LA DOCTRINE DE L’UNION AVEC CHRIST
EST-ELLE LA DOCTRINE CENTRALE
DE LA THÉOLOGIE DE CALVIN ?
Jonathan MONNIER*
Personne aujourd’hui ne contestera que « Calvin est un auteur essentiellement christologique[1] ». Sa pensée « (…) est, en effet, absolument et totalement fondée sur la personne de Jésus-Christ[2] », en qui sont « tous les trésors et tous les biens[3] ». W. Niesel ira jusqu’à affirmer : « Le but de la théologie de Calvin est Jésus-Christ, parce qu’en ce qui le concerne nous devons confesser que ‹Dieu s’est révélé dans la chair›[4]. » Ce consensus vole en éclats lorsqu’il s’agit de trouver le centre de sa théologie ; la diversité des avis est une preuve manifeste de la profondeur de sa pensée. Certains ont considéré que le centre était la souveraineté de Dieu et son corollaire la prédestination. D’autres ont préféré voir, comme fil conducteur, le principe du complexio oppositorum – le complexe des contraires. D’autres encore ont suggéré que la théologie calvinienne se concentrait sur la distinction qu’elle dressait entre le Créateur et la créature. Quelques-uns ont cru discerner chez Calvin un théocentrisme en réaction à Luther qui serait plus anthropocentrique. Nous croyons que ce serait trahir Calvin lui-même que de parler de « centre » au sujet de sa théologie. En effet, ce vocable suppose la « staticité », alors que la pensée du réformateur implique une dynamique semblable à celle de l’histoire de la rédemption. Il est préférable de parler d’une théologie au sein de laquelle un théocentrisme va de pair avec une christologie de forme. D’une part, un théocentrisme qui reflète une asymétrie fondamentale dans le rapport entre l’homme et Dieu dont l’altérité demeure irréductible[5]. D’autre part, une christologie qui a pour centralité l’union au Christ dont la dynamique résulte premièrement de la dialectique homme/Dieu et deuxièmement de la dialectique qu’elle suscite par ses fruits.
C. Adjémian définit brillamment la centralité de l’union dans la pensée doctrinale du réformateur :
L’union avec Christ est un thème central pour Calvin, parce que Christ est central et indépassable. Cette union concerne le Christ vivant et ressuscité, elle est intime et physique aussi bien que spirituelle, elle implique une action de la part du Père et de l’Esprit et que Christ soit d’une vie nouvelle par la foi en l’Evangile, une foi qui a une expression diverse dans la double grâce[6].
Pour rendre compte de cette centralité de l’union[7] conçue par Jean Calvin comme « une notion et une réalité résolument capitales »[8], nous avons choisi dans notre démarche scientifique (puisqu’il s’agit bien d’observer et non de critiquer) d’examiner la diversité des écrits de son œuvre littéraire magistrale. Nos citations seront donc extraites de ses sermons, de ses commentaires, de ses lettres et de son Institution (essentiellement l’édition de 1559, qui présente la pensée de Calvin parvenue à maturité, quoique l’essentiel et la limpidité de sa théologie apparaissent, déjà, dans celle de 1541). Nous limiter à son Institution, qui, aujourd’hui, fait figure de véritable somme théologique du protestantisme réformé, nous aurait conduit à une connaissance partielle de la doctrine calvinienne marquée par la prépondérance de la personne du Christ. Pour répondre à la question posée par le sujet, il nous a paru bon de laisser abondamment la parole à Calvin. Ses propos rendront manifeste l’importance qu’il accorde à l’union du croyant avec le Christ. Le cadre de notre travail ne permettant pas d’aborder tous ces aspects, il a fallu aller à l’essentiel. Ainsi, les développements suivants se calqueront sur la citation ci-après dont le contenu fixe le cadre ainsi que les éléments de la thématique de l’union :
Il faut donc tenir pour vrai que le Christ, étant le Fils éternel de Dieu, de même essence et de même gloire que le Père, a revêtu notre chair, afin de nous communiquer, par droit d’adoption, ce qui de par sa nature est son bien propre, à savoir que nous devenions fils de Dieu. Il arrive ainsi que, incorporés au corps du Christ par la foi, et cela grâce à l’énergie du Saint-Esprit, nous sommes d’abord considérés comme justes par imputation de la justice, et ensuite régénérés pour une vie nouvelle, afin que, reconstitués à l’image de Dieu, nous renoncions au vieil homme[9].
Ce passage met en exergue, en raison de la condition dépravée de l’humanité, la nécessité de la médiation, qui est le fondement de l’union spirituelle du Christ avec le croyant qui, par le moyen de la foi, est rendu participant de la justice et de la sainteté du Fils. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous aborderons la nécessité de l’union. Par la suite, nous verrons quelles en sont les modalités. Enfin, dans un troisième temps, nous en présenterons les effets.
I. LA NÉCESSITÉ DE L’UNION
La théologie de Jean Calvin a la particularité d’être construite autour d’une dialectique qui s’explique par trois facteurs. Le premier est son biblicisme. Il est inutile d’insister sur le fait que Calvin a étudié de très près toute la Bible et, en particulier, l’Ancien Testament. Plus qu’aucun autre réformateur, son œuvre littéraire témoigne de la place qu’il a assignée à l’Ecriture comme fondement de sa doctrine selon le principe du Sola Scriptura. Le second se manifeste dans son vocabulaire qui laisse paraître une influence de la scolastique nominaliste héritée de l’enseignement qu’il a reçu à Montaigu ainsi que des lectures de son prédécesseur Martin Luther. Enfin, le dernier et troisième facteur s’explique par la place qu’il attribue à Dieu et à l’homme : la transcendance de Dieu s’oppose radicalement à la finitude de l’homme. Cette distance est une des raisons principales de la médiation du Fils, Jésus-Christ, qui jette un pont entre Dieu et l’homme, essentiellement distincts.
1. La dialectique Dieu-homme
Au sein de la doctrine calvinienne de l’union avec Christ, anthropologie et sotériologie sont étroitement liées. En effet : « La doctrine de l’homme est importante pour comprendre celle du salut car, pour Calvin, la grandeur de ce salut est directement proportionnelle à la profondeur de la déchéance dans laquelle l’homme a été plongé[10]. » F.Wendel rappelle pertinemment que :
Dès le début de son ouvrage, Calvin place toute sa théologie sous le signe de ce qui a été l’un des principes essentiels de la Réforme : la transcendance absolue de Dieu et son altérité totale par rapport à l’homme. Il n’y a de théologie chrétienne et conforme à l’Ecriture que dans la mesure où est respectée la distance infinie qui sépare Dieu de sa créature, et où l’on abandonne toute confusion, tout « mélange », qui tenterait d’effacer la distinction radicale entre le divin et l’humain. Il faut, avant tout, que Dieu et l’homme reprennent leur place véritable. C’est là l’idée profonde qui domine tout l’exposé théologique de Calvin et qui était sous-jacente à la plupart de ses controverses[11].
Originellement, la distance entre Dieu et l’homme est d’ordre créationnel. « En dehors de toute considération sur la nature déchue de l’homme, il existe un espace irréductible qui constitue une barrière insurmontable à toute contiguïté imaginée entre Dieu et l’homme[12]. » Par essence, Dieu, le totaliter aliter (pour reprendre une formule barthienne) est transcendant alors que l’homme est un être fini semblable à « un pot de terre »[13]. Toutefois, la chute a eu pour conséquence de déplacer et d’augmenter cette distance. De naturelle qu’elle était, elle devient conflictuelle et aliénante. L’homme qui avait été paré des dons divins s’est volontairement subordonné à Dieu ; ainsi, d’enfant de justice qu’il était, il est devenu enfant de colère. « Pour marquer cette aliénation, Calvin désigne Dieu comme ‹la partie adverse›, ‹l’adversaire›, et ‹l’ennemi de l’homme›[14]. » A l’opposé de la lignée antiochienne, cette dialectique s’inscrit dans le schéma ternaire de la dramatique adamique augustinienne : statut d’intégrité – perte – restauration. Le réformateur affirme, sans encombre, le privilège de l’homme créé à l’image de Dieu qui, à son commencement, jouissait d’une intégrité et d’une pureté parfaites : « Nous croyons que l’homme (…) a été créé pur, sans la moindre tache et conforme à l’image de Dieu[15]. » Mais la chute est venue bouleverser cette condition originelle : « (…) l’homme (…) est, par sa propre faute, déchu de la grâce qu’il avait reçue. Il s’est ainsi séparé de Dieu qui est la source de toute justice et de tous biens, au point que sa nature est désormais entièrement corrompue[16]. » A cause du péché, il est désormais spirituellement mort et totalement dépravé[17].
Notre nature est tellement corrompue en toutes ses parties, que nous sommes, à juste titre, coupables devant Dieu qui n’aime que la justice, l’innocence et la pureté. (…) toutes les parties de l’être humain, de l’intelligence à la volonté, de l’âme jusqu’à la chair, sont souillées et intoxiquées par cette concupiscence. (…) Depuis qu’Adam s’est détourné de la fontaine de justice, toutes les parties de la vie sont atteintes par le péché. (…) Il en résulte que ce qui est le plus noble et le plus admirable en nos âmes non seulement est blessé et atteint, mais entièrement corrompu, même si quelque dignité y est encore perceptible (…) l’homme dans son entier est comme sous un déluge, trempé de la tête aux pieds, de telle sorte qu’aucune partie de son être n’est exempte de péché et, ainsi, que tout ce qui en vient est, à juste titre, condamné et imputé au péché[18].
Au dire de Calvin, la notion de totalité se réfère moins à l’intensité de la corruption qu’à son étendue. La corruption totale signifie que toutes les parties de l’homme, sa volonté, son âme, son corps, son cœur, ses sentiments… sont entachés par le péché ; il est corrompu, charnel, vide de tous biens. Cette représentation calvinienne de l’homme n’est pas anodine puisqu’elle sert un but théologique : celui de pousser le croyant à l’humilité et de lui donner « un désir nouveau de chercher Dieu afin de recouvrer en lui tout ce dont nous sommes privés et dépourvus[19] ». Mais le diagnostic de Calvin sur la conception humaine que certains pourraient qualifier de misanthropique exprime également un but plus ultime : le motif doxologique de la gloire unique de Dieu (Soli Deo Gloria) dont la connaissance n’est ni abstraite ni philosophique mais en rapport avec la connaissance de l’homme. Calvin, qui aura toujours le souci de redonner à Dieu (et à l’homme) sa véritable place, commence son Institution (dès 1536) par cette affirmation :
Toute la somme de nostre saigesse, laquelle merite d’estre appellée vraie et certaine saigesse, est quasi comprise en deux parties, à sçavoir la congnoissance de Dieu, et de nousmesmes. Dont la premiere doibt monstrer non seulement qu’il est un seul Dieu, lequel il fault que tous adorent et honorent, mais aussi qu’iceluy est la fonteine de toute vérité, sapience, bonté, justice, jugement, misericorde, puisance, et saincteté, afin que de luy nous aprenions d’attendre et demander toutes ces choses. Davantaige, de les recongnoistre avec louenge et action de grace proceder de luy. La seconde en nous monstrant nostre imbecilité, misere, vanité et vilanie, nous ameine à dejection, deffiance, et haine de nousmesmes ; en aprez enflambe en nous un desir de chercher Dieu d’autant qu’en luy repose tout nostre bien, duquel nous nous trouvons vuides et desnuez. Or, il n’est pas facile de discerner laquelle des deux precede et produit l’autre. Car, veu qu’il se trouve un monde de toute misere en l’homme, nous ne nous pouvons pas droictement regarder, que nous ne soions touchez et poinctz de la congnoissance de nostre malheurté, pour incontinent eslever les yeulx à Dieu, et venir pour le moins en quelque congnoissance de luy[20].
Cette tension dialectique qui définit les relations entre le Créateur et la créature, entre le Dieu trois fois Saint et l’humanité pécheresse, sera entièrement abolie dans l’achèvement de la Rédemption quand Dieu sera tout en tous : « (…) nous serons pleinement participants de cette communion : quand Dieu nous accueillera auprès de lui[21]. » Ainsi, dans le ciel, la distance ne sera plus et le mouvement commencé lors de la création aura atteint sa destination finale. Pourtant, cet accomplissement ultime et certain est déjà une réalité puisque, dans son décret éternel, Dieu a pris l’initiative d’anéantir l’abîme infranchissable qui le séparait du reste de la création en envoyant son Fils pour Médiateur.
2. La médiation du Fils
Dans la pensée du réformateur, la notion de médiation passe par la personne et l’œuvre du Christ. Elle est le moyen choisi par Dieu pour la rédemption de l’humanité[22]. Selon Calvin, la nécessité de la médiation du Christ, à la fois vrai Dieu et vrai homme, conformément au motif chalcédonien (par souci de protéger la divinité du Fils, Calvin n’aura de cesse d’affirmer la distinction des natures), s’inscrit dans le plan éternel de Dieu et reçoit pour cadre la dialectique fondamentale Créateur-créature. En effet, Dieu ne pouvait « pas être propice envers le genre humain sans Médiateur (…) »[23] car « même si l’homme avait conservé son intégrité (…) sa condition (…) [était] trop basse pour pouvoir s’élever à Dieu sans Médiateur[24] ». Si la médiation s’inscrit dans le décret éternel de Dieu, c’est qu’elle renvoie à la perfection divine manifestée au travers de son amour et sa justice. A cause de sa bonté paternelle envers l’humanité déchue qui n’était pas en mesure d’entrer en sa présence, Dieu a pris l’initiative de se réconcilier avec elle : comme « il n’était pas en notre pouvoir de nous élever jusqu’à [sa majesté][25] », il a fallu que la majesté de Dieu s’abaisse jusqu’à nous et « que le Fils de Dieu devienne pour nous ‹Emmanuel›, c’est-à-dire Dieu avec nous[26] ». Si la médiation trouve son fondement dans l’amour de Dieu, elle répond tout autant au besoin de justice, car le péché de l’homme nécessitait le paiement d’une dette afin qu’il soit racheté. Mais une pareille dette, l’homme réduit à ses seules forces n’aurait jamais pu en acquitter le montant s’il n’avait été qu’homme. Il fallait que Dieu lui-même intervienne :
(…) notre Seigneur Jésus est apparu ayant revêtu la personne d’Adam. Il a pris son nom afin d’occuper sa place pour obéir au Père, pour présenter comme prix du juste jugement de Dieu et pour endurer, en la chair dans laquelle la faute a été commise, la peine que nous avions méritée. En somme, puisque Dieu seul ne pouvait pas connaître la mort et puisque l’homme ne pouvait pas la vaincre, il a lié la nature humaine à la sienne pour soumettre la faiblesse de la première à la mort et nous purifier ainsi en payant pour nos forfaits ; et, pour nous faire triompher par la puissance de la seconde [la nature divine], il a soutenu à notre place les combats contre la mort[27].
C’est donc par une sorte de nécessité de justice que le Médiateur se devait d’être à la fois homme et Dieu. Seule, la grâce du Christ pouvait être mise entre le pécheur et le Juge afin d’apaiser sa colère et le faire devenir pour nous un Père[28]. Seul, le Christ pouvait être le lien de la conjonction entre nous et Dieu[29]. Ainsi, selon Calvin, l’office de Médiateur assumé par le Fils implique une dialectique dans la personne et l’œuvre même de Jésus-Christ. Dans sa personne d’une part, car Jésus est à la fois vrai Dieu et vrai homme, et dans son œuvre rédemptrice réalisée en tant que Prophète, Roi et Sacrificateur d’autre part, car il est « l’agneau de Dieu sans tache » tout en étant « pécheur et coupable de malédiction »[30].
Si la Médiation du Fils est fondamentale dans la théologie de Calvin, c’est parce qu’elle est la cause et le fondement de l’union du Christ par le truchement de laquelle le croyant jouit de tous les biens christiques : « Nous entendons dire ailleurs en l’Ecriture que nous sommes faits participants de tous les biens du Christ (…) mais c’est ici le fondement d’un tel privilège : qu’il nous communique même la fontaine et source de tous les biens[31]. » Et Calvin développe sa pensée en arguant :
Cela sera encore mieux compris, si nous considérons quelle a été l’importance de l’office du Médiateur pour nous rétablir dans la grâce de Dieu, de telle manière que nous soyons ses enfants et les héritiers de son royaume, alors qu’étant de la descendance maudite d’Adam, nous étions héritiers de l’enfer. Qui aurait pu accomplir cela si le Fils de Dieu, lui-même, n’avait pas été fait homme et ne s’était fait tellement semblable à nous qu’il nous a communiqué de ce qui lui était propre, faisant nôtre, par grâce, ce qui était sien par nature ? Ayant pour arrhes le fait que le Fils unique de Dieu a pris corps de notre corps et a été fait chair de notre chair et os de nos os, nous avons une ferme assurance que nous sommes enfants de Dieu, son Père. En effet, il n’a pas dédaigné de prendre ce qui nous était propre pour être un avec nous et nous unir à lui en ce qui lui était propre et, par ce moyen, de devenir en même temps Fils de Dieu et fils d’homme avec nous. D’où cette sainte fraternité qu’il évoque en disant : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jean 20.17) Voilà comment nous sommes assurés de l’héritage céleste : le Fils unique de Dieu, à qui l’héritage de l’univers appartient, nous a adoptés pour ses frères et, par conséquent, nous sommes ses cohéritiers (Romains 8.17)[32].
La médiation était la condition sine qua non afin que l’homme, uni au Christ, recouvre son statut d’enfant de Dieu et d’héritier du ciel. En un mot : la vie éternelle pour laquelle il a été créé.
II. LA NATURE ET LES MODALITÉS DE L’UNION
Le titre du livre III de l’Institution, dont le plan quadripartite (dès l’édition de 1543) reproduit celui du Symbole des apôtres, s’intitule : « La manière de participer à la grâce de Jésus-Christ, quels sont ses fruits pour nous et quels sont ses effets ». Ce titre fait écho à l’affirmation, située quelques lignes auparavant, dans laquelle Calvin attestait que « tous les trésors et tous les biens sont en lui [Christ]». Le livre III répond donc à la question « (…) comment les biens que Dieu le Père a mis en son Fils nous parviennent, puisque le Fils ne les a pas reçus pour lui-même, mais pour en faire bénéficier ceux qui sont spirituellement indigents et démunis[33] ». La réponse du théologien est sans équivoque : par l’Insitio in Christum.
(…) il est clair que tant que nous ne sommes pas à Christ, tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut des hommes est dépourvu de sens et d’utilité pour nous. Pour que nous bénéficiions des biens dont le Père l’a comblé, il faut que nous soyons à lui et qu’il habite en nous. C’est pourquoi Jésus-Christ est nommé « notre Chef » et le « premier-né » de nombreux frères (Romains 8.29). Il est également indiqué, ailleurs, que nous avons été greffés sur lui et que nous avons « revêtu Christ » (…). Cependant, rien de ce qu’il possède n’est nôtre, comme nous l’avons dit, tant que nous ne sommes pas un avec lui[34].
Le « en Christ » paulinien est tout autant calvinien. Commentant Romains 6.11 (« Considérez-vous comme morts par rapport au péché, et comme vivants pour Dieu dans l’union avec Jésus-Christ »), il écrit :
Au reste, j’ai mieux aimé retenir les propres mots de l’Apôtre, en Jésus-Christ que de traduire, avec Erasme, par Christ, parce que l’autre manière de parler exprime mieux cet entement qui nous fait être un avec Christ[35].
Pour ce qui est de la forme, afin exposer les rapports complexes de cette union, Calvin s’approprie la pléthore de métaphores que présente le langage biblique (serment/cep, tête/membres, mari/femme, pierre angulaire/édifice). Pour ce qui est du fond, il définit l’union en rapport avec la croix qui en constitue la clef de voûte ; elle « est le seul lieu d’unité et le moyen par lequel il [Christ] est fait un avec nous[36] ». Cependant, le réformateur considère avant tout l’Insitio in Christum comme une réalité spirituelle qui s’établit par le moyen de la foi.
1. Union spirituelle et mystique
Le théologien définit clairement l’union comme étant spirituelle puisqu’elle procède de la volonté de Dieu « le Père qui nous plante en sa [celle de Christ] main »[37] par son Esprit :
Ainsi donc, déclare Calvin dans le 9e Sermon de la Passion, connaissons l’unité que nous avons avec notre Seigneur Jésus-Christ : c’est à savoir qu’il veut avoir une vie commune avec nous, et que ce qu’il a soit nôtre ; voire et qu’il veut habiter en nous, non point par imagination, mais par effet ; non point par une façon terrestre, mais spirituelle ; et quoi qu’il en soit, qu’il besogne tellement par la vertu de son saint Esprit, que nous sommes unis à lui plus que ne le sont les membres d’un corps[38].
Nous discernons une harmonie christo-pneumatique dans la théologie de Calvin. Pour désigner l’instrument qui opère l’union, il ne parle pas de la troisième personne de la Trinité mais de l’Esprit du Christ, « son saint Esprit ». L’Esprit du Christ apparaît comme le médiateur entre Christ et l’homme de la même manière que le Christ est le Médiateur entre Dieu et l’homme. L’Esprit du Fils est le canal par lequel le Christ nous unit à lui afin de nous rendre participants de tous les biens qu’il a reçus de son Père :
Car, pour comprendre les bienfaits de Christ, il nous faut être éclairés par l’Esprit : c’est lui qui en témoigne et nous les rend authentiques. (…) Ainsi, toutes les grâces qui nous sont offertes en Christ, c’est le Saint-Esprit qui nous les rend accessibles[39].
L’expression « toutes les grâces » confirme que le Saint-Esprit – que Calvin nomme ailleurs « Esprit de grâce » – est également l’agent de la rédemption. La nature de cette union est aussi personnelle et intime, car le Saint-Esprit nous rend non seulement participants des biens du Christ mais du Christ lui-même :
Si nous espérons le salut de lui, ce n’est pas parce que nous le voyons de loin, mais parce qu’il nous a unis à son corps et qu’il nous fait participants non seulement de ses biens, mais aussi de lui-même[40].
(et encore)
En habitant nos cœurs, le Saint-Esprit, nous fait sentir la présence du Christ[41].
Cette union spirituelle qui s’étend à l’homme tout entier, corps et âme[42], permet de nourrir le croyant de l’espérance de la résurrection future.
L’union spirituelle que nous avons avec Christ n’appartient pas seulement à l’âme, mais aussi au corps, tellement que nous sommes chair de sa chair et os de ses os (Ephésiens 5.30). Autrement l’espérance de la résurrection serait si bien débile, si notre communion n’était telle, à savoir pleine et entière[43].
« En résumé, le Saint-Esprit est comme le lien par lequel le Fils de Dieu nous unit à lui de façon efficace[44] », personnelle, intime et vivante, « la clef qui permet d’accéder aux trésors du royaume des cieux[45] » et « dont la puissance et l’action secrète nous permettent de jouir de la présence de Christ et de tous ses biens[46] ».
Si pour Calvin l’union est spirituelle, elle est tout autant mystique dans le sens où elle n’est pas simplement une participation du croyant au Christ, mais un échange entre le Christ et le croyant.
A ce même but répond l’union sacrée, qui nous a fait chair de sa chair, os de ses os, c’est-à-dire un avec le Christ (Ephésiens 5.30). Christ s’unit à nous par son Esprit seul ; par la grâce et la puissance de cet Esprit, il nous fait dépendre de lui et réciproquement, il est à nous[47].
(et encore)
Je considère donc d’une importance capitale l’union que nous avons avec notre chef, sa présence dans nos cœurs par la foi, l’union sacrée [le latin propose mystica unio] dont nous jouissons avec lui, afin qu’étant nôtre, il nous accorde les biens qu’il possède en abondance de façon parfaite[48].
L’Esprit Saint crée une réciprocité dans l’appartenance. Entés en son corps, « nous sommes en lui [et lui] est en nous[49] ». Il y a participation bilatérale, commutatio, parfaite communion. Dans ces deux passages, Calvin emploie un langage singulièrement fort. La formule latine mystica unio résume le vocabulaire richement varié de Calvin, qui n’hésite pas à utiliser des expressions comme : « habiter en nous », « prendre racine », « conjonction », « union substantielle », « confusion en une seule entité », « participons », « le vêtons », « entés en lui », « greffés sur »… Suite à la controverse qu’il aura avec Osiander au début des années 1550, l’édition française de 1560 traduira le latin par « union sacrée ». Calvin refusera catégoriquement d’être assimilé à l’hérésie défendue par Osiander, selon laquelle la justice du croyant ne relève pas de l’imputation de la justice du Christ mais de sa participation à l’essence même du Fils. Et pourtant, jusqu’à cette polémique, bien qu’ils aient revêtu un sens différent, les termes employés par Calvin étaient analogues à ceux de l’hérésiarque :
(…) comme Eve a été formée de la substance d’Adam son mari, afin qu’elle fût comme une partie de celui-ci, afin d’être vrais membres de Christ, nous communiquons à sa substance et, par cette communication, sommes assemblés en un même corps[50].
(et encore)
(…) comme Jésus-Christ nous est communiqué avec ses biens, tout ce qu’il a devient nôtre : nous sommes faits ses membres et une même substance avec lui (…) Jésus-Christ habite en nous, il n’est pas hors de nous. Non seulement il est lié à nous par un lien indissoluble, mais, par un phénomène admirable et qui dépasse notre compréhension, il s’unit, chaque jour, de plus en plus à nous en une même substance[51].
Pourtant, à la lecture de son commentaire de Jean rédigé en 1538 à Strasbourg, il est impensable que Calvin ait voulu décrire l’union comme une communion de substance entre le Christ et le fidèle :
Nous en recueillons aussi que nous sommes un avec le Fils de Dieu, non point pour dire qu’il transmet sa substance en nous, mais parce que par la vertu de son Esprit, il nous communique sa vie et tous les biens qu’il a reçus de son Père[52].
Selon Calvin, l’union est signifiée par une relation intime et étroite et non pas par une relation « mystique » dans le sens de la mystique traditionnelle héritée de Denys l’Aréopagite selon laquelle l’homme se fond dans l’Indicible pour devenir Dieu. Comme le souligne W. Niesel, il n’y a aucun mélange : « Cette union par la foi avec Christ que Calvin enseigne n’a strictement rien à voir avec l’absorption du mystique pieux qui cherche à pénétrer dans la sphère de l’être divin[53]. » Selon la doctrine calvinienne, l’union n’est ni une fusion, ni une diffusion, encore moins une confusion. A aucun moment, il n’y a une dilution de l’âme en Dieu ou une déification de l’homme. A cause de sa haute conception de la transcendance de Dieu, l’union n’est pas d’ordre ontologique à la façon platonicienne. En effet, de la même manière que la nature humaine du Fils ne se mélange pas à sa nature divine, le lien entre Christ et l’homme n’est, en aucun cas, une mixtion substantielle, car Dieu ne peut mêler sa nature à la nature humaine. Puisque l’homme et Dieu sont de deux ordres différents, chacun préserve son identité et son caractère propres. « Le refus de tout mixte à propos des deux natures en matière christologique (…) trouve son exact corollaire dans le rapport noué entre le salut donné en Christ et l’homme que chacun est[54]. » L’union ne s’effectue pas par une substantiae sed spiritus inflexu, mais par une relation personnelle existentielle avec le Christ vivant et ressuscité. Car Christ est une personne et, dans ses rapports à l’individu, il y a toujours une distinction, une disposition propre. « Vue à partir de Dieu elle est communication, vue à partir de l’homme elle est participation à la ‹substance› du Christ[55]. » Serait-ce à dire que Calvin promouvait une religion cérébrale dénuée de toute émotion, de tout sentiment et de toute expérience ? Assurément non.
Pour ma part, il me paraît même impensable que Calvin ait ignoré l’expérience mystique au moins dans certaines de ces modalités. Comment aurait-il pu écrire, à propos de la prière, qu’il peut se produire « une véhémence de l’affection » qui arrête la voix, que le cœur est « bouillant », le « gosier quasi fermé » et « qu’il est difficile de nous approcher de Dieu pour le supplier, sans que nos langues et nos mains ne se meuvent ensemble et communiquent avec l’âme » ?[56]
Jean Calvin n’était pas un théologien désincarné, insensible ; mais il était impensable pour lui que, par une communion de substance, la majesté de Dieu se confonde avec la misère de l’homme. Comme il le précisera, si l’union nous rend participants de la nature divine, elle le fait « non en substance mais en qualité[57] ». Selon la formule latine unio mystica sive praesentia gratiae tantum, la mystique de Calvin ne résulte pas du mystère de Dieu lui-même, mais de l’union du fidèle avec Christ, qui est une union spirituelle, œuvre de l’Esprit, par la grâce de Dieu, par le moyen de la foi.
2. L’acceptation de la foi
Le plan de l’Institution révèle que Calvin lie la foi à l’Esprit. En effet, c’est seulement après avoir traité de la troisième personne de la Trinité dans son chapitre 1 du Livre III, intitulé « Ce qui a été dit de Jésus-Christ nous profite par l’opération secrète du Saint-Esprit », que Calvin aborde le thème de la foi dans le chapitre 2, qui porte le titre : « La foi. Sa définition et ses particularités ». Pourquoi le réformateur lie-t-il la foi à l’Esprit ? Parce qu’elle est « le principal chef-d’œuvre de l’Esprit[58] ». Elle est entretenue par l’Esprit Saint qui en « est l’auteur et la cause[59] » et qui « l’augmente peu à peu jusqu’à ce qu’il nous ait mené au royaume des cieux[60]. »
En présentant la foi comme un acte aussi bien objectif (du point de vue divin) que subjectif (du point de vue humain), Calvin s’efforce d’en donner une définition complète, équilibrée et suffisante :
La bonne définition de la foi est la suivante : la foi est une connaissance pleine et entière de la volonté bonne de Dieu à notre égard ; fondée sur la promesse gratuite qui nous est faite en Jésus-Christ, elle illumine notre intelligence et elle est scellée en notre cœur par le Saint-Esprit[61].
O. Millet commente cette définition en déclarant que la « fiance » (comme l’appelle Calvin)
(…) intègre les données notionnelles (c’est une connaissance qui s’adresse à notre entendement) ainsi que spirituelles et affectives (c’est une persuasion « scellée » en notre cœur), et elle repose sur la parole de Dieu conçue, à la manière luthérienne, comme promesse gratuite du salut[62].
Du côté divin, sa dimension est explicitement trinitaire. Elle est un don (cf. commentaire Jean 6.42) que Dieu le Père accorde aux élus : « elle est le fruit de notre élection[63] », « la marque qui distingue les croyants des incrédules[64] ». Elle naît dans le cœur « quand Jésus-Christ nous illumine (…) par la puissance de son Esprit[65] ». Elle a pour objet le Seigneur Jésus-Christ, qui a été « destiné à [en] être le but »[66]. Enfin, elle se fonde sur la Parole de Dieu qui l’appuie et la soutient, car « en dehors de ce fondement, elle trébuche. Si donc en enlève la Parole, il n’y aura plus de foi[67]. » Du côté de l’homme, sa dimension est existentielle :
La foi reconnaît Jésus-Christ comme il nous est offert par le Père (il nous est offert non seulement comme justice, pour la rémission de nos péchés et notre réconciliation, mais aussi comme sanctification et source d’eau vive) ; aussi personne ne pourra-t-il le connaître vraiment, ni croire en lui s’il ne saisit pas la sanctification de l’Esprit. Ou, pour le dire encore plus clairement : la foi est liée à la connaissance de Christ et Christ ne peut pas être connu en dehors de la sanctification de son Esprit. D’où il s’ensuit que la foi ne doit pas être séparée de bonnes dispositions[68].
Dans ce passage, Calvin donne « la définition essentielle de la foi, adhésion de la personne tout entière à Jésus-Christ. La foi concerne donc l’être tout entier, car elle est assentiment de l’intelligence, affection du cœur et obéissance de la volonté[69]. » A la différence de la théologie scolastique, Calvin ne la considère pas comme une vertu théologale, c’est-à- dire comme une disposition naturelle infusée par Dieu lui permettant d’accéder à la connaissance des vérités révélées. A ses yeux, la foi n’est rien d’autre qu’un instrument, car sa valeur ne tient qu’à son objet, Jésus-Christ. En parlant de la justification, il formule : « (…) la foi, bien qu’elle n’ait en elle-même ni dignité ni valeur, nous justifie en nous offrant Jésus-Christ[70]. » Pour Calvin, la foi est simplement une (re)-connaissance confiante et une confiance (re)-connaissante en la paternité de Dieu et aux promesses de sa Parole. En comblant le fossé qui nous sépare de Dieu, elle permet d’élever nos cœurs (sursum corda utilisé au début de la liturgie) pour contempler au ciel le Seigneur qui siège à la droite de son Père. Elle n’a d’efficace qu’en rapport avec l’action secrète de l’Esprit, « quand Jésus-Christ nous illumine (…) par la puissance de son Esprit[71] ». Si l’Esprit est l’agent de la conjonction secrète que nous avons avec Christ, la foi est le moyen qu’il utilise, car c’est « elle [qui] nous unit à Christ[72] ».
III. LES FRUITS DE L’UNION[73]
La rédemption dont jouit le fidèle par son union à Christ lui parvient par la justification et la sanctification. Dit d’une autre manière, la justification et la sanctification sont les deux grâces qui découlent de l’union avec Christ :
En résumé, nous recevons et possédons, par la foi, Jésus-Christ tel que la bonté de Dieu nous le présente. En communion avec lui, nous recevons une double grâce :
– Voici la première grâce : nous sommes réconciliés avec Dieu par la justice de Christ et nous avons au ciel non un Juge, mais un Père bien disposé.
– La seconde : nous sommes sanctifiés par son Esprit pour vivre une vie de sainteté et de justice. En ce qui concerne la régénération, qui fait partie de la seconde grâce, j’en ai déjà dit ce qui me paraissait utile[74].
La façon dont Calvin aborde cette double grâce est peu conventionnelle. En effet, son Institution traite de la régénération avant la justification qui, pourtant, constitue la pierre angulaire de la Réforme. Calvin s’explique sur cette disposition volontaire des matières :
La justification a été moins développée, parce qu’il était nécessaire de comprendre, tout d’abord, que la foi n’est pas passive et sans œuvres bonnes (…) Il fallait aussi comprendre quelles sont les œuvres bonnes des saints qui sont en rapport, en partie, avec la question que nous avons à traiter[75].
Le contexte polémique et la pédagogie de Calvin éclairent ce choix. Premièrement, il s’attaque aux doctrines romaines qui voient dans la justification par la foi un prétexte à une passivité (serait-il en réaction contre l’accentuation unilatérale de la justification telle que la développe Luther ?) et, deuxièmement, il manifeste qu’il accorde à la sanctification une valeur égale à la justification. Il ne les place ni dans un rapport chronologique, ni dans un lien de causalité. Pour Calvin, justification et sanctification forment une unité parfaite puisqu’elles sont unies en Christ. Sur ce fait, W. Niesel de dire: « La justification et la sanctification sont une réalité en Jésus-Christ et forment en lui une unité vivante[76]. » Nombreux sont les passages (cf. Rm.6.1-2, 10, 22, 8.30 ; 1Co 1.30…) dans lesquels Calvin présente la justification et la sanctification comme deux réalités inséparables ; ses propos les plus cinglants se trouvent dans son Institution :
Or, nous ne pouvons saisir cette justice sans avoir aussi la sanctification. En effet, quand il est dit que Christ a été fait pour nous « sagesse, et aussi justice… et rédemption », il est ajouté également sanctification (1 Corinthiens 1.30). Il s’ensuit que Christ ne justifie personne sans le sanctifier en même temps. Ces bienfaits sont joints par un lien permanent. Quand Christ nous illumine de sa sagesse, il nous rachète ; quand il nous rachète, il nous justifie ; quand il nous justifie, il nous sanctifie. (…) Bien qu’il faille les distinguer, elles [justice et sanctification] sont inséparablement liées en Christ. Voulons-nous recevoir la justice en Christ ? Il nous faut, d’abord, posséder Christ. Or, nous ne pouvons le posséder sans être participants de sa sanctification, puisqu’il ne peut pas être coupé en morceaux. Puisqu’il en est ainsi, le Seigneur Jésus ne donne jamais à quelqu’un la jouissance de ses biens sans se donner lui-même ; il les accorde avec largesse tous deux ensemble, jamais l’un sans l’autre[77].
(et encore)
Nous ne pouvons être gratuitement justifiés par la seule foi, que nous ne vivions aussi saintement. Car ces grâces sont attachées l’une à l’autre, comme par un lien inséparable, tellement que celui qui s’efforce de les séparer démembre, par manière de dire, Jésus-Christ[78].
Toutefois, s’il les considère ensemble, il ne les confond nullement et va même jusqu’à les distinguer intellectuellement. Dans son argumentaire contre Osiander, il écrit :
Or, l’Ecriture, si elle les joint, les sépare distinctement, afin que la diversité des grâces de Dieu nous apparaisse mieux. La parole de l’apôtre Paul n’est pas une répétition : Jésus-Christ a été fait pour nous justice et sanctification (1 Corinthiens 1.30). Et chaque fois que l’apôtre, en nous exhortant à mener une vie sainte et pure, évoque le salut qui nous a été acquis, l’amour de Dieu et la bonté de Christ, il nous montre assez clairement qu’être justifiés est autre chose qu’être faits de nouvelles créatures[79].
La distinction tient dans le fait que la justification est définitive, juridique, alors que la sanctification est subjective et s’insère dans un processus[80] qui n’atteindra sa perfection que dans l’au-delà, lorsque l’homme aura été parfaitement rétabli à l’image du Fils de Dieu.
1. La justification
Elle reste aux yeux de Calvin « l’article principal de la religion chrétienne[81] », le « principe de toute la doctrine du salut et le fondement de toute religion[82] ». Développée dans les éditions successives en partie à cause des publications d’Osiander, la définition qu’en donne Calvin dès 1543 – la ressemblance est frappante avec Augustin et B. de Clairvaux – se formule ainsi : « (…) notre justice devant Dieu est l’acceptation par laquelle il nous reçoit en sa grâce et nous tient pour justes. Par elle, nos péchés nous sont remis et la justice de Jésus-Christ nous est imputée[83]. » Acceptation, rémission des péchés, justice de Christ, imputation : tels sont les fondamentaux de la justification calvinienne. Contrairement à Osiander qui manifeste un profond dédain pour l’idée que l’homme puisse être justifié en vertu de l’acceptation de Dieu, Calvin défend que notre salut repose « sur la miséricorde de Dieu, sans aucun mérite de notre part[84] ». De même que pour tous les éléments du processus de la rédemption, la miséricorde de Dieu est la cause efficiente de notre justification : « (…) notre justice devant Dieu est l’acceptation par laquelle il nous reçoit en sa grâce et nous tient pour justes[85]. » Le terme « justifier » est toujours employé par Calvin dans un sens judiciaire, car « la justice de la foi n’est pas autre chose que la réconciliation avec Dieu, qui consiste en la rémission des péchés[86] ». Etre justifié, c’est être pardonné, réconcilié avec Dieu. Cette réconciliation s’effectue par la purification des péchés sans laquelle Dieu, dans sa sainteté, ne pourrait accepter de s’unir à l’homme :
Celui que Dieu accueille dans son amour est dit justifié, car Dieu ne peut recevoir personne pour être uni à lui sans que de pécheur il ne le fasse juste. Nous ajoutons que cela se fait par la rémission des péchés. Car, si ceux qui sont réconciliés avec Dieu sont jugés sur leurs œuvres, on verra qu’ils sont pécheurs : il leur faut être entièrement purs et nets de tout péché. On voit donc que ceux que Dieu reçoit en sa grâce ne sont pas autrement faits justes qu’en étant purifiés, parce que leurs fautes sont effacées par la rémission que Dieu leur accorde ; cette justice ne peut s’appeler que d’un mot : la « rémission des péchés »[87].
Le corollaire de la rémission des péchés est l’imputation de la justice du Médiateur acquise à la croix : « Nous persistons à dire que nous ne pouvons trouver la justice et la vie qu’en la mort et la résurrection de Jésus-Christ[88]. » En faisant de la croix le fondement de la justification, Calvin signifie que c’est au travers de son obéissance au calvaire (Calvin associe la justice du Christ essentiellement à l’obéissance passive du Christ) que Christ a pleinement satisfait à la justice de Dieu. Il insiste sur le fait que c’est en sa qualité de serviteur, c’est-à-dire selon sa nature humaine, que Christ est la matière de notre justice :
S’il est vrai que Jésus-Christ ne pouvait pas purifier nos âmes par son sang, apaiser le Père envers nous par son sacrifice, ni nous délivrer de la condamnation qui pesait sur nous, ni, en somme, faire office de sacrificateur s’il n’avait pas été vrai Dieu (parce que toutes les facultés de la chair sont incapables de porter un fardeau aussi pesant), il est certain, cependant, qu’il a accompli tout cela selon sa nature humaine. Si quelqu’un demande comment nous sommes justifiés, Paul répond : par l’obéissance de Christ (Romains 5.19). Or, il ne pouvait obéir qu’en tant que serviteur. J’en conclus que la justice nous a été donnée en sa chair. (…) Il montre que la fontaine de justice est dans l’humanité de Christ. (…) Je sais bien que la justice est parfois dite « de Dieu », parce qu’il en est l’auteur et qu’il nous la donne. Mais, dans ce passage [2 Corinthiens 5.21], le sens est (…) que nous sommes dépendants de l’obéissance de Christ. (…) la substance de la justice et du salut sont dans sa chair. (…) C’est pourquoi j’ai l’habitude de dire que Christ est pour nous comme une fontaine à laquelle chacun peut puiser et boire facilement et autant qu’il veut. Par ce moyen, les biens célestes sourdent et coulent en nous[89].
Contre Osiander, qui « imagine que nous sommes justes substantiellement en Dieu par une infusion de son essence[90] » – ce qui l’amène à confondre justification et régénération –, Calvin défend vigoureusement non seulement que l’humanité du Christ est le lieu théologique de notre justification, mais également que sa justice devient nôtre par imputation :
(…) la justice de la foi est la justice de Christ, non la nôtre, qu’elle est en lui et non pas en nous, mais qu’elle devient nôtre par imputation… Ainsi nous ne sommes pas vraiment justes, mais par imputation, et nous ne sommes pas justes, mais tenus pour justes par imputation, dans la mesure où nous possédons par la foi la justice de Christ[91].
Pour Calvin, le fidèle est juste parce qu’il se revêt, par la foi, de la justice de Christ qui lui a été imputée du dehors et non infusée du dedans. La justification n’est pas une qualité ontologique, un habitus qui transforme l’âme du justifié ; elle n’est en aucun cas régénératrice. L’imputation ne change que la situation du croyant, en aucun cas son essence ! Elle est la contrepartie de l’assomption de notre péché par le Christ :
Péché est ici opposé à justice, quand S. Paul dit que nous avons été faits justice de Dieu, parce que Christ a été fait péché. Justice n’est point ici prise pour une qualité, mais pour une imputation d’autant que la justice de Jésus-Christ nous est imputée. Que sera-ce du péché au contraire ? C’est la condamnation que nous avons méritée au jugement de Dieu (…) Comment sommes-nous justes devant Dieu ? Certes tout ainsi que Christ a été pécheur. Car il a pris en quelque sorte notre personne, afin qu’il fût fait coupable en notre nom, et fût jugé comme pécheur, non pas pour ses péchés, mais pour les péchés des autres, vu qu’il était pur et exempt de toute iniquité, et portait la peine qui ne lui était point due, mais à nous (…) nous sommes maintenant justes en lui (…) parce que nous sommes considérés selon la justice de Christ, que nous avons vêtue par foi, afin qu’elle soit faite nôtre[92].
Le juriste qu’est Calvin évoque la justification en termes de transfert de propriété. Notre justification est possible car Christ « qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a fait devenir péché pour nous » (cf. commentaire de 2 Corinthiens 5.21). L’imputation n’est possible que par notre union à Christ, que Calvin ne considère pas comme la cause de l’imputation (qui rappelons-le est la croix), mais comme une condition indispensable :
(…) nous sommes privés de ce bien incomparable de la justice jusqu’à ce que Jésus-Christ soit fait nôtre. Je considère donc d’une importance capitale l’union que nous avons avec notre chef, sa présence dans nos cœurs par la foi, l’union sacrée dont nous jouissons avec lui, afin qu’étant nôtre, il nous accorde les biens qu’il possède en abondance de façon parfaite. Je ne pense donc pas que nous devons contempler Jésus-Christ de loin comme s’il était hors de nous afin que sa justice nous soit conférée ; nous sommes, en effet, revêtus de lui et greffés sur son corps, parce qu’il a daigné nous faire un avec lui. Ce dont nous devons nous glorifier, c’est d’être associés à sa justice[93].
Comme l’exprime si clairement F. Wendel, « La suite logique de cette doctrine de l’imputation de la justice du Christ, c’est que jamais, même après la rémission des péchés, nous ne sommes réellement justes[94] ».
Calvin ne limite pas la justification à la personne du justifié ; elle concerne aussi ses œuvres. Il formule ainsi la doctrine de la double justification :
De même que nous apparaissons justes devant Dieu après avoir été faits membres du Christ – nos fautes étant cachées par son innocence – de même nos œuvres sont tenues pour justes, puisque ce qu’il y a d’insuffisant en elles, étant couvert par la pureté de Christ, ne nous est pas imputé. Nous pouvons donc dire, à juste titre, que par la foi seule non seulement l’être humain, mais aussi ses œuvres sont justifiés[95].
Par ces propos, Calvin n’entend pas prôner une justice objective des œuvres ou un retour à la doctrine romaine de la justification. Il signifie simplement que les œuvres du justifié sont réputées justes à cause de la foi de leur auteur et sont couvertes par la grâce de Christ.
2. La sanctification
C’est principalement dans ses œuvres pastorales, datant de la fin de sa vie, que Calvin parle de la sanctification. Selon A. Ganoczy, elle est le fondement de « toute sa théologie morale et [de] tout son édifice ministériel »[96] puisque lui sont reliés la vie de mortification, l’obéissance, la prière, l’activité charitable, la prédication, les sacrements et la discipline. Pour exprimer ce deuxième fruit de l’union avec Christ, Calvin utilise de manière interchangeable différents vocables : régénération, sanctification, restauration, conversion, repentance (ou pénitence), nouvelle création, reformation, cœur nouveau. Néanmoins, il semble que la différence que Calvin effectue entre « régénération » et « sanctification » tient au fait que la première constitue le point de départ subit et irrévocable de la seconde :
La régénération est en effet conçue ici ni comme une transformation soudaine et définitive de la nature de l’individu, ni comme un moyen d’acquérir et d’exercer de nouvelles qualités morales et spirituelles, mais comme son passage – quant à lui absolu et définitif – sous un nouveau régime, ce que Calvin appelle la conversion[97].
La sanctification – prise dans son acception générale – apparaît donc comme passive et active. Passive d’une part, car réalisée en Christ par l’œuvre de l’Esprit. Dans sa grâce, Dieu accorde des dons (dont celui de persévérer jusqu’à la fin) afin que nous puissions combattre le péché et progresser dans la voie de la sainteté ; « par son Esprit [il] conduit dans le droit chemin, oriente, dirige notre cœur (…)[98] », « et tout ce qui succède est de Dieu[99]. » Contrairement à l’Eglise catholique romaine qui défend la notion thomiste de coopération de l’homme dans cette sanctification (« allons au secours de la grâce »), Calvin insiste sur l’œuvre individuelle et solitaire de l’Esprit dans le cœur du croyant. L’initiative et la volonté humaines sont subordonnées à la grâce de Dieu et ne dépassent pas la pure instrumentalité. Elle engage le croyant dans une activité qui comprend deux aspects inséparables : la mortification du vieil homme et la participation à la vie nouvelle, qui proviennent respectivement de la participation à la mort et à la résurrection de Christ :
(…) [la repentance] est une vraie conversion de notre vie pour suivre Dieu et la voie qu’il nous montre, à partir d’une crainte de Dieu véritable et non feinte ; elle consiste en la mortification de notre chair et de notre vieil homme et en la vivification de l’Esprit[100].
(et encore)
La mortification et la vivification proviennent de notre communion avec Christ. Si nous sommes vraiment participants de sa mort, la puissance de celle-ci a crucifié notre vieil homme et mortifié la masse de nos péchés, afin que notre première nature soit anéantie (Romains 6.5-6). Si nous sommes participants de sa résurrection, nous sommes par elle ressuscités en nouveauté de vie, laquelle correspond à la justice de Dieu[101].
Il est clair pour Calvin que, bien que sanctifiés en Christ, les croyants n’atteindront jamais ici-bas la perfection. Il leur faut reconnaître « combien nous sommes encore éloignés en fait de la véritable justice[102] ». Ils doivent marcher dans cette sanctification qui est toujours en devenir et ce jusqu’à la mort s’il veut demeurer en Christ. A plusieurs reprises Calvin exprime le caractère inchoatif de la sanctification :
Cette restauration ne s’effectue pas en une minute ou en un jour, ni même en une année. Dieu abolit, dans ses élus, les corruptions de la chair sur une longue période et seulement petit à petit. Il ne cesse de les purifier de leurs souillures, d’en faire des temples qui lui soient consacrés, de réformer leur sens et de les orienter vers une vraie pureté, afin qu’ils pratiquent la repentance toute leur vie, sachant que ce combat ne finit qu’à la mort[103].
(et encore)
(…) étant entés en Christ, nous sommes délivrés de cette misérable nécessité, non pas qu’incontinent nous cessions entièrement de pécher, mais de telle sorte que finalement nous remportons la victoire du combat. (…) Au reste, ce n’est pas à dire qu’il n’ait rien de cette communion s’il sent encore les restes de la chair vivre en sa personne ; mais il lui faut s’exercer assidûment à croître et profiter, jusqu’à ce qu’il soit parvenu au but[104].
Au travers de l’intervention renouvelée de l’Esprit, le croyant est façonné à l’image de Dieu. Car tel est le but de la sanctification : retrouver l’intégrité d’avant la chute, « l’image de Dieu [qui] consiste en la sainteté et la justice véritables[105] ».
Il est certain qu’Adam a perdu son intégrité dans sa chute qui l’a aliéné de Dieu. Aussi, bien que nous confessions que l’image de Dieu en lui n’a point été entièrement anéantie et effacée, elle est tellement corrompue qu’il n’en reste qu’une affreuse déformation. Le début du salut réside dans la restauration que nous obtenons par Jésus-Christ qui, à cause de cela, est appelé le second Adam, parce qu’il nous redonne notre vraie intégrité. (…) l’objectif de notre régénération est que Jésus-Christ nous rétablisse à l’image de Dieu. (…) Christ est l’image parfaite de Dieu à laquelle nous sommes rendus conformes, suite à notre restauration, de telle sorte que nous ressemblons à Dieu en vraie sainteté, justice, pureté et intelligence[106].
L’intégrité de Dieu re-formée chez le croyant est plus excellente que celle qui lui avait été conférée avant la chute, car elle est celle du Christ même, image parfaite de Dieu, à laquelle le croyant est rendu participant au travers de son union avec lui. L’image du croyant sanctifié, re-créé, est celle des filii in folio :
Nous avons dit davantage, que la régénération est une seconde création : et si on veut faire comparaison entre la première création et la régénération, on trouvera que la régénération est de plus grande importance. Car c’est bien une chose beaucoup plus excellente, que nous soyons formez pour estre enfans de Dieu, et estre reformez à son image, que d’avoir esté creez hommes mortels (…), c’est une chose beaucoup plus excellente d’estre creez enfans de Dieu qu’enfans d’Adam[107].
La sainteté est donc le cheminement vers la christo-conformité qui sera une réalité parfaite dans l’au-delà. Faut-il en déduire que Calvin considère la sanctification seulement comme une réalité eschatologique ? Non, elle est déjà une réalité aujourd’hui, en Christ, par la foi qui se traduit par des faits précis :
C’est que, bien que le péché réside en nous, il n’est toutefois pas convenable qu’il y ait vigueur pour exercer son règne, puisque la vertu de sanctification doit être éminente, et apparaître par-dessus le péché, en sorte que notre vie rende témoignage que nous sommes vraiment membres de Christ[108].
Dès à présent, le croyant peut manifester les fruits réels de sa vie en Christ. La sanctification a pour vocation d’attester que nous sommes véritablement membres de Christ. Au fond, pour Calvin, la sanctification ratifie la justification. La seconde grâce authentifie la première ; est justifié celui qui le manifeste au travers de sa sanctification :
Car la vérité est celle-ci : que jamais les fidèles ne sont réconciliés à Dieu, sans qu’en même temps le don de la régénération ne leur soit fait ; c’est même pour cela que nous sommes justifiés : à savoir afin qu’ensuite nous servions Dieu en pureté de vie[109].
(et encore)
Le but de notre régénération est qu’une harmonie et un accord entre la justice de Dieu et notre obéissance se manifeste dans notre vie et que notre adoption par Dieu comme ses enfants soit ainsi attestée[110].
Pour éclairer en quoi consiste concrètement la sanctification, Calvin a consacré dans son Institution tout un chapitre, intitulé « De la vie chrétienne », qui sera même l’objet d’un tirage spécial en 1550. Il désire répondre à la question : à quoi sert ce chemin, le plus souvent pénible, de la sanctification ? Sur un ton pastoral et proche, il donnera trois éléments de réponse : renoncer à soi-même, porter sa croix et orienter au travers de la prière toute son attitude vers la vie future. Et de conclure : « Nous pouvons dire, avec plus de vérité, que la vie d’un chrétien est une étude et un exercice permanents de mortification de la chair jusqu’à ce que, celle-ci étant morte, l’Esprit de Dieu règne en nous[111]. »
Conclusion
De la même manière que la christologie est le centre de la doctrine de Calvin, l’union du croyant avec Christ est au cœur de sa christologie. Nous sommes donc au cœur du cœur de sa pensée. Par l’instrumentalité de l’Esprit et le moyen de la foi, Christ et le croyant sont intimement unis. Cette union ne se limite pas à une simple participation ; elle est une commutatio par laquelle le croyant est en Christ et le Christ en lui. Dans ce sens seulement, Calvin en fait une mystica unio. Fondée sur l’œuvre de la croix, elle fait du pécheur une nouvelle créature : de coupable et pécheur qu’il était, il devient juste et saint. Justice et sainteté, tels sont les deux principaux bienfaits de l’ordo salutis dont jouit le croyant enté au Christ et auxquels il doit s’appliquer quotidiennement.
Il est frustrant de n’avoir pu qu’effleurer certains aspects centraux de cette christologie. En effet, nous n’avons pas eu l’occasion de souligner l’évolution de la pensée de Calvin dévoilée dans les différentes éditions de l’Institution ; nous n’avons pas pu exposer le caractère ecclésial et communautaire des fruits de l’union. De même, il aurait fallu insister sur la centralité de l’incarnation dans la médiation du Fils ainsi que sur le lien intime existant entre la Parole et l’Esprit Saint qui rend efficace l’œuvre du Fils dans la régénération. Nous aurions pu méditer sur les chapitres « De la vie chrétienne » dans lesquels Calvin explique comment marcher concrètement sur le chemin de la sainteté. Surtout, il aurait été très intéressant d’aborder la conception sacramentaire de la cène présentée comme le summum de la participation du croyant au Christ. Une analyse critique de cette doctrine aurait remis en cause, il me semble, un des hauts lieux théologiques de l’ecclésiologie calviniste. Néanmoins, puisque notre travail tenait essentiellement de l’observation, permettons-nous de laisser une dernière fois la parole à Calvin, qui n’aura de cesse de proclamer : « Tout est en Christ. »
Puisque nous voyons que notre salut est compris, en tout et en partie, en Jésus-Christ, il nous faut prendre garde d’en transférer ailleurs la plus petite parcelle. Si nous cherchons le salut : le nom seul de Jésus nous apprend qu’il est en lui. Si nous désirons les dons du Saint-Esprit : nous les trouverons dans son onction. Si nous cherchons la force : elle est dans sa seigneurie. Si nous voulons trouver la douceur pure : sa naissance nous l’offre en nous montrant qu’il a été semblable à nous, afin de nous apprendre la compassion. Si nous demandons la rédemption : sa passion nous l’accorde. En sa condamnation, nous avons le pardon. Si nous désirons que la malédiction nous soit épargnée : nous obtenons ce bien-là à la croix. La satisfaction, nous l’avons dans son sacrifice ; l’expiation, par son sang ; notre réconciliation a été obtenue par la descente aux enfers. La mortification de notre chair gît dans son sépulcre ; la nouveauté de vie en sa résurrection, qui nous donne aussi l’espérance de l’immortalité. Si nous cherchons l’héritage céleste : il nous est assuré par son ascension. Si nous cherchons de l’aide et du réconfort, ainsi qu’une abondance de tous biens : nous les avons dans son règne. Si nous désirons attendre le jugement en toute sécurité : nous avons aussi ce bien parce qu’il est notre Juge. En résumé, puisque tous les trésors et tous les biens sont en lui, il nous faut les puiser là pour être rassasiés et non ailleurs[112].
* J. Monnier a fait des études à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence et est membre de la Mission Timothée.
[1] A. Ganoczy, Calvin. Théologien de l’Eglise et du ministère, Cerf, Paris, 1964, 81.
[2] M. Bouttier, « La vie en Christ d’après Calvin », La Revue réformée, 7 (1956/3).
[3] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, mise en français moderne par Marie de Védrines et Paul Wells, avec la collaboration de S. Triqueneaux, Kerygma-Aix-en-Provence/Excelsis-Charols, 2009, II, xvi, 19, 464 (pour la suite Livre, Chapitre, Référence, page). Le livre II traite exclusivement de la christologie.
[4] W. Niesel, The Theology of Calvin, Baker, Grand Rapids, 1980, 122.
[5] Il est intéressant de noter que Calvin commence son Institution non pas par l’essence de Dieu inconnaissable mais par les œuvres de Dieu qui le révèlent, « car notre entendement n’est pas capable de connaître son essence ».
[6] C. Adjémian, « L’union en Christ chez Calvin », Colloque biblique francophone, mars 2008.
[7] Calvin réserve, en particulier, le vocable « participation » pour parler de l’union du croyant au Christ au moment de la cène.
[8] C.-A. Keller, Calvin mystique, Genève, Labor et Fides, 2001, 121. Rappelons que Calvin consacre les livres III et IV de son Institution à la description de la nécessité, de la nature, des modalités et des fruits de cette union.
[9] Ibid., 47, citant le point 3 du Consensus Tigurinus rédigé par Calvin en 1549 suite aux divisions luthéro-réformées au sujet de la cène.
[10] A. Pinard, « Racines calviniennes de la doctrine baptiste du salut », in L’identité des protestants francophones au Québec : 1834-1997, sous dir. D. Remon, Montréal, ACFAS, Les Cahiers scientifiques, no 94, 1998, 15-37.
[11] F. Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse (2e éd. revue et complétée), Labor et Fides, Genève, 1985, 111.
[12] A. Ganoczy, op. cit., 75.
[13] J. Calvin, Supplementa Calviniana, vol. XI/1, Sermons sur la Genèse, chap. 1.1-11.4, M. Engammare, 2000, 62.
[14] R. Stauffer, « Histoire et théologie de la Réforme », in Ecole pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, Annuaire 1967-1968, tome LXXV, 1966, 219.
[15] Confession de La Rochelle, Aix-en-Provence, Kerygma/Pays-Bas, Fondation d’entraide chrétienne réformée, 1988, art. 9, 30.
[16] Ibid., 30. Cf. le commentaire sur Genèse 2.16, in J. Calvin, Commentaires bibliques, Le livre de la Genèse, Kerygma-Aix-en-Provence/Farel-Fontenay-sous-Bois, 55.
[17] Calvin insiste particulièrement, dans le livre I de son Institution, sur cet état de corruption totale, doctrine reprise en 1618-1619 dans les Canons de Dordrecht.
[18] II, i, 8, 197-199.
[19] Ibid., 190.
[20] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), tomes I et II, édition critique par O. Millet (Textes Littéraires Français 598-599), Genève, Droz, 2009, 187-189 (pour la suite O.Millet, page)
[21] III, vi, 5, 622.
[22] Le langage de Calvin nous met dans l’embarras, car certains affirment la nécessité de l’expiation rédemptrice par la mort du Fils alors que d’autres non. Nous n’entrerons pas dans le débat, mais considérons d’après l’Institution de 1560 que la médiation a toujours été considérée comme une nécessité dans le plan éternel de Dieu et que Christ, en tant que Médiateur, était le seul moyen de réaliser la rédemption de l’humanité.
[23] O.Millet, 282.
[24] II, xii, 1, 402.
[25] Ibid., 401.
[26] Ibid.
[27] II, xii, 3, 403.
[28] J. Calvin, Epîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Kerygma/Farel, 1978 (Colossiens 1.20), 335.
[29] Ibid.
[30] Ibid. (Galates 3.13), 66.
[31] J. Calvin, Evangile selon Jean, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Kerygma/Farel 1978 (Jean 20.17), 529.
[32] II, xii, 2, 402-403.
[33] III, i, 1, 475.
[34] Ibid.
[35] J. Calvin, Epître aux Romains, Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois, Keygma/Farel-Fontenay-Sous-Bois, 1978, 143.
[36] J. Calvin, Evangile selon Jean (Jean 6.56), 192.
[37] Ibid. (Jean 15.1), 414.
[38] J.Calvin, Catéchisme de Genève, Choisis la vie…, (d’après l’édition latine de 1545), GKEF, Afrique du Sud, 1991, art.90, 42-43.
[39] Ibid.
[40] III, ii, 24, 507.
[41] J.Calvin, Catéchisme de Genève, Choisis la vie… (d’après l’édition latine de 1545), GKEF, Afrique du Sud, 1991, art.90, 42.
[42] L’anthropologie calvinienne est dichotomiste.
[43] J. Calvin, Première épître aux Corinthiens, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Marne-la-Vallée, 2000 (1 Corinthiens 6.15), 107.
[44] III, i, 1, 476.
[45] III, i, 4, 479.
[46] III, i, 1, 476.
[47] III, i, 3, 478-479. P. Wells souligne au sujet de l’« union sacrée » : « Calvin dit ‹le mariage sacré› en comparant l’union du chrétien avec Christ avec celle d’Eve et d’Adam, où Eve a été formée de la substance d’Adam. »
[48] III, xi, 10, 668.
[49] J. Calvin, Evangile selon Jean (Jean 14.20), 404.
[50] J. Calvin, Epîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens (Ephésiens 5.30), 226-227.
[51] III, ii, 24, 507-508. F. Wendel rapporte que ce passage date de 1545 et qu’il a été gardé par mégarde dans l’édition de 1560 ; cf. F. Wendel, op.cit., 178.
[52] J. Calvin, Evangile selon Jean (Jean 17.21), 471.
[53] W. Niesel, op. cit., 126.
[54] P. Gisel, Le Christ de Calvin, Desclée, Paris, 2009, 162.
[55] Ibid., 195.
[56] C. Izard, « Mystique et mysticité, théologie naturelle et unio mystica », Revue études théologiques et religieuses, n° 63, Montpellier, 1988/4, cite E. Doumergue, « Le caractère de Calvin », Revue Foi et Vie, Paris, 1921, 24.
[57] J. Calvin, Epîtres de Jacques et de Pierre, Première épître de Jean et épître de Jude, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Marne la Vallée, 1992, 176.
[58] III, i, 4, 479.
[59] III, ii, 33, 518.
[60] Ibid.
[61] III, ii, 7, 489.
[62] O. Millet, 511.
[63] J.Calvin, III, ii, 11, 492.
[64] III, ii, 30, 513.
[65] III, ii, 33, 520.
[66] III, ii, 6, 486.
[67] III, ii, 6, 487.
[68] III, ii, 8, 490.
[69] Ibid., note 28 de P. Wells.
[70] III, xi, 7, 665.
[71] III, ii, 35, 520.
[72] III, ii, 30, 513.
[73] Alors que, dans le reste de l’Institution, Calvin use davantage du terme de commutatio (échange) pour parler de l’union du croyant au Christ, celle-ci est dans la cène appelée « participation » et ce, en particulier, dans les éditions ultérieures.
[74] III, xi, 1, 658.
[75] III, xi, 1, 659.
[76] W. Niesel, op.cit., 137.
[77] III, xvi, 730.
[78] J. Calvin, Première épître aux Corinthiens (1 Corinthiens 1.30, 40 ; voir aussi les commentaires de Romains 6.1, 2, 22 ; 8.30).
[79] III, xi, 6, 664.
[80] « En ce qui concerne la régénération, Dieu commence à réformer ses élus dans la vie présente et il poursuit petit à petit son œuvre, qui n’est pas achevée à leur mort. (…) En revanche, Dieu ne justifie pas en partie, mais de telle sorte que les croyants, ayant revêtu la pureté de Christ, osent comparaître franchement au ciel. » Ibid., III, xi, 11, 671.
[81] III, xi, 1, 659.
[82] Sermon sur Luc 1.5-10 cité in F. Wendel, op.cit., 193-194.
[83] III, xi, 2, 660.
[84] III, xvi, 3, 732.
[85] III, xi, 2, 660.
[86] III, xi, 21, 681.
[87] III, xi, 21, 682.
[88] III, xi, 12, 673 ; cf. aussi III, xi, 8, 667.
[89] III, xi, 8, 667-668.
[90] III, xi, 5, 663.
[91] F. Wendel, op.cit., 195-196 d’après Opera omnia quae supersunt (Corpus Reformatorum), Brunswick, 1863-1900 et Opera selecta (edit.P. Barth et W. Niesel), Munich, 1926-1936, t. I, 73.
[92] J. Calvin, Deuxième épître aux Corinthiens, Kerygma/Farel, Aix-en-Provence/Marne-la-Vallée, 2000 (2 Corinthiens 5.21), 90.
[93] III, xi, 10, 668-669.
[94] F. Wendel, op. cit., 196.
[95] III, xvii, 10, 746.
[96] A. Ganoczy, op.cit., 101.
[97] O. Millet, 717.
[98] II,iii, 10, 244.
[99] O. Millet, 322.
[100] III, iii, 5, 534.
[101] III, iii, 9, 537.
[102] F. Wendel, op. cit., 183.
[103] III, iii, 9, 538.
[104] J. Calvin, Epître aux Romains (Romains 6.6-7), 139-140.
[105] III, iii, 9, 538.
[106] I, xv, 4, 139-140.
[107] Orig. Lat. in OC 40, 456, Prael. in. Ez. 18, 32 (1563).
[108] J. Calvin, Epître aux Romains (Romains 6.12), 143.
[109] Ibid., 136.
[110] III, vi, 1, 617.
[111] III, iii, 20, 551.
[112] II, xvi, 19, 464.