La Bible et le Coran

La Bible et le Coran

Karim AREZKI*

Introduction

 Le Coran, tout comme la Bible, affirme être parole divine, venant du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Pourtant, certaines affirmations du Coran et de la Bible sont objectivement contradictoires. Exemples : l’Ancien Testament affirme que c’est Isaac qu’Abraham a voulu sacrifier (Gn 22), alors que le Coran laisse entendre qu’il s’agissait d’Ismaël (Q. 37.101-109), ou encore le Nouveau Testament déclare que Jésus a été crucifié (Mt 27.45-55 ; Mc 15.33-41 ; Lc 23.44-49 ; Jn 19.25-30), alors que le Coran affirme le contraire (Q. 4.157-158). Il ne s’agit pas seulement de contradictions portant sur des points théologiques secondaires, mais sur des points fondamentaux comme, par exemple, celui de la crucifixion de Jésus : si Jésus n’est pas crucifié, il n’est donc pas ressuscité non plus ; or, l’apôtre Paul dit aux chrétiens de Corinthe que « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine » (1Co 15.14).

Cette étude n’est pas destinée à confronter les différentes affirmations dogmatiques des deux livres, la Bible et le Coran, mais à présenter les déclarations du Coran au sujet de la Bible. On soulignera, d’abord, celles par lesquelles le Coran se réclame de la Bible ; ensuite, on abordera celles qui font l’éloge de la Bible ; enfin, on terminera avec les déclarations portant sur la falsification de la Bible.

I. Le Coran se réclame de la Bible

Le Coran se réclame de la Bible de deux manières : explicitement et implicitement.

1. Explicitement

Dans la conception musulmane, la Parole de Dieu a toujours existé auprès de Dieu sur une tablette céleste (Iawah al-mahfuz : Q 85.22), appelée « la Mère du Livre » (Q 3.7 ; 13.39 ; 43.4). Dieu a révélé cette Parole aux êtres humains au fur et à mesure de l’histoire humaine par ses prophètes. C’est ainsi que Dieu a révélé la Torah à Moïse (Q 3.93 ; 6.154), les Psaumes à David (Q 4.163), l’Evangile à Jésus (Q 5.46) et le Coran à Muhammad (Q 6.155). Ces livres émanant[1] de la « Mère du Livre », tout musulman doit croire dans ces livres révélés : c’est le troisième fondement de la foi musulmane[2].

La continuité de la révélation de la parole de Dieu par les prophètes successifs est affirmée à plusieurs reprises dans le Coran :

Q 57 (Le fer [Al-Hadid]), 26-27 : « 26 Nous avons effectivement envoyé Noé et Abraham et accordé à leur descendance la prophétie et le Livre. Certains d’entre eux furent bien guidés, tandis que beaucoup d’entre eux furent pervers. 27 Ensuite sur leurs traces, Nous avons fait suivre Nos [autres] messagers, et Nous les avons fait suivre de Jésus fils de Marie et lui avons apporté l’Evangile, et mis dans les cœurs de ceux qui les suivirent douceur et mansuétude[3]. »

Le Coran est venu (littéralement « descendu ») sur Muhammad pour confirmer ce qui a été dit dans les Livres révélés précédemment, c’est-à-dire la Torah, les Psaumes et l’Evangile.

Q 6 (Les bestiaux [Al-Anam]), 92 : « Voici un Livre (le Coran) béni que Nous avons fait descendre, confirmant ce qui existait déjà avant lui (la Torah, les Psaumes et l’Evangile), afin que tu avertisses la Mère des Cités (La Mecque) et les gens autour. Ceux qui croient au Jour dernier, y croient et demeurent assidus dans leur Salat (Prière). »

Le Coran s’affirme explicitement comme une confirmation et une continuité de ce qui a été révélé dans la Torah, les Psaumes et l’Evangile, qui constituent, dans la vision coranique, des Ecrits saints, la Bible, Ancien et Nouveau Testaments. Le Coran ne se contente pas uniquement de s’inscrire dans la continuité des Ecrits saints antérieurs, mais aussi il cite littéralement des passages de ces écrits, comme par exemple le Q 21 (sourate al-Anbiya [les prophètes]).

Q 21 (les prophètes [al-Anbiya]) : « Et nous avons certes écrit dans le Zabour, après avoir mentionné (dans le livre céleste), que la terre sera héritée par Mes bons serviteurs. »

Ps 37.29 : « Les justes posséderont le pays et ils y demeureront à jamais. »

Ainsi, le Coran se réfère à la Bible explicitement de plusieurs manières.

2. Implicitement

Deuxièmement, le Coran se réclame implicitement de la Bible en reprenant les histoires et les thèmes bibliques majeurs.

a. Reprise des histoires bibliques

Les histoires importantes de la Bible, notamment celles des prophètes majeurs, sont reprises dans le Coran. Parmi les vingt-cinq prophètes coraniques, on trouve Noé (Nûh) qui revient à 33 reprises, Abraham (Ibrahim) 69 fois, Moïse (Mûsa) – le plus cité d’entre eux – avec 136 références, Jésus (‘Isa) 36 fois et Marie 34 fois, dont 25 en lien avec son fils[4]. Le Coran reprend les histoires de ces grandes figures bibliques avec quelques changements et modifications ici ou là, dus, entre autres, aux sources extrabibliques utilisées, notamment la Aggada juive et les évangiles apocryphes.

La première histoire biblique à mentionner est celle de Caïn et Abel, reprise dans le Coran très fidèlement avec, toutefois, une précision qui ne se trouve pas dans la Bible à propos du meurtre d’Abel par Caïn : la Bible ne précise pas le mode utilisé pour l’enterrement d’Abel ; mais le Coran dit que « Dieu envoya un corbeau qui se mit à gratter la terre pour lui [Caïn] montrer comment cacher le cadavre de son frère [Abel] ». (Q 5.31 ; cf. Gn 4)

La deuxième histoire reprise dans le Coran est celle de Noé et du Déluge, sans changements majeurs, sinon une contradiction concernant un des fils de Noé : les versets 42 et 43 du Q 11Hud affirme que l’un des fils de Noé n’est pas entré dans l’arche mais qu’il a été noyé avec les mécréants ; or, le texte biblique dit clairement que tous les enfants de Noé sont entrés dans l’arche et ont été sauvés du déluge (Gn 6.18 ; 7.7). Une autre différence entre les deux versions de l’histoire de Noé concerne le mont sur lequel l’arche de Noé s’est arrêtée : pour le Coran, c’est le mont Joudi[5] (Q 11.44), alors que, pour la Bible, c’est le mont Ararat (Gn 8.4). Comme le mont Ararat est difficilement identifiable[6], on pourrait se demander si les monts Joudi et Ararat ne seraient pas au même endroit. En tout cas, ces différences ne remettent pas en cause l’ensemble de l’histoire de Noé reprise dans ses grandes lignes dans le Coran.

L’histoire d’Abraham est aussi reprise dans le Coran. Abraham est considéré, dans l’islam, comme le père des croyants, le père des musulmans, le premier musulman, le premier à se soumettre à Dieu. Dans le Coran 2, verset 123, Abraham dit : « Je me soumets au Seigneur des mondes » (aslamtu li rabbi I-‘alamain). Cette expression est utilisée par la reine de Saba pour exprimer sa conversion à l’islam (Q 27.44). De là, on a déduit qu’Abraham parle de sa conversion à l’islam en se servant de l’expression « je me soumets au Seigneur des mondes » (aslamtu li rabbi I-‘alamain). Un autre acte d’Abraham est aussi mis en valeur pour souligner sa soumission à Dieu : lorsqu’il répond favorablement à Dieu qui lui demande de sacrifier son enfant (Q 37.102-107). Le nom de cet enfant n’est pas mentionné dans ce passage, ce qui a conduit certains musulmans, dont l’exégète et historien Tabarî (310/923), à considérer qu’il s’agit d’Isaac. Mais la plupart des musulmans, dont Muhammad ibn Ka’b al-Qurazi, considèrent qu’il s’agit bien d’Ismaël à cause des versets 112 et 113, qui mentionnent cet enfant à côté d’Isaac, autre enfant d’Abraham. Au-delà de l’identité de l’enfant en cause, c’est l’attitude d’Abraham qui est soulignée ici : son acte est interprété comme une expression concrète de sa soumission à Dieu. Cela fait de lui un musulman conséquent, c’est-à-dire un homme soumis à la volonté de Dieu. Cet acte d’obéissance d’Abraham est tellement important dans la religion musulmane qu’il est célébré chaque année par une fête religieuse appelée « fête du mouton », « fête du sacrifice » (Aïd al-Adha » ou encore « Aïd al-Kabir »). Voilà donc pourquoi Abraham est considéré comme le premier musulman, le père de tous les musulmans.

Considérer Abraham comme le premier musulman a été la pierre d’achoppement des discussions entre Muhammad et les Juifs à Médine (Yathrib). Pour gagner la sympathie des Juifs religieux à Médine, Muhammad adopte leurs pratiques religieuses comme plusieurs prières par jour, prier en direction de Jérusalem[7], la pratique du jeûne à partir du dixième jour du premier mois de l’année en référence au Yom Kippour (Jour du grand pardon), et ainsi de suite. Mais lorsque Muhammad prétend qu’Abraham est un musulman, les Juifs ne l’entendent pas de cette oreille et lui reprochent, non sans mépris, son incompétence à bien comprendre et interpréter l’Ancien Testament. Les Juifs le traitent de Ommi (ignorant) et il devient la cible de leurs poètes, qui le ridiculisent cruellement. Pour les Juifs, Abraham est leur père par descendance : d’Isaac est né Jacob, qui sera père de douze enfants (dont deux sont adoptés de son fils Joseph), qui deviendront les douze tribus d’Israël. Jean-Baptiste dit clairement aux Juifs de son temps de ne pas se contenter d’avoir Abraham pour père, mais de produire les fruits de la repentance (Mt 3.8-9). Au passage, il faut aussi signaler que les chrétiens affirment être « enfants d’Abraham » par la foi en Jésus-Christ (Rm 4 ; Ga 3). Mis à part ces quelques différences d’ordre dogmatique, le Coran reprend l’histoire d’Abraham dans ses grandes lignes. La plupart des éléments bibliographiques de l’histoire d’Abraham dans la Genèse sont repris dans le Coran.

L’autre histoire importante de la Bible qui est reprise dans le Coran est celle de Moïse. Elle est rapportée de la même manière à part quelques différences mineures comme, par exemple, l’identité de la femme qui a adopté Moïse : pour le Coran, c’est la femme de Pharaon (Q 28.9) mais, pour la Bible, c’est sa fille (Ex 2.5).

Enfin, la dernière histoire que le Coran reprend des Ecrits saints antérieurs est celle de Jésus, fils de Marie (‘Îsâ ibn Maryam). Il y a certaines différences entre les deux versions de l’histoire de Jésus, mais il y a aussi des ressemblances. En plus de l’Evangile, le Coran s’est aussi servi des évangiles apocryphes, comme le « Pseudo-Matthieu », par exemple.

Parmi les ressemblances existant dans le Coran, il y a la conception miraculeuse de Jésus. Pour le Coran, Jésus est un don de Dieu (Q 19.15-35). Il est un signe de Dieu (Q 21.19). Et si le Coran appelle Jésus fils de Marie (‘Îsâ ibn Maryam), c’est aussi pour souligner, entre autres[8], qu’il n’est pas conçu à la suite d’une relation conjugale entre un homme et Marie. Dans la culture arabe de l’époque, les enfants sont appelés en référence au nom de leur père, comme c’est le cas de Muhammad, qui est appelé Muhammad ibn ‘Abd Allâh (Muhammad, fils d’Abd Allâh). En appelant Jésus ‘Îsâ ibn Maryam (Jésus, fils de Marie), le Coran souligne clairement qu’aucun homme n’est intervenu dans la conception de Jésus. Le Coran reconnaît aussi que Jésus est né pur (Q 3.36)[9], sans péché (Q 3.38-41 ; 19.1-15), et qu’il a mené une vie de pureté, sans commettre de péché, contrairement aux autres prophètes, y compris Muhammad. Jésus est soutenu par le Saint-Esprit (ou l’Esprit de sainteté), ce qui lui a permis, notamment, de ne pas transgresser la Loi divine, d’après le Coran (Q 7.110).

Les divergences entre les deux versions de l’histoire de Jésus concernent principalement la fin de la vie terrestre de Jésus (crucifixion et résurrection) ainsi que son futur retour. D’après le Coran, Jésus n’est pas crucifié car Dieu lui est venu en aide, comme l’affirme sourate An-Nisa’ (Les femmes) :

Q4 (Les femmes [An-Nisa’]), 156-157 : « [Les Juifs] n’ont pas cru à Jésus. Ils ont inventé contre Marie un mensonge atroce. Ils ont dit : ‹Oui, nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, le Prophète de Dieu›. Ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas crucifié. Cela leur est seulement paru ainsi. Ceux qui sont en désaccord à son sujet sont dans le doute à son égard ; ils n’en ont pas une connaissance certaine, ils ne suivent qu’une conjecture. Ils ne l’ont certainement pas tué (ou ne l’ont pas mis à mort en toute certitude). Mais Dieu l’a élevé à lui. Dieu est puissant et juste. Il n’y a personne parmi les Scripturaires qui ne croie (ou ne croira) en lui avant sa mort. Au jour de la résurrection, il sera témoin contre eux. »

Dans ces versets, on peut souligner, entre autres, l’affirmation de l’échec des Juifs (« ils » ne l’ont pas tué) et le fait que la crucifixion de Jésus n’est qu’une illusion, la réalité étant que Jésus n’a pas été crucifié. Pour les théologiens musulmans, Dieu prend les infidèles à leur ruse :

Q 3 (la famille d’Imran [Al-Imran]), 54-55 : « Les fils d’Israël rusèrent contre Jésus. Dieu ruse aussi : Dieu est le meilleur de ceux qui rusent. Dieu dit : ‹Ô Jésus ! Je vais en vérité te rappeler à moi et t’élever à moi. Je vais te délivrer des incrédules. »

Selon l’interprétation traditionnelle, Dieu a fait croire aux Juifs qu’ils tuaient Jésus, alors qu’ils exécutaient quelqu’un d’autre : il y a eu soit aveuglement des Juifs, soit transfiguration d’une personne à l’image de Jésus (Judas, un soldat, un disciple). Jésus, ainsi, échappe à la mort que voulaient lui infliger les Juifs, et il est élevé sans passer par la croix. Le Coran n’est pas clair sur la manière dont cette délivrance a eu lieu, mais voici les trois pistes avancées régulièrement :

  • Dieu aurait livré un « sosie » de Jésus qui a été crucifié par les Juifs, qui pensaient qu’il s’agissait du vrai Jésus.
  • Certains textes coraniques parlent d’une « illusion » que Dieu aurait envoyée à tous ces Juifs qui voulaient tuer Jésus (Q. 4.158 ; cf. Q. 3.55-57 ; 5.117).
  • Un des disciples de Jésus qui aurait pris l’apparence de Jésus alors que celui-ci est en train d’être enlevé au ciel.

C’est sur la conviction théologique selon laquelle Dieu accorde toujours la victoire à ses serviteurs, surtout ses prophètes et envoyés, que le Coran refuse la mort de Jésus : Dieu fait triompher ceux qui cherchent à faire triompher sa cause. C’est la raison pour laquelle Noé, Abraham, Lot, Jonas ont échappé au jugement prononcé contre eux par le « conseil de leur peuple ». En ce sens, face à ceux qui veulent le crucifier, il est impossible que Jésus perde. D’autre part, les infidèles sont marqués par le titre de « perdant » et, par conséquent, Jésus ne pouvait être un perdant – tout comme Muhammad d’ailleurs ! En tout cas, pour le Coran, Jésus n’a pas été crucifié, mais il a été enlevé au ciel au milieu de ses disciples.

Une dernière divergence porte sur le retour eschatologique de Jésus : selon le Coran, Jésus reviendra au jour du Jugement avec al-Mahdi, le douzième imâm, pour renverser les idoles, témoigner contre les Juifs et les chrétiens qui l’ont divinisé (Q 4.159) et donner enfin le sens caché de l’histoire humaine. Quant à la Bible, elle annonce que seul Jésus reviendra pour juger toutes les nations : ceux qui auront cru en lui seront sauvés et ceux qui auront refusé de croire en lui seront condamnés (Jn 3.16-18 ; 5.24-25).

Malgré ces différences, l’histoire de Jésus rapportée dans le Coran est belle et bien celle qui est racontée dans l’Evangile, de la même manière que les autres histoires bibliques reprises dans le Coran. La reprise de ces histoires est une forme d’approbation que le Coran apporte à la Bible, autrement le Coran ne les aurait pas reprises !

b. Reprise des thèmes bibliques

En plus des histoires, le Coran reprend aussi les thèmes de la Bible, à commencer par les attributs de Dieu. L’un des textes coraniques qui résument un certain nombre de ces attributs est le Q 59, versets 22 à 24.

Q. 59 L’exode [Al-Hasr], 22-24 : « 22 C’est Lui Allah. Nulle divinité autre que Lui, le Connaisseur de l’Invisible tout comme du visible. C’est Lui, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. 23 C’est Lui, Allah. Nulle divinité que Lui ; Le Souverain, Le Pur, L’Apaisant, Le Rassurant, le Prédominant, le Tout-Puissant, Le Très Fort, le Très Grand. Gloire à Allah ! Il transcende ce qu’ils Lui associent. 24 C’est Lui Allah, le Créateur, Celui qui donne un commencement à toute chose, le Formateur. A Lui les plus beaux noms. Tout ce qui est dans les cieux et la terre Le glorifie. Et c’est Lui le Puissant, le Sage. »

Sur la base de ce texte, on peut déjà souligner que Dieu est Unique, Omniscient, Miséricordieux, Souverain, Saint, Créateur et Tout-Puissant. Ces attributs qualifient aussi Dieu dans la Bible. Le Coran suit donc la Bible sur ce point, même s’il faut préciser la différence entre la conception de l’unicité de Dieu dans la Bible qui est unicité trinitaire (Père, Fils et Saint-Esprit) et la conception coranique unitaire (aucune place à la diversité des personnes au sein de l’unité divine).

A côté des attributs divins, il y a aussi tous les sujets éthiques sur lesquels le Coran suit la Bible, comme les valeurs familiales, sociales, notamment.

Les données coraniques renvoient régulièrement à la Bible explicitement en se réclamant d’elle, et implicitement en reprenant ses histoires et ses thèmes.

II. Le Coran fait l’éloge de la Bible

Le Coran ne s’arrête pas là dans sa manière de considérer la Bible ; il va bien au-delà en tenant la Bible pour 1) un livre digne de foi et 2) un livre vérificateur de la révélation coranique.

1°) La Bible, un livre digne de foi

La Bible est un livre digne de foi dans la mesure où le Coran se présente comme confirmation de ce qui a déjà été révélé dans le Livre (la Bible) :

Q 4 Les femmes [An-Nisa’], 47 : « Ô vous à qui le Livre a été donné ! Croyez à ce que Nous vous avons révélé, confirmant ce que (déjà) vous possédez… »

Il y a là un appel très clair aux musulmans à croire ce qui a été révélé déjà auparavant, c’est-à-dire la Bible. De plus, ce texte précise que le Coran confirme ce qui a été révélé dans la Bible. Tout musulman qui se veut fidèle au Coran doit croire à la Bible, nommée « le Livre » (al-Kïtab) :

Q 4 Les femmes [An-Nisa’], 136 : « Ô les croyants ! Soyez fermes en votre foi en Allah, en Son messager, au Livre qu’il a fait descendre sur Son messager, et au Livre qu’il a fait descendre avant. Quiconque ne croit pas en Allah, en Ses anges, en Ses livres, en Ses messagers et au Jour dernier, s’égare, loin dans l’égarement. »

Dans ce passage, il est question du Livre (Kitâb) mais sans expliciter à quoi renvoie ce Livre : pourquoi penser qu’il renvoie forcément à la Torah et à l’Evangile (la Bible) ?

En fait, au début de son ministère, Muhammad ne fait pas la différence entre les deux communautés juive et chrétienne. Il les a souvent considérées comme une seule communauté formant les « Gens du Livre » (Q 3.64,98,99 ; 5.68,77 ; etc.). A La Mecque, avant l’Hégire à Médine en 622, Muhammad estime que les Ecrits chrétiens font suite aux Ecrits juifs ; c’est la raison pour laquelle il considère l’ensemble des écrits juifs et chrétiens comme un seul Livre, al-Kitâb. Pendant cette période, Muhammad voyait le Coran comme la continuité de la révélation biblique. C’est ce qui est proclamé dans le Q 21, sourate « al-Anbiya » (les prophètes) :

Q 21 (les prophètes [al-Anbiya]), 92-93. « 92 Certes, cette communauté qui est la vôtre est une communauté unique, et Je suis votre Seigneur. Adorez-Moi donc. 93 Ils se sont divisés en sectes. Mais tous, ils retourneront à Nous. »

Par la suite, le terme Kitâb est employé dans le Coran pour qualifier aussi bien les Ecrits révélés à Moïse (Q 23.49) que les Ecrits révélés à Jésus (Q 19.30). La Torah est qualifiée par le Coran de Kitâb (le Livre) : « Nous avions apporté le Livre à Moïse afin qu’ils se guident » (Q 23 Les croyants [Al Muminune]), 49). L’Evangile aussi est qualifié de Kitâb, le Livre : « Mais (Jésus, bébé) dit : « Je suis vraiment le serviteur d’Allah. Il m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète. » (Q 19 Marie [Maryam], 30). Le terme « Evangile » au singulier renvoie à l’ensemble du Nouveau Testament et non pas uniquement aux quatre évangiles.

En conclusion, les Ecrits juifs et chrétiens, qualifiés de Kitâb (le Livre : Ancien et Nouveau Testaments), sont dignes de foi. Et le musulman qui veut respecter le Coran ne peut que croire dans ces Ecrits. Cela fait partie des cinq articles de foi musulmane que tout musulman doit respecter.

2. La Bible, Livre de confirmation et de vérification

Le Coran tient la Bible aussi pour un livre vérificateur : si les révélations reçues par Muhammad sont conformes aux révélations bibliques, elles doivent être accueillies, mais, dans le cas contraire, elles doivent être rejetées. Le Coran 10, verset 94, donne ce conseil à Muhammad lorsque celui-ci éprouve un doute sur l’origine divine d’une révélation ou d’une autre.

QJonas [Yunus], 10,94 : « Si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. »

Dans ce verset, le Livre (Ancien et Nouveau Testaments : Kitâb) joue un rôle vérificateur des révélations accordées à Muhammad. Si ce principe est respecté, toute affirmation contraire au Livre révélé (la Bible) doit être examinée et pourquoi pas rejetée ! La Bible sert à juger l’authenticité des révélations accordées à Muhammad. C’est donc un statut unique et particulier que le Coran accorde ici à la Bible.

III. Le Coran accuse la Bible de falsification

 Si la Bible jouit d’un statut si particulier et si important dans le Coran, pourquoi les musulmans ne la lisent-ils pas et, pire encore, l’accusent-ils d’être falsifiée ?

1. La suffisance du Coran

En fait, lorsqu’un musulman dit croire dans la Torah et l’Evangile, cela ne veut pas forcément dire qu’il croit ce qui est écrit dans les deux Testaments qui composent la Bible. Car, pour lui, le Coran étant le dernier livre révélé récapitule et complète la révélation de Dieu.

Dans la logique musulmane, seuls les éléments bibliques qui se trouvent dans le Coran sont fiables et « tout le reste peut n’être que forgerie ou déformation[10] ». De ce fait, la révélation coranique a rendu caduque la révélation biblique et, seuls, le Coran et les Hadiths (la tradition) font autorité pour un musulman.

2. La Bible est falsifiée

De plus, pour les musulmans, le vrai judaïsme et le vrai christianisme se trouvent dans le Coran. D’après eux, la Bible est falsifiée, ce qui leur permet 1) de faire taire les contradictions entre le Coran et la Bible comme celles qui ont été indiquées dans l’introduction, et 2) de privilégier certaines précisions présentes dans le Coran mais qui ne se trouvent nulle part dans la Bible[11].

C’est pour cela que, pour un musulman, le contenu de la Bible ne fait pas autorité bien qu’il la considère comme une Parole « descendue » de Dieu. Deux arguments sont avancés dans le débat sur la falsification :

  • un argument linguistique (le verbe harapha/falsifier, corrompre) ;
  • un argument théologique (la prédiction de Muhammad dans la Bible).

a. Argument linguistique : le verbe harapha (falsifier, corrompre)

Le verbe harapha (falsifier, corrompre) est utilisé quatre fois dans le Coran ; pourtant, chaque fois, ce ne sont pas les textes sacrés qui sont accusés de falsification, mais les commentaires juifs et chrétiens.

Le premier texte comportant le verbe harapha (falsifier, corrompre) est le Qoran 2, verset 75 :

Q 2 La vache [Al-Baqarah], 75 : « Eh bien, espérez-vous (Musulmans) que de pareils gens (les Juifs)[12] vous partageront la foi alors qu’un groupe d’entre eux, après avoir entendu et compris la parole d’Allah, la falsifièrent sciemment ? »

Dans ce texte, le groupe juif qui est accusé de falsifier la Parole de Dieu sciemment est probablement une secte ; il n’est pas précisé en quoi il la falsifie (Razi).

Le deuxième texte comportant le verbe harapha (falsifier corrompre) est le Qoran 4, verset 46 :

Q4 Les femmes [An-Nisa]’, 46 : « Il en est parmi les Juifs qui détournent les mots de leur sens, et disent : ‹Nous avions entendu, mais nous avons désobéi›, ‹Ecoute sans qu’il te soit donné d’entendre› et favorise-nous Râ’inâ, tordant la langue en attaquant la religion. Si au contraire, ils disaient : ‹Nous avons entendu et nous avons obéi›, ‹Ecoute› et ‹Regarde-nous›, ce serait meilleur pour eux, et plus droit. Mais Allah les a maudits à cause de leur mécréance ; leur foi est donc bien médiocre. »

Dans ce texte, ce n’est pas la Torah qui est accusée d’être falsifiée, précisons-le ; c’est le sens des mots de la Torah. Certains, parmi les Juifs (et non pas tous), tordent le sens des mots en leur faveur. C’est cette attitude qui est dénoncée dans ce passage. Donc, là aussi, nous n’avons pas affaire à la falsification du texte de la Loi proprement dite.

Le troisième texte comportant le verbe harapha (falsifier, corrompre), c’est le Qoran 5, verset 13 :

Q 5 La table servie  [Al-Maidah], 13 : « Et puis, à cause de leur violation de l’engagement, Nous les avons maudits et avons endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir leur trahison, sauf d’un petit nombre d’entre eux. Pardonne-leur donc et oublie [leurs fautes]. Car Allah aime, certes, les bienfaisants. »

Ce texte va dans le même sens que le texte précédent : l’accusation porte sur le sens de la Torah et non pas sur la Torah elle-même.

Le quatrième et dernier texte comportant le verbe harapha (falsifier, corrompre) est le Q 5.44-45 :

Q 5 La table servie [Al-Maidah], 44-45 : « 44 Nous avons fait descendre la Torah dans laquelle il y a guide et lumière. C’est sur sa base que les prophètes qui se sont soumis à Allah, ainsi que les rabbins et les docteurs jugent les affaires des Juifs. Car on leur a accordé la garde du Livre d’Allah, et ils en sont les témoins. Ne craignez donc pas les gens, mais craignez-Moi. Et ne vendez pas Mes enseignements à vil prix. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, les voilà les mécréants.

»45 Et Nous y avons prescrit pour eux vie pour vie, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent. Les blessures tombent sous la loi du talion. Après, quiconque y renonce par charité, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes. »

Là encore, il s’agit des personnes qui ne jugent pas selon les principes donnés dans la Torah ; elles font, d’après ce texte coranique, une lecture tordue de la Torah. Mais ce n’est pas la Torah qui est falsifiée en tant que telle.

Parmi les quatre occurrences du verbe harapha (falsifier, corrompre) dans le Coran, nous avons :

  • un seul passage (Q 2.75) qui accuse la falsification du texte de la Torah par un groupe juif, mais sans préciser à quel endroit ;
  • et les trois autres passages qui portent sur la « falsification » du sens de la Torah (Q 4.46 ; 5.13,44-45). Il s’agit davantage de détournement de sens que de falsification dans ces cas-là.

En conclusion, ces passages utilisant le verbe harapha (falsifier, corrompre) ne comportent aucune accusation contre le texte biblique lui-même. Ce sont des sectes minoritaires, juives ou chrétiennes, qui sont visées parce qu’elles n’ont pas respecté le texte sacré.

b. Argument théologique : prédiction de Muhammad dans la Bible

Le deuxième argument avancé, dans ce débat, sur la falsification de la Bible est un argument théologique : la prédiction de Muhammad par l’Ancien et le Nouveau Testament. Les musulmans accusent les chrétiens et les juifs de falsifier leurs Ecrits respectifs en enlevant, en particulier, les passages qui traitent de la prédiction de la venue de Muhammad.

Deux textes dans le Coran explicitent que la Torah et l’Evangile ont prédit la venue d’Ahmad (même racine que Muhammad) :

  • Q 61 (As-Saff [Le rang]), 6 : « Et quand Jésus fils de Marie dit : ‹Ô enfants d’Israël, je suis vraiment le messager d’Allah (envoyé) à vous, confirmateur de ce qui, dans la Torah, est antérieur à moi, et annonciateur d’un Messager à venir après moi, dont le nom sera Ahmad.› Puis, quand celui-ci vint à eux avec ses preuves évidentes, ils dirent : ‹C’est là une magie manifeste. »
  • Q 7 (Al-Araf), 157 : « Ceux qui suivent le messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Torah et l’Evangile. Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui croiront en lui le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui ; ceux-là seront les gagnants. »

Ces deux textes coraniques annoncent clairement que l’Ancien et le Nouveau Testament prédisent la venue « d’un messager qui viendra après Jésus, dont le nom sera Ahmad » (Q 61.6) ou encore « le prophète illettré » (Q 7.157).

Lorsqu’on regarde aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, on a du mal à trouver ces prédictions. Deux textes sont considérés comme annonciateurs de la venue de Muhammad initialement, c’est-à-dire avant d’avoir été falsifiés par les Juifs et les chrétiens : Esaïe 42.1-9 et Jn 14-16.

  • Esaïe 42.1-9 (premier chant du Serviteur)

Le premier texte qui annoncerait la venue de Muhammad et qui serait falsifié d’après les musulmans est Esaïe 42.1-9. Dans ce passage, il est question du Serviteur du Seigneur. Pour les musulmans, ce serviteur du Seigneur n’est autre que Muhammad, prophète de l’islam.

Qui est ce Serviteur du Seigneur ?

Pour répondre à cette question, il faut considérer ce passage dans son ensemble littéraire. Les chapitres 41 à 57 du livre d’Esaïe, auxquels appartient notre texte, permettent d’identifier quatre chants consacrés au « Serviteur du Seigneur » :

  • premier chant (Es 42.1-9) : il annonce l’avènement du Serviteur aimé du Seigneur 
  • deuxième chant (Es 49.1-13) : il aborde le Serviteur du Seigneur et ses partisans ;
  • troisième chant (Es 50.4-11) : il traite du Serviteur du Seigneur et de ses adversaires ;
  • quatrième chant (Es 52.13-53.12) : il décrit l’œuvre expiatoire du Serviteur du Seigneur.

Le contexte littéraire de notre texte ne permet pas de séparer le premier chant du Serviteur des trois autres qui traitent, tous, du Serviteur du Seigneur qui viendra et accomplira une œuvre permettant à ceux qui croient en lui d’être sauvés. Or, les trois autres chants du Serviteur du Seigneur sont impossibles à appliquer à Muhammad.

Le verset que les musulmans pensent comme prédisant la venue de Muhammad est le premier verset du chapitre 42 d’Esaïe :

Isaiah 42.1  « Voici mon serviteur, que je soutiendrai, Mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui ; il annoncera la justice aux nations. »

  WTT Esaïe 42.1 הֵ֤ן עַבְדִּי֙ אֶתְמָךְ־בּ֔וֹ בְּחִירִ֖י רָצְתָ֣ה נַפְשִׁ֑י נָתַ֤תִּי רוּחִי֙ עָלָ֔יו מִשְׁפָּ֖ט לַגּוֹיִ֥ם יוֹצִֽיא׃

Ce passage est utilisé à deux reprises dans le Nouveau Testament et s’applique à Jésus : lors du baptême (Mt 3.17 ; Mc 1.11 ; Lc 3.22) et de sa transfiguration (Mt 17.5 ; Lc 9.35). Après son baptême, Jésus sort de l’eau et voici une voix venant des cieux qui disait :

Matthieu 3.17 : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » (Mt 3.17 LSG)

Matthieu 3.17 :καὶ ἰδοὺ φωνὴ ἐκ τῶν οὐρανῶν λέγουσα· οὗτός ἐστιν ὁ υἱός μου ὁ ἀγαπητός, ἐν ᾧ εὐδόκησα. (Mt 3.17 BGT)

Matthieu, avec Marc et Luc, comprend, sous l’inspiration du Saint-Esprit, que le Serviteur du Seigneur dont il est question en Esaïe 42.1 est le Seigneur Jésus. Les quatre chants du Serviteur du Seigneur sont tous appliqués à Jésus dans le Nouveau Testament. Jésus est considéré, par les auteurs du Nouveau Testament, comme le Serviteur du Seigneur venu accomplir le plan de Dieu pour le salut de quiconque croit. Le premier chant du Serviteur du Seigneur, auquel appartient le verset qui nous intéresse (42.1), est appliqué à Jésus lors de son baptême (Mt 3.17 ; Mc 1.11 ; Lc 3.22) et de sa transfiguration (Mt 17.5 ; Lc 9.35). Le deuxième chant est cité par Jésus pour se l’appliquer à lui-même en Jean 15.1 et 2. Jésus fait allusion au troisième chant en Jean 8.28, 40, 46 et 49. Et le quatrième chant est cité à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament, qui le voit accompli en la personne de Jésus-Christ (Mt 8.17 ; Lc 22.37 ; Jn 12.38 ; Ac 8.32-35 ; Rm 10.16, 15.21 ; 1P 2.22, 24). Les auteurs du Nouveau Testament appliquent donc les quatre chants du Serviteur du Seigneur du livre d’Esaïe à Jésus-Christ, comme étant celui qui est venu les accomplir totalement et définitivement.

L’examen du contexte aussi bien global qu’immédiat de ce texte d’Esaïe, auquel font référence les musulmans (Es 42.1), montre bien que la prédiction dont il est question ici ne concerne pas la venue de Muhammad, mais celle de Jésus. C’est ainsi, en tout cas, que cela est compris par les auteurs du Nouveau Testament, dont les Ecrits sont considérés comme « Parole de Dieu » faisant partie d’al-Kitab (le Livre) (Q. 19.30).

  • Jean 14-16 (Dernier discours de Jésus)

Le second passage qui serait falsifié, d’après les musulmans, se trouve dans l’évangile de Jean, chapitres 14 à 16, qui rapportent le dernier discours de Jésus avant sa crucifixion et sa résurrection. Dans ces chapitres, Jésus promet à plusieurs reprises d’envoyer le Paraklétos (παράκλητος : 14.16-18, 26 ; 15.26 ; 16.7-14). Le premier verset où Jésus annonce la venue future du Paraklétos (παράκλητος) est Jean 14.16.

Jean 14.16  « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous. » (Jn 14.16 LSG)

Jean 14.16   Καὶ ἐγὼ ἐρωτήσω τὸν πατέρα, καὶ ἄλλον παράκλητον δώσει ὑμῖν, ἵνα μένῃ μεθ᾽ ὑμῶν εἰς τὸν αἰῶνα. (Jn 14.16 BYZ)

Pour les musulmans, Jésus n’a pas parlé de Paraklétos (παράκλητος) – qu’on a souvent traduit par « consolateur » (sous l’influence de Calvin) alors qu’« avocat » convient mieux dans le contexte de Jean[13] –, mais de Périkleistos (περικλείστος) qui veut dire : le célébré, le très illustre…[14] Le Périkeistos (περικλείστος ) ferait alors allusion au prophète Muhammad, qui vient de la même racine qu’« Ahmad », qui veut dire le « célébré », le « loué ». Toujours d’après les musulmans, les chrétiens ont falsifié le texte de l’évangile de Jean et ils ont mis « Paraklétos (παράκλητος) » au lieu de « Périkleistos (περικλείστος) ».

Là aussi, il faut examiner le contexte immédiat et général de l’évangile de Jean. Le contexte immédiat de la déclaration de Jésus montre bien que Jésus identifie clairement « Paraklétos (παράκλητος ) » au Saint-Esprit : le « Paraklétos (παράκλητος) » du verset 16 (Jn 14) est identifié à « l’Esprit de vérité » dans le verset 17 (Jn 14) et au « Saint-Esprit » au verste 26 du même chapitre. Donc, le contexte immédiat ne fait aucun doute : il s’agit bien du Saint-Esprit dont parle Jésus dans ce dernier discours. Ensuite, le contexte plus large de l’évangile de Jean et du livre des Actes des Apôtres confirme que c’est le Saint-Esprit promis qui est donné aux disciples de Jésus : au chapitre 20 de l’évangile de Jean, Jésus souffla sur ses disciples en leur disant : « Recevez l’Esprit Saint. » (Jn 20.22) Et cinquante jours plus tard, à Pentecôte, les premiers disciples ont reçu le Saint-Esprit que Jésus avait promis publiquement, en présence de tous les Juifs venus célébrer la fête de Pentecôte à Jérusalem (Ac 2).

Le contexte immédiat et le contexte général de la déclaration de Jésus, considérée par les musulmans comme annonçant la venue de Muhammad, montrent clairement que le « Paraklétos (παράκλητος) » promis par Jésus lors de ce dernier discours n’est autre que le Saint-Esprit, donné aux disciples pour les aider dans leur mission de « témoins » du Christ.

A cette réponse exégétique, on peut ajouter une réflexion dogmatique : si on admet que, dans ce discours (Jn 14-16), Jésus annonce la venue de Muhammad, alors il faut reconnaître à Jésus un statut supérieur à celui d’un prophète puisque Dieu seul peut envoyer des prophètes selon la conception musulmane ! En effet, au milieu de ce discours, Jésus déclare que le « Paraklétos (παράκλητος) » vient de sa part : « Quand viendra le Défenseur [le Paraklétos (παράκλητος)], celui que, moi, je vous enverrai du Père, l’Esprit de vérité, qui provient du Père, c’est lui qui me rendra témoignage. » (Jn 15.26/NBS ; cf. Jn 14.26, 16.13-15). Ici, le « Paraklétos (παράκλητος) » est aussi envoyé par Jésus. D’où la double procession (le filioque) de l’Esprit : il procède du Père et du Fils[15]. En d’autres termes, reconnaître que Jésus annonce et envoie Muhammad, c’est lui reconnaître le statut de Dieu !

Pour conclure sur ce point, il y a certes deux textes dans le Coran qui affirment que la Torah et l’Evangile prédisent la venue de Muhammad (Q 61.6 et 7.157), mais les passages auxquels font allusion les musulmans ne s’appliquent pas du tout à Muhammad : le premier s’applique à Jésus (Es 42.1-9) et le second au Saint-Esprit (Jn 14-16).

Conclusion

Au-delà de cette accusation de falsification de la Bible, qui n’est pas fondée du point de vue exégétique, le Coran accorde un statut bien particulier à la Bible : non seulement il se réclame d’elle, mais aussi il la tient pour vérificateur de ses propres révélations en cas de doute. Cela doit encourager :

  • les musulmans à lire la Bible, à examiner les textes bibliques avant de céder à toute forme de propagande répondant souvent à des préoccupations tant politiques que religieuses ;
  • les chrétiens à lire le Coran et à se faire eux-mêmes leur idée du contenu de ce livre et à ne pas céder à toute forme de caricature qui risque de les faire passer à côté de la réalité musulmane.

* K. Arezki est pasteur et islamologue.

[1] M.-Th. Urvoy, « Jésus », le Grand dictionnaire du Coran, sous dir. M.-A. Amir-Moezzi, Paris, Robert Laffont, 2007, 439.

[2] Les fondements de la foi musulmane sont : 1) Dieu, 2) les anges, 3) les Livres, 4) les prophètes (dont Moïse et Jésus) et 5) le Jour du Jugement.

[3] Disposition morale qui incline à la douceur, à la patience, au pardon.

[4] E. Patti O.P. et M. Borrmans, « Les grandes figures bibliques dans le Coran », Le Coran et la Bible, Paris, Bayard, 2002, 75.

[5] Le mont Joudi se situe à la frontière actuelle entre la Turquie et la Syrie, proche de la ville de Cizere.

[6] Voir l’excursus dans C. Westermann, Genesis 1-11, A Commentary, trad. par John J. Scullion S.J., Minneapolis, Augsburg Publishing House, 1974, 443-444. Ou encore M. Richelle, Comprendre Genèse 1-11 aujourd’hui, coll. La Bible et son message, Charols/Vaux-sur-Seine, Excelsis/Edifac, 2013, 199.

[7] La direction vers laquelle doit se tourner le fidèle pour accomplir ses prières est Jérusalem (Quibla). C’est seulement à partir de 624 (deux ans après son installation à Médine), que la Ka’ba devient la nouvelle qibla. La Ka’ba est une construction de maçonnerie cubique qui se trouve au Temple de La Mecque ; elle comporte la Pierre noire qui aurait été emportée du paradis par Adam.

[8] Ce titre de « fils de Marie » peut être compris comme une volonté de présenter uniquement la nature humaine de Jésus, sans aucun lien avec la divinité. C’est une manière, notamment, de mettre fin à la conception chrétienne de Jésus « Fils de Dieu ».

[9] Abou Horayra, l’un des compagnons de Muhammad, rapporte une parole remontant au prophète, disant : J’ai entendu l’Envoyé de Dieu dire : « Aucun descendant d’Adam ne naît sans que Satan ne le touche, au moment de sa naissance, en sorte que le premier cri qu’il fait entendre est un cri sous le toucher de Satan ; sauf Marie et son fils qui ont fait exception à cette règle. » (Bokhâri, livres des prophètes, n° 44 ; Muslim, livre des vertus)

[10] G. Gobillot, « Evangiles », Le grand dictionnaire du Coran, sous dir. Mohammad Ali Amir-Moezzi, Paris, Robert Laffont, 2007, 289.

[11] C. Moucarry, La foi à l’épreuve, l’islam et le christianisme vus par un arabe chrétien, Québec, La Clairière, 2000, 35-70.

[12] Les versets précédents mentionnent qu’il s’agit bien du peuple juif : le v. 65 évoque le Sabbat et le v. 67 Moïse qui parle à son peuple.

[13] S. Romerowski, L’œuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Charols, Nogent-sur-Marne, Excelsis, IBN, 2005, 221-252.

[14] A. Bailly, Dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 20004, 1528.

[15] H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, coll. Didaskalia, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2000, 217-218.

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