La Torah d’éden et la conception d’Ismaël : La chute réactualisée, genèse 16.3-4 et 3.6

La Torah d’éden et la conception d’Ismaël :
La chute réactualisée
genèse 16.3-4 et 3.6

Ron BERGEY*

Introduction

Les commentateurs médiévaux et modernes attirent l’attention sur la série de correspondances thématiques qui unit le récit de Caïn et Abel de Genèse 4 au récit de la chute de Genèse 3. La juxtaposition de ces chapitres aurait permis au lecteur de lire les deux chapitres en miroir. Pourquoi le narrateur aurait-il fait un pas de plus et rédigé le récit sur le meurtre d’Abel en puisant dans le langage du récit de la chute ?[1] La raison semble claire : il voulait montrer que le fratricide en est une conséquence. Le péché est transmissible et se propage ! Mais cette intention n’est jamais formulée ainsi. Pourtant, les procédés littéraires parlent haut et fort, formant un tissu entre les deux récits.

Je me propose de montrer, dans cette étude, comment les verbes clés, qui décrivent les gestes constituant la désobéissance dans le jardin d’Eden, sont repris dans certains récits de la Genèse. Les gestes du premier couple sont subtilement réemployés pour montrer que ce qui se passe dans ces récits a trait directement à ce qui s’est passé dans le jardin. De cette façon, ces récits font écho à Eden et à sa torah. Eden devient la règle, la norme ou le canon par lequel les actes des hommes sont mesurés, évalués et jugés. Mais les récits peuvent raconter des choses répréhensibles sans qu’il y ait de reproche ou de condamnation. Dans la Genèse, la torah n’est pas formulée au moyen de préceptes, mais par le biais de subtilités littéraires dans les récits[2]. A cet égard, ces histoires réactualisent la chute. Ainsi, les choses racontées sont arrivées « pour nous servir d’exemples » (1Co 10.6)[3].

Comme indiqué dans le titre, une attention particulière sera portée sur le rapport entre le récit de la tentation de Genèse 3, notamment le verset 6 narrant la chute, et le récit de la naissance d’Ismaël dans Genèse 16, spécialement les versets 3 et 4 révélant la manière dont ce fils a été conçu. Avant de regarder de plus près ce récit, passons en revue les autres qui reprennent les verbes du récit de la chute.

I. La désobéissance dans le jardin réactualisée dans d’autres récits

D’abord, voici le texte qui est à la base de ces comparaisons, Genèse 3.6 : « La femme vit que l’arbre était bon à manger, agréable à la vue et précieux pour ouvrir l’intelligence. Elle prit de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en mangea. » La désobéissance consiste en quatre gestes, quatre actions précisées par les verbes : « voir » (ra’ah), « prendre » (lqh), « manger » (’akal), « donner » (natan). On peut relever une poignée de récits dans la Genèse où deux ou trois de ces verbes sont employés dans le même ordre.

1. L’« union » des fils de Dieu avec les filles des hommes

Le premier récit dont il est question est l’histoire des fils de Dieu et des filles des hommes en Genèse 6. Cités ci-dessous, les versets 2 et 4 : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent. (…) après que les fils de Dieu se furent unis aux filles des hommes… »

La même paire de verbes « voir » et « prendre » se trouve dans le récit en Genèse 3[4]. On peut, à juste titre, se demander pourquoi le verbe « s’unir » est inclus ici comme s’il faisait écho au récit de la chute, qui comporte le verbe « manger ». Dans plusieurs passages bibliques, le rapport sexuel est assimilé à l’acte de manger. En Proverbes 30.20, on lit : « Voici quelle est la conduite de la femme adultère : elle mange, et s’essuie la bouche avant de dire : ‹Je n’ai fait aucun mal[5]. » Dans le Cantique des cantiques, la consommation du mariage est présentée comme un festin. La jeune mariée, dans l’ardeur de sa passion, dit : « Que mon bien-aimé entre dans son jardin afin qu’il mange de ses fruits les meilleurs. » (4.16b) Le marié exprime son plaisir : « J’entre dans mon jardin, ma sœur, ma chérie… je mange mon rayon de miel avec mon miel, je bois mon vin avec mon lait (5.1)[6]. »

En effet, la caractéristique principale de tous les textes contenant les verbes qui décrivent la désobéissance est la suivante : au lieu du verbe « manger », il y a toujours un verbe signifiant « avoir un rapport sexuel[7] ». Ainsi, le jugement porté sur l’acte de manger du fruit de l’arbre défendu dans le jardin d’Eden – l’interdit – est projeté sur un certain acte, plus précisément sur un acte sexuel illicite. Pour résumer, en d’autres termes, ce point important : « manger » métaphoriquement, à opposer à « manger » du fruit de l’arbre défendu, véhicule, dans les récits dont il est question, « avoir des relations avec ». L’interdit concernant le fait de manger de ce fruit est donc implicitement transféré à l’union sexuelle illicite. Cette dernière n’est pas explicitement condamnée, mais le récit plaide contre elle. Quant au verdict, la reprise des verbes du récit de la chute ne laisse aucun doute.

2. Le viol de Dina

Le second passage, Genèse 34.2, rapporte le viol de Dina : « Sichem… prince du pays, la vit et la prit, et coucha avec elle… » Le début de cette histoire de la fille de Jacob reprend la triade verbale du récit précédent sur les fils de Dieu et les filles des hommes, récit qui est le premier à s’inspirer du récit de la chute. C’est dans ce texte que se trouve le seul endroit, dans la Genèse, où un acte répréhensible est commenté, voire condamné explicitement. Ce que Sichem a fait est qualifié, dans une note éditoriale, d’« acte odieux contre Israël… qui ne doit pas se faire » (v. 7).

3. Le mariage de Juda avec une fille cananéenne

Le troisième texte, Genèse 38.2, critique Juda qui se marie avec une Cananéenne : « Juda vit la fille d’un Cananéen du nom de Schua ; il la prit pour femme et eut des relations avec elle. » On ne peut tirer que la conclusion du narrateur qui, en se servant des verbes « voir » et « prendre », veut que ce récit, comme les deux autres, fasse écho à Genèse 3.6. Ce point est souligné par le troisième verbe « avoir des relations sexuelles », qui concrétise le sens métaphorique du verbe « manger ». Bien que discrète dans ce passage, cette condamnation aboutira à une loi proscrivant le mariage mixte de ce type (Dt 7.3).

4. La conception d’Ismaël

Notre attention va porter maintenant sur le récit cible, celui de la naissance d’Ismaël, en Genèse 16. On pourrait donner le sous-titre : « La conception d’Ismaël » à la première partie de cette histoire, à savoir les quatre premiers versets. Le narrateur nous informe qu’après dix ans en Canaan, malgré les promesses divines réitérées, Saraï n’a toujours pas donné d’enfant à Abram (vv. 1 et 3). Saraï propose à Abram sa servante égyptienne, Agar, pour que, par son intermédiaire, elle puisse « avoir des enfants » (v. 2)[8]. Selon la loi coutumière mésopotamienne, une femme qui ne pouvait pas donner de fils à son mari devait lui donner une servante pour établir la lignée[9]. Agar est probablement une des servantes que le pharaon a données à Abram en Egypte (12.16)[10]. Si tel est le cas, Abram l’avait donnée à Saraï.

Le premier lien avec le récit de la chute est tissé par une expression dont la construction syntaxique, en Genèse, n’est utilisée que dans ces deux textes. Comme un juge, avant de prononcer une peine, Dieu s’adresse au coupable, Adam, et réitère son accusation : « Puisque tu as écouté la voix de ta femme et mangé… » (3.17) Comme Adam, Abram aussi « écouta la voix de Saraï[11] » (16.2 ; cf. Ex 15.26 ; 1S 15.1). D’une manière ou d’une autre, Abram, en ayant un rapport sexuel avec Agar, a acquiescé au plan de sa femme.

Si « écouter » veut dire qu’Eve a dû persuader Adam de manger le fruit, le narrateur passe ce discours persuasif sous silence. En revanche, Adam a peut-être écouté les propos de sa femme répondant aux interrogations du serpent. Si oui, il a passivement écouté sans intervenir ni venir en aide à sa femme lors de la tentation. Dans ce cas, par son silence, il aurait acquiescé au geste de sa femme. Quoi qu’il en soit, le texte souligne par ce rapprochement qu’Abram, comme Adam, est complice[12]. Abram, comme Adam, n’a pas rappelé à sa femme les promesses que le Seigneur lui avait faites.

D’autres parallèles entre ce récit et celui de la chute montrent aussi que cette juxtaposition est voulue. En effet, c’est la reprise du langage, presque textuellement, du verset 6 de Genèse 3 qui enfonce le clou :

Elle [Eve] prit de son fruitElle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il [Adam] en mangea. (3.6b)

Saraïprit l’Egyptienne Agarelle la donna pour femme à son mari Abram…[13] Il eut des relations avec Agar. (16.3-4a)[14]

Les deux femmes agissent de la même manière : elles prennent quelque chose. Pour Eve, c’est le fruit de l’arbre défendu. Pour Saraï, c’est la servante Agar. Un lien est donc établi entre ce fruit interdit et Agar. Comme le fruit, Agar est le complément d’objet du verbe « prendre ». Puis, Saraï la donne à son mari. Les deux femmes donnent, chacune à son mari, ce qu’elles ont pris. La concordance linguistique est sans appel. Cette précision « à son mari » noue le lien établi par le verbe « donner » décrivant le geste identique des deux femmes.

Qu’en est-il pour les deux hommes ? Adam mange le fruit qu’Eve lui a donné et Abram a des relations avec Agar, la servante que Saraï lui a donnée. Ainsi le rapport sexuel qu’il a avec Agar est assimilé à l’acte d’Adam de manger le fruit, comme précisé dans les récits présentés plus haut. En mangeant le fruit que sa femme lui a donné, Adam a clairement violé la loi du Seigneur. Ce qui est souligné littérairement en Genèse 16, c’est qu’Abram, suivant le plan de sa femme, finit aussi par agir de manière similaire à Adam, c’est-à-dire en opposition à la volonté de Dieu. Comme Adam, Abram s’efforce d’obtenir, par des moyens humains, ce qui avait été promis gratuitement par le Seigneur[15].

II. Les conséquences immédiates

Les conséquences mises en lumière dans ce contexte montrent aussi que la complicité d’Abram dans le projet de Saraï est condamnée. Les résultats sont amers. Dès qu’Agar tombe enceinte, la tension déjà ressentie dans le récit va crescendo. Agar commence à mépriser sa maîtresse (v. 4). Pourquoi ? Probablement parce que, étant élevée au statut de « femme » et portant l’enfant d’Abram, Agar se sent rassurée quant à sa position dans le foyer. C’est elle qui va donner à Abram l’enfant qu’il veut si désespérément tandis que Saraï, inféconde, risque pour cette raison de se trouver marginalisée. La tension va monter en flèche. Saraï place Abram devant ce problème, car Agar est maintenant sa femme. L’amertume donne lieu à des mots durs. Saraï dit à son mari : « L’injure [hamas, ‹violence› ; cf. 6.11] qui m’est faite retombe sur toi… Que l’Eternel soit juge entre toi et moi. » (V. 5) L’ironie est que maintenant Abram et Saraï auront chacun ce qu’ils désirent : un enfant, peut-être, un fils, un héritier. Mais l’intimité dans laquelle cet enfant a été conçu – « dans tes bras »[16] – est devenue apparemment une pilule trop amère à avaler pour Saraï. Abram s’en lave les mains et déclare que c’est à Saraï de gérer la situation : « Ta servante est en ton pouvoir. Traite-la comme tu le jugeras bon. » (V. 6a) Abram se retire. Préfère-t-il nier sa responsabilité ? Veut-il éviter un conflit ? Quoi qu’il en soit, Saraï se met à maltraiter la servante[17]. Agar a sans doute peur pour la vie de l’enfant qu’elle porte, comme aussi pour sa propre vie. Elle prend la fuite (v. 6b). Ce récit s’achève sur un échec total. Certes, la femme enceinte au centre de cette tempête n’est plus là, mais l’enfant qu’elle porte, sur lequel reposait l’espoir d’Abram et de Saraï, n’est plus là non plus. Le foyer est donc bouleversé. Le rapport entre Abram et Saraï est ébranlé.

III. L’aboutissement

On ne peut qu’être frappé par la réponse du Seigneur à chacun des protagonistes de cette histoire. En réalité, face aux machinations d’Abram et de Saraï, et malgré son comportement envers Saraï, Agar est une simple spectatrice. Elle a été obligée d’avoir, au moins une fois, sur l’ordre de sa maîtresse, un rapport avec un vieillard. En détresse, en fuite dans une région désertique, elle va recevoir la visite de l’ange du Seigneur qui l’appelle par son nom et intervient en sa faveur, lui sauvant ainsi la vie, la sienne et celle de l’enfant qu’elle porte. L’ange fait une promesse à Agar, semblable à celle que Dieu avait faite à Abram dans le chapitre précédent : « Je multiplierai ta descendance. Elle sera aussi nombreuse qu’on ne pourra pas la compter. » (16.10b ; cf. 15.5 ; cf. 13.16)

Quant à l’enfant, l’ange du Seigneur précise qu’il sera appelé « Ismaël » (« Dieu entend ») pour rappeler à Agar que le Seigneur « a entendu son cri de détresse » (v. 11). A la fin de ce récit, c’est le nom qu’Abram donne « à son fils » (v. 15). Le récit ne nous le dit pas, mais Agar a peut-être raconté à Abram son expérience dans le désert et sa rencontre avec l’ange. Ce nom, pour cet enfant comme pour sa mère, sera toujours un rappel de la grâce qu’ils ont reçue. Treize ans s’écouleront entre la naissance d’Ismaël et le récit du chapitre suivant (cf. 16.16 et 17.1). Evoquer ce laps de temps n’est pas anodin, car le chapitre 17 s’achève sur la circoncision d’Ismaël à l’âge de 13 ans (17.25). Ismaël reçoit la grâce du signe de l’alliance le même jour que son père. Dans ce chapitre, le Seigneur précise qu’il va maintenir l’alliance (v. 2), se référant à celle qui a été conclue au chapitre 15[18]. L’accent dans le chapitre 17 est mis sur le signe de cette alliance[19].

Malgré les tentatives d’Abram et de Saraï de trouver, par les moyens charnels, une issue à leur dilemme, le Seigneur ne leur fait pas de reproche. Le commentaire littéraire du chapitre 16 suffit ! Ici, la promesse faite à Abram d’une postérité n’est pas seulement réitérée. Elle est grandement élargie :

Voici quelle est mon alliance avec toi. Tu deviendras le père d’un grand nombre de nations. On ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te rends père d’un grand nombre de nations. Je te ferai beaucoup proliférer, je ferai de toi des nations et des rois seront issus de toi. J’établirai mon alliance entre moi et toi, ainsi que tes descendants après toi, au fil des générations : ce sera une alliance perpétuelle en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de ta descendance après toi. (17.4-7)

Saraï, aussi appelée par son nom, devient Sara (v. 15) et elle est bénéficiaire, elle aussi, d’une promesse : « Je la bénirai et je te donnerai même un fils à travers elle. Je la bénirai et elle donnera naissance à des nations ; des rois seront issus d’elle. » (V. 16) Il est même précisé qu’elle aura le fils héritier, Isaac, qui transmettra l’alliance (vv. 19, 21). Comme si tout cela n’était pas suffisant, Ismaël lui aussi est béni et reçoit une promesse : « En ce qui concerne Ismaël, je t’ai exaucé : je le bénirai, je le ferai proliférer et je le multiplierai considérablement. Il aura pour fils douze princes et je ferai de lui une grande nation. » (V. 20)[20] Même s’il n’est pas l’héritier tant attendu, Dieu ne l’oublie pas. En bref, tous les personnages du chapitre 16, touchés dans cette affaire, reçoivent, malgré tout et malgré eux, la promesse d’une bénédiction.

Conclusion

L’accent mis sur la promesse dans la suite des événements, surtout si on considère la réalisation ultime en Christ des promesses faites à Abram, veut mettre en avant un principe théologique capital. On peut résumer ce principe par deux expressions néotestamentaires qui, sans doute, s’inspirent de tels passages dans l’Ancien Testament : « La miséricorde triomphe du jugement » (Jc 2.13b) et « Là où le péché a abondé la grâce a surabondé » (Rm 5.20b). Certes, pour que cette grâce offerte soit totalement efficace, en vue du salut éternel, l’héritier de la promesse doit se l’approprier en la recevant par la foi. Mais, même s’il refuse ce don spirituel, comme Ismaël, Dieu peut toujours le bénir matériellement[21].

Calvin perçoit bien cette tonalité de grâce dans la suite du chapitre 16. A la fin de son commentaire sur les deux derniers versets de ce chapitre – « Agar donna un fils à Abram, et celui-ci appela Ismaël le fils qu’Agar lui donna. Abram était âgé de 86 ans lorsque Agar lui donna Ismaël » (v.15-16) – il dit qu’Abram a été reconnaissant des grâces de Dieu « parce qu’il nomme son fils… et célèbre la bonté de Dieu en ce qu’il a eu pitié de la misère d’Agar[22] ».

Pour revenir à notre point de départ – la torah d’Eden et la conception d’Ismaël – la torah en tant que loi condamne le mal, l’injustice, le tort, sinon la loi ne serait pas juste. Mais elle ne peut pas gracier le coupable. En revanche, la grâce peut relever l’injuste, s’il se tourne vers le Seigneur qui peut pardonner. Dans le jardin, l’homme a tenté de se cacher de Dieu, mais Dieu est venu à sa rencontre et a couvert sa honte. Grâce au sacrifice substitutif du Christ, par la miséricorde de Dieu, le pécheur ne reçoit pas ce qu’il mérite : la condamnation et les peines éternelles. Par sa grâce, il reçoit ce qu’il ne mérite pas : le pardon du péché et la vie éternelle.

Le célèbre commentateur allemand luthérien du XIXe siècle C.F. Keil termine son résumé de cette péricope sur cette même note : « Ainsi, au lieu d’obtenir la réalisation de leurs désirs, Saraï et Abram n’ont récolté que tristesse et vexation… Mais le Dieu de l’alliance qui est fidèle a tout changé en bénédiction[23]. »


*Ron Bergey est professeur d’hébreu et d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] M. Fishbane met en lumière dix correspondances textuelles entre ces récits dans Text and Texture, Close Readings of Selected Biblical Texts, New York, Shocken, 1979, 26-27. A titre d’exemple : « Tes désirs [teshuqah] se porteront vers ton mari » (3.16) et « le péché… ses désirs [teshuqah] portent vers toi » (4.7) ; bannissement du couple « à l’est du jardin d’Eden » (3.24) et de Caïn « à l’est d’Eden » (4.16).

[2] « Torah » veut dire « instruction ». Cette instruction peut être juridique, voire jurisprudentielle (p. ex., Ex 12.49). Ce même mot peut aussi se référer aux conseils des parents qui ont la responsabilité d’instruire leurs enfants (Pr 1.8). Le verbe apparenté au nom « torah » signifie « montrer du doigt » (yarah), par extension « (r)enseigner » ; cf. moreh de yarah « enseignant » (Es 30.20). Genèse 46 relate l’arrivée de Jacob et de sa famille à Gosen et la rencontre de Joseph et son père (vv. 28-34). Avant d’y arriver, Jacob envoie Juda à Joseph pour que Joseph aille devant pour leur « montrer » (v. 28, yarah) Gosen, où sa famille devait s’installer.

[3] En faisant cette remarque, l’apôtre Paul a en vue le jugement divin de l’incident du veau d’or (Ex 32). Cf. Rm 15.4.

[4] En Genèse 9.23, au sujet de Sem et de Japhet, fils de Noé, l’ordre des verbes est « ils prirent » un manteau et marchèrent en reculant « ils ne virent pas » suivi du complément la « nudité » de leur père. Ce dernier terme peut se référer à son sexe (cf. Lv 18.6) ou à un acte sexuel inconvenant (Dt 23.15).

[5] Dans les avertissements du père donnés à son fils concernant l’adultère, il est dit en Proverbes 5 : « Bois l’eau de ta citerne, l’eau qui sort de ton puits ! Tes sources doivent-elles se déverser à l’extérieur… » (Vv. 15-16 ; cf. aussi vv. 5 et 20)

[6] « Entrer dans » (bo’ ’el) dans la première partie de ce verset est la même expression qui se trouve en Gn 6.4 cité ci-dessus et en Gn 16.4 et 38.2 cités plus loin.

[7] Le seul passage où ceci n’est pas le cas est Genèse 22.13 : « Et Abram leva ses yeux, et vit, et voici, il y avait derrière lui un bélier retenu à un buisson par les cornes ; et Abram alla et prit le bélier, et l’offrit en holocauste à la place de son fils. » En revanche, le couteau avec lequel il allait égorger Isaac, dont il s’est servi pour immoler, découper puis offrir le bélier, s’appelle « mangeur » (ma’akelet de’akal « manger », 22.10). C’est l’exception qui confirme la règle.

[8] Cette expression peut être traduite « être bâtie » (de banah), terme qui signifie fonder une famille considérée comme maison, comme, par exemple, dans l’expression « maison d’Abram » (Gn 17.23).

[9] Au chapitre précédent, le projet d’Abram d’adopter son serviteur en tant qu’héritier a été déjoué (15.2-4).

[10] Selon l’Aggadah (Genèse Rabbah), elle était une fille du pharaon. L. Ginsberg, Legends of the Jews, vol. 1, Philadelphie, Jewish Publication Society, 1937, 237.

[11] C’est la traduction littérale de la construction syntaxique avec le complément « voix » du verbe « écouter » précédé par la préposition le- qui se trouve en Gn 3.17 et 16.2, au lieu d’autres tournures possibles (avec le complément introduit par ’et Gn 3.9 ; 21.17 ou be- 21.12 ; 22.18, cette dernière signifiant normalement « obéir à »).

[12] Ramban (R. Moshe ben Nahman, 1194-1270) interprète l’expression « écouter la voix » comme un signe du respect profond d’Abram pour Saraï. Il n’aurait jamais pris Agar sans la permission de sa femme. Cette interprétation est étayée, selon ce rabbin, par d’autres éléments. C’est Saraï, « la femme d’Abram », qui « prit » et « donna » Agar à « son mari ». En acceptant ce geste, Abram ne voulait que satisfaire le désir de Saraï d’avoir un fils. Le fait que Saraï lui ait donné Agar « pour femme » et non pour concubine montre aussi le caractère juste de Saraï et son respect pour son mari (N. Leibowitz, Studies in Bereshit, Jérusalem, Haomanim, 1974, 154). A nos yeux, cette interprétation ne tient pas suffisamment compte des correspondances linguistiques avec le récit de la chute (voir plus loin d’autres exemples). Sous cette lumière, le commentaire de Calvin paraît plus juste : « Il est vrai que la foi d’Abram chancelle, quand il décline de la Parole de Dieu, se laissant transporter par la sollicitation de sa femme pour chercher un remède que Dieu avait défendu. » (Genèse, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Kerygma/Farel, 1978, 246). Plus haut, son reproche est plus acerbe : « Abram… ne peut pas être excusé d’avoir obéi au fol et pervers conseil de sa femme. » (Ibid., 244)

[13] Traduit littéralement, le verset 3 en son entier se lit : « Saraï, la femme d’Abram, prit Agar, l’Egyptienne, sa servante, au bout des dix ans depuis l’installation d’Abram dans le pays de Canaan, et elle la donna à Abram, son mari, à lui pour femme. » C’est la femme (Saraï) qui établit le lien formel entre le mari et l’autre femme (Agar). Cette dernière devient légalement la femme d’Abram, mais aura également le statut de concubine (25.6). Ce dernier statut, celui de Ketura, relève selon la tradition rabbinique du fait qu’Abram, en la renvoyant (21.14), a divorcé d’avec Agar.

[14] Un texte parallèle se trouve dans le récit de Léa et sa servante Zilpa : « Léa vit qu’elle avait cessé d’enfanter, et elle prit Zilpa, sa servante, et la donna pour femme à Jacob… Zilpa… enfanta un fils à Jacob. » (Gn 30.9-10) Implicitement, il y a eu un rapport sexuel. Le verbe « donner » rappelle l’acte d’Eve qui « donna » le fruit à son mari.

[15] Dans son commentaire sur la Genèse, Calvin qualifie ce geste de Saraï comme « convenant mal à la parole de Dieu… » (Op. cit., 243)

[16] Litt. « dans ton sein/sur ta poitrine » (v. 5 ; cf. 2S 12.8 ; 1R 1.2 ; voir aussi Dt 13.7 ; 28.54). Il s’agit d’une expression qui va de pair avec l’« acte d’amour ».

[17] Selon Ramban, en maltraitant Agar de cette façon, Saraï a péché ; Abram aussi, car il a permis à Saraï d’agir ainsi (cité par N. Sarna, Genesis, JPS Torah Commentary, Philadelphie, Jewish Publication Society, 1989, 120). Le verbe « maltraiter » (de ‘anah, cf. 15.13) implique que les droits de quelqu’un sont bafoués, ce qui mène au mauvais traitement ainsi qu’à la cruauté physique et psychique.

[18] Le verbe qûm au hifil veut dire « mettre en œuvre/maintenir », ce qui suppose l’existence d’une alliance déjà conclue.

[19] Etienne la qualifie d’« alliance de la circoncision » (Ac 7.8). Une alliance peut être désignée au moyen de ses éléments constitutifs ; cf. Gn 17.9-10, 13-14, où le signe de la circoncision est qualifié de « mon alliance », et le v. 4, où « mon alliance » fait référence à la promesse. En Dt 4.13, « son alliance » fait référence aux dix commandements inscrits sur deux tables de pierre.

[20] Les douze patronymes de ces nations sont indiqués en Gn 25.13-16. Au chapitre 16.12, il est dit au sujet d’Ismaël : « Il sera pareil à un âne sauvage. Sa main sera contre tous et la main de tous sera contre lui. Il habitera en face de tous ses frères. » L’âne sauvage (pere’), la créature la plus noble du désert, est indépendant et indomptable. L’image de l’onagre n’est pas négative (cf. Ps 104.11 ; Jb 24.5 ; 39.5-8 ; Os 8.9). Dans cette figure, il représente la vie nomade, celle du bédouin, contrastant avec la vie sédentaire de l’agriculteur (cf. Gn 25.18 ; 37.25 ; 1Ch 27.30). Le conflit sous-entendu dans ce verset a en vue l’affrontement culturel entre ceux qui mènent ces modes de vie très différents. Le conflit du peuple d’Israël avec certaines branches de Madianites et les Amalécites à travers l’histoire en témoignent. Pourtant, ce verset n’est pas une prophétie du conflit ismaélo-israélite. L’association Ismaélo-Arabe/islam relève de la tradition islamique qui veut faire d’Ismaël l’ancêtre de Mahomet et des Arabes musulmans au même titre qu’Isaac, père des Juifs. A Medina, Mahomet aurait appris qu’Ismaël était fils d’Abram, ancêtre des Arabes, qu’il adorait Allah et était fondateur du culte à la Kabba à La Mecque (Sura 2.199, 127, 130 ; 3.78 ; 14.44 ; 19.55). Selon Mahomet, Ismaël était la première personne à parler arabe ! Pourtant, le mot « arabe » dans les textes anciens, y compris la Bible, ne désigne ni une race ni une langue. Il signifie d’abord « nomades du désert » ou « indigènes du désert arabique » (Jr 25.24) et évolue plus tard pour nommer la région de l’« Arabie » (Ez 27.21, 30.5 ; 2Ch 9.14). Dans un certain nombre de sources anciennes, l’« Arabie » semble inclure la péninsule du Sinaï (cf. aussi Ga 4.25). Les Ismaélites habitaient initialement la région septentrionale de la péninsule du Sinaï, le désert de Paran (Gn 21.21), au sud du Néguev, région frontière de Juda et à l’ouest du désert de Shur, la frontière orientale de l’Egypte (Gn 25.18). En fin de compte, ce n’est qu’à l’instar de Mahomet que les Arabes se proclament descendants d’Ismaël.

[21] A ce sujet, Calvin dit : « Car en promettant à [Ismaël] richesses, dignités et autres choses qui sont de la vie présente, il montre qu’il est un enfant de la chair (…) non pas qu’il ôte à Ismaël l’espérance du salut éternel… » (Op. cit., 269) Ismaël a eu une longue vie de 137 ans (25.17). Mais il n’était pas héritier spirituel de la promesse (Gn 21.9 et Ga 4.23, 29). Sur cette question, dans son commentaire sur la promesse faite concernant Ismaël, Calvin dit : « … bien que l’alliance de la vie éternelle n’appartienne point à Ismaël, toutefois, afin qu’il ne fût pas totalement privé de grâce, Dieu le constitue père d’un peuple grand et renommé. Par là nous voyons comment, au regard de la vie présente, sa bonté s’est étendue jusqu’à la postérité charnelle d’Abram. » Il poursuit en qualifiant le nom d’Ismaël comme « un mémorial de sa grâce temporelle… » (250).

[22] Ibid., 254. Dans ce verset, il y a une triple occurrence de trois éléments : le nom Agar, le verbe « donner » et l’enfant « un fils… Ismaël le fils… Ismaël ».

[23] C.F. Keil et F. Delitzsch, The Pentateuch, COT, Grand Rapids, Eerdmans, éd. réimprimée en 1973, 219.

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