Romains 11 : Le mystère du salut pour Israël et les nations

ROMAINS 11 : LE MYSTÈRE DU SALUT POUR ISRAËL ET LES NATIONS

Donald COBB*

La position des chrétiens à l’égard du judaïsme a connu, au fil des siècles, un mouvement de balancier impressionnant. Alors que l’Eglise médiévale se laissait aller à parler du « peuple déicide » et que la chrétienté occidentale a, suivant les époques, obligé les Juifs à se constituer en ghettos ou, pire, les atrocités de la Shoah et l’établissement de l’Etat israélien dans les années 40 du XXe siècle ont conduit à une réévaluation en profondeur des rapports entre Israël et l’Eglise. Depuis une quarantaine d’années notamment, il s’est opéré un revirement de perspectives que l’on peut qualifier de spectaculaire, comme en témoigne, par exemple, l’important document issu de la communion ecclésiale de Leuenberg, rassemblant un grand nombre d’Eglises protestantes historiques d’Europe :

Israël est le point de référence constitutif et inchangé, en aucun cas dépassé, de la révélation de Dieu en Jésus de Nazareth qui est le Christ. Par la foi, nous savons que, dans l’histoire de Dieu avec sa création, depuis le commencement jusqu’à la fin des temps, le peuple d’Israël conserve sa place permanente[1].

Dans cette perspective, tout « prosélytisme » devient évidemment problématique[2]. Mais cette ouverture à l’égard du judaïsme se remarque également chez un nombre croissant d’évangéliques, allant dans certains milieux jusqu’à devenir un soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël, voire à la politique israélienne[3]. Paradoxalement, bien qu’épousant une vision théologique sensiblement différente, ces derniers rejoignent parfois – dans la pratique – les premiers au niveau de l’évangélisation[4]. Dans certaines circonstances, la mise en valeur d’Israël que l’on voit chez bon nombre d’évangéliques conduit à une véritable fascination et même, plus d’une fois, à l’abandon du christianisme en faveur de la foi juive[5].

Au cœur de la controverse se trouve Romains 11.25-26 avec son affirmation que « tout Israël sera sauvé », un « mystère » dont il faut impérativement prendre connaissance[6]. Comment comprendre ce passage ainsi que sa pertinence pour la relation entre l’Eglise et le judaïsme ? La réponse n’est pas simple et ce texte a donné lieu à des interprétations multiples, souvent épousées de manière passionnelle. Pour arriver à des conclusions responsables, il convient non seulement de se pencher sur ces quelques versets, mais de les replacer dans leur contexte plus large. C’est l’objet du présent article : en évitant, nous l’espérons, toute polémique inutile, nous voulons suivre pas à pas l’argument de Paul tel qu’il se développe en Romains 11. Ce parcours nous aidera à formuler quelques conclusions qui, si elles sont incomplètes, pourront néanmoins nourrir notre réflexion et notre pratique d’Eglise.

I. Le contexte : « Tout Israël… n’est pas Israël ! »

Puisque Paul donne en Romains 11.25-26 la conclusion de tout son développement depuis le chapitre 9 et, en particulier, depuis Romains 11.1, il est nécessaire de retracer, assez en profondeur, son argument jusque-là. Nous allons commencer par relever quelques éléments essentiels de Romains 9 et 10, puis nous concentrer sur l’argument du chapitre 11.

1. Une distinction fondamentale

Les huit premiers chapitres de la lettre de Paul à Rome soulignent le caractère décisif de l’œuvre de Jésus-Christ au tournant des « âges » : puisque la justice de Dieu a été manifestée dans le temps présent à la croix (Rm 3.21), la vie chrétienne doit se définir fondamentalement non par la circoncision, mais par la foi en Christ. De même, la « sanctification » – la transformation en l’image du Christ – ne doit pas être recherchée dans la conformité scrupuleuse à la Torah, mais dans l’œuvre de l’Esprit. Sous-jacente à cette réflexion est la conviction chère à Paul que l’Eglise est le « peuple de Dieu eschatologique » ; elle est composée de celles et ceux en faveur desquels les promesses de Dieu, pour la fin des temps, trouvent leur accomplissement, qu’ils soient d’origine juive… ou païenne[7].

Cela pose toutefois une question douloureuse : si l’Eglise est l’assemblée du Seigneur, l’objet des promesses annoncées autrefois à Israël[8], comment se fait-il – alors que les païens affluent vers le Messie – que l’Evangile ne rencontre pas davantage de succès parmi les Juifs eux-mêmes ? En effet, une constante que le livre des Actes relève dans le ministère de l’apôtre est le peu d’écho que la bonne nouvelle trouve parmi ses « frères de race », alors que c’est à eux, premièrement, qu’elle a été destinée ! Cela représenterait-il un échec divin ? C’est cette situation que Paul va tenter d’expliquer en Romains 9 à 11. Mais il commence en mettant en avant une affirmation des plus surprenantes : tout Israël… n’est pas Israël !

Or, ce n’est pas que la parole de Dieu a failli. Car tous ceux qui sont issus d’Israël ne sont pas Israël. Ce n’est pas non plus que tous les enfants d’Abraham soient sa descendance. Mais : « en Isaac sera appelée pour toi une descendance ». C’est-à-dire que les enfants de la chair ne sont pas enfants de Dieu ; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont considérés comme descendance[9]. (Rm 9.6-8)

Dans la suite du chapitre 9, Paul montrera qu’au sein des descendants d’Abraham il y a eu, au temps de l’Ancien Testament déjà, une distinction entre ceux qui pouvaient regarder au patriarche pour leur existence physique (Ismaël et Esaü dans la Genèse) et ceux qui ont été « appelés » par Dieu et, pour cette raison, considérés comme « enfants de la promesse », la vraie « descendance d’Abraham » (vv. 9-13). L’essentiel ne se trouve donc pas dans la continuité généalogique – pas plus que dans la circoncision ou la possession de la Torah – mais dans « le dessein de Dieu selon l’élection » (v. 11).

Cette distinction entre un Israël « physique » et un Israël « spirituel », ce dernier seul pouvant se réclamer du nom d’« Israël », a déjà été effleurée dans les chapitres précédents[10]. Elle posera le fondement à tout ce que Paul dira dans son onzième chapitre et s’avérera être capital pour comprendre l’affirmation controversée de Romains 11.26 : « Et ainsi, tout Israël sera sauvé[11]. »

2. Une ligne de partage inattendue

Cependant, avant d’en arriver là, Paul doit clarifier d’autres points non moins importants. Ainsi, aux versets 14 à 29, il souligne que l’action de Dieu, qui définit son peuple non par des prérogatives humaines, mais en fonction de sa seule miséricorde, trouve un précédent dans l’Exode : d’une part, dans l’attitude divine à l’égard de Pharaon (v. 17), d’autre part, dans la proclamation de la miséricorde qui ne trouve pas d’autre explication que la pure bonté du Seigneur (v. 15). Et l’apôtre de conclure : « Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » (v. 16) Ce choix souverain de miséricorde ne représente pas une quelconque injustice, souligne-t-il, car Dieu est libre – à partir d’une même « pâte » corrompue et rebelle – d’user de sa rigueur envers les uns et de sa compassion envers les autres (vv. 19-23). Or, c’est précisément cette action divine qui explique qu’une partie importante d’Israël s’obstine encore dans son refus du Christ et que, dans le même temps, l’Evangile est reçu par un nombre croissant de non-Juifs (v. 24)[12]. Alors que ceux-ci n’étaient pas intégrés au salut, ils entendent désormais à leur sujet la promesse donnée par le prophète Osée : « Celui qui n’était pas mon peuple, je l’appellerai mon peuple, et celle qui n’était pas la bien-aimée, je l’appellerai bien-aimée ; et là même où on leur disait : vous n’êtes pas mon peuple ! Ils seront appelés fils du Dieu vivant. » (Vv. 25-26)

De la sorte, Juifs et non Juifs se trouvent dans une situation des plus inattendues : d’un côté, ceux qui n’étaient pas au bénéfice de l’alliance trouvent la justice (v. 30). De l’autre, ceux qui pouvaient se féliciter de posséder la Torah et l’alliance des pères rejettent, paradoxalement, le Christ qui en constitue le point culminant (vv. 31-33). Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas compris que le but (telos) de la Torah, ce à quoi la Loi tendait, était non une justice d’homme, mais celle de Dieu, manifestée en Christ et saisie par la foi (Rm 10.1-13). Toutefois, ce rejet ne procède pas de l’ignorance ; elle est coupable (vv. 14-19a), ce qui, comme aux temps anciens, motive la volonté divine de rendre Israël « jaloux » par l’action des non Juifs… et de se laisser trouver par ceux qui ne le cherchaient pas (vv. 19b-21).

II. Dieu a-t-il rejeté son peuple ? (Romains 11.1-24)

Ce trop bref résumé des chapitres 9 à 10 nous conduit au chapitre 11, au cœur de notre interrogation. En suivant l’argumentation de l’apôtre, on comprend mieux la question qui ouvre cette section (Rm 11.1) : Dieu a-t-il donc rejeté son peuple ?

1. Endurcissement partiel et reste élu (versets 1-10)

La réponse est un « non » appuyé (mê genoito) : « Car moi aussi, je suis Israélite, de la descendance d’Abraham, de la tribu de Benjamin. » (Rm 11.1) L’explication pourrait paraître étonnante, mais elle est importante : la présence dans l’Eglise d’hommes et de femmes comme Paul, qui sont issus physiquement d’Abraham, sont la preuve que Dieu n’en a pas fini avec Israël. Plus encore, l’apôtre et d’autres comme lui constituent le « reste » dans lequel Dieu accomplit ses promesses à l’égard d’Israël[13]. C’est ainsi que le verset 2 reprend l’affirmation : « Dieu n’a pas rejeté son peuple qu’il a choisi d’avance[14]. » Comme au chapitre 9, « le peuple », c’est bien Israël, mais Israël selon l’élection.

Les versets suivants apportent une confirmation par le biais de plusieurs passages de l’Ecriture. D’abord au sujet d’Elie lorsque, en 2 Rois 19.10, ce prophète se plaint d’être le dernier membre d’Israël à être demeuré fidèle au Seigneur ; après sa mort, dit-il, il ne restera plus personne. La réponse divine, toutefois, affirme le contraire : même dans ce temps d’apostasie, Dieu s’est gardé sept mille hommes « qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal » (v. 4). Et Paul d’en tirer la conclusion : « De même aussi, dans le temps présent, il y a un reste selon l’élection de la grâce. » (v. 5) Dieu maintient sa promesse concernant les descendants d’Abraham en suscitant, au sein d’un peuple apostat, un reste élu[15].

La mention des œuvres au verset 6 pourrait paraître hors de propos, mais elle reste dans la logique que Paul développe depuis le début de sa lettre : tout en étant physiquement descendu d’Abraham, en possession de la circoncision et de la Torah, Israël ne saurait présumer de la grâce ou faire de Dieu son débiteur. De fait, en cherchant à faire de la Loi l’instrument d’une justice propre, Israël est passé à côté de la justice divine et a été endurci : « Ce qu’Israël cherche, il ne l’a pas obtenu, mais les élus l’ont obtenu, les autres ont été endurcis. » (v. 7)[16] 

Plusieurs textes du Deutéronome, d’Esaïe et des Psaumes viennent, ensuite, compléter le tableau présentant les thématiques de l’assoupissement et des « yeux obscurcis ». Notons simplement, pour l’instant, que, face à l’incrédulité d’Israël, Dieu lui-même est celui qui endurcit : « Dieu leur a donné un esprit d’assoupissement, des yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour ne pas entendre, jusqu’à ce jour. » (v. 8) L’affirmation peut paraître choquante, mais elle est importante pour comprendre l’argument et Paul y reviendra aux versets 25 à 32[17].

2. Les raisons de l’incrédulité (versets 11-15)

Le verset 11 ouvre une nouvelle section, Paul l’introduisant de façon pratiquement identique à la première : « Je dis donc : Ont-ils trébuché afin de tomber ? Certes non (mê genoito) ! » Cette affirmation, qui prolonge les versets précédents, souligne que le but dans ce « trébuchement » n’a, en fait, pas été « la chute » définitive d’Israël, mais le salut des nations, ce qui, à son tour, doit avoir pour finalité de susciter chez les Juifs une « jalousie » qui les pousse vers le Christ : « Mais, par leur chute, le salut a été donné aux païens, afin de provoquer leur jalousie (eis to parazêlôsai autous). » La pensée de Paul ici se fait dense, mais il est probablement question de la mort de Jésus, suite à son rejet par les autorités juives quelques décennies plus tôt : paradoxalement, c’est en raison de ce rejet que Jésus de Nazareth a été crucifié pour le péché, qu’il a vaincu la mort et que l’Evangile a été proclamé aux nations ![18] 

Or, poursuit-il, si pareil rejet a rebondi au bien du monde non juif, quels ne seront pas les bienfaits d’un retour vers le Seigneur de la part de ceux-là mêmes qui ont repoussé le Messie ? C’est en substance le propos du verset 12, mais les traductions sont souvent tendancieuses. Ce verset dit littéralement : « Or, si leur faute [a été] la richesse du monde, et leur échec la richesse des nations, à combien plus forte raison leur plénitude ? » Sans approfondir pour le moment la portée précise du terme plêrôma(plénitude), sinon en disant qu’il semble se référer à la totalité des Israélites qui doivent être sauvés[19], relevons un détail important. Ce verset ne contient pas de verbe ; par conséquent, traduire par un futur, comme le font bon nombre de versions récentes, risque de rejeter cette « plénitude » dans un avenir eschatologique lointain[20]. La suite semble pourtant l’interdire expressément, car Paul affirme aussitôt après qu’un des mobiles de son propre ministère auprès des non-Juifs est de « provoquer la jalousie » de ceux de sa « propre chair » afin, précisément, « d’en sauver quelques-uns (ei pôs parazêlôsô mou tên sarka kai sôsô tinas ex autôn) » (vv. 13-14). Or, il faut voir cette affirmation en rapport avec la « plénitude » du verset 12 : par son ministère – au Ier siècle déjà – Paul vise à ce que se constitue cette « plénitude », par le retour au Seigneur de ses contemporains, des « frères », physiquement descendus d’Abraham.

Enrichi de cette précision sur le ministère de Paul, le verset 15 reprend en partie le contenu du verset 12 : « Car si leur mise à l’écart [a été] la réconciliation du monde, qu’est-ce que [leur] réintégration, sinon une vie d’entre les morts ?[21] » Une fois de plus, aucun verbe ne vient indiquer un cadre temporel précis. Comme au verset 12, il faudrait donc longuement hésiter avant de vouloir y discerner un événement strictement futur. Quel sens faut-il donner à cette « vie d’entre les morts » ? A notre avis, il s’agit de la comprendre en rapport avec les Israélites qui découvrent en Jésus le Messie : chaque fois qu’un Juif se tourne vers le Christ, c’est comme un mort qui revient à la vie ! Il y a peut-être ici une allusion à Ezéchiel 37.1-14, la vision des ossements desséchés, que Paul évoque ailleurs : par l’œuvre de l’Esprit qui « fait vivre », des membres d’Israël reviennent à la vie[22].

Cette section est importante, car elle montre que si la « plénitude » du verset 12 peut avoir une référence future, il faut, d’abord, la comprendre en rapport avec le ministère de Paul au Ier siècle de notre ère. Le lien avec les versets 1 à 10 est donc transparent : Dieu n’a pas rejeté son peuple. Il veille, au contraire, à ce que, dans le temps présent aussi, il y demeure un « reste selon l’élection ». Or, ce reste élu n’est rien de moins que le début de la « plénitude », ceux que Paul cherche à « sauver » (v. 14), de façon qu’ils puissent connaître « la vie d’entre les morts » dont parlent les Ecritures.

3. Une métaphore : l’olivier et les branches (versets 16-24)

Ces versets constituent une des sections les plus longues du chapitre. Paul cherche surtout à prolonger les implications du verset 15 : ceux d’Israël qui ont été « mis à l’écart » et « endurcis » (v. 7) peuvent être réintégrés. En vertu de l’action de Dieu, les Israélites restent « saints », mis à part et consacrés au Dieu vivant : « Or, si les prémices sont saintes, la pâte l’est aussi ; et si la racine est sainte, les branches le sont aussi. » (v. 16) De nombreuses questions se posent sur ce verset : faut-il voir dans les prémices et la racine des réalités différentes ou deux façons différentes de parler d’un seul et même référent ? Plus précisément de qui ou de quoi s’agit-il ? A notre avis, il faut voir dans ces affirmations deux images qui, par leur variété, se renforcent l’une l’autre[23]. Quant au référent, il a toutes les chances d’être les patriarches, Abraham en particulier. En effet, cela correspond non seulement à une façon de caractériser les patriarches ailleurs dans la littérature juive de l’époque, mais aussi à ce que Paul lui-même dira au verset 28 : « En ce qui concerne l’Evangile, ils sont ennemis à cause de vous ; mais en ce qui concerne l’élection, ils sont aimés à cause de leurs pères[24]. »

Sans entrer dans une discussion approfondie, relevons quelques points en rapport avec la métaphore de l’olivier aux versets 17 à 24.

a. La logique de la métaphore. Tout d’abord, il est question dans ces versets d’un seul arbre ou, pour le dire autrement, d’un seul peuple de Dieu qui plonge ses racines dans l’élection d’Abraham[25]. Cela implique deux choses qui sont intimement liées :

Premièrement, dans la perspective de Paul, l’arbre originel n’a pas été abattu et remplacé par un autre. Dès la vocation d’Abraham et jusqu’au retour du Christ, le peuple de Dieu est un ; il y a une unité et une continuité, car le dessein divin reste le même. Nous sommes donc loin d’une « théologie de la substitution » où l’Église remplacerait Israël.

– Mais deuxièmement, en suivant cette même logique, il n’y a pas davantage deux peuples de Dieu parallèles, Israël d’un côté et l’Eglise de l’autre, celle-ci étant constituée de non-Juifs, celui-là des descendants physiques d’Abraham. Au contraire, tout au long de l’histoire, il y a un seul peuple de Dieu, auquel sont intégrésles non-Juifs qui se tournent vers le Seigneur. Comme Paul l’a déjà souligné au chapitre 9, les païens qui, auparavant, ne connaissaient pas Dieu entendront cette proclamation : « Celui qui n’était pas mon peuple, je l’appellerai mon peuple […]. » (Rm 9.25) A partir du Christ, l’unique peuple de Dieu est composé des Juifs et des non-Juifs qui, les uns et les autres, ont découvert en Jésus de Nazareth le Messie. L’imagerie des versets 17 à 19 l’implique aussi, à sa manière : dans l’arbre, certaines branches – les Juifs restés incrédules à l’égard du Messie – ont été « retranchées » et ne font donc plus partie de l’arbre.Dans l’arbre unique, d’autres, les chrétiens d’origine païenne, ont été « greffés à leur place » (v. 17)[26]. Cependant – et même si, en chiffres empiriques, cela peut représenter la majorité des Juifs de l’époque – il ne s’agit que de « quelques-unes des branches (tines tôn kladôn) » ; l’arbre lui-même reste debout.

b. Une attitude d’humilité. Mais la pensée théologique de Paul reste également ancrée dans la pratique. C’est pourquoi il souligne que ceux qui ont « pris la place » laissée vide par les branches « retranchées » ne doivent pas s’enorgueillir. De fait, c’est sur ce point que l’apôtre s’étend le plus aux versets 17 à 22 : que des « branches » aient été « retranchées » – c’est-à-dire que des Juifs aient été écartés de leur place au sein du peuple de Dieu – cela ne doit pas donner lieu à une quelconque attitude de supériorité, car l’intégration des non-Juifs doit tout à Dieu qui reste fidèle envers ses desseins. Comme le dit le verset 18 : « Ce n’est pas toi qui portes la racine, mais c’est la racine qui te porte. »

Cette nécessaire humilité se voit le plus clairement dans la mise en garde sévère contre la tentation « des pensées hautaines » (mê hupsêla phronei, v. 21) : le Dieu, qui n’a pas laissé les Juifs qui ont rejeté le Messie ne laissera pas non plus des non-Juifs verser dans une arrogance analogue (vv. 21-22). Dans l’alliance, une confiance inébranlable en Dieu ne saurait côtoyer des attitudes d’autosuffisance ou de fierté mal placée ![27]

c. Une réintégration possible. Aux versets 23 et 24, Paul revient à l’essentiel de sa pensée : la mise à l’écart des Israélites « incrédules » n’est pas nécessairement définitive. « Eux de même, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, ils seront greffés ; car Dieu est puissant pour les greffer de nouveau. » (v. 23) Relevons trois détails ici.

Premièrement, cette réintégration est conditionnée par la décision de ne pas rester dans « l’incrédulité ». C’est donc non le peuple dans son ensemble, mais ceux qui se tournent vers le Christ, et ceux-là seuls, qui – un à un – peuvent être « greffés » de nouveau.

Deuxièmement, malgré l’emploi d’un futur (« ils serontgreffés »), la référence est bien au présent : si, dans le temps présent, ils reconnaissent le Christ, alors ils seront réintégrés. Le futur est la conséquence logique résultant d’une action possible. Ici, en tout cas, il ne s’agit donc pas – c’est évident, mais il importe de le souligner – d’une conversion nationale et future ; c’est la conséquence d’une démarche « individuelle » et présente[28].

Troisièmement, ce que Paul dit ici est, en fait, la suite de ce qu’il a déjà affirmé aux versets 1 et 11 : Dieu n’en a pas fini avec son peuple. Au contraire, les branches élaguées peuvent être greffées de nouveau, comme Paul l’a lui-même été, grâce à la puissance de Dieu ; on peut d’autant plus l’espérer qu’il ne s’agit pas de placer une greffe provenant d’une espèce différente – d’intégrer au peuple de Dieu ceux qui n’en avaient jamais fait partie –, mais de rétablir des branches dans l’olivier qui leur avait donné naissance (v. 24). C’est précisément pourquoi cette réintégration n’est rien moins qu’une résurrection, une « vie d’entre les morts » !

Aussi Paul reste-t-il dans le propos qu’il développe depuis le début du chapitre : Dieu n’a pas rejeté son peuple. Il le montre en maintenant, comme par le passé, un « reste » fidèle : si, dans leur rejet du Messie, de nombreux Israélites s’en trouvent « endurcis », s’ils sont retranchés du peuple qui remonte aux patriarches comme des branches coupées de l’olivier qui leur a donné naissance et apporte la sève nécessaire à la vie (v. 17), pourtant le dessein de Dieu « qui est selon l’élection de grâce » se poursuit et continue de s’accomplir. De plus, ces mêmes Israélites peuvent être ramenés, greffés à nouveau, comme les non-Juifs qui ont découvert en Jésus le Messie et ont été insérés dans l’unique peuple de Dieu.

III. « Et ainsi tout Israël sera sauvé » (Romains 11.25-29)

Nous arrivons ainsi à la section la plus controversée de Romains 11, qui est aussi une des plus difficiles de Paul. Voici comment la Bible à la Colombe la traduit :

25 Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous regardiez pas comme sages : il y a endurcissement partiel d’Israël jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée. 26 Et ainsi tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit : « Le libérateur viendra de Sion, Il détournera de Jacob les impiétés ; 27 Et telle sera mon alliance avec eux, lorsque j’ôterai leurs péchés. » (Rm 11.25-27)

De façon générale, les commentateurs interprètent ces versets d’une des trois manières suivantes :

a. Paul se réfère à la fin de l’histoire présente, au moment où le salut des païens aura atteint sa pleine mesure. A ce moment, lors du retour du Seigneur ou juste avant, Dieu opérera une conversion miraculeuse : Israël dans sa totalité se tournera alors collectivement vers lui[29].

b. « Tout Israël » doit s’entendre comme « l’Israël de Dieu » (cf. Ga 6.16), composé à la fois des Juifs et des non-Juifs qui embrassent le Christ : autrement dit, « tout Israël » sera sauvé par le fait que la totalité des nations sera entrée dans le salut[30].

c. « Tout Israël » fait référence, ici, non pas à tous les Israélites sans distinction, mais à Israël dans le sens où Paul l’entend en Romains 9.6 : Israël « selon l’élection de la grâce », c’est-à-dire l’ensemble des Juifs qui – tout au long de la période où est annoncé l’Evangile – se tourneront vers le Christ[31].

Nous proposons d’aborder ces versets en quatre points.

1. Le lien entre le verset 25 et les versets précédents

Un des éléments permettant de clarifier l’interprétation de ce passage touche à la nature du lien avec ce qui précède : les versets 25 et suivants viennent-ils en prolongement des versets précédents où se situent-ils en rupture avec eux ? En d’autres termes, redisent-ils, en l’approfondissant, le même propos que Paul développe depuis le verset premier ou présentent-ils un aspect nouveau, sensiblement différent du reste du chapitre, celui de la fin des temps, alors que les versets précédents traitent essentiellement de l’histoire présente ?

Il n’est sans doute pas possible de donner une réponse à cette question sans prendre en compte l’ensemble des versets 25 à 32. Cependant, la particule connective reliant le verset 25 à ce qui précède donne un indice important. Au verset 24, Paul dit : « Car (gar) si toi, tu as été coupé de ce qui est par nature un olivier sauvage et, contrairement à ta nature, greffé sur l’olivier cultivé, à combien plus forte raison ceux-ci, qui ont cette nature(hoi kata phusin) seront-ils greffés à leur propre olivier ?[32] » Le propos est le même qu’au verset 23 : les Israélites qui, dans le temps présent, ne restent pas dans l’incrédulité seront réintégrés à « l’arbre » avec sa sève salvifique, à condition de renoncer à leur incrédulité. Le « car » montre que ce verset approfondit le propos précédent.

Or, c’est par cette même particule que commence le verset 25 : « Car (gar) je ne veux pas que vous ignoriez, frères, ce mystère […]. » En d’autres termes, le verset 25 prolonge, lui aussi, ce qui précède[33]. Nous pourrions donc paraphraser l’ensemble de ces versets en disant : si l’Israélite, lui qui est issu de l’olivier « noble », ne persiste pas dans son incrédulité mais se tourne vers le Seigneur, il sera réintégré à l’arbre, car il existe à ce sujet un mystère qu’il ne faut pas ignorer. Quel est ce mystère ? Paul en livre l’essentiel aux versets 25b-26 : « […] il y a endurcissement partiel d’Israël jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée. Et ainsi tout Israël sera sauvé […]. » C’est ce qui nous amène au point suivant.

2. Comment comprendre le mystère ?

En lien avec ce qu’il vient de dire aux versets 23 et 24, Paul poursuit donc en évoquant un « mystère », afin que ses lecteurs issus de la Gentilité n’adoptent pas des attitudes de supériorité, mais qu’ils sachent que Dieu est capable de réintégrer des « branches » écartées. Une précision importante : chez Paul, le terme « mystère » ne renvoie pas à un article de foi qui resterait opaque à l’intelligence humaine. C’est plutôt un aspect du dessein divin auparavant caché dans le conseil de Dieu, mais maintenant révélé par l’Evangile[34]. En ne regardant pour le moment que les versets 25 et 26, nous pouvons y discerner quatre éléments :

Premièrement, « un endurcissement partiel est venu sur Israël (pôrôsis apo merous tô Israël gegonen)[35] ». Il importe peu de savoir si l’expression apo merous doit se traduire en rapport avec Israël (« un endurcissement est arrivé à une partie d’Israël ») ou avec l’endurcissement (« un endurcissement partiel est arrivé à Israël ») ; dans les deux cas, le résultat est le même. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’incrédulité présente d’Israël est inextricablement – et mystérieusement – liée à l’action divine consistant à endurcir les cœurs. Sans que la responsabilité humaine soit le moins du monde enlevée, Israël a été endurci. Nous avons là le prolongement de ce que Paul a déjà affirmé aux versets 7 à 10. En même temps, l’expression « en partie » donne une précision décisive : cet endurcissement devant l’Evangile n’est que partiel. C’est précisément pourquoi les « branches arrachées » peuvent être réintégrées à l’arbre.

Deuxièmement, cet endurcissement est en rapport avec une « plénitude » ; il durera, plus précisément, « jusqu’à ce que la plénitude des païens soit entrée » (v. 25b)[36]. Paul emploie ici le même terme (plêrôma) que nous avons vu au verset 12 : « Or, si leur faute a été la richesse du monde, et leur échec la richesse des nations, à combien plus forte raison leur plénitude (to plêrôma autôn) ? » Cette reprise du vocabulaire est importante, car elle montre que le chapitre 11 s’articule, en fait, autour de deux « plénitudes », l’une concernant les Juifs, l’autre les non-Juifs. Le contenu de la seconde n’est pas problématique : il s’agit non de tous les païens sans distinction, mais de tous ceux qui, parmi les nations, se tourneront vers le Christ, la totalité des « élus des nations »[37]. Par voie de conséquence, nous pouvons supposer que le plêrôma (« plénitude) d’Israël au verset 12, ce sont tous ceux qui, parmi les descendants physiques d’Abraham, se tourneront vers le Christ et découvriront en lui le salut.

Troisièmement, l’expression « jusqu’à ce que la plénitude des païens soit entrée » contient une référence temporelle qui peut se comprendre de deux façons différentes. Une majorité de commentateurs la prend avec l’idée que le « jusqu’à ce que » implique un salut pour « tout Israël » au boutde cette période. Cependant, comme le remarque H. Ponsot, l’expression souligne plutôt la concomitance de l’endurcissement avec le temps de l’annonce : il ne dit rien d’un « après »[38]. Nous pouvons illustrer cela en distinguant entre deux affirmations formulées de façon analogue : « Il a été aveugle jusqu’à l’âge de trente ans » et « il a été aveugle jusqu’à sa mort ». Si la première implique un changement positif à la fin de la période désignée, la seconde ne le sous-entend nullement ! Elle désigne simplement la durée de la situation en question. A notre sens, il en est de même ici, comme le montre le point suivant.

Quatrièmement, Paul dit au verset 26a : « Et ainsi tout Israël sera sauvé […]. » Comment faut-il comprendre « ainsi (houtôs) » ? Pour beaucoup, il s’agit, là aussi, d’une référence temporelle : l’endurcissement subsistera aussi longtemps que l’Evangile sera annoncé aux païens, puis alors – à ce moment-là – tout Israël sera sauvé[39]. Il faut pourtant souligner que houtôs n’est pas un adverbe de temps mais de manière. Il signifie « ainsi », c’est-à-dire de cette façon[40]. Ainsi compris, les versets 25 et 26a constituent une clarification de ce qui précède : durant toute la période où l’Evangile sera annoncé aux païens, l’endurcissement d’Israël demeurera. Cependant, cet endurcissement ne sera que partiel : en même temps que « la plénitude des nations » entre dans le salut, une autre plénitude, celle d’Israël, que Paul appelle au verset 7 « l’élection », entrera dans le salut elle aussi, et c’est de cette façon-là que tout Israël sera sauvé. Comme aux versets 1 et 2, Paul fait référence non à la somme totale des « Israélites selon la chair » – tout son argument en Romains 9.6-13 devrait nous avertir à cet égard –, mais à ceux qui, parmi les descendants physiques d’Abraham, se tourneront vers le Christ et découvriront en lui le salut.

Nous avons là les éléments essentiels du mystère que Paul place devant ses lecteurs : comme il l’a annoncé au début du chapitre, Dieu n’en a pas fini avec Israël. Au contraire, dit-il, l’obstination que l’on peut observer chez les Israélites dans leur rejet du Christ est liée à un endurcissement relevant du dessein divin, et elle est partielle : tandis que la « plénitude » des non-Juifs entre dans le salut, une autre plénitude se constitue, bien que de façon discrète : celle d’Israël, comparable à « une vie d’entre les morts ». Le projet de Dieu inclut donc toujours les descendants physiques d’Abraham, et c’est de cette façon, dans un entrelacement surprenant avec les nations, que « tout Israël » – c’est-à-dire la plénitude d’Israël selon l’élection – sera sauvé[41].

3. La confirmation des textes bibliques

Aux versets 26b et 27, Paul appuie cette affirmation en citant le livre d’Esaïe : « […] selon qu’il est écrit : ‹Le libérateur viendra de Sion, il détournera de Jacob les impiétés ; et telle sera mon alliance avec eux, lorsque j’ôterai leurs péchés. »

La citation est, en fait, mixte, la première partie étant tirée d’Esaïe 59.20-21, la deuxième d’Esaïe 27.9[42]. Dans la recherche de ces dernières décennies, une attention particulière est portée aux citations scripturaires chez Paul. Il est souvent fait remarquer que lorsque ce dernier cite l’Ancien Testament ou y fait allusion, il le fait dans une démarche de métalepse, c’est-à-dire en supposant le contexte plus large du passage d’où provient la citation. Par conséquent, le propos de l’apôtre n’est pas seulement éclairé par la citation elle-même, mais aussi, souvent, par tout son contexte[43]. Replacer ces textes dans leur contexte premier peut donc être utile pour comprendre le propos de Paul ici.

a. Esaïe 59.20-21 et son contexte. L’apôtre cite, en le raccourcissant, un premier texte d’Esaïe. Dans sa version grecque (la LXX), il dit ceci :

Le rédempteur viendra à cause de Sion (heneken Siôn) et il détournera de Jacob les impiétés. Et c’est ici mon alliance avec eux, dit le Seigneur : mon Esprit, qui est sur toi, et les paroles que j’ai placées dans ta bouche, ne s’éloigneront certainement pas de ta bouche, ni de la bouche de ta descendance, dit le Seigneur, dès maintenant et pour toujours[44]. (Es 59.20-21, LXX)

Depuis le début du chapitre 59, le prophète se lamente sur le péché d’un peuple qui s’obstine dans la désobéissance[45]. C’est pourquoi « la justice » (dikaiosunê) ne parvient pas jusqu’à eux (v. 9) : « comme des aveugles, ils tâtonneront, et comme ceux qui n’ont pas d’yeux ils avanceront aveuglément » (v. 10). A cause de cette situation apparemment désespérée – il n’y a personne pour apporter la délivrance –, le Seigneur revêt lui-même sa justice et son salut (vv. 16-17) et il agit. En conséquence de cette intervention, non seulement les Juifs mais encore les nations se tourneront vers le Seigneur : « Ceux qui viennent de l’occident craindront le nom du Seigneur et ceux de l’orient son nom glorieux. » (v. 19)

Outre ces répercussions heureuses, il faut relever le don de l’Esprit (v. 21), ce qui, dans la pensée de Paul, va toujours de pair avec l’établissement de la Nouvelle Alliance. Il est donc fort à parier que la venue du rédempteur au verset 20 corresponde à la venue du Christ pour établir l’alliance nouvelle et, en conséquence, déverser l’Esprit sur son peuple[46]. En d’autres termes, dans la perspective paulinienne, Esaïe 59.20-21 ne se réfère pas à une situation encore à venir, mais à celle créée par la croix et le tombeau vide.

Quelle est la pertinence de cette citation pour Romains 11 ? Elle tient à ce que le rédempteur vient à cause de Sion pour détourner les impiétés de Jacob et, à partir de là, va vers les nations[47] : Jésus-Christ vient en tout premier lieu pour Israël. Son œuvre est, d’abord, pour ce peuple et ne se perd pas dans un salut adressé simplement au « monde ». C’est là, en fait, ce que Paul annonce dès les premiers versets de l’épître[48] et il y reviendra encore à la fin de sa partie pratique : « Je dis, en effet, que Christ est devenu serviteur des circoncis pour prouver la véracité de Dieu, en confirmant les promesses faites aux pères, tandis que les païens glorifient Dieu pour sa miséricorde. » (Rm 15.8-9)

Cependant, une deuxième citation, tirée d’Esaïe 27.9, vient immédiatement restreindre la portée de ce verset.

b. Esaïe 27.9 et son contexte. La citation d’Esaïe 27 est encore plus partielle, ce qui pourrait donner l’impression qu’elle contribue peu au sens[49]. Etant donné son caractère extrêmement succinct, toute tentative de saisir sa fonction dans le contexte de Romains 11 doit rester prudente dans ses conclusions. Hasardons néanmoins quelques remarques à ce sujet.

En Esaïe 26, il est question du jugement eschatologique qui s’abattra sur la terre et, en même temps, du salut que Dieu opérera[50]. Le chapitre 27 prolonge cette perspective en parlant de la ville de Jérusalem qui est, en même temps, une belle « vigne », symbole typique d’Israël (vv. 2-3). Tout en étant une « ville forte », elle sera « assiégée » et elle tombera (v. 3). A cause de son inimitié, Dieu la « met de côté » et elle brûle (v. 4). Il se produira alors un retournement de la situation : des hommes et des femmes, « enfants de Jacob », viendront et Israël deviendra un rameau qui remplira la terre. Cependant, au verset 8, il est de nouveau question du jugement : Dieu s’élèvera contre son peuple et l’enverra en exil. Puis vient l’annonce du pardon, au verset 9 :

A cause de cela, je pardonnerai l’iniquité de Jacob ; c’est ici sa bénédiction, lorsque je pardonnerai son péché, lorsqu’ils réduiront toutes les pierres de [leurs] autels brisés en une fine poussière ; certainement, leurs arbres [sacrés] ne subsisteront pas, et leurs idoles seront abattues comme des bosquets lointains. (Es 27.9, LXX)

Il est important de noter que ce pardon n’est pas la fin de l’histoire. Il s’accompagne d’un jugement renouvelé : « Le parc à brebis autrefois habité sera abandonné, comme un troupeau laissé en arrière, et il y restera longtemps en pâturage. » (v. 10) Si Dieu intervient pour le pardon, le jugement ne reste donc pas moins une réalité, comme le confirme le verset suivant :

Et après un temps, il n’y aura en elle aucune verdure, car elle se sera desséchée. Femmes qui rentrez d’un spectacle, venez ! Car c’est un peuple qui n’a pas d’intelligence. C’est pourquoi celui qui les a créés n’en aura certainement pas compassion ; celui qui les a façonnés n’en aura certainement pas pitié ! (v. 11)

Les expressions en italiques sont particulièrement intéressantes, car elles trouvent un écho dans ce que Paul dit ailleurs en Romains 9 à 11 au sujet de l’Israël de son temps. Le chapitre se termine en soulignant que le peuple infidèle sera assiégé ; Dieu veillera alors à ce que ses fidèles soient rassemblés, mais il le fera en les prenant un à un : « Alors, en ce jour-là, le Seigneur les encerclera depuis le canal du fleuve jusqu’au Rhinocuros[51]. Mais vous, rassemblez les fils d’Israël un à un (kata hena hena)[52]. » (v. 12)

Ce chapitre, notamment dans sa version grecque, est difficile. Il est surtout intéressant de noter que Dieu y apporte le salut, mais qu’il juge aussi son peuple. Non pas qu’il le rejette ; mais « les élus d’Israël » lui sont ramenés au milieu même de ce jugement. Or, c’est précisément ce que Paul expose depuis le début du chapitre 11[53].

+

Ces citations d’Esaïe tendent à confirmer notre interprétation de l’enseignement paulinien : Dieu reste attaché à Israël, peuple pour lequel il a envoyé son Rédempteur. Cependant, dans le temps présent, le jugement demeure. Ce ne seront donc pas tous les Israélites qui se tourneront vers Dieu ; les messagers du Seigneur les rassembleront, au contraire, « un à un ». Et ainsi – de cette façon –, « tout Israël sera sauvé ».

4. Un attachement et un appel irrévocable (versets 28-29)

Les versets 25 à 27 sont d’une importance capitale pour Romains 11. En règle générale, on considère qu’ils constituent le « mystère » annoncé au verset 25. Nous pouvons, toutefois, nous demander si ce qui suit n’énonce pas, lui aussi, une partie de ce mystère. En effet, aux versets 28 et 29, Paul approfondit les versets précédents, puis il en livre la clé aux versets 30 et 31.

D’abord, les versets 28 et 29 : « En ce qui concerne l’Evangile, ils sont ennemis à cause de vous ; mais en ce qui concerne l’élection, ils sont aimés à cause de leurs pères. » (v. 28) Le refus de l’Evangile place les Israélites dans une situation d’opposition et d’inimitié ; mais Dieu reste attaché à sa promesse, ce qui assure une réelle continuité dans la composition du peuple de Dieu[54]. Le verset 29 souligne cela de façon particulièrement appuyée : « Car les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables[55]. » En raison de sa fidélité sans faille, Dieu maintient son alliance avec les Pères ; il s’engage – y compris dans le temps présent – à susciter parmi les descendants physiques d’Abraham des membres de son peuple et à leur accorder le salut. Ceci étant dit, il convient de ne pas oublier le contexte. Paul a déjà parlé, aux versets 17 à 22, des branches « arrachées » ; celles-ci sont effectivement ôtées de l’arbre. Toutefois, malgré cette mise à l’écart (v. 15), elles restent dans une situation particulière : les Israélites « arrachés » à l’unique peuple continuent d’être enfants d’Abraham. Parce que Dieu demeure fidèle à sa Parole, ils peuvent être regreffés, et ce d’autant plus facilement que cela fait partie de ce qu’ils sont… à condition qu’ils reçoivent celui que Dieu a envoyé comme Messie et Rédempteur. Jusqu’à la fin de l’histoire présente, Dieu maintient donc son choix électif envers la descendance physique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

IV. La clé du mystère : endurcissement et miséricorde pour tous (Romains 11.30-36)

Jusqu’ici, Paul a donc mis en relief le mystérieux entrelacement entre Juifs et non-Juifs. Mais il est difficile de ne pas poser la question du « pourquoi » : en vue de quel but Dieu agit-il ainsi ? La dernière section de Romains 11 en livre le secret ultime :

En effet, tout comme vous, autrefois, vous avez refusé d’obéir à Dieu et maintenant, pourtant, vous avez obtenu compassion, du fait de leur refus d’obéir, de même eux aussi, maintenant, ont refusé d’obéir, du fait de la compassion dont vous bénéficiez, pour qu’eux aussi puissent maintenant obtenir compassion[56]. (vv. 30-31)

Par cette formulation, l’apôtre lève le voile pour laisser découvrir une inversion étonnante des rôles : le refus de la grâce par Israël a fait des non-Juifs les bénéficiaires de la compassion de Dieu ; alors que, par ce don de grâce envers les non-Juifs, l’incrédulité de la majeure partie d’Israël a été révélée ![57] De plus, dans le dessein de Dieu, ce renversement a été voulu : les uns ont été incrédules pour que les autres puissent croire, et ceux-ci ont cru pour que l’incrédulité des premiers éclate au grand jour ! Le propos pourrait heurter les convictions – même s’il ne fait que reformuler ce que Paul a déjà dit dans les versets précédents –, mais il convient de discerner la finalité divine qui se cache derrière ce paradoxe : le rejet qu’Israël continue à opposer au Messie juif à cause de l’acceptation de celui-ci par les païens a pour conséquence voulue que les Juifs, au même titre que les non-Juifs, « reçoivent compassion » dans le temps présent[58].

Cette situation où Juifs et non-Juifs se trouvent placés sur un pied d’égalité, aussi bien en ce qui concerne la culpabilité que pour ce qui est de la grâce, se révèle donc être le cœur du mystère vers lequel s’oriente ce chapitre et l’ensemble de Romains 9 à 11. En réalité, ces versets constituent l’aboutissement d’un thème annoncé dès le début de l’épître. En 1.18 et suivants, Paul soulignait par trois fois qu’en raison de leur idolâtrie, les païens « […] se sont égarés dans de vains raisonnements, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres » (Rm 1.21). Face à cette situation Dieu n’est pas resté passif ; il a, au contraire, livré les hommes « à une mentalité réprouvée » (Rm 1.24, 26, 28). Le cœur des païens a donc été endurci, et cela en rapport avec la volonté de Dieu[59]. Dans les chapitres suivants, l’apôtre a montré que le problème du péché englobe également les Juifs – bien que sous d’autres formes – et que, « […] tous, Juifs et Grecs, sont sous l’empire du péché » (Rm 3.9). A partir de Romains 9, il ira plus loin encore, soulignant que l’action divine d’endurcissement s’étend à Israël aussi. Comme nous l’avons déjà relevé : « Ce qu’Israël cherche, il ne l’a pas obtenu, mais les élus l’ont obtenu, les autres ont été endurcis […]. » (Rm 11.7) Les uns comme les autres sont sous le jugement, objets de l’endurcissement.

Mais c’est cette situation précisément – qui n’est d’ailleurs jamais dissociée de la responsabilité et du péché humains – qui trouve son éclaircissement au verset 32 : « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous. » Ici, à la fin du chapitre, Paul révèle que, de façon mystérieuse, l’action divine s’exerce envers les uns et les autres pour que tous soient mis au même plan : non pas pour que Dieu apparaisse comme inexorable dans sa puissance ou arbitraire dans son agir, mais afin que le salut soit perçu et reçu comme un acte de pure compassion. L’action de Dieu envers tous, c’est-à-dire envers les Juifs comme envers les non-Juifs, est donc – du début à la fin – celle de la miséricorde qui ne tient pas plus compte des vertus que des démérites des hommes[60].

C’est cette perception de la grâce mystérieuse, non pas arbitraire mais assurément insondable, qui conduit l’apôtre à l’adoration par laquelle il achève ce chapitre et cette partie de Romains :

Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! En effet, qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? Qui lui a donné le premier, pour qu’il ait à recevoir en retour ? Tout est de lui, par lui et pour lui ! A lui la gloire dans tous les siècles. Amen ! (Rm 11.33-36)

Conclusion

Conformément à ce que Paul développe à partir de Romains 9.1, le mystère des versets 25 et suivants ne se limite donc pas au sort d’Israël. Il touche au cœur même du salut et aux voies qu’il prend dans le monde des humains. De fait, il a des conséquences éminemment pratiques : contre tout « judéo-centrisme » incapable de comprendre la place centrale des nations dans le dessein du salut, Paul insiste : la situation de l’Israël actuel est celle de l’endurcissement – un endurcissement qui, bien qu’inséparablement lié à la désobéissance et à l’incrédulité, reste en rapport avec la volonté divine. En même temps, et contre toute arrogance de la part des chrétiens d’origine païenne, Dieu continue de choisir parmi les descendants d’Abraham un « reste selon l’élection ». D’après une certaine lecture de l’Ancien Testament, la première option aurait pu paraître comme une évidence. Pour les chrétiens non Juifs de Rome, voyant le peu de Juifs qui embrassaient l’Evangile, la seconde pouvait sembler couler de source. Quel est donc le mystère ? Dans la nouvelle dispensation du salut en Christ, le destin de tous – des Juifs comme des non-Juifs – est intimement enchevêtré, pour que la grâce soit manifestée de bout en bout comme un don absolu, un mouvement de bonté divine qui échappe à toute logique humaine de cause à effet, et qui reste jusqu’à la fin totalement immérité[61]. Dans l’histoire de la rédemption, où les uns comme les autres connaissent un endurcissement juste et une miséricorde inattendue, ce qui demeure est une adoration qui ne peut que s’écrier : « Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! »

Des questions subsistent toutefois, d’ordre à la fois théologique et pratique. Tout d’abord, une telle interprétation ne risque-t-elle pas, finalement, d’encourager une nouvelle « théologie de substitution » où l’Eglise, faite essentiellement de chrétiens d’origine païenne, prendrait purement et simplement la place d’Israël ? La réponse de Paul serait clairement négative : l’Eglise ne remplace pas l’Israël de l’Ancien Testament. Au contraire, le peuple qui tire ses racines des patriarches est foncièrement un. Les non-Juifs qui découvrent en Jésus de Nazareth le Messie et Rédempteur sont intégrés, par grâce, à cet unique « arbre » qu’est le peuple de Dieu et ils prennent place aux côtés de leurs frères juifs, qui ont fait cette même découverte. Pour Paul, ce serait autant un non-sens d’envisager une Eglise faite uniquement de croyants issus de la Gentilité qu’une Eglise où n’auraient droit de cité que des chrétiens d’origine juive. Rappelons-le : dans la perspective de l’apôtre, l’arbre originel n’a pas été abattu pour faire place à un autre. Ce sont des branches individuelles qui, à cause de leur incrédulité, en sont arrachées – tout comme peuvent l’être aussi les croyants non juifs qui tomberaient dans l’arrogance !

L’argument de Paul pose aussi une question connexe au sujet du titre de « peuple de Dieu ». Israël – c’est-à-dire l’Israël « physique », qui se définit aujourd’hui par son rapport au judaïsme et ne reconnaît pas le Christ – peut-il être considéré en théologie chrétienne comme peuple de Dieu ? Si oui, qu’en est-il de l’Eglise ? La question est délicate, surtout dans le contexte du dialogue avec le judaïsme. Dans la perspective de Paul, il semble nécessaire de dire ceci : si l’Eglise peut se dire « peuple de Dieu », ce n’est pas qu’il y aurait désormais deux peuples. Dieu n’a pas davantage enlevé ce titre à un peuple pour le donner à un autre. L’appellation de « peuple de Dieu » accordée à l’Eglise signifie bien plutôt que les membres de cette dernière, aussi bien juifs que non juifs, sont au bénéfice des promesses faites autrefois aux pères et qui ont trouvé leur accomplissement en Christ. Pour le dire autrement, le peuple de Dieu se définit, depuis toujours, en rapport avec les pères, les promesses… et leur accomplissement. Chacun de ces éléments est essentiel. Mais, une fois de plus, les non-Juifs au bénéfice de ces promesses et de leur accomplissement en Christ ne constituent pas un arbre à part ; ils sont intégrés à l’unique arbre, remontant à Abraham, à Isaac et à Jacob[62].

Une question plus sensible encore est celle de l’évangélisation. Nous avons vu dans notre introduction que, de façon paradoxale, des tendances pourtant très éloignées les unes des autres sur le plan théologique se rejoignent parfois dans un scrupule partagé d’« évangéliser » les Juifs. Que faut-il en penser ? Il est clair que le poids d’une histoire où les descendants physiques d’Abraham ont été les objets de discriminations, de railleries et de persécutions, ou pire, pèse lourd. Assurément, dans cette situation, parler du Christ exige une humilité et une écoute particulières. Ce témoignage ne peut commencer que par une volonté de dialogue, d’acceptation de l’autre et un profond respect[63]. Cela étant dit, un christianisme prêt à taire l’annonce du salut en Jésus de Nazareth, précisément devant celles et ceux à qui elle était destinée en premier lieu, aurait été incompréhensible – pour ne pas dire scandaleux – à l’apôtre qui a orienté tout son ministère de façon à éveiller une jalousie salvatrice chez ses frères de race (vv. 13-14) et qui s’est exclamé par ailleurs : « Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs […]. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. » (1 Co 9.20-22) Si les rapports entre le judaïsme et l’Eglise sont aujourd’hui profondément modifiés suite aux événement du XXe siècle, l’exigence de l’Evangile demeure, de cet Evangile qui est « puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec » (Rm 1.16).


* D. Cobb est professeur de Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] Eglise et Israël. Contribution des Eglises issues de la Réforme en Europe sur les relations entre les chrétiens et les Juifs. Résultats des consultations du groupe de dialogue doctrinal de Leuenberg « Eglise et Israël » 1996-2000 (2001), 35. Une expression qui revient à de nombreuses reprises dans ce document est « la place inchangée qui revient à Israël » et qui « résulte de l’élection divine » (ibid.).

[2] « Le témoignage commun rendu au Dieu d’Israël et la confession de foi dans l’élection souveraine du Dieu unique constituent un argument de poids pour proscrire, de la part des Eglises, toute forme d’activité dirigée de façon spécifique vers les Juifs pour les convertir au christianisme. » Ibid.

[3] Cf. le mouvement du sionisme chrétien qui, pour les seuls Etats-Unis, regrouperait entre 20 et 25 millions d’évangéliques.

[4] Cf. la charte des Christians United for Israel (ou CUFI : Chrétiens unis pour Israël) : « La première règle adoptée par les Chrétiens unis pour Israël a été qu’il ne devait pas y avoir de prosélytisme lors de nos événements. Le CUFI n’existe que pour honorer et soutenir le peuple juif, jamais pour convertir les Juifs. » (http://www.haaretz.com/jewish-world/why-christian-zionists-really-support-israel-1.290136, dernière consultation, le 16.09.2013)

[5] Cf., par exemple, http://jewishvoiceandopinion.com/a/JVO20090205.html (dernière consultation le 16.09.2013).

[6] Sauf indication contraire, les citations bibliques sont tirées de la Segond révisée, dite « à la Colombe » (BC dans la suite).

[7] Rm 15.4, 8-12.

[8] Rm 1.2, 16.26.

[9] Notre traduction. Le v. 7 a souvent posé problème, car tekna (« enfants ») étant un neutre, pantes (« tous »), au masculin, ne devrait pas s’y rapporter (on s’attendrait plutôt à panta). Une autre traduction – plus correcte grammaticalement – serait donc : « Ce n’est pas parce qu’ils sont la descendance d’Abraham que tous sont ses enfants » (ainsi Sg, BC, BJ, BFC). Cependant, la structure du passage suggère que la restriction – ce que tous ne sont pas – concerne non les tekna (« enfants »), mais le sperma Abraam (« la descendance d’Abraham), comme le montre bien le v. 8 : ce sont les enfants (tekna) de la promesse « qui sont comptés comme descendance (sperma) ». La NBS traduit donc correctement : « Pour être les enfants d’Abraham, tous ne sont pas sa descendance. » Ainsi, de même, D. Moo, The Epistle to the Romans (coll. NICNT), Grand Rapids, Eerdmans, 1996, 575, n. 25, et Th.R. Schreiner, Romans (coll. BECNT), Grand Rapids, Baker, 1998, 494-495. L’explication de cette incorrection grammaticale se trouve probablement dans le fait que tekna, désignant des êtres humains, a entraîné Paul à mettre l’adjectif au masculin, bien que le nom soit un neutre.

[10] Cf., en particulier, Rm 2.28-29 : « Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences ; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est apparente dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu. »

[11] Ainsi, par exemple, N.T. Wright, The Letter to the Romans. Introduction, Commentary, and Reflections (coll. NIB), Nashville, Abingdon Press, 2002, 690. Il est capital de reconnaître que ces versets sont posés d’emblée comme une définition pour les chapitres suivants et non – contrairement à ce que prétendent plusieurs exégètes – comme une affirmation qui finira par être dépassée ou laissée de côté par la suite, notamment en ce qui concerne Rm 11.25-26.

[12] Cf., sur ces versets, notre article, « L’élection divine : quand et comment l’apôtre Paul en parle-t-il ? », LRR, 248 (2008/5), 65-80, notamment les pages 74-79.

[13] Ainsi, par exemple, Th.R. Schreiner, Romans, 578-579, N.T. Wright, The Letter to the Romans, 675, notamment. Paul développe ici, en fait, une thématique annoncée en passant en Rm 9.27-29 : « Esaïe, de son côté, s’écrie au sujet d’Israël : Quand le nombre des fils d’Israël serait comme le sable de la mer, un reste seulement sera sauvé. […] Et, comme Esaïe l’avait dit auparavant : Si le Seigneur des armées ne nous avait laissé un germe, nous serions devenus comme Sodome, nous aurions été semblables à Gomorrhe. » L’action divine en faveur d’Israël n’est pas terminée. Cependant, elle s’accomplit envers un « reste ».

[14] Littéralement, Dieu a « connu d’avance » (proegnô) mais la mention au v. 5 du reste « selon l’élection » montre qu’il s’agit bien de connaître dans le sens de « s’attacher à quelqu’un », « choisir ». Comme le relève Th.R. Schreiner, Romans, 580 : « Cette compréhension […] est confirmée par le contexte immédiat, car [proegnô] fonctionne clairement comme antonyme de [apôsato (‹a rejeté›)]. […] L’idée est donc que Dieu n’a pas rejeté ceux sur lesquels il a posé son amour, dans le cadre de son alliance. » Cf. 1S 12.22, qui met en avant une compréhension semblable : « L’Eternel n’abandonnera point son peuple, à cause de son grand nom, car l’Eternel a résolu de faire de vous son peuple. » On trouvera une présentation intéressante de ces versets in J.R. Wagner, Heralds of the Good News. Isaiah and Paul ‘in Concert’ in the Letter to the Romans, Leyde-Boston-Cologne, Brill, 2002, 220-231. Notons, en outre, que l’emploi de proginôskô ici dans le sens fort de « s’attacher à » permet de clarifier le débat sur le même verbe en Rm 8.29 : « Car ceux qu’il a connus d’avance (proegnô), il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. »

[15] S. Bénétreau, L’épître de Paul au Romains, t. 2, Vaux-sur-Seine, Editions de la Faculté libre de théologie évangélique, 1997, 96, souligne bien que, « en introduisant la précision selon l’élection de la grâce, Paul renvoie le lecteur à ses déclarations précédentes (en particulier 9.11-12) ».

[16] Comme le remarquent J.D.G. Dunn, Romans 9-16 (coll. WBC), Word Books, Dallas TX, 1988, 641, Ph.F. Esler, Conflict and Identity in Romans. The Social Setting of Paul’s Letter, Minneapolis, Fortress Press, 2003, 294, et d’autres, l’affirmation renvoie à Rm 9.18 : « Ainsi, il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. »

[17] A quelques détails près, les vv. 9-10 reproduisent tel quel le texte de la version grecque du Ps 69.23-24 (LXX 68.23-24). En revanche, au v. 8, Paul rapproche deux textes pour produire une seule citation. En Dt 29.3 (LXX), nous lisons : « Le Seigneur Dieu ne vous a pas donné un cœur pour connaître, ni des yeux pour voir, ni des oreilles pour entendre, jusqu’à ce jour. » Es 29.10 (LXX) dit ceci : « Car le Seigneur vous a abreuvés d’un esprit d’assoupissement. Il fermera leurs yeux, ceux de leurs prophètes et de leurs chefs, [de] ceux qui voient les choses cachées » (notre traduction des deux passages). Alors que, dans le Deutéronome, l’action du Seigneur consiste à ne pas accorder la capacité de saisir la révélation, chez Esaïe, Dieu envoie activement un esprit qui empêche de comprendre. Ces versets soulignent, s’il était besoin d’insister sur ce point, la souveraineté de Dieu dans la réception de la grâce par son peuple. Cela étant dit, il faut aussi rappeler que Dieu endurcit ici un peuple rebelle. L’articulation entre ces deux points n’est pas transparente mais, clairement, pour Paul, l’un ne va pas sans l’autre ! La suite du passage le montrera de façon explicite.

[18] Cf. dans ce même sens N.T. Wright, The Letter to the Romans, 682-683. Comme le remarque D. Moo, The Epistle to the Romans, 687, il est également possible que Paul intègre à ce « rejet salutaire » celui qu’il a lui-même constaté en annonçant l’Evangile dans les synagogues de la Diaspora : comme le montre le livre des Actes, de façon générale, assez peu de Juifs ont accueilli la proclamation de Paul – alors que ce même message a rencontré un vif intérêt auprès des « craignant Dieu » qui gravitaient autour de la synagogue. C’est cette « fin de non-recevoir » qui a poussé l’apôtre à se tourner résolument vers les populations non juives. Comme le précise Ac 13.46, en rapport avec les Juifs d’Antioche en Pisidie : « Paul et Barnabas leur dirent alors ouvertement : C’est à vous d’abord que la parole de Dieu devait être annoncée, mais, puisque vous la repoussez […], voici : nous nous tournons vers les païens. » (Cf. Ac 28.25-28) Sur l’importance des prosélytes et des « craignant Dieu » dans la mission de Paul, cf. H. Cousin, J.-P. Lémonon et J. Massonet (éd.), Le monde où vivait Jésus, Paris, Cerf, 20042, 64-69.

[19] Ainsi, par exemple, Th.R. Schreiner, Romans, 598, et N.T. Wright, The Letter to the Romans, 681. J.H. Moulton et G. Milligan, Vocabulary of the Greek New Testament, Londres, Hodder & Stoughton, 1930, citent plusieurs papyrus où plêrôma a le sens « régiment », « compagnie » ou « équipage ». Les implications de cette compréhension deviendront plus claires à la lumière des vv. 25-26.

[20] La Bible Segond (1910), suivi de la NBG, fait preuve d’une licence surprenante : « Or, si leur chute a été la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des païens, combien plus en sera-t-il ainsi quand ils se convertiront tous. » La Parole de Vie prend des libertés non moins grandes : « Alors, quand les Juifs participeront totalement au salut, les bienfaits seront encore plus grands. »

[21] Notre traduction. Le terme apobolê (« mise à l’écart »), du verbe apoballô (« jeter au loin », « rejeter », « mettre à l’écart »), fait référence à la mise à l’écart ou rejet des Juifs incroyants par Dieu ; ainsi W. Arndt, F.W. Danker et W. Bauer, A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago, University of Chicago Press, 20003 (BDAG dans la suite), et la plupart des commentateurs. Par analogie, la proslêmpsis (« réintégration ») se réfère à l’action par laquelle Dieu réintègre ces mêmes personnes dans la communion avec lui. Noter que, selon les lexiques, le terme signifie, entre autres, « acquisition » ou « action d’acquérir ». Il pouvait être employé à l’époque avec une nuance « d’enrôler » quelqu’un dans une légion.

[22] Cf. la traduction proposée par la TOB : « Si, en effet, leur mise à l’écart a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration, sinon le passage de la mort à la vie ? » Du fait de la proximité avec le v. 12, plusieurs commentateurs comprennent cette expression en référence aux non-Juifs, soit de façon littérale (la résurrection dernière : lorsque « la plénitude d’Israël » sera entrée dans le salut, la résurrection finale aura lieu ; ainsi J.D.G. Dunn, Romans 9-16, 658, Th.R. Schreiner, Romans, 596-597, D. Moo, The Epistle to the Romans, 694-696, et d’autres), soit de façon métaphorique (un réveil spirituel ; cf., par exemple, S. Bénétreau, L’épître de Paul au Romains, 104, et J. Murray, The Epistle to the Romans [coll. NICNT], Grand Rapids, Eerdmans, 1965, 82-84). Avec F.J. Leenhardt, L’épître de Saint Paul aux Romains (coll. CNT), Genève, Labor et Fides, 19953, 161, et N.T. Wright, The Letter to the Romans, 683, notamment, nous penchons plutôt en faveur d’une référence à Israël. En effet, il paraît naturel de comprendre ce retour des Juifs au Dieu de l’alliance comme un « retour à la maison », surtout à la lumière des vv. 23-24. Le propos du père dans la parabole du fils prodigue, appliqué dans le contexte aux repentants d’Israël (les prostituées et « pécheurs »), n’est peut-être pas sans pertinence ici : « Mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie (nekros ên kai anezêsen) ! » (Lc 15.24)

[23] De même Th.R. Schreiner, Romans, 600, pour qui la notion d’une sainteté « communiquée » se comprenant plus naturellement dans l’image des prémices et de la pâte, celle-ci vient en premier : « Une fois les prémices et la pâte désignées par Paul comme saintes, la même notion peut être étendue à la racine et aux branches. »

[24] N.T. Wright, The Letter to the Romans, 684, reprend une interprétation déjà proposée par certains Pères de l’Eglise : « la racine » serait le Christ. L’imagerie viendrait de Es 11.1 et d’autres textes de l’Ancien Testament où le Messie est le rameau qui sort de la racine de Jessé (ek tês rizês Iessai). Toutefois, au niveau de la cohérence de l’image, cela semble peu probable. S’il est possible de dire, dans la perspective de Paul, que Christ est l’origine de ceux qui sont « en lui » (Ga 3.26-29), rien ne donne à penser que Christ sanctifie ceux qui ne lui sont pas unis. La plupart des commentateurs y voient, comme nous, une référence aux patriarches. Ainsi J.D.G. Dunn, Romans 9-16, 659-660 et 672, Th.R. Schreiner, Romans, 600, D. Moo, The Epistle to the Romans, 699, et ainsi de suite.

[25] Dans l’Ancien Testament, l’olivier est une image de prédilection pour désigner Israël : Jr 11.16-19 ; Os 14.6-7. Cf. aussi, dans la littérature juive de l’époque, l’image d’Israël comme un arbre planté par Dieu : 2M 1.29 ; Jub 1.16 ; 1Hé 10.16 ; 26.1 ; 84.6 ; 93.10 ; Test. Siméon 6.2, et ainsi de suite.

[26] Certains commentateurs cherchent à éviter l’idée que la greffe des branches « sauvages », prenant la place des branches naturelles, exprime une notion de « remplacement ». Ils traduisent donc ainsi le v. 17 : « Toi, en tant que branche d’olivier sauvage, tu as été greffé avec eux (enekentristhês en autois). » Du point de vue grammatical, cette traduction n’est pas inacceptable. Elle est toutefois exclue par l’affirmation explicite que les branches « naturelles » en question ont été retranchées et ne font plus partie de l’arbre (v. 17a). Cela est d’ailleurs dit de façon plus claire encore au v. 19 : « Tu diras donc : des branches ont été retranchées, afin que moi, je sois greffé (hina egô egkentisthô). » Il y a bien « substitution », au même titre d’ailleurs qu’aux vv. 22-24 où la menace d’être retranchées pèse aussi sur les branches « sauvages ». Cependant, malgré ce « remplacement » (et il ne faudrait pas pousser trop loin ce qui reste de l’ordre de l’imagerie, en pensant par exemple à un nombre fixe de « places », un peu comme des chaises musicales), l’essentiel reste l’unité de l’arbre. L’arbre lui-même ne peut être remplacé par un autre.

[27] Il convient de noter que ces versets ne prônent pas l’idée que l’on puisse « perdre son salut ». Dans l’alliance, qui n’est pas synonyme de la communion avec Dieu, la première responsabilité de ses membres est de s’attacher à Dieu et de « marcher devant sa face ». Celui qui ne le fait pas court le risque d’en être écarté comme membre infidèle. La position du chrétien d’origine non juive au sein de l’alliance et du peuple de Dieu est donc analogue à celle du Juif : en cas d’« incrédulité (apistia) » (v. 20), l’un comme l’autre sont menacés d’être « retranchés » (v. 21). Sur toute cette question, cf. notre article, « Election, alliance et certitude du salut », LRR 193 (1997/2), 69-89.

[28] Ce point est reconnu par J.D.G. Dunn, Romans 9-16, 675, D. Moo, The Epistle to the Romans, 707, et d’autres. Notons que le futur ici est strictement analogue aux futurs des vv. 21-22. Il est instructif de mettre ces affirmations en parallèle, afin de mieux percevoir la proximité de leur structure :

v. 21 : « Si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus. »

v. 22 : « […] bonté de Dieu envers toi, si tu demeures dans cette bonté ; autrement, toi aussi tu seras retranché. »

v. 23 : « Eux de même, s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité, ils seront greffés […]. »

[29] C’est l’interprétation qui rallie aujourd’hui la majorité des chercheurs. Cf., par exemple, S. Bénétreau, L’épître de Paul au Romains, 114-119, J.D.G. Dunn, Romans 9-16, 691, P.W. van der Horst, « ‘Only Then Will All Israel be Saved’ : A Short Note on the Meaning of [kai houtôs] In Romans 11:2 », JBL 119/3 (2000) 521-539, F.J. Leenhardt, L’épître de Saint Paul aux Romains, 164-165, Th.R. Schreiner, Romans, 614-619, D. Moo, The Epistle to the Romans, 717-726, et J.R. Wagner, Heralds of the Good News, 276-280.

[30] Cette compréhension a été habituelle dans la théologie protestante classique, elle remonte à saint Augustin et elle compte encore des adhérents parmi les exégètes modernes, comme H. Ponsot, « Et ainsi tout Israël sera sauvé : Rom., XI, 26a », RB 89/3 (1982), 406-417, et N.T. Wright, The Letter to the Romans, 687-691. Ce dernier écrit : « La phrase ‹tout Israël› se comprend donc le mieux comme une redéfinition polémique, analogue à celle que Paul a faite des termes ‹Juif› en 2.29, ‹circoncision› en 2.29 et Ph 3.3, et ‹descendance d’Abraham› en Romains 4, Galates 3, et Rm 9.6-9. »

[31] Cf., par exemple, Ch.R. Bruno « The Deliverer from Zion. The Source(s) and Function of Paul’s Citations in Rm 11:26-27 », TB 59 (2008), 119-134, R. Hvalvik, « A ‘Sonderweg’ for Israel. A Critical Examination of a Current Interpretation of Romans 11.25-27 », JSNT 38 (1990), 87-107, J.R.D. Kirk, « Why Does the Deliverer Come [ek Siôn] (Romans 11.25) ? », JSNT 33.1 (2010), 81-99, H.N. Ridderbos, Paul. An Outline of His Theology, Grand Rapids, Eerdmans, 1975, 358-361, et Ch. Zoccali, « ‘And so all Israel will be saved’ : Competing Interpretations of Romans 11.26 in Pauline Scholarship », JSNT 2008 (30), 289-318.

[32] Notre traduction. Le « car » (gar) au début du verset n’est pas toujours traduit, mais il est important pour marquer la continuité avec le v. 23. Notons également que Paul dit simplement « ceux qui sont les ‹par nature ». L’expression est difficile à rendre en français mais son sens n’est pas problématique.

[33] Bien noté par N.T. Wright, The Letter to the Romans, 687.

[34] Cf., par exemple, Rm 16.25-26 ; 1 Co 2.7 , 4.1, 15.51 ; Ep 1.9, 3.3s, 9, 6.19 ; Col 1.26-27, 2.2, 4.3.

[35] Notre traduction.

[36] Notre traduction.

[37] Ainsi, par exemple, S. Bénétreau, L’épître de Paul au Romains, 115 (qui parle de la « totalité numérique […] » et de « la pleine manifestation de l’Eglise de la Gentilité »), et Th.R. Schreiner, Romans, 617.

[38] H. Ponsot, « Et ainsi tout Israël sera sauvé », 412-413.

[39] « Tout Israël » étant défini en général comme la totalité des Juifs encore en vie au moment du retour du Seigneur, mais d’autres façons de le comprendre existent aussi (par exemple : « tout Israël » serait tous les Juifs qui auront vécu entre la venue du Christ et son retour).

[40] Cf. N.T. Wright, The Letter to the Romans, 691. Ce point est concédé par S. Bénétreau, L’épître de Paul au Romains, 115, Th.R. Schreiner, Romans, 620-621, et D. Moo, The Epistle to the Romans, 719-720, mais qui optent quand même pour une interprétation futuriste. A notre avis, une fois admis le sens de houtôs comme « ainsi », « de cette façon », le seul élément de ces versets qui puisse vraiment donner l’idée d’une conversion collective d’Israël à la fin des temps disparaît. Il est vrai que certains tentent de comprendre houtôs/kathôs (« ainsi/comme ») en rapport avec ce qui suit (les citations bibliques des vv. 26-27) : « Israël sera sauvé ainsi, de la façon dont il est écrit dans l’Ecriture […]. » Cf., par exemple, J.R. Wagner, Heralds of the Good News, 279-280. Dans la mesure où kathôs (« comme ») fait partie de l’expression typiquement paulinienne « comme il est écrit » (kathôs gegraptai), cette suggestion, du point de vue de la grammaire, est improbable.

[41] Comme l’écrit H.N. Ridderbos, Paul, 359 : « Le mystère (v. 25) se situe donc dans la manière dont cette plénitude d’Israël sera sauvée, dans l’interdépendance surprenante entre le salut d’Israël et celui des Gentils. […] Dieu n’accorde aucunement sa miséricorde à Israël indépendamment des Gentils, mais il ne l’accorde pas davantage aux Gentils indépendamment d’Israël. »

[42] On pourrait être tenté de voir dans le texte du v. 27b l’annonce du pardon des péchés en Jr 31.34, dans le cadre de la nouvelle alliance. Le vocabulaire n’est toutefois pas le même. Notons, en outre, que de telles citations mixtes se trouvent assez fréquemment chez Paul (par exemple, 2Co 6.16-18 ; un autre exemple se trouve déjà dans notre chapitre, au v. 8). Dans ces citations mixtes, le contexte de l’Ancien Testament reste souvent important.

[43] L’ouvrage de référence en la matière demeure celui de R.B. Hays, Echoes of Scripture in the Letters of Paul, New Haven, Yale University Press, 1989.

[44] Nous mettons en italiques les mots repris en Rm 11.26-27. Toutes les traductions du texte grec d’Esaïe sont de nous.

[45] Paul a en fait déjà cité Es 59.7-8 en Rm 3.15-17, suivi de ce commentaire : « Or, nous savons que tout ce que dit la loi, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu. » (v. 19) Il est donc fort possible que ce chapitre d’Esaïe soit présent à l’esprit de l’apôtre dès le début de son épître.

[46] Cf. Ch.R. Bruno, « The Deliverer from Zion », 126-127, R. Hvalvik, « A ‘Sonderweg’ for Israel », 92-93, N.T. Wright, The Letter to the Romans, 692, notamment. Comme le remarque J.R. Wagner, Heralds of the Good News, 290, sans être une citation du prophète Jérémie, « cette alliance se rapproche de façon saisissante de ‹l’alliance nouvelle› promise [en Jr 31.31-34], car dans les deux cas, c’est Dieu lui-même qui garantit la capacité chez Israël de garder la foi. Alors que Jérémie parle des lois de Dieu écrites de façon indélébile sur le cœur du peuple, Esaïe promet que l’Esprit de Dieu reposera sur lui et que les paroles de Dieu resteront dans sa bouche pour toujours. »

[47] A la différence et du texte hébreu (« Un rédempteur vient pour Sion ») et de la LXX (« Le rédempteur viendra à cause de Sion »), Paul dit littéralement : « Le rédempteur viendra de Sion (ek Siôn). » Il n’est pas impossible que le ek indique ici la raison de la venue (= « à cause de »). Cf. l’art. du BDAG : ek, 3.d. En ce cas, il s’agirait d’une différence de formulation par rapport à la LXX mais non de sens. Dans une autre perspective, J.R.D. Kirk, « Why Does the Deliverer Come [ek Siôn]? », avance que Paul aurait modifié la citation pour mieux appuyer le sens des versets précédents : le Rédempteur – entendre le Christ et l’Evangile – sort de Sion vers les nations, et c’est dans cet élan vers les nations que les péchés de Jacob seront détournés et Israël sauvé. L’une ou l’autre interprétation nous paraît préférable à celle de Th.R. Schreiner, Romans, 619-620, D. Moo, The Epistle to the Romans, 728, et d’autres : Paul citerait ce verset pour faire comprendre que le Christ (re)viendra de la « Sion céleste » – c’est-à-dire du ciel – à la fin des temps pour détourner les péchés de Jacob. Si Paul tient fermement au retour du Christ (Ph 3.20), il ne fait pourtant jamais l’équation « ciel = Jérusalem céleste » (politeuma, en Ph 3.20, se traduit mieux par « citoyenneté » que par « cité », contrairement à la BC. Cf., par exemple la NBS et la Bible en français courant). L’invraisemblance d’une référence à la Jérusalem céleste est soulignée par Ch.R. Bruno, « The Deliverer from Zion », 127-128, J.R.D. Kirk, op. cit., 90-91, et d’autres. Ce dernier remarque que la seule autre référence à « Sion » chez Paul (Rm 9.33) – dans la même section que notre passage – se comprend comme une métonymie pour la ville physique de Jérusalem : « […] où Jésus est allé et fut mis à mort, et d’où le message de Jésus sort pour aller par toute la terre. »

[48] Cf. Rm 1.16 : l’Evangile du Christ est la « puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, et aussi du Grec (Ioudaiô te prôton kai hellêni). » (Notre traduction)

[49] J.R. Wagner, Heralds of the Good News, 294.

[50] On retrouve, ici encore, des termes et concepts également présents dans Romains : la « justice (dikaiosunê) que doivent apprendre les habitants de la terre (Es 26.9) mais que n’ont pas apprise les impies, ainsi que la « vérité » (alêtheian, v. 10), et ainsi de suite.

[51] Rhinocuros est une ville connue de l’Antiquité. Dans son commentaire d’Esaïe, Eusèbe de Césarée donne la précision suivante : « Il s’agit d’une ville située près des montagnes qui se trouvent entre l’Egypte et la Palestine. » Commentarius in Isaiam, 1.91.29-30. Elle représenterait donc la frontière entre ces deux régions. Cf. aussi Flavius Josèphe, AJ 13.395.

[52] Cette action de rassembler ira de pair avec le rassemblement de ceux qui sont « perdus » en Egypte et en Assyrie. Ceux-là viendront et se prosterneront devant le Seigneur, à Jérusalem (v. 13).

[53] Dans la mesure où J.R. Wagner, Heralds of the Good News, avance comme thèse principale que les citations d’Esaïe dans Romains impliquent une écoute attentive chez Paul de leur contexte global, il est étonnant – et peut-être symptomatique de sa démarche – qu’il passe totalement sous silence le contenu du chapitre lorsqu’il traite de la citation d’Es 27.9 (ibid., 294-298). Serait-ce parce que Wagner, qui avance avec force l’idée d’un retour collectif à Dieu à la fin des temps de la part d’Israël, se rend compte que ce chapitre d’Esaïe, notamment dans la LXX, infirme son interprétation ? Ch.R. Bruno, « The Deliverer from Zion », 130-131, dont les conclusions sont proches des nôtres, développe assez courtement le contexte d’Esaïe 27 mais sans référence au texte grec de la LXX, sur lequel Paul s’appuyait clairement.

[54] La thématique de la fidélité de Dieu, par laquelle Dieu reste attaché à Israël et s’engage à sauver un reste glorieux, est fermement enracinée dans l’Ancien Testament, notamment dans le Deutéronome, mais aussi chez les prophètes.

[55] Le terme ametamelêtos (« irrévocable ») signifie littéralement « qui n’est pas à regretter », ou « qui est sans regret », avec l’idée que l’on n’a pas à regretter une décision prise ou une action accomplie : Dieu ne revient pas sur ce qu’il a donné.

[56] NBS. La traduction de la BC ne rend pas compte de façon satisfaisante du texte grec à cet endroit.

[57] Le texte grec appuie cette suggestion de façon plus forte encore, puisqu’il dit littéralement : « Vous avez reçu miséricorde par la désobéissance de ceux-ci ; de même, eux aussi maintenant ont désobéi par la miséricorde manifestée envers vous. »

[58] Le dernier nun (« maintenant ») manque dans la plupart des manuscrits. Il est néanmoins présent dans quelques témoins variés et de bonne facture (Sinaiticus, B, D*c, et d’autres). Le choix de le maintenir ou non est donc difficile. Dans tous les cas, il vient renforcer ce qui est déjà suggéré par le texte. Son authenticité est reconnue, entre autres par Th.R. Schreiner, Romans, 628-630. L’interprétation proposée par cet exégète est néanmoins forcée (« Paul écrit [nun] parce que le salut des Juifs peut venir à tout moment – en ce sens-là il est imminent – car le temps de désobéissance des Gentils a été remplacé par celui du salut des Gentils ») ; elle montre, de fait, la difficulté réelle que pose ce « maintenant » pour toute position uniquement futuriste.

[59] Ep 4.18 développe ce propos, parlant des « païens » : « Ils ont la pensée obscurcie, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux et de l’endurcissement de leur cœur. » Cf., dans ce même sens, D. Moo, The Epistle to the Romans, 735-736.

[60] Comme le remarque avec raison N.T. Wright, The Letter to the Romans, 695 : « Le verset 32 forme la conclusion, non seulement des chap. 9-11, mais de l’ensemble de la lettre jusqu’ici. » De fait, la fin surprenante du chapitre 11 montre à quel point l’épître aux Romains est une unité : dans la première partie déjà, Paul met en avant non seulement la justification par la foi et la « sanctification » par l’Esprit, mais l’égalité des Juifs et des non-Juifs devant Dieu, tout en maintenant la distinction entre les deux. De même, si les chap. 9-11 touchent à la situation d’Israël et de l’Eglise, Paul n’oublie pas la place centrale de la grâce gratuite et souveraine de Dieu qui abolit tout privilège en ce qui concerne la justice et le salut.

[61] Cf. J.Ch. Beker, Paul the Apostle, 334 : « […] Le mystère est la dynamique étonnante, en ‹vagues› ou ‹ondulations›, de l’histoire divine de la rédemption, ‹l’interdépendance› dans l’action de Dieu envers les non-Juifs et les Juifs. »

[62] Bibliquement, il ne fait pas de doute qu’à partir de Pentecôte la notion de « peuple de Dieu » a été utilisée pour décrire l’Eglise. L’expression complète ou partielle revient une douzaine de fois dans le Nouveau Testament (Ac 15.14, 18.10 ; Rm 9.25 ; 2 Co 6.16 ; Tt 2.14 ; Hé 2.17, 4.9 ; 1 P 2.9-10 ; Ap 18.4, 21.3). De même, les caractéristiques décrivant Israël dans l’Ancien Testament sont régulièrement reprises par les auteurs du Nouveau pour désigner l’Eglise. Cf. à ce sujet, H.N. Ridderbos, Paul, 327-333. Si l’on songe au fait qu’en 1P 2.9-10, par exemple, l’auteur utilise l’expression pour souligner que ce qui fait l’essentiel d’Israël dans l’Ancien Testament est accordé à l’Eglise dans le Nouveau, son importance théologique devient évidente.

[63] Le document de la communion ecclésiale de Leuenberg, Eglise et Israël, 7, souligne, à juste titre, que les rapports que l’Eglise entretient avec le judaïsme ne peuvent pas ne pas tenir compte des réalités tragiques du nazisme et de l’Holocauste : « La Shoah représente un défi permanent pour les Eglises et leur théologie : […]. La Shoah continue à donner lieu à un examen et à une actualisation permanents de la théologie. Elle contraint à rechercher les causes de cette haine des Juifs qui renaît sans cesse et celles d’un antisémitisme qui existe encore aujourd’hui. »

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