERE et à Jésus-Christ, son divin chef, mort et ressuscité, et vouloir vivre, avec l’aide de Dieu, selon les préceptes de l’Évangile. À cette époque, les pasteurs n’avaient pas l’obligation de souscrire formellement à la Confession de foi dite de La Rochelle[4].

L’ERF n’était certes pas uniformément libérale (elle était pluraliste – même si le mot n’existait pas encore à l’époque – mais pas systématiquement libérale). On y trouve plusieurs assemblées évangéliques ainsi que de grandes figures orthodoxes, comme Auguste Lecerf (1872-1943) et Jean Cadier (1898-1981), ainsi que le doyen de la future Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence, Pierre Courthial (1914-2009). Paradoxalement, à l’inverse, tous dans l’UNERE ne sont pas strictement calvinistes (même si tous sont évangéliques). La situation était donc quelque peu ambiguë avec une ERF dans laquelle il y a des réformés évangéliques et une ERE dont les membres se sentent souvent plus redevables au Réveil qu’à la Réforme.

Dès le début, dans l’ERE, en tant que nouvelle dénomination d’Églises, les dirigeants ont été conduits à créer une faculté de théologie[5]. Le lieu d’implantation choisi est Aix-en-Provence, aux Gazelles (nom de la propriété à l’époque). Le corps professoral est constitué en 1939 et quatre étudiants (plus cinq « élèves évangélistes ») arrivent pour l’année académique 1940-1941. L’itinéraire de la Faculté libre de théologie protestante ne sera jamais facile, notamment pendant l’occupation allemande. De plus, cette faculté n’a pas été vue d’un bon œil par tous dans le monde protestant. Et puis, en dépit des contributions haut de gamme de professeurs-collaborateurs comme E.-G. Léonard, la recherche théologique et biblique n’a pas pu atteindre un niveau remarquable. Une propriété adjointe aux Gazelles a pu être achetée en 1949, grâce en particulier à des dons venus de Suisse et d’Amérique[6].

Les relations entre l’UNEREI et la Faculté sont devenues progressivement difficiles. En 1954, un nombre important de professeurs démissionnent. Ensuite, de 1959 à 1967, les choses vont en empirant. Entre les problèmes de personnes et de recrutement, la faculté finit par cesser ses activités de formation des étudiants. Elle conserve certaines activités, notamment le suivi de quelques étudiants, l’organisation de soutenances de thèse, la mise en place d’un centre de formation pour les laïcs, la publication d’Études évangéliques, l’entretien des bâtiments… Tout cela n’est pas sans signification[7].

La faculté de théologie était donc en hibernation, mais pas au tombeau ! En effet, grâce à la vision et à la bonne volonté d’un certain nombre de personnes, la faculté s’est vue renaître. Pierre et Renée Filhol, laïcs très engagés, avec Eugène Boyer, missionnaire en France depuis des années, et d’autres comme André Tholozan, des EREI, et le Dr Edmund Clowney, doyen du Westminster Theological Seminary de Philadelphie (États-Unis), ont contribué, chacun à sa manière, à la création de la faculté deuxième phase. Préalablement à la réouverture de la faculté a été mis en place l’Institut d’études décentralisées, où quatre hommes ont assuré le gros de l’enseignement pour quarante ou cinquante inscrits : Eugène Boyer, « La prédication de l’Évangile et l’homilétique » ; François Gonin, « L’Évangile dans le monde moderne » ; Émile Nicole, « La Personne de Jésus » ; Bill Clark, « La théologie systématique ».

En même temps, une réflexion se poursuivait en vue de créer une faculté de théologie basée sur de nouveaux principes. Dès le départ, cette faculté ne fait pas l’unanimité chez les responsables des EREI, qui craignent un éloignement par rapport à l’Union d’Églises[8]. Un conseil de faculté est finalement mis en place, dont cinq (seulement) des membres seront élus par le synode.

Quelle sera la base théologique de cette faculté ? Qui seront ses professeurs ? Au synode de Ganges (4-6 mai 1973), il est décidé que le nom de la faculté sera Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence (FLTR), et qu’elle aura pour base doctrinale la Déclaration de foi de l’Alliance évangélique mondiale, « reçue à la lumière de la Confession de foi de 1559 ». Non seulement la faculté sera désormais autonome, mais elle exigera que chaque membre de son conseil comme du corps professoral adhère individuellement (par écrit) à la Confession de foi dite de La Rochelle (articles 1 à 38).

La FLTR ouvre ses portes en octobre 1974 avec quatorze étudiants et huit professeurs, dont trois sont à plein temps : Franck Michaëli, Ancien Testament ; Olivier Prunet, suivi de Peter Jones, Nouveau Testament ; Paul Wells, dogmatique ; Jean-Michel Hornus, histoire des religions ; Marguerite Baude et (ponctuellement) Jean Brun, philosophie ; Pierre Courthial, théologie pratique ; Eugène Boyer, évangélisation ; François Gonin et (ponctuellement) Pierre Chaunu, histoire.

Il est assez remarquable de constater que Pierre Courthial, après un ministère pastoral de vingt-trois ans dans la paroisse ERF de Paris-Annonciation, a décidé avec sa femme, Hélène, de quitter ce poste, à l’âge de soixante ans, pour habiter dans le « vieux bâtiment» d’Aix et entamer une toute nouvelle carrière : celle de doyen et de professeur de théologie pratique. Son imprimatur a été inappréciable. Pierre Berthoud s’est joint l’année suivante à l’équipe professorale pour enseigner l’Ancien Testament et l’hébreu. Jean-Marc Daumas arrive en 1977 pour enseigner l’histoire et moi-même, en 1979, pour enseigner l’apologétique. Marie de Védrines vient aussi, profitant d’une retraite précoce, pour assurer le secrétariat académique et, sous la direction de Paul Wells, le secrétariat de rédaction des publications de la faculté (La Revue réformée et les Éditions Kerygma).

Aujourd’hui, presque quarante ans plus tard, la faculté, dénommée désormais Faculté Jean Calvin, compte une centaine d’étudiants et un corps professoral de six enseignants à plein temps, ainsi que plusieurs professeurs associés. Au départ, la faculté avait pour mission le renouveau des Églises réformées ; aujourd’hui, elle se veut au service de toutes les Églises.

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Dans ce volume, un festschrift, nous célébrons deux professeurs d’Aix, Paul Wells et Pierre Berthoud, qui ont récemment pris leur retraite après de nombreuses années de service dévoué. Ils seraient les premiers à souligner que beaucoup d’autres, avec eux, ont contribué à bâtir la Faculté Jean Calvin. Certes, mais ils représentent, en quelque sorte, deux piliers sans lesquels il est difficile d’imaginer la réussite de cette entreprise.

Paul Wells, le premier des deux arrivés à Aix-en-Provence, est né à Liverpool, en France, le 18 mars 1946. Dans ces années d’après-guerre, les environs sont en ruine. Puisque son père était objecteur de conscience pendant la guerre, avant que les mentalités se soient assouplies, la famille a connu un certain rejet et même la pauvreté pendant quelque temps. Paul a fait ses études supérieures à l’Université de Liverpool, commençant en 1964, la même année qui a vu les Beatles voyager en Amérique ! Alors que Paul ne trouvait pas beaucoup de nourriture spirituelle dans son Église, il s’est consacré à la lecture de Martin Luther et de Jean Calvin. Passionné de la langue française, il a été particulièrement attiré par les ouvrages de Jean Calvin. Quelque quarante-cinq ans plus tard, il fera paraître, avec Marie de Védrines, une nouvelle édition de l’Institution de la religion chrétienne en français moderne. C’est à l’Université qu’il a aussi découvert les écrits de certains professeurs du Westminster Theological Seminary de Philadelphie, aux États-Unis, dans lequel il a poursuivi ses études, faculté où j’ai l’honneur d’enseigner. Avec sa femme, Alison (née Sutton), ils ont vécu trois ans à Philadelphie, où Paul a réussi un parcours brillant.

En 1967, le pasteur André Tholozan, président de la commission permanente des EREI, a demandé à Eugène Boyer, évangéliste en France – mais à ce moment-là en Pennsylvanie pour assister son père dans une Église évangélique –, d’aider à la réouverture de la Faculté de théologie d’Aix en trouvant des candidats professeurs réformés. Providentiellement, E. Boyer a rencontré, en se rendant à un congrès à Détroit (Michigan), le Dr Edmund Clowney, alors président du Westminster Seminary. Le Dr Clowney, qui aimait déjà beaucoup la France, décide alors de s’y rendre pour voir la situation sur place. Résultat : les Boyer rentrent en France en 1969. Ils occuperont un appartement dans le « vieux bâtiment » pendant dix ans : un exploit, car les locaux étaient dans un état pitoyable. Les Boyer, avec Pierre et Renée Filhol et d’autres, ont tout fait pour reconstituer la faculté. En 1971, E. Boyer entreprend un voyage de recrutement aux États-Unis. Je n’ai pas pu répondre, alors, à son appel, pourtant urgent, étant engagé dans une mission d’implantation d’Église à New Hope.

E. Boyer a pu rencontrer Paul Wells, qui était en deuxième année d’études à Westminster. Paul et Alison Wells s’installent à Aix en 1972 ; c’est ainsi que Paul devient un des « pères fondateurs » de la faculté[9]. C’est pendant ce même voyage qu’Eugène Boyer a rencontré Peter Jones, qui terminait son doctorat à Princeton et qui deviendra professeur de Nouveau Testament à Aix. Avec Pierre Filhol, Jean Vercier et d’autres, Paul s’est donné pour tâche de convaincre les EREI que l’important, à ce moment-là, était qu’il y ait non une faculté strictement rattachée à une union d’Églises, comme l’UNEREI, mais une faculté indépendante qui forme des pasteurs évangéliques exerçant leur ministère dans les EREI et dans l’ERF. En 1974, le conseil de faculté adresse un appel à Paul Wells ; lui et Alison y resteront jusqu’en 2012.

Il serait trop long de décrire dans le détail le parcours des Wells à Aix. Signalons quelques éléments significatifs. Paul a eu une influence déterminante dans les décisions concernant la configuration de la faculté, notamment la venue de Pierre Courthial, son premier doyen, qui a enseigné la théologie pratique jusqu’à sa retraite. Comme cela a été rappelé lors de la cérémonie de clôture de l’année académique 2012, lors du départ à la retraite des Wells, celui-ci était devenu le « disciple admiratif » de Pierre Courthial, qui trouvait souvent son inspiration auprès de Paul.

D’abord et avant tout, Paul a été professeur de dogmatique. Ses cours, comme ses livres, sont d’une lucidité et d’une clarté sans égal. La saine doctrine ne peut être formulée, à ses yeux, que si un travail scientifique d’exégèse a d’abord été effectué. Pour lui, la Bible, Parole de Dieu, « constitue l’unique autorité finale pour tout ce qui touche à la foi et à la vie pratique »[10]. Parmi ses très nombreux livres, plusieurs sont consacrés à expliquer les enseignements de la Bible.

Chacune de ses publications, livres ou articles, est axée sur la pratique. On le voit ne serait-ce que dans les titres : La foi chrétienne en libre accès ; Croire sans douter, le « Symbole des Apôtres » : une présentation pratique ; Du Notre Père à nos prières : pratique de la prière aujourd’hui ; et d’autres encore. Loin du théologien abstrait, Paul Wells a le souci d’aider ses lecteurs et ses auditeurs dans leur itinéraire spirituel. Mon souhait personnel serait qu’il rédige une théologie systématique, dont la francophonie a un grand besoin.

Sa thèse doctorale, soutenue à l’Université libre d’Amsterdam, est une critique du « nouveau libéralisme » du professeur James Barr, qui était d’ailleurs membre du jury. Après que celui-ci eut déclaré que Paul avait été exact dans la présentation de sa pensée, les autres membres du jury ne pouvaient guère formuler de reproches ![11]

La capacité de travail de Paul Wells est étonnante. Toujours épaulé par Alison, moins visible, certes, mais non moins efficace, il forme avec elle un couple, une équipe, de grande qualité. Je tiens à dire qu’Alison a été, pour ma femme et pour moi, une amie toujours présente, encourageante et fidèle dans la prière pour les nôtres. Habitant dans les locaux de la faculté, les Wells ont porté cette maison sur leur cœur tout au long de leur carrière.

Un des chefs-d’œuvre de Paul a été réalisé avec Marie de Védrines : la publication, en français moderne et en un seul tome, de l’Institution de Jean Calvin ainsi que, en 2012, d’une édition abrégée[12]. Ainsi, pensait-il, le lecteur ne pourrait pas oublier le livre IV, qui traite de l’ecclésiologie réformée. Paul s’est vu confier par le grand théologien Pierre Marcel La Revue réformée, dont il a modifié la présentation et qui paraît quatre fois par an. Ce périodique offre à ses lecteurs une matière solide, biblique et, en même temps, pratique. Paul s’est également occupé, de façon active, des Éditions Kerygma, qui, elles aussi, ont présenté au public une riche pensée théologique. Pour « couronner » son parcours à Aix, Paul a été nommé doyen de la faculté, poste qu’il n’a pas cherché et qu’il a pourtant excellemment assumé.

Paul Wells a souvent voyagé pour le rayonnement de la faculté, et de la bonne théologie réformée ! Malgré ses nombreuses années en France, il s’est montré capable, au Westminster Seminary, de prononcer des conférences… dans sa langue maternelle ! En mai 2009, il a reçu le doctorat ès lettres de Westminster, avec la citation suivante : « Pour votre éminent dévouement à la foi réformée en France, préparant les étudiants à reprendre les traces de Jean Calvin et des autres grands réformateurs, et pour vos remarquables contributions à la littérature réformée, il nous plaît de vous octroyer le grade de Docteur ès lettres. »

Je termine sur Paul Wells en citant deux de ses grandes passions : (1) le football européen et (2) le rock, surtout celui de Bob Dylan (sur lequel il a écrit un texte !). Ayant joué dans la même équipe que lui (du temps de notre jeunesse), je puis témoigner que, comme c’est le cas pour la théologie, sa passion du sport n’est pas seulement théorique ! Il en va de même, comme j’ai pu le vérifier à des concerts de rock et de blues, de sa connaissance en la matière qui est formidable. Que le prochain chapitre de sa vie, avec Alison, soit aussi fructueux que celui qui vient de se terminer !

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Pierre Etienne Berthoud est né à Morija, dans le Lesotho (Afrique du Sud), le 6 décembre 1943. La famille Berthoud a quitté l’Afrique du Sud en 1954 pour s’établir en France, où le père a exercé un ministère pastoral. Après son décès, sa mère, sa sœur Liliane et lui-même sont rentrés dans leur patrie, la Suisse (Pierre a un passeport neuchâtelois et une carte d’identité française)[13].

À l’âge de 18 ans, Pierre a dû accomplir son service militaire. Cette étape eut des aspects assez ludiques. À l’école des recrues où il a fait ses classes, il n’a pas été, paraît-il, un élément très sage. Pendant quatre mois, il a été « sanitaire », c’est-à-dire dans le personnel soignant qui ne portait pas d’arme. Il s’est débrouillé pour casser une aiguille de seringue en faisant une piqûre à un malade ! Il était constamment en conflit avec ses supérieurs et a été envoyé, plus d’une fois, en caserne de détention. Aspect assez touchant : il n’a pas voulu monter en grade, tenant à rester près des soldats.

Voulant approfondir ses connaissances en théologie, Pierre s’est inscrit à la Faculté de théologie de Lausanne. Ce fut une rude épreuve, car il y trouva un mélange de libéralisme et d’existentialisme, bien éloigné de la foi réformée et évangélique de son enfance. À Lausanne, il entend parler de la communauté de L’Abri, dirigée par Francis Schaeffer, pasteur et apologète américain, qui recevait des personnes de tout bord afin de leur présenter l’Évangile. Il refusa pendant deux ans d’y aller, alors que F. Schaeffer pouvait faire face aux intempestives prétentions de la théologie moderniste. Finalement, persuadé par Liliane, qui s’y était rendue et lui avait fait un bon compte rendu, Pierre décide de s’enquérir sur L’Abri. Mais, au lieu de se rendre à Huémoz-sur-Ollon, petit village dans la montagne où la communauté de L’Abri s’était installée, il a tenu à rencontrer F. Schaeffer à Lausanne, où il venait chaque semaine pour conduire une étude biblique. À la suite d’entretiens qui ont duré des heures, F. Schaeffer a insisté pour que Pierre vienne étudier à Huémoz. Pierre a fréquenté L’Abri tous les week-ends et pendant toutes les vacances. C’est là qu’il a acquis les éléments fondamentaux d’une vision chrétienne du monde, tout le contraire de ce qu’on enseignait à Lausanne. Pierre a reconnu, bien des années après, qu’il avait beaucoup plus appris à L’Abri qu’à la Faculté de théologie de Lausanne !

Sur la recommandation de Francis Schaeffer, Pierre est allé aux États-Unis pour faire ses études de bachelier (le Bachelors est aujourd’hui l’équivalent du Master of Divinity, qui correspond à notre maîtrise en théologie ; plus tard, il complétera son Master of Theology, équivalant au DEA).

C’est en Amérique que Pierre rencontre Danièle Moses, convertie à Londres (ce qui lui a coûté, dans un premier temps, le rejet de sa famille juive), qui enseignait le français au Wheaton College, près de Chicago. Il l’épousa le 17 juin 1967 à Paris. Après la fin des études de Pierre, les Berthoud sont partis pour la France, où Pierre, particulièrement doué pour les langues bibliques, a été chargé de cours à la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Mais, après neuf ans passés dans des facultés de théologie, en qualité d’étudiant ou d’enseignant, il a eu un fort désir de vivre quelque chose de plus pratique. En 1971, la famille Berthoud est donc partie pour Huémoz afin de travailler comme coéquipiers avec les Schaeffer.

La vie à L’Abri n’a pas été aisée pour la jeune famille, même si les Berthoud se sont attelés à la tâche. Il fallait non seulement rencontrer, chaque semaine, des douzaines de personnes ayant des besoins spirituels, mais aussi se rendre à des réunions, préparer des repas tous les jours pour ceux et celles qui venaient découvrir la vie à Huémoz. Les Berthoud ont eu leurs premiers enfants, ce qui n’était pas le plus facile en communauté (aujourd’hui, ils ont quatre enfants et huit petits-enfants). Après quatre années, Pierre a été sollicité deux fois par les responsables de la nouvelle Faculté d’Aix pour venir y enseigner l’Ancien Testament. Dans un premier temps, il a refusé, principalement parce qu’il ne se voyait pas revenir si tôt dans une faculté, alors qu’à L’Abri on vivait un christianisme intense, terre à terre. À la seconde sollicitation, Pierre Courthial lui a lancé un appel du type « tel Farel à Calvin »[14]. Après un mois de réflexion, Pierre a compris que le Seigneur l’appelait à Aix, où il est arrivé avec sa famille en 1975.

À la Faculté libre de théologie réformée, Pierre a enseigné l’hébreu, l’exégèse et l’Ancien Testament. Après mon départ, il assurera aussi le cours d’apologétique de première année. Les Berthoud ont habité successivement à Luynes, dans le « vieux bâtiment » de la faculté, avant de s’installer dans un appartement en centre-ville. Actif dans l’Église réformée de la rue Villars, Pierre n’a pourtant pas recherché une consécration. Les Berthoud n’ont jamais quitté le style de vie communautaire, même après L’Abri. Danièle a, pendant de longues années, dirigé le programme « School Year Abroad » du Gordon College, aux États-Unis, ce qui l’a conduite à superviser le placement d’étudiants dans des familles, dont la sienne, dans la région. Pierre, quant à lui, a siégé, et siège encore, dans une quantité de conseils : le Parvis des arts, la Ligue pour la lecture de la Bible, la FEET (Fellowship of European Evangelical Theologians)… pour n’en nommer que quelques-uns. Il est actuellement président du conseil de la Faculté Jean Calvin.

Pierre a écrit de nombreux articles sur des thèmes vétérotestamentaires, d’apologétique chrétienne et sur nombre d’autres sujets. Sa thèse de maîtrise sur la vie éternelle dans les Psaumes, écrite en anglais, est devenue le sujet de plusieurs articles[15]. Après des années de réflexions sur la Genèse, il a publié En quête des origines. Les premières étapes de l’histoire de la Révélation : Genèse 1 à 11, une étude bien documentée sur l’histoire des premiers âges[16]. Il a aussi participé à la traduction de plusieurs des livres de Francis Schaeffer.

Pierre a été à deux reprises doyen de la Faculté d’Aix (de 1984 à 2001, et de 2007 à 2009), exerçant dans sa fonction ses dons de pasteur et de diplomate. Très ordonné, il a à peu près tout gardé : documents, dossiers, rapports, procès-verbaux. Il n’oublie presque rien. Son sens de l’humour a beaucoup contribué à l’équilibre psychique de la faculté et, sans doute, de lui-même ! Son plus grand charisme est, sans doute, d’être capable de s’entretenir avec quiconque, cherchant toujours l’avantage de l’autre, s’efforçant de réconcilier ceux qui se disputent, cherchant le progrès du royaume de Dieu dans toutes les situations. Autrefois, on aurait dit qu’il savait pratiquer la cure d’âmes. Un de ses plus grands soucis a été l’unité aussi bien du corps estudiantin que du conseil des professeurs. Son décanat n’a jamais été de toute tranquillité. La faculté de théologie étant pionnière et fragile, il a eu à faire face à des problèmes de personnel, d’étudiants en détresse, ainsi qu’à des conflits venant de l’extérieur : les « libéraux » accusant la faculté de « fondamentalisme » et les conservateurs de libéralisme ! À cela s’est ajouté pour Pierre, plus que pour beaucoup d’autres, le souci des finances de la maison.

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Comme les Wells, mais sur un mode différent, les Berthoud ont été de très grands amis de la famille Edgar. Les mots me manquent pour exprimer, comme il conviendrait, ma reconnaissance envers le Ciel pour ces deux chers collègues :

Amitié, doux repos de l’âme,

Crépuscule charmant des cœurs…

(Lamartine)

Nos deux compagnons, retraités actifs, continuent d’œuvrer pour la bonne cause du royaume de Dieu dans le cadre de la Faculté Jean Calvin. Un des plus rassurants témoignages du bon travail accompli par Paul Wells et Pierre Berthoud est la jeunesse qui prend la relève. Loin de Paul et de Pierre l’idée de rester figés, immobiles, tels des leaders qui refusent de préparer l’avenir. Aujourd’hui, la faculté est en « bonne santé » grâce à leur vision. Nous leur sommes très reconnaissants. Nous attendons donc un avenir plein de vitalité pour cette maison, qui reste ‒ oui ! ‒ un miracle de Dieu. Que les pages qui suivent leur soient un hommage digne de leur stature.


[1] Cet article est tiré de Contre vents et marées. Mélanges offerts à Pierre Berthoud et Paul Wells, sous dir. Jean-Philippe Bru, Kerygma/Excelsis, Aix-en-Provence/Charols, 2014, p. 9-22, avec permission.

[2] W. Edgar est professeur d’apologétique au Westminster Theological Seminary de Philadelphie et professeur associé à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[3] Pour faire simple, j’appellerai cette Union d’Églises l’EREI ; de façon anachronique, puisque, au départ, ces Églises ont été pendant dix ans les ERE et, aujourd’hui, elles constituent l’UNEPREF (Union nationale des Églises protestantes réformées évangéliques de France). Toute l’histoire de la création des EREI et de leur faculté de théologie est admirablement racontée par Maurice Longeiret, Les déchirements de l’unité (1933-1938), et Réformés et confessants, pourquoi pas ?, Cléon d’Andran, Excelsis, 2004 et 2007. On consultera aussi, avec profit, Pierre Courthial, « La foi réformée en France : la Faculté réformée d’Aix, raison d’être et origines », La Revue réformée, 185 (1995/2-3), p. 1-24.

[4] Bien plus tard, elle décidera d’exiger une adhésion des pasteurs à la Confession de foi, ce qui ne se fera pas sans de grandes difficultés, notamment au vu de la question du baptême des enfants, puisque certains pasteurs avaient des doutes sur le pédobaptisme.

[5] Qui est, en fait, un transfert de l’ancienne faculté de théologie de Montpellier, elle-même héritière de celle de Montauban. Réformés et confessants, pourquoi pas ?, op. cit., p. 41-42.

[6] Dans le dernier cas, c’est Donald G. Barnhouse, pasteur de la Tenth Presbyterian Church, à Philadelphie, et francophile acharné, qui rassemble les fonds venant d’Amérique. La Huguenot Fellowship, fondée en 1977, a comme mission le soutien de la Faculté d’Aix. James Montgomery Boice, successeur de Barnhouse dans cette chaire, en a été le vice-président jusqu’à sa mort en 2000. La Fondation Boice existe pour assurer le soutien de la chaire de théologie pratique à Aix.

[7] M. Longeiret, Réformés et confessants, pourquoi pas ?, op. cit., p. 246-259.

[8] Ibid., p. 261.

[9] « La foi réformée en France », art. cit., p. 21.

[10] P. Wells, Quand Dieu a parlé aux hommes, Guebwiller, Ligue pour la Lecture de la Bible, 1985, p. 9.

[11] P. Wells, James Barr and the Bible : Critique of a New Liberalism, Phillipsburg, USA, P&R Publishing, 1980.

[12] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, Aix-en-Provence/Charols, Kerygma/Excelsis, 2009, 1516 p. et, en 2012, abrégée, 461 p.

[13] Je suis très reconnaissant de la « complicité » de Danièle Berthoud pour les renseignements biographiques qu’elle a bien voulu me fournir.

[14] Selon D. Berthoud.

[15] Cf. Resurrection and Immortality in the Psalms with Special Reference to the Concept of Life. The Significance of M. Dahood’s Hypothesis Twenty Years after the Publication of his Commentary, St. Louis, USA, Covenant Seminary, 1991, p. 38-48 ; et « La vie et l’éternité dans l’Ancien Testament, en particulier dans les Psaumes », La Revue réformée 51 (2000/1), p. 1-20.

[16] Cléon d’Andran/Aix-en-Provence, Excelsis/Kerygma, 2008.

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