Le rôle de la Bible dans la relation d’aide

Le rôle de la Bible dans la relation d’aide

Paul MILLEMANN*

S’intéresser au rôle de la Bible dans la relation d’aide suscite bien des questions, car il existe non pas une seule approche, mais plusieurs, qui dépendent pour beaucoup de la définition même de ce qu’est la relation d’aide dans l’Eglise, de la manière de comprendre et d’appliquer le texte biblique non seulement dans nos vies personnelles, quand nous sommes chargés d’accompagner la souffrance des autres, mais également dans la vie ceux-ci. Quel intérêt y a-t-il à s’appuyer sur la Bible dans l’accompagnement de la souffrance ? Comment un ouvrage si ancien aurait-il quelque chose à proposer face à l’ensemble des difficultés et des questionnements de l’être humain ? Le texte biblique peut-il répondre à toutes les questions dans le contexte d’aujourd’hui ? S’interroger sur le rôle de la Bible dans la relation d’aide suppose bel et bien de tenir compte de la pertinence du message biblique face à la souffrance présente dans le monde contemporain. Oui, la Bible a un message clair. Même si son premier but est la réconciliation avec Dieu, le renouvellement d’une relation avec le Créateur – lesquels passent par la compréhension et l’acceptation du message de rédemption de Jésus- Christ –, la Bible a aussi un message à transmettre à celui qui souffre. C’est du moins ce qu’affirme, de façon très forte, David Powlison lorsqu’il considère le changement de perspective de la personne qui,  interpellée par Dieu au moyen de la Bible, porte un autre regard sur sa souffrance. Il affirme :

La personne change à plusieurs niveaux : une nouvelle compréhension de Dieu, de soi et de la situation, une transformation du cœur, un retour à Dieu avec une foi vivante, une reconnaissance de la providence divine dans sa situation, de nouvelles actions marquées par la sagesse et l’obéissance. Quand les âmes sont guéries, les gens témoignent de leurs difficultés externes, de leurs combats intérieurs, de la providence active de Dieu et de sa parole, si pertinente. Presque invariablement, ils précisent comment deux moyens de grâce ont constitué un moteur à leur encouragement, leur instruction et leur transformation : (1) la compréhension d’un passage particulier de l’Ecriture qui est devenu vérité pour eux ; (2) l’amour d’une personne digne de confiance, incarné par Jésus-Christ[1].

Le texte biblique invite à une rencontre avec Dieu, à la découverte du plan rédempteur accompli par Jésus-Christ. Le texte de la Bible ne laisse donc pas indifférent. Et dans le domaine de l’accompagnement de la souffrance, il a aussi quelque chose à dire, pour peu que l’on veuille se donner la peine de chercher à le comprendre. Pourtant, la notion de relation d’aide n’est pas toujours des plus simples à comprendre ou à clarifier. C’est pour cela qu’il nous semble tellement important de préciser ce à quoi correspond la relation d’aide, car les formes et les pratiques, dans nos milieux protestants et évangéliques, sont à géométrie variable. Nous tenterons, ensuite, de définir quatre éléments incontournables pour une pratique de relation d’aide où la Bible joue un rôle essentiel. Puis, nous chercherons à préciser pourquoi il est nécessaire pour une personne chargée de l’accompagnement d’être au clair sur les principes d’interprétation du texte biblique. Ceci nous conduira à préciser qui peut accompagner « Bible en main » pour transmettre un message utile à l’accompagné, avant de conclure par quelques recommandations pratiques.

I. Définir ce qu’est la relation d’aide biblique

La notion même de relation d’aide est née dans le champ de la psychothérapie. Au départ, elle est totalement étrangère au contexte de l’Eglise locale et de la théologie. C’est le psychologue Carl Rogers, qui, le premier, a défini le terme. Il précise :

L’intérêt que je porte à la psychothérapie m’a conduit à m’intéresser à tous les genres de relation d’aide. J’entends, par ce terme, des relations dans lesquelles l’un au moins des deux protagonistes cherche à favoriser, chez l’autre, la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d’affronter la vie… On pourrait encore définir une relation d’aide comme une situation dans laquelle l’un des participants cherche à favoriser, chez l’une ou l’autre partie ou chez les deux, une appréciation plus grande des ressources latentes internes de l’individu, ainsi qu’une plus grande possibilité d’expression et un meilleur usage fonctionnel de ces ressources[2].

Il y a, dans cette définition, à la fois l’idée d’un accompagnement des personnes et celle d’un progrès sur le chemin de la vie. Dans le champ de théologie, l’accompagnement de la souffrance a longtemps été appelé cure d’âme, même si un tel terme reste bien imparfait. C’est progressivement, avec l’ajout de l’adjectif « chrétienne » ou « biblique », que l’expression relation d’aide a remplacé celle de la cure d’âme. Toutefois, cela n’a pas permis pour autant de clarifier les théories sous-jacentes, les sources d’influence venant du champ des sciences humaines, ni les fondements bibliques ou les applications pratiques de la relation d’aide au contexte de l’Eglise locale. Aujourd’hui, il existe de nombreuses approches de relation d’aide chrétienne et il est, parfois, difficile de savoir quel type d’accompagnement de la souffrance peut être pratiqué si on se limite à l’usage du terme relation d’aide. Dans le cadre de l’Eglise locale, il semble préférable d’évoquer la notion d’accompagnement de la souffrance qui peut se vivre dans le cadre d’un dialogue ou d’un entretien pastoral visant la croissance spirituelle de l’individu bénéficiaire de cet accompagnement. A ce titre, la Bible a un rôle essentiel à jouer puisqu’elle a ce statut particulier de révélation de Dieu pour les hommes. Comprendre et mettre en pratique ce que dit l’Ecriture est donc un des fondamentaux de ce que nous pourrions convenir d’appeler « relation d’aide biblique ». David Powlison précise :

Le modèle biblique s’avère plus qu’un « modèle », un système conceptuel ou une théorie de la personnalité parmi d’autres. La vérité introduit une personne, un Rédempteur agissant. L’essence même de l’humanité consiste à aimer un Sauveur, Père, Maître et Seigneur. Nous n’observons plus de « psychopathologies » et de « syndromes », nous devenons conscients de « péchés » commis contre cette personne et considérons nos souffrances comme des « épreuves » révélant notre besoin d’un véritable libérateur et d’un refuge. Nous ne suggérons plus que notre guérison s’effectue par l’entremise d’une approche psychodynamique, de besoins comblés, d’un monologue intérieur renouvelé ou d’une réhabilitation comportementale, mais nous recevons plutôt la véritable grâce de Dieu pour notre salut[3].

Dans ce cadre précis, la relation d’aide biblique doit être perçue et comprise comme un accompagnement de la souffrance, qui s’appuie sur une compréhension et une mise en pratique de la Bible dans la vie de celui qui souffre. L’accompagnant est, à ce titre, un instrument dans les mains du Rédempteur, destiné à communiquer un message de vérité, de grâce et d’amour, à encourager celui qui souffre à se tourner vers Dieu et à cheminer avec son soutien dans les difficultés de la vie. Le but fondamental de l’approche que nous défendons est de viser la réconciliation avec Dieu et, par voie de conséquence, avec les autres et avec soi-même. Nous voulons aussi rappeler que la relation d’aide biblique s’appuie sur certains éléments incontournables. Nous en avons retenu quatre, qui nous semblent déterminants, en matière d’accompagnement de la souffrance dans le cadre de l’Eglise locale.

II. Quatre éléments incontournables d’une relation d’aide biblique

Sans vouloir établir une hiérarchisation entre ces éléments, il est utile de préciser chacun d’entre eux, car la manière de les appréhender pourra donner une coloration différente au style de relation d’aide pratiqué.

1. La question de l’anthropologie biblique détermine clairement le style de relation d’aide proposé. Nous avons eu l’occasion de réfléchir plus longuement à cette question dans un numéro précédent de La Revue réformée[4]. Retenons simplement ici, selon une synthèse des données d’anthropologie biblique, que l’homme est une personne globale, avec une distinction entre l’être intérieur (cœur, âme, esprit) et l’être extérieur (le corps), selon 2 Corinthiens 4.16. En termes théologiques, cette conception est appelée dualisme holistique. Elle a le mérite de montrer l’importance d’un renouvellement des pensées, des motivations internes dont les effets seront visibles sur les comportements de l’être humain. Les approches de relation d’aide considérant le dualisme holistique comme un prérequis montreront l’influence du texte biblique sur le cœur de l’homme pour le conduire à penser d’une nouvelle manière et à agir en conséquence.

2. La définition biblique du problème. Ici se pose toute la question de la compréhension de la souffrance et de la maladie ainsi que de ce que l’Ecriture peut donner comme clé de lecture et de compréhension de ces problèmes. Henri Blocher précise :

La maladie affecte les organes, les structures, les vecteurs dont dispose le cœur, ce noyau de la personne humaine. Elle peut donc se définir, sans trop s’éloigner de la pensée biblique, comme le dysfonctionnement des organes physiques ou psychiques – car il existe aussi un organisme psychique – que le sujet possède pour vivre dans le monde[5].

La présence de la maladie et de la souffrance dans le monde est une conséquence directe de l’irruption du péché qui s’y est produite. Dans la mesure où nous faisons partie d’une condition humaine déchue, nous sommes confrontés à la réalité de la maladie et de la souffrance, déjà pour nous-mêmes. Cependant, un des écueils en matière d’accompagnement serait de fonctionner d’une façon similaire à celle des amis de Job, qui, au lieu de rester des modèles de compassion et de soutien extraordinaire, tels qu’ils se sont montrés dans le chapitre 2, se sont mis à ouvrir la bouche et à proférer des inepties en faisant le lien entre la souffrance de Job et ses éventuels péchés personnels. L’un des grands enjeux dans la relation d’aide biblique est d’arriver à dépasser la grande question sans réponse : « Pourquoi moi et pourquoi maintenant ? » pour arriver à considérer les choses d’une autre manière : « Qu’est-ce que je peux apprendre sur Dieu, sur moi-même, sur la vie au travers de cette épreuve ? » Cela ne voudra jamais dire qu’il faut ignorer la souffrance ou la maladie, mais cela suppose qu’il est possible de porter un regard neuf sur les circonstances de nos vies et de les vivre avec la paix et le secours de Dieu. Notons, enfin, que les maladies ne se limitent pas à la sphère physique. Elles touchent, en premier lieu, l’être intérieur, et leur impact se traduit aussi dans certains comportements. Jean-Claude Larchet précise :

Par l’œuvre du Christ, l’homme a été libéré des démons et des passions qu’ils imposaient. Si la théologie occidentale a mis en avant l’œuvre juridique de la rédemption, la théologie orientale de son côté a mis un accent essentiel sur l’œuvre de médecin jouée par Christ. Le rédempteur est sauveur et guérisseur. Il a souvent été appelé « Grand médecin » par les Pères. Le salut en Christ est donc guérison pleine et entière de l’humanité malade. Mais la maladie de l’homme est à la fois corporelle, psychique et spirituelle. La nature humaine doit être orientée vers Dieu et trouver son plein accomplissement en lui[6].

La relation renouvelée avec Dieu par l’œuvre du Rédempteur est donc œuvre de guérison du mal profond, mais cela ne veut pas dire que les moindres maux que nous devons endurer ici-bas seront guéris. Notons, enfin, que l’être humain n’est pas seul face à ses problèmes et la communauté chrétienne peut être un lieu de soutien mutuel et de croissance où nous sommes invités à porter ensemble les fardeaux les uns des autres.

3. Les modalités d’analyse du problème sont également importantes. En définissant la notion de diagnostic différentiel biblique, il devient possible de mieux comprendre les problématiques des personnes. En premier lieu, il s’agit, selon 2 Corinthiens 5.17-21, de définir le statut juridique de la personne : est-elle chrétienne ou non, car l’accompagnement  sera différent. En second lieu, nous cherchons à apprécier le degré de maturité spirituelle, selon Hébreux 5.11-14 et, en troisième lieu, essayons de comprendre si la personne en souffrance vit dans le désordre, si elle est abattue ou faible selon 1 Thessaloniciens 5.14. Puis nous mettrons l’accent sur les attributs de la personne (présentés en Genèse 1 et 2), qui, en raison de la chute, ont évolué sous la forme de besoins. Enfin, nous considérerons deux choses : d’une part, le choix de solution adopté par la personne (charnelle ou spirituelle, selon 1 Corinthiens 3) et l’état du cœur (convoitise de la chair, convoitise des yeux ou orgueil de la vie selon 1 Jean 2.16). A partir de ces six diagnostics différentiels bibliques, il deviendra possible de proposer un accompagnement pour que la personne en souffrance découvre les solutions bibliques susceptibles de répondre à sa problématique. L’accompagnant ne peut pas obliger celui qui souffre à croire, mais il peut le conduire dans la découverte des principes à mettre en œuvre pour porter un autre regard sur sa souffrance et sur la manière d’y faire face.

4. L’implication de Dieu. Dans le domaine de la relation d’aide, nous ne pouvons pas faire l’économie de la présence de Dieu, de l’action de sa souveraineté dans notre vie, comme dans celle de la personne. Le rôle du Saint-Esprit est de conduire les hommes et les femmes dans la vérité, de les aider dans leur cheminement avec Dieu. A cet effet, il est un « acteur essentiel » dans le domaine de la relation d’aide et, à ce titre, son action ne doit pas être négligée pour accompagner dans une démarche de croissance spirituelle. La psychologie, en cherchant à résoudre les tensions et les souffrances de l’homme, a évacué la dimension spirituelle, telle que la Bible en parle. Gérald Bray note :

Tous les êtres humains, qu’ils soient régénérés ou non, ont obligatoirement une relation avec Dieu, en vertu du fait qu’ils ont été créés à l’image de Dieu. La psychologie moderne, qui travaille sur le fondement de la nature humaine, a trouvé le moyen de supprimer le péché et la culpabilité – ce qui peut se comprendre. Le péché, et la culpabilité qui l’accompagne, n’est pas inhérent à notre nature, laquelle demeure semblable à ce qu’elle était avant la chute. Par contre, il est inhérent à notre personne. Le péché est toujours un acte personnel de désobéissance à Dieu[7].

La relation d’aide biblique doit tenir compte du Dieu qui se révèle et qui veut restaurer une communion pleine et entière avec lui. Dieu a accompli l’œuvre du salut. Il commence le travail de guérison dans nos cœurs. Le Dieu, saint et miséricordieux, unique et trinitaire est aussi un Dieu rempli d’amour qui veille sur les hommes et les invite à retrouver la paix avec lui et les uns avec les autres. Le plan du salut orchestré par le Père, accompli par le Fils et attesté par l’Esprit Saint, ne peut pas être mis de côté. Il est commencement d’une vie nouvelle qui invite chacun à marcher de progrès en progrès. Dieu est présent tout au long du processus d’accompagnement. L’accompagnant n’est pas seul, Dieu agit par son Esprit et aide chacun à comprendre et à mettre en pratique la Bible, d’où la nécessité, pour l’accompagnant, de rappeler cette réalité et de bien connaître le texte biblique.

III. Du côté de l’accompagnant, quels sont les principes d’une interprétation biblique ?

Une démarche de relation d’aide biblique tient compte de l’interprétation du texte biblique trouvée pour accompagner la personne qui chemine avec sa souffrance. Ainsi, pour les difficultés de l’être humain (souffrance, émotions, relations humaines…), le texte biblique offre une grille de lecture utile que tout accompagnant doit comprendre afin de la rendre, pour l’accompagné, explicite et accessible. La Bible n’est pas, en effet, un texte neutre, car elle est, avant tout, Parole de Dieu pour les hommes. Pour comprendre et appliquer le texte biblique, il est nécessaire de l’interpréter. Dominique Angers précise :

Quand une personne lit la Bible, elle l’interprète forcément, puisqu’elle la comprend d’une manière ou d’une autre. Interpréter, c’est simplement adopter telle ou telle compréhension du texte, qu’elle soit juste ou fausse. Le fait que tous, qu’ils le veuillent ou non, soient des interprètes de la Bible (avec des degrés variables de compétence) devrait encourager chacun à  examiner ses pratiques et à viser une croissance régulière dans ce domaine[8].

Oui, Dieu a quelque chose à dire sur nos vies ; encore faut-il l’entendre et le comprendre. Si le texte biblique doit être interprété, toute la question est alors de savoir quelle interprétation doit primer devant une problématique difficile à comprendre et à vivre ? Celle du conseiller qui accompagne ? Celle de la personne souffrante qui chemine avec lui ? C’est à ce niveau que la Bible donne des éléments indispensables pour l’accompagnement. Daniel Timmer note, à ce propos, au sujet de la Bible dans l’accompagnement :

Les chrétiens qui utilisent les Ecritures en accompagnement partagent quelques présupposés. Pour commencer avec les plus fondamentaux, il faut noter que les chrétiens croient que les Ecritures parlent, plus ou moins directement, de la problématique vécue par la personne en demande[9].

Cependant, la Bible n’a pas été écrite comme un manuel de psychologie ou un traité de médecine psychiatrique offrant une classification par pathologies repérables tant par leur diagnostic que par les méthodes de traitement correspondant aux diagnostics établis selon ses présupposés. La Bible présente un caractère unique, celui d’un message qui interpelle et qui invite à une réponse claire à l’appel de Dieu pour les hommes. La Bible est révélation verbale de Dieu, comme l’indique Henri Blocher :

Elle est instruction fondamentale (c’est le sens de Tora) pour la construction selon Dieu de la vie des fidèles. Elle s’applique dans l’histoire, dont les prophètes interprètent et président au nom de Dieu le déroulement. Elle implique réponse de l’homme, selon ce paradoxe que dans les « Ecrits » les réflexions des sages, et même les prières adressées à Dieu, sont parole de Dieu. Dieu parlant à l’homme parle tellement par l’homme que la réponse de l’homme à Dieu trouve déjà son archétype, donné par Dieu, dans la révélation même. Ainsi le Psaume 19, hymne de louange aux affinités sapientielles, nous apprend avec l’autorité de l’inspiration comment accueillir l’instruction divine[10].

Si Dieu laisse des instructions aux hommes par la Bible, en s’appuyant sur la personnalité de chaque auteur pour communiquer un message qui concerne leurs contemporains, le message transmis reste d’actualité pour nous aujourd’hui. La Bible n’est pas un simple livre d’histoires, elle offre un message diversifié, selon les auteurs, leurs buts, le contexte de vie, le message à transmettre aux destinataires immédiats. Mais ce message, malgré la diversité d’auteurs humains, reste unique parce qu’il y a, derrière les auteurs, un Dieu qui cherche à entrer en relation avec nous et qui communique un message précis. La Bible est parole d’hommes à d’autres hommes dans un contexte donné ; elle est Parole de Dieu pour ces hommes et suppose d’être comprise en fonction du message que les auteurs avaient souci de transmettre à leurs contemporains ; mais ce message nous concerne également dans nos vies quotidiennes.

Ecouter le texte biblique, le comprendre et l’utiliser dans l’accompagnement n’est donc pas quelque chose de neutre et doit être accompagné de discernement du côté de l’accompagnant afin que tout dérapage soit évité. Quel peut être le but de la transmission de la Bible d’une façon générale et quel en est l’impact au niveau de l’accompagnement de la souffrance ? Paul David Tripp souligne que les personnes accompagnant la souffrance d’autrui font fonction d’ambassadeur du message de la réconciliation avec Dieu. Il affirme en effet :

Christ nous appelle à être ses ambassadeurs, en respectant son message, ses méthodes et son caractère (2 Corinthiens 5.14-21). Notre appel nous permet de représenter le Seigneur de l’univers auprès des gens qui nous entourent ! Dieu prend des individus perdus, perplexes, découragés, rebelles et égoïstes, et, par sa grâce, il leur accorde une nouvelle puissance alors que sa gloire les anime d’un souffle nouveau. […] Nous devenons des instruments de changement en incarnant l’amour de Christ, en partageant les problèmes des autres, en nous identifiant à leurs souffrances et en témoignant de la grâce de Dieu à ceux que nous appelons à changer[11].

Le cœur du message dans l’accompagnement de la souffrance est de viser la réconciliation avec Dieu, qui est à l’écoute des souffrances, qui offre amour et compassion à celui qui se tourne vers lui. L’accompagnant doit posséder une certaine connaissance biblique et chercher à développer au mieux des principes qui permettent une bonne interprétation du texte biblique. Dominique Angers note qu’il existe dix conditions pour bien interpréter le texte biblique[12]. Nous allons mettre ici l’accent sur les trois qui nous semblent le plus utiles dans notre cadre du travail d’accompagnement : la lecture attentive au contexte, la lecture respectueuse des différents styles littéraires, la lecture qui adhère au principe d’harmonie ou d’analogie de la foi[13].

  • Comprendre le texte biblique nécessite de bien appréhender le contexte propre au verset et au passage utilisé dans le cadre de l’accompagnement. Au-delà du contexte historique du livre biblique, il importe, pour Dominique Angers, de tenir compte du contexte littéraire qu’il voit se décliner sur trois niveaux. Il souligne en effet : « Quant aux contextes littéraires, ils se situent à trois niveaux : a) ce qui précède et suit immédiatement un passage ; b) l’ensemble du livre dans lequel il s’inscrit ; c) toute l’Ecriture[14]. » L’application de ces principes à l’accompagnement souligne toute l’importance de connaître le verset biblique dans son contexte littéraire immédiat et dans son contexte plus élargi, s’il s’inscrit dans un développement plus long dans une partie du livre biblique, avant de considérer l’ensemble du livre biblique concerné. Tout lecteur biblique aura donc le souci d’observer, en premier lieu, le texte biblique en considérant le style littéraire, le but du livre, les destinataires, l’auteur du livre. Il cherchera, ensuite, ce que veut dire l’auteur, à qui et pourquoi, afin d’interpréter le texte biblique dans le respect du texte avant d’en déduire, dans un premier temps, des applications pour lui-même. Dans son rôle d’accompagnant, celui qui a cherché à comprendre le sens du texte biblique cherchera à l’expliquer à celui qui souffre afin de lui offrir une autre perspective par rapport à ses difficultés.
  • Un deuxième élément important pour interpréter la Bible et l’utiliser en accompagnement est de tenir compte des différents styles littéraires. Gordon Fee et Douglas Stuart proposent des pistes utiles pour mieux comprendre le texte biblique[15]. Pour ces deux auteurs, l’attitude de l’interprète de la Bible doit être différente selon qu’il est en face d’un texte narratif, d’un écrit de sagesse ou prophétique, d’un texte de loi, d’une épître, d’un évangile ou d’un texte de genre apocalyptique. Dans le cadre d’un accompagnement de la souffrance, le texte narratif favorisera l’identification de celui qui souffre avec le personnage biblique. Il pourra montrer en particulier comment Dieu répond aux questions essentielles des hommes et comment ces derniers peuvent apprendre à compter sur lui. Prenons l’exemple de Méphibosheth, qui apparaît à plusieurs reprises en 2 Samuel (4.4 ; 9.1-13 ; 16.1-4 ; 19.25-31), qui souffrait d’un handicap sévère. Le roi David a pris soin de lui, en vertu d’une promesse faite à son père Jonathan. David a porté un regard rempli de compassion sur cet homme et a su lui rendre une certaine dignité. Une telle attitude préfigure l’attitude de Jésus à l’égard des personnes en souffrance et témoigne de l’intérêt que Dieu porte aux blessés par la vie. Un autre exemple nous est donné par le livre des Psaumes, qui contient des prières dont la profondeur et la force illustrent bel et bien l’expression des émotions, des douleurs de leurs auteurs. Ainsi, David livre ses questions au Psaume 13, les fils de Qoré, dans les Psaumes 42 et 43, expriment leur peine face à l’impression d’être éloignés de Dieu, ou encore Asaph, qui, dans le Psaume 73, témoigne de son incompréhension devant la réussite des hommes corrompus. De tels textes constituent un miroir des émotions humaines. Pour celui qui est dans la détresse il y a un côté rassurant, car il perçoit que Dieu n’est pas insensible à la souffrance des hommes, qu’il attend que les émotions soient exprimées devant lui, en toute liberté. Le texte d’une épître, qu’elle soit paulinienne ou de la main d’un autre auteur, pourra donner des clés utiles de compréhension de la vie communautaire et du soutien des uns et des autres devant les difficultés de la vie. Il est essentiel pour l’accompagnant de bien comprendre la spécificité du texte biblique pour l’utiliser au mieux dans le cadre des entretiens d’accompagnement.
  • Enfin, en ce qui concerne l’harmonie de l’Ecriture et l’analogie de la foi, Henri Blocher souligne : « Appliquer l’analogie, c’est d’abord comparer tous les passages pertinents sur un sujet donné, en respectant l’obligation méthodologique d’éviter les contradictions de fond. Elle implique une interprétation biblique systématique[16]. » Cela revient à dire que l’interprétation des passages difficiles suppose leur confrontation aux passages plus simples. En tenant compte d’un tel principe, il devient possible de mieux appréhender les contradictions apparentes entre certains textes et de comprendre, de façon plus évidente, le sens général du texte biblique et ses implications dans la vie du croyant. Ainsi, pour promouvoir une utilisation pertinente de la Bible dans l’accompagnement de la souffrance, il est essentiel que la personne qui accompagne celui ou celle qui doit faire face à des difficultés importantes, dispose d’une bonne connaissance de la Bible, tant en ce qui concerne son contenu que sa spécificité de Parole de Dieu pour les hommes.

Pour comprendre le texte biblique et ses implications, le Saint-Esprit joue un rôle essentiel, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner. Celui qui accompagne la souffrance n’est donc pas seul. Il bénéficie du secours de Dieu qui agit, à la fois dans son cœur et dans celui de la personne souffrante, pour aider chacun à progresser dans la foi et porter un autre regard sur les difficultés présentes. Existe-t-il dans ce cas des critères précis qui permettent de déterminer qui est en mesure, une Bible en main, d’accompagner au mieux la souffrance ?

IV. Transmettre un message libérateur pour l’accompagné : qui peut accompagner la souffrance « Bible en main » ?

Le pasteur n’est pas le seul à accompagner la souffrance dans le cadre de la communauté chrétienne. Il semble toutefois utile qu’il travaille de concert avec des personnes qualifiées, dignes de confiance et capables d’intervenir dans ce domaine de l’accompagnement de la souffrance. Il importe de rappeler, ici, une distinction en matière d’accompagnement entre des situations qui relèvent du soin médical et de la psychiatrie qui correspondent à des pathologies lourdes et d’autres problématiques liées à la souffrance individuelle, plus fréquentes, et pour lesquelles un accompagnement dans le cadre de l’Eglise reste pleinement possible. Si les frontières entre une problématique psychiatrique et des troubles psychiques ne nécessitant pas forcément un accompagnement médical ne sont pas toujours simples à établir, il nous semble que deux critères peuvent nous aider à faire la part des choses.

D’une part, il y a la question de mise en danger et de risque vital qui doit être considérée. Dans ce cas précis, si la personne qui souffre peut agir et mettre en grave danger sa vie ou celle d’autrui, un accompagnement psychiatrique semble indispensable. D’autre part, quand il y a perte de contact avec la réalité (expériences délirantes, hallucinations…), l’accompagnement psychiatrique semble également nécessaire. En revanche, pour les personnes confrontées à des difficultés de la vie, des angoisses, des déprimes, l’accompagnement peut se faire dans le cadre de l’Eglise. Il nous arrive fréquemment d’imaginer que l’accompagnement de la souffrance dans l’Eglise nécessite un certain niveau de formation et des compétences particulières pour éviter de faire des erreurs. La formation semble essentielle pour encourager et accompagner dans le cadre de l’Eglise locale et pour orienter vers l’extérieur dans les situations de pathologies lourdes ; mais, pour l’essentiel, l’accompagnement peut être envisagé par la communauté, en tant que lieu de soutien mutuel, de formation du peuple de Dieu dans une démarche de croissance spirituelle. C’est, en tout cas, la position que défend Larry Crabb quand il indique :

La relation d’aide professionnelle est une forme particulière de dialogue que nous estimons praticable uniquement par des gens spécialement formés à cet exercice. Or, cette affirmation ne repose pas sur des preuves solides. Parler de nos difficultés à quelqu’un est évidemment une bonne idée qui aide souvent. La plupart des gens qui se confient au thérapeute trouvent que c’est utile. Mais les facteurs qui rendent le dialogue fécond n’ont pas grand-chose à voir avec la spécialisation professionnelle. Nous avons des raisons de penser que les gens attentionnés, intelligents, n’ayant pas de formation pour devenir des conseillers professionnels, peuvent obtenir des résultats semblables, sinon meilleurs, lorsque leurs efforts pour engager un dialogue fécond sont l’expression d’une communauté ecclésiale en bonne santé[17].

Si le pasteur ou les anciens doivent s’impliquer dans l’accompagnement de la souffrance, ils se retrouvent dans une posture de conseiller chrétien, qu’ils le veuillent ou non, selon David Powlison[18]. Ce n’est cependant pas la seule mission inhérente au travail pastoral. Un responsable d’Eglise, quel qu’il soit, est invité à exercer une fonction de direction dans un cadre collégial, une fonction d’enseignement et de formation des membres et sympathisants de l’Eglise, comme une fonction d’accompagnement des personnes dans leur cheminement et leur croissance spirituelle.

Un collège pastoral pourra, en effet, développer une spécificité d’accompagnement des personnes, prendre soin et entourer les personnes en souffrance. En tant qu’instruments dans les mains du Rédempteur, les responsables d’Eglise sont invités à témoigner de leur amour pour lui aux personnes en souffrance. Un autre argument est de souligner qu’ils offrent une présence à des moments spécifiques, tels les fiançailles ou les mariages, les accidents, les maladies ou les hospitalisations. Aux différentes étapes du cycle d’une vie : mort d’un proche, naissance d’un enfant ou encore perte d’un emploi,  temps de chômage. Quoi qu’il en soit, un collège pastoral va offrir une présence à la fois auprès de ceux qui luttent et qui sont dans les difficultés, qui n’arrivent pas à faire face, et auprès des autres capables d’affronter les difficultés. L’accompagnement pourra être facilité en raison du climat de confiance qui peut exister, car les personnes connaissent déjà leurs responsables et, de ce fait, peuvent être prêtes à partager leurs difficultés, pour recevoir un conseil avisé et une aide. Cela leur permettra de comprendre le soutien que Dieu peut apporter dans les temps d’épreuves.

En raison de ces différents arguments, la relation d’aide pratiquée au sein de l’Eglise locale va différer de façon assez radicale de l’accompagnement de la souffrance pratiqué dans un cabinet de thérapeute, extérieur à l’Eglise. En effet, la méthode d’accompagnement se caractérisera par l’utilisation de questions dont le but n’est pas le même que dans une thérapie classique. Dans le cadre de l’Eglise locale, la prière sera largement présente dans l’accompagnement, car elle invitera chacun à se recentrer sur Dieu. De même, la Bible sera utilisée pour encourager la compréhension de la perspective que Dieu donne dans le cadre de cet accompagnement. Un responsable d’Eglise sera invité à encourager, à soutenir, à  favoriser les progrès dans la foi et dans la maturité spirituelle. Dans de tels accompagnements, Dieu est présent. Il restaure les personnes dans leur dignité et les accompagne dans les traumatismes de leur vie.

Un thérapeute classique ne parlera jamais des attributs de Dieu, de la personne du Créateur, de la spécificité du salut et de ses implications pour la restauration de la personne. Le message biblique de l’accompagnement est de rappeler que Dieu cherche la réconciliation avec lui et que cette dernière n’est possible que par l’œuvre de rédemption de Jésus-Christ. Si les hommes et les femmes, qui souffrent à cause des traumatismes de leur vie, découvrent qu’ils peuvent être réconciliés avec Dieu et que, par voie de conséquence, ils seront réconciliés avec les autres, comme avec eux-mêmes, leur approche des circonstances douloureuses de la vie sera radicalement différente. Dieu pardonne et fait grâce, et il invite chacun à comprendre son message d’amour et de paix, qui permet de développer une autre approche de la souffrance. Dans l’Eglise locale, chaque chrétien est invité à devenir ambassadeur de la réconciliation. Le pouvoir de changer ne dépend pas que de nous. Mais, dans les mains du Rédempteur, nous devenons des personnes invitées à transmettre un message de vie ; c’est en cela qu’il est si important que la Bible ait un rôle particulier à jouer dans l’accompagnement. L’Eglise est un lieu de croissance spirituelle. Un accompagnement pastoral et spirituel dans la vie de tous ceux qui se connaissent et qui s’aiment les uns les autres est essentiel dans nos Eglises. Mais ne perdons jamais de vue que nous sommes tous en chemin et que Jésus-Christ, qui est rempli de compassion, reste patient face à nos propres combats. Nous avons, dans le cadre de l’Eglise locale, des compagnons de route. Dietrich Bonhoeffer rappelle : 

Le premier service dont chacun est redevable à l’autre dans la communauté chrétienne, c’est de l’écouter. De même que le commencement de l’amour pour Dieu consiste à écouter sa parole, de même le commencement de l’amour du prochain consiste à apprendre à l’écouter[19].

L’accompagnement de la souffrance dans l’Eglise locale nécessite à la fois une grande qualité d’écoute et du discernement pour comprendre comment utiliser la Bible dans le cadre de cet accompagnement. Quel message faut-il transmettre à l’accompagné ? A ce niveau, rappelons simplement que Dieu n’est pas sourd, ni indifférent devant la souffrance des personnes. Il est rempli d’amour et de compassion, mais il est aussi un juste juge qui ne peut tolérer le mal et qui invite à changer,  à vivre la réalité du pardon, quand cela est nécessaire. La Bible contient des recommandations, des directives, des exhortations qu’il faut comprendre et vivre ; un accompagnant doit les transmettre avec douceur quant à la forme de la transmission, mais fermeté par rapport au fond du message. C’est tout un art, pour lequel des recommandations pratiques sont utiles.  

V. Recommandations pratiques sur l’usage de la Bible dans l’accompagnement

Il appartient à l’accompagnant d’avoir une certaine connaissance biblique, de pouvoir faire une lecture du texte biblique avec un regard de berger qui prend soin de ses brebis. Au-delà de la connaissance des textes bibliques, l’accompagnant doit pouvoir effectuer une lecture thématique et voir ce que dit la Bible sur les questions suivantes : la culpabilité, la colère, l’irritation, l’amertume, les peurs, le découragement, les conflits, les prises de décisions, l’orgueil, les handicaps, les mauvaises pensées. Ainsi, lors de l’accompagnement, si plusieurs textes bibliques semblent offrir une réponse adaptée à la situation de la personne, il conviendra de faire preuve de douceur dans leur usage et de choisir celui qui répond le mieux aux questionnements de celle-ci.

Une fois que la problématique de la personne a été analysée, il convient de chercher le(s) texte(s) biblique(s) correspondant en respectant les règles d’interprétation de la Bible (contexte, styles littéraires…). Dans la pratique, il deviendra alors possible de proposer une lecture de ce texte ou de s’appuyer sur l’exemple d’un personnage biblique.

Il faut veiller à ne pas faire dire à l’Ecriture ou au passage choisi ce qu’il ne dit pas, même si c’est une réalité biblique attestée par ailleurs. Il importe, enfin, de faire preuve de sagesse dans le choix et l’explication des textes et de respect envers les personnes accompagnées.

Ne pas oublier aussi que Dieu agit dans les cœurs par son Esprit Saint et qu’il permet que la Parole vienne toucher celui qui souffre comme un baume apaisant, lui donnant ainsi la possibilité de faire face, d’une manière nouvelle, à ses difficultés. Certes, les problèmes ne disparaîtront pas forcément, mais la manière de les comprendre sera différente ; c’est là aussi que l’Eglise locale joue un rôle essentiel dans la démarche d’accompagnement de la souffrance.

Les responsables, familiers de la Bible, savent y puiser ce qui est essentiel et ont donc les cartes en main pour accompagner ceux qui souffrent, les inciter à croire en la souveraineté de Dieu et en la compassion du Christ, lui qui, au-delà de la souffrance, a pu ouvrir le chemin vers une guérison définitive de l’humanité séparée de Dieu. Notre Créateur n’est pas sourd devant nos souffrances. Il est présent dans nos détresses et il a placé sur notre route des personnes qui, en nous accompagnant, peuvent nous aider à cheminer plus loin ensemble. Certes, il peut rester des peines et des douleurs, mais notre manière de les affronter devient différente. Ces vérités sont exposées dans le texte biblique. Voilà pourquoi la Bible a un rôle essentiel à jouer dans l’accompagnement

Conclusion

Au terme de cette réflexion, il est essentiel de se rappeler que la définition de la relation d’aide n’est pas neutre. Il importe de veiller à être clair sur les concepts, les théories sous-jacentes et les fondements bibliques de notre approche. Il importe aussi de ne pas dissocier certains outils psychologiques de la théorie qui les a fondés et qui sous-tend leur usage. Au temps des Pères de l’Eglise, des tentatives de synthèse entre la pensée biblique et la philosophie ont largement influencé la théologie. A l’époque contemporaine, avec le développement de la psychologie et de la psychothérapie, des tentatives de synthèse entre la pensée humaine et les données bibliques apparaissent à nouveau, mais sous une autre forme, dans le vaste champ de la relation d’aide. Le retour à l’Ecriture seule doit nous encourager à poser de bons fondements pour un accompagnement adapté dans le contexte de l’Eglise. David Powlison souligne :

Toutes les psychologies modernes exercent un ministère en faveur de la « parole » qui les distingue, chacune enseigne à ses disciples à se conformer à une « image » idéale distincte, chacune accuse les autres (incluant le christianisme) de mal interpréter la condition humaine. Nous leur adressons également des critiques, conformément à notre façon de penser. Les psychologies et psychothérapies qui éliminent Dieu n’offrent aucune aide véritable. Elles ne servent que les divers mensonges et désirs agréables de la chair. La plupart des psychothérapies dites « supérieures » sont moralement austères plutôt qu’ouvertement pessimistes. Les classiques – psychanalytiques,  existentielles, cognitives et moralistes – exigent énormément de leurs sujets, faisant appel aux convoitises raffinées de la chair et du moi : l’orgueil, l’autosuffisance, la confiance en soi, l’acquisition d’un savoir privilégié. Les psychothérapies dites inférieures ou populaires se plient aux envies les plus primitives de la chair et du moi : le désir insatiable d’acceptation, d’amour, d’estime de soi, d’importance, de pouvoir et de succès. Néanmoins qu’elles soient plus ou moins intellectuelles, les psychologies séculières établissent des diagnostics de la condition humaine qui suppriment la notion de péché. Elles offrent des solutions qui ne tiennent aucun compte de la nécessité de l’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ[20].

Voilà pourquoi, il nous semble si important de remettre la Bible au centre de l’accompagnement de la souffrance dans l’Eglise locale.


* P. Millemann est pasteur  de l’Association évangélique d’Eglises baptistes de langue française (AEEBLF) et psychologue. Il est chargé de cours de relation d’aide à l’Institut biblique de Genève et à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] D. Powlison, « How Does Scripture Change You », The Journal of Biblical Counseling, vol. 26, n° 2, CCEF, 2012, 26.

[2] C. Rogers, Le développement de la personne, Dunod Interéditions, Paris, 2005, 27.

[3] D. Powlison, Vers une relation d’aide renouvelée. Voir la nature humaine selon le regard des Ecritures, collection Paraklésis, SEMBEQ, 2011, 13.

[4] Cf. P. Millemann, « L’anthropologie biblique et la relation d’aide dans l’Eglise », La Revue réformée 64 (2013/1), 3-83. Accessible en ligne à < http://larevuereformee.net/articlerr/n265 > (visité le dimanche 15 novembre 2015)

[5] H. Blocher, « La maladie selon la Bible », Ichthus, n° 81, 1979, 4.

[6] J.-C. Larchet, Thérapeutique des maladies spirituelles, Editions du Cerf, 6e éd., 2008, 7-15.

[7] G. Bray, La doctrine de Dieu, Cléon d’Andran, Excelsis, collection Théologie, 2001, 249.

[8] D. Angers, « Interprétation de la Bible », La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, repères apologétiques, sous dir. C. Paya & N. Farelly, collection OR, Charols, Excelsis, 2013, 191.

[9] D. Timmer, « Bible en accompagnement », Dictionnaire de théologie pratique, sous dir. C. Paya & B. Huck, collection OR, Charols, Excelsis, 2011, 148.

[10] H. Blocher « L’Ecriture d’après l’Ecriture : l’éloge de la loi (Psaume 19) », La Bible au microscope. Exégèse et théologie biblique, vol. 1, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2006, 60.

[11] P. D. Tripp, Instruments dans les mains du Rédempteur, Montréal, Cruciforme, 2013, 377.

[12] D. Angers, art. cit., 193-194.

[13] Pour plus de détails sur cette question, il est possible de tirer profit, en plus de l’article de D. Angers précité, d’un article de S. Romerowski, « Interprétation biblique », dans le Grand Dictionnaire de la Bible, ou de son livre Les sciences du langage et l’étude de la Bible, Charols, Excelsis, 2011.

[14] D. Angers, art. cit., 194.

[15] G. Fee & D. Stuart, Un nouveau regard sur la Bible, Deerfield, Vida, 1990, 43-239.

[16] H. Blocher, « L’analogie de la foi dans l’étude de l’Ecriture Sainte », La Bible au microscope. Exégèse et théologie biblique, vol. 1, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2006, 178.

[17] L. Crabb, Connectés les uns aux autres, la puissance restauratrice des relations profondes, Québec, collection Sentier, Editions La Clairière, 1999, 216-217.

[18] Une grande partie des réflexions développées ci-après dans ce paragraphe sont tirées d’un article de D. Powlison, « The Pastor as Counselor », dans lequel l’auteur présente la spécificité de l’accompagnement de la souffrance dans le cadre ecclésial et précise combien le rôle du responsable est essentiel à ce niveau.

[19] D. Bonhoeffer, De la vie communautaire, Genève, Labor et Fides, 2007, 84.

[20] D. Powlison, Vers une relation d’aide renouvelée. Voir la nature humaine selon le regard des Ecritures, collection Paraklesis, Québec, SEMBEQ, 2011, 16-18.

Les commentaires sont fermés.