Trois réflexions sur la doctrine de l’image de Dieu[1]
Père Edouard COTHENET
Paul WELLS
Jean-Marc BERTHOUD
I. De l’image à la ressemblance
La question des droits de l’homme est l’une des plus importantes de nos jours. Les progrès incessants de la technique ne risquent-ils pas de se retourner contre l’homme ? Comme il convient que les comités d’éthique se montrent vigilants.
Comment fonder la dignité de l’homme ? Le chapitre premier de la Genèse se distingue par sa vision universelle. L’humanité est en cause, dans sa dualité mâle et femelle, l’homme et la femme étant l’un et l’autre créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Y a-t-il une différence réelle entre les deux termes çèlèm (image) et demûth (ressemblance) ? Les hébraïsants en discutent. Les traducteurs grecs utilisent eikôn et homoiôsis, le second semblant indiquer un niveau de ressemblance plus achevé. Nous y reviendrons.
Dans un monde peuplé d’images divines, l’interdit des représentations caractérise le judaïsme. Or en présentant l’homme comme image de Dieu, la Genèse inculque le respect auquel tout homme a droit en lui-même, quelle que soit sa naissance. Une particularité du texte mérite l’attention, à savoir la délibération de Dieu en lui-même : « Faisons l’homme à notre image (…). » Ce pluriel a bien embarrassé l’exégèse rabbinique, alors que les Pères de l’Eglise l’ont interprété dans une perspective trinitaire. Ne pouvons-nous dire que si Dieu se parle à lui-même pour créer l’homme, c’est que celui-ci est par nature un être de liberté et de dialogue, capable ainsi de répondre à son Créateur ?
Dans une ville, la statue du roi signifie qu’il exerce l’autorité, même s’il est physiquement absent. Au couple originel Dieu accorde une délégation pour dominer tous les animaux, qu’ils vivent dans les eaux, dans l’air ou sur terre. Ce pouvoir doit être exercé dans un esprit de douceur, comme le note P. Beauchamp. La consommation de la viande ne sera autorisée qu’après le déluge, comme remède à la dureté des temps.
Dans les chapitres 3 à 9 de la Genèse, nous assistons à une dégradation constante de l’humanité. Suite au meurtre d’Abel, Caïn banni de la présence de Dieu n’en reçoit pas moins une marque de protection (Genèse 4.15s.). Lamech est animé d’un esprit de vengeance terrible (Genèse 4.23). La corruption de toute chair entraîne le déluge. La prolifération du mal signifie-t-elle que l’homme a perdu sa dignité d’image ? Pourtant, quand Noé sort de l’arche, Dieu lui donne le code fondamental pour toute vie en société : « Qui verse le sang de l’homme verra son sang versé. Car, à l’image de Dieu, Dieu a fait l’homme. » (Genèse 9.6) De cette alliance pour toute l’humanité, l’arc-en-ciel est le signe (Genèse 9.12-17). Quelle que soit sa situation, l’homme reste créé à l’image de Dieu. Le psalmiste s’exclame: « Qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui (…) Tu en as fait presque un dieu. » (Psaume 8.5s.)
Sur la dignité de l’homme, le Nouveau Testament apporte une lumière décisive en présentant le Christ, nouvel Adam, comme « l’Image du Dieu invisible, le Premier-né de toute créature » (Colossiens 1.15). Le texte s’inspire de ce qui est dit de la Sagesse dans l’Ancien Testament : «Elle est reflet de la lumière éternelle, miroir sans tache de l’activité de Dieu et image de sa bonté. » (Sagesse 7.26) Dans l’hymne au Christ de l’épître aux Colossiens, « premier-né de toute créature » correspond à « premier d’entre les morts » (au verset 18). Création et re-création se répondent. Le Christ est médiateur, d’une part, parce qu’il reflète la bonté du Père et, d’autre part, parce qu’il a partagé la condition humaine, marquée par la mort, mais appelée à l’immortalité. La révélation du Père, le Fils l’a faite par toute sa vie et son enseignement. Comme le dit S. Jean : « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l’a dévoilé. » (Jean 1.18) De façon paradoxale, le voile s’est déchiré à l’heure de l’élévation en croix : « Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie et qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. » (Jean 17.1ss)
Par le baptême, sacrement de la foi, l’homme revêt le Christ, en lequel sont dépassées les vieilles oppositions liées à la race, à la condition sociale, au sexe même (Galates 3.28). L’homme nouveau transcende ces clivages, sans que disparaissent les différences de la nature ni la variété des dons. Unité ne signifie pas uniformité. Conformé par son baptême au Christ, le chrétien est invité, comme Paul lui-même, à regarder vers l’avenir : « Oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but, en vue du prix attaché à l’appel d’en haut que Dieu nous adresse en Jésus Christ. » (Philippiens 3.13-14) Le terme sera atteint « quand le Christ transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable (summorphon) à son corps de gloire. » (Philippiens 3.21) Le merveilleux échange sera alors accompli : parce que le Christ a pris la condition (morphè) d’esclave (Philippiens 2.7), il communiquera aux croyants la condition (morphè) de gloire.
Dans l’anthropologie des Pères grecs, et à leur suite dans celle de l’orthodoxie, la réflexion sur l’homme à l’image de Dieu est fondamentale. Toutefois les différences ne manquent pas : est-ce l’homme concret, corps et âme, qui est concerné, ou seulement son âme? Donnons la parole aux deux thèses en présence.
Dans sa lutte contre le spiritualisme désincarné des gnostiques, Irénée enseigne que c’est l’homme, dans sa condition de chair animée, qui a été créé à l’image du Verbe de Dieu fait chair. Attentif au déroulement de l’histoire, l’évêque de Lyon présente le péché d’Adam comme celui d’un enfant. Au terme du « rythme » fixé par la Providence, « le Verbe de Dieu se fit chair (…) Il fit apparaître l’image dans toute sa vérité en devenant Lui-même cela même qu’était son image (comprenons Adam) (…) et il rétablit la ressemblance de façon stable. » (Adv. Haer, V, 16, 2) Cette ressemblance est pleinement acquise quand, par la résurrection, l’homme participe à l’immortalité divine. De plus, aux antipodes de l’élitisme gnostique, Irénée développe une vision universaliste, car « le Christ a récapitulé en lui-même la longue histoire des hommes et nous procure le salut en raccourci ». (Adv. Haer, III, 18, 1)
L’enseignement d’Origène a pour horizon philosophique le moyen-platonisme, représenté par Plotin. Condamnant toute forme d’anthropomorphisme, le maître d’Alexandrie considère que c’est par son âme que l’homme peut être dit à l’image de Dieu. Citons un passage caractéristique du traité Sur les Principes : « L’homme a reçu, lors de la création première, la dignité de l’image, mais la perfection de la ressemblance lui a été réservée pour la consommation ; il fallait assurément qu’il se l’appropriât lui-même par le zèle de ses efforts personnels en imitant Dieu. » (III, 6, 1) Cette insistance sur la liberté caractérise les Pères grecs, orientés autrement que le sera S. Augustin dans sa lutte contre Pélage. La grâce n’est pas exclue, cependant la marche vers la ressemblance plénière avec Dieu, dans la vision céleste, n’est possible que dans un climat de liberté.
On ne saurait ramener la mystique chrétienne aux spéculations du néo-platonisme sur l’invisibilité de Dieu. La foi au Verbe incarné – Lui qui récapitule toute l’humanité selon Irénée – inclut la solidarité avec nos frères les hommes, spécialement les pauvres, comme l’écrit S. Jean : «N’aimons donc pas seulement en paroles, mais en acte et dans la vérité. » (1 Jean 3.18) « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jean 4.20)
Cette conception dynamique du salut permet de conclure que l’homme n’est pas prisonnier de son passé. Tant qu’il vit, tous les retournements sont possibles. La Parole de vie peut encore atteindre le cœur de pierre et le transformer en cœur de chair, comme le montre l’exemple du bon larron, le premier saint introduit au paradis avec le Christ.
Edouard Cothenet
professeur honoraire de l’Institut Catholique de Paris
II. Etre ou ne pas être l’image de Dieu ?
Nous sommes membres d’une humanité qui est capable du meilleur comme du pire. Comment comprendre cette danse à deux temps ?
« Dieu a créé l’homme à son image et l’homme la lui a bien rendue. » Cette plaisanterie simpliste montre toute la difficulté que présente l’affirmation que l’homme (au sens générique) est image de Dieu.
Les débats théologiques à ce sujet, anciens ou récents, semblent échouer sur les récifs de mille qualifications et distinctions, y compris dans leurs tentatives les plus rigoureuses.
De l’essence à la fonction
« L’essence de la nature humaine est d’être créée à l’image de Dieu », dit une ancienne définition. Mais pouvons-nous aller plus loin et préciser ce qu’est cette essence ? Projet hasardeux !
En théologie chrétienne, toutes tendances confondues, on est passé d’une définition de l’homme s’appuyant sur une certaine ontologie à une approche simplement fonctionnelle de l’image. Nous en serions arrivés, maintenant, paraît-il, plus loin, à savoir à une déconstruction de la notion même d’humanité.
La Bible ne propose, nulle part, une définition de l’image de Dieu. Ce fait même peut nous conduire à faire preuve de réserve face aux définitions trop massives, qui ont été acceptées dans le passé comme des évidences dans des systèmes théologiques carrés.
Le sens de l’image
Dès son premier chapitre, l’Ecriture dit que l’homme est créé à l’image de Dieu. Cette affirmation, replacée dans son contexte historique et culturel, est assez étonnante.
Quel en est le sens ? Il s’agit évidemment d’un usage métaphorique, car l’homme n’est pas semblable à une reproduction de Dieu de taille inférieure, comme celle de César sur la monnaie romaine.
Une interprétation possible serait que l’homme est le reflet de Dieu ou une représentation substantielle de ses qualités. Mais cela ne permettrait pas, de prime abord, d’expliquer comment la corporalité de l’homme peut être qualifiée de ressemblance de Dieu. Une autre interprétation propose que l’image n’est pas un duplicata, mais une correspondance de la réalité divine sur le plan du créé. Une troisième version – il y en a d’autres – serait de dire que l’image est une représentation visible d’une réalité invisible. Dans le Moyen-Orient ancien, les statues étaient des représentations de la puissance du suzerain. Ainsi, comme image de Dieu, l’homme serait investi d’une fonction de représentation dans la création en accomplissant ses fonctions (prophète, prêtre et roi). Ici, l’accent est mis sur la vocation que l’homme a reçue. L’image de Dieu embrasse tout ce qui est humain et se manifeste dans la vocation de l’être humain.
Image et vocation
S’il fallait choisir, cette dernière interprétation correspond bien au milieu culturel de la Genèse. C’est, précisément, parce que l’homme lui-même est la « statue cultuelle » de Dieu dans la création qu’il lui est interdit, par les Dix Commandements, de se « faire des images taillées ».
La personne qui trahit cette vocation d’image de Dieu devient, de ce fait, idole elle-même (son propre dieu et maître) ; elle suit le programme d’une anti-vocation. Il est, ainsi, possible de comprendre comment, dans les manifestations d’une inhumanité extrême, l’image devient une anti-image. Les comportements, les désirs naturels et les pensées normales d’un être humain sont pervertis. L’homme devient esclave de ses idoles. Qui peut dire jusqu’où il lui est possible d’aller dans l’anti-vocation dès lors que la démarche est amorcée ?
Si l’idée selon laquelle l’image est liée à la vocation de l’homme s’écarte des interprétations traditionnelles – qui définissent l’image comme quelque chose en l’homme – , les possibilités ouvertes à l’être humain ((dans le contexte de la notion de la vocation)) vont du plus noble au plus inhumain.
Conformité à Dieu
L’image de Dieu inclut également, à l’origine, la notion d’une conformité à Dieu. Cette conformité ne serait pas naturelle ou surnaturelle, mais de nature éthique. Nous pouvons discerner ce que cette image a perdu et ce qui est restauré en Christ : la justice, la sainteté et la vérité (selon Colossiens 3.10, Ephésiens 4.24).
Dès que ces caractères éthiques sont endommagés, l’injustice, la pollution et l’erreur apparaissent dans les différents domaines de l’existence. Plus l’image est endommagée – corrompue, diraient les anciens théologiens – plus l’homme est attiré vers la dépravation.
Dire que l’homme est créé à l’image de Dieu signifie qu’il est créé, à la fois, dans la sainteté, la justice et la vérité, et dans une situation ouverte où la déformation de l’image est possible. L’image de Dieu peut être conçue comme ayant trois aspects : formel (l’aspect spirituel de l’humain), matériel (les facultés humaines : la sainteté originelle dans la justice, la connaissance et l’amour) et, en conséquence, de communion avec Dieu et avec le prochain.
Image perdue ?
L’image est actuellement polluée par la rébellion de l’homme, son désir de s’éloigner de Dieu, jusqu’à l’effacementau sens matériel, les facultés humaines étant asservies au péché. En ce qui concerne sa vocation, l’homme se détourne aussi du service de Dieu dont il est le représentant dans la création. Calvin précise : « Bien que nous confessions que l’image de Dieu n’a point été entièrement anéantie et effacée, elle est tellement corrompue qu’il n’en reste qu’une affreuse déformation[2]. »
L’homme demeure, par sa nature spirituelle, une personne à l’image de Dieu. L’avantage de cette position est qu’elle permet d’affirmer que l’homme reste toujours un homme à l’image de Dieu dans son humanitas, avec la dignité que cela implique – dans le respect de la vie humaine, par exemple – et ce même après la chute. Son désavantage est que la distinction entre le formel et le matériel, entre la nature et la personne est difficile à faire, compte tenu de leurs contenus.
Image et Trinité
Si les approches traditionnelles de l’image de Dieu présentent des avantages, elles ont aussi l’inconvénient de ne pas relever assez le fait que l’humain se définit par rapport à Dieu dans une relation de communion.
En Dieu lui-même, nous trouvons déjà la notion de relation et de communion. Créée à l’image de Dieu, l’humanité existe en relation avec Dieu, le Dieu trinitaire. La Trinité divine est une expression d’une relation dans l’altérité. Etre à l’image de Dieu pourrait donc être conçu comme une dynamique personnelle puisque les êtres humains sont appelés à représenter Dieu dans la création. Cette représentation devrait être perçue aussi bien dans les relations humaines que dans la relation avec la réalité impersonnelle. L’image inclut donc une action écologique de préservation et de gestion de la création. L’anti-écologique se retourne contre l’homme qui dégrade son image par sa façon de se comporter.
La détérioration de l’image concerne ainsi le rapport qui existe entre la personne et Dieu, entre les personnes et aussi entre la personne et le monde. La restauration de l’image est accomplie par Christ qui est la véritable image de Dieu (Hébreux 1.3). L’homme redevient alors à l’image de Dieu vis-à-vis du Créateur, des autres et du monde.
Il existe, dans le message biblique, toute une dynamique de restauration, centrée sur Christ et animée par lui vis-à-vis de nous-mêmes, des autres et du monde. Le rétablissement de l’image est global, même s’il n’est pas encore total en ce monde, avant le retour de Christ et avant la nouvelle création. Une eschatologie chrétienne comporte un centre christologique et une réalité anthropologique marquée par l’espérance.
Ce qui est dégradé attend le renouveau
L’image humaine de Dieu existe donc en relation : ou dégradée par le péché ou en Christ ; dans les deux cas – à cause du péché et grâce à Christ –, elle se manifeste dans les relations avec toutes les créatures, humaines ou non. Dans le Nouveau Testament, l’image se rapporte, de façon primordiale, à l’humanité nouvelle en Christ. En elle, il y a des hommes et des femmes recréés par l’Esprit à l’image de l’Image, dans une dynamique de progrès et d’espérance. Les structures fondamentales de la création participent ainsi au renouveau des choses anciennes et annoncent le royaume à venir.
Paul Wells
doyen adjoint et professeur de théologie systématique
à la Faculté Jean Calvin, Aix-en-Provence
III. L’homme image et ressemblance de Dieu
Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance (Genèse 1.26-28). Comment devons-nous comprendre cette vérité ?
1. Distance analogique entre Dieu et l’homme, son image et sa ressemblance
L’homme, étant image et ressemblance de Dieu, est donc distinct de Dieu. Il n’est pas Dieu ! Cela ferme la porte, de manière abrupte et définitive, à toute assimilation de l’homme à Dieu. Le culte de l’Homme, qui est la religion universelle de notre civilisation, est non seulement l’impiété absolue, mais une absurdité.
Image et ressemblance impliquent une distance, donc tout langage direct, univoque pour parler de Dieu est exclu. Il en est de même pour toute mystique de type fusionnelle et illuministe, elle aussi univoque, mais ici sur le plan de l’émotion et du sentiment.
Cependant, l’image et la ressemblance affirment que cette distance n’est pas absolue, ce qui exclut également tout langage équivoque, incapable de parler de Dieu. L’homme peut donc dire quelque chose sur Dieu, mais cela sera dans le langage de l’analogie, langage révélé qui est celui de l’image et de la ressemblance. Il en est de même pour notre expérience de Dieu ; elle n’est jamais fusionnelle.
C’est cette image et ressemblance de l’homme avec Dieu qui lui permet de communiquer (comme le font aussi les anges) avec Dieu, de recevoir ses révélations verbales et symboliques et d’avoir une relation personnelle avec lui, de le prier, de l’adorer, de le servir et même de le rejeter. Ceci n’est pas le cas pour les autres bonnes créatures de Dieu, bien qu’elles manifestent comme l’homme, dans leur être même, la gloire de leur Créateur.
Mais il nous faut dire davantage encore. L’image et la ressemblance impliquent une capacité de création chez l’homme qui, tout en demeurant celle d’une créature, est cependant, d’une certaine façon, analogue à celle de Dieu. Cette capacité lui permet de créer des familles et toutes sortes de communautés et de produire des œuvres d’invention et d’innovation, de construction, d’art et de technique propre à ce mandat qui lui a été confié par Dieu dès sa création. Cela doit se faire d’une manière qui est bénéfique aux créatures, dans le cadre de l’ordre des premiers principes de la création ainsi que dans une soumission aux limites qui sont imposées à l’homme par la loi divine. Tout cela rend manifeste le fait que l’homme, image et ressemblance de Dieu, est une créature véritablement merveilleuse (Psaume 139.14).
2. Création directe par Dieu de l’homme, son image et sa ressemblance
C’est ce Dieu tout autre (transcendant) et présent partout (immanent) qui créa lui-même directement, de manière spécifique et distincte, l’homme de la poussière du sol, lui insufflant le souffle de vie, faisant ainsi de lui un être vivant (Genèse 2.7). Cet acte créateur direct de l’homme par Dieu, à l’image et à la ressemblance divine, tel qu’en témoigne notre texte (et l’Ecriture tout entière), ferme la porte de manière décisive à toute idée que l’homme aurait pu être issu, de manière graduelle et progressive (ou de manière soudaine et abrupte), d’une forme inférieure de vie : être hominien imaginaire, grand singe, animal. Il en va de même pour l’idée étrange que l’homme, image et ressemblance de Dieu, puisse être le produit direct des lois de la nature, de la matière elle-même : cela, ou par un processus purement naturel, ou par une évolution prétendument dirigée par Dieu. L’affirmation de cet acte distinct et ponctuel de Dieu – accompli au commencement de la création – pour créer l’homme d’une nature stable, se reproduisant comme tous les êtres vivants selon son espèce, ferme aussi la porte, de manière décisive et définitive, à toute idée affirmant l’apparition de l’homme sur la terre comme conséquence d’un quelconque processus évolutif d’origine naturelle ou surnaturelle.
3. L’homme, image et ressemblance de Dieu, résume les ordres de la création
L’homme résume en lui-même tous les ordres de la création terrestre. En son être, il rassemble tout à la fois la matière, la vie végétale (par laquelle notre corps assimile la matière), la vie animale et la vie spirituelle. Il est donc un être à la fois matériel et spirituel, corps et âme, unité qui, sans les effets du premier péché, n’aurait jamais été dissoute. Seul, l’homme peut donc être – cela de manière complète – image et ressemblance de Dieu. C’est donc l’homme tout entier qui est image et ressemblance de Dieu. Cependant l’Ecriture affirme que, malgré les effets de la chute, la création elle-même, dans son ensemble et dans chacun de ses éléments, matériels, végétaux, animaux et spirituels, crie, chaque créature de la manière qui lui est propre : « Gloire, gloire, gloire à l’Eternel! »
4. L’homme tout entier, image et ressemblance de Dieu
Une telle constatation conduit à affirmer que l’image et la ressemblance de l’homme à Dieu ne réside pas uniquement dans son âme, dans sa raison, dans sa conscience, dans sa mémoire, dans ses sentiments, dans sa liberté d’action et, encore moins, dans son corps – chaque élément de son être étant pris à part – mais dans son être tout entier : corps et âme indissolublement unis en une personne corporelle et spirituelle vivante. C’est la réalité de cette union qui fonde à la fois la possibilité même de l’incarnation du Christ, et la nécessaire résurrection de notre corps au dernier jour. La Bible ne considère pas (comme le font les gnostiques) la nature matérielle et corporelle de l’homme comme étant, en elle-même, antispirituelle.
5. La Bible utilise les qualités de l’homme, image et ressemblance, pour parler de Dieu
Il en résulte la merveilleuse liberté que se donne la Bible d’utiliser tous les aspects de l’être de l’homme – image et ressemblance de Dieu – pour parler de son Créateur, Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu. C’est ainsi que la Bible parle de la main de Dieu, de ses yeux, de ses oreilles, de son pied, de son doigt, de son cœur, de ses entrailles. Elle va même jusqu’à pousser l’analogie qu’implique l’image, employant le même terme hébreu – yada – pour parler, à la fois, et de la connaissance charnelle que les époux ont l’un de l’autre et de la connaissance que les hommes et les femmes ont de Dieu lui-même ! Plus encore, la Bible, tout en maintenant constamment la distance nécessaire entre le Créateur et les créatures, parle du caractère de Dieu en termes pleinement humains : de sa sagesse et de son amour, de sa justice et de son caractère paternel et filial, de sa douceur maternelle et de sa tendresse, de sa jalousie, de son dégoût, de sa colère et de sa fureur. Toutes les qualités de l’homme, tant physiques que morales et spirituelles, sont aptes à parler de manière analogique – et non de manière univoque et équivalente, vu la distance qui sépare le Créateur de ses créatures – du Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit. La raison en est simple : l’homme tout entier est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
6. L’homme être social, image et ressemblance analogique du Dieu Trinitaire
Nous venons de le dire, le Dieu unique que révèle la Bible est constitué de trois Personnes distinctes, toutes trois également divines : Père, Fils et Saint-Esprit, une seule essence, un seul Dieu. L’image et la ressemblance de Dieu en l’homme doivent donc, elles aussi, d’une certaine manière, refléter ce caractère trinitaire du seul vrai Dieu. C’est pour cette raison aussi a) que Dieu parle de lui-même au pluriel lorsqu’il crée l’homme : Faisons l’homme à notre image selon notre ressemblance ; et b) qu’il parle également de l’homme, créé par lui le sixième jour de la création, d’abord au singulier, puis au pluriel : Dieu créa l’homme à son image ; puis, un peu plus loin : homme et femme il les créa. La nature de Dieu étant communautaire (la Sainte Trinité), il en est pareil pour l’homme dont la famille elle-même tire son origine de la famille céleste (Ephésiens 3.15). Ce caractère un et multiple de la Sainte Trinité se reflète, en effet, dans toute la réalité créée par lui : toujours une et multiple. L’homme est donc créé, non pas atome individuel, mais doté d’une nature communautaire : homme et femme, parents et enfants ; famille resserrée et famille étendue ; clan, tribu, nation et humanité tout entière. Il en est de même pour l’homme régénéré qui ne peut être conçu hors de l’Eglise, séparé du corps de Jésus-Christ, en dehors de la communauté des croyants. L’idée d’un homme isolé, atome humain solitaire, détenteur de droits individuels inaliénables est donc une pure absurdité qui nie le caractère nécessairement social de l’homme, image et ressemblance du Dieu trinitaire. Tous ceux qui sont issus d’Adam, image et ressemblance de Dieu, sont, chacun pour son propre compte, cela dès sa conception jusqu’à sa mort, image et ressemblance du Dieu trinitaire.
7. Une image de Dieu immuable et une ressemblance dépendante de ce que l’homme adore
Enfin, la Bible nous enseigne que l’homme est fait tout à la fois à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ces deux mots ne sont-ils qu’une répétition littéraire selon les normes stylistiques de la Bible ? Ou contiennent-ils l’expression de deux aspects, distincts en pensée mais unis dans leur réalité, de la nature humaine ?
L’image divine qu’est l’homme exprime sa nature d’être spécifiquement humain : ce qui est immuable en l’homme. Ainsi, même l’homme le plus déchu, le plus mentalement aliéné et le plus débile, le plus déformé physiquement, même l’homme criminel le plus pervers, le plus odieux, demeure toujours et immuablement homme : image de Dieu. La nature, l’essence humaine, son espèce, pour tout dire sa forme substantielle, demeure inchangeable. La loi de Dieu nous enseigne que, si le criminel doit certainement être puni, ce châtiment, juste et nécessaire, ne lui ôte aucunement sa dignité comme créature à l’image de Dieu. C’est la dignité terrestre suprême de cette image divine qu’est l’homme qui justifie, d’une part, l’application de la peine capitale sur ceux qui la détruisent en commettant un meurtre et, d’autre part, qui interdit toute forme d’homicide volontaire par avortement ou par euthanasie.
La ressemblance de l’homme à Dieu porte-t-elle également ce caractère immuable ? Sur ce point la Bible est d’une clarté toute particulière : l’homme moralement (et non ontologiquement) muable est à la ressemblance de celui (ou de la chose, de la créature, de l’idée) qu’il adore. Ainsi, au commencement, l’homme était sans péché, entièrement bon, créé dans une entière communion avec Dieu, étant sa parfaite image et ressemblance. Avec la chute, si l’homme perdu est maintenant spirituellement mort, séparé de Dieu et inéluctablement voué à la mort physique, cette déchéance spirituelle et morale ne change pas sa nature, l’image, mais transforme sa ressemblance originelle avec Dieu en dissemblance. Car, nous dit la Bible, lorsque les hommes en viennent à adorer les créatures, ils en viennent aussi, inévitablement, à ressembler aux idoles qu’ils adorent : animal de toute espèce, astres des cieux, objets fabriqués de la main des hommes ; aujourd’hui, cette merveilleuse créature qu’est l’homme se livre lui-même au néant, vide auquel nos contemporains se sont pour la plupart abandonnés, devenant ainsi, quant à leur ressemblance, des hommes creux, des hommes sans qualités, des hommes de néant. Paul nous explique, en Romains 1.21-23, le chemin qui conduit à l’effacement de la ressemblance de l’homme à Dieu. Et le palmiste est plus explicite encore sur les effets d’une pareille idolâtrie sur la ressemblance de l’homme à Dieu en Psaume 115.4-8.
Il n’en va pas de même pour celui qui met sa confiance dans le Dieu vivant et vrai, en Jésus-Christ qui, dans son humanité assumée, est l’unique parfaite image de Dieu. S’il adore Dieu de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force, il en viendra, justifié devant Dieu par l’œuvre du Christ à la croix et renouvelé dans son être même par l’action recréatrice du Saint-Esprit en lui (petit à petit et de plus en plus), par l’action en lui de la grâce souveraine et de la miséricorde du Dieu bienveillant et fidèle, à ressembler à cette image parfaite de Dieu. Jésus-Christ, en tant que second Adam, est et nous révèle en son humanité glorifiée ce qu’est l’image parfaite de Dieu en l’homme ; il nous appelle, par le renouvellement de notre personne, à ne plus porter l’image de l’homme terrestre mais celle de l’homme céleste en Jésus-Christ (1 Corinthiens 15.49 ; Romains 8.29). Car cette image parfaite de Dieu, Jésus-Christ lui-même, est communiquée à tous ceux qui mettent leur entière confiance en Dieu. Un miracle aussi inouï – notre participation de la nature divine (2 Pierre 1.4) – s’accomplit par l’imputation à l’homme perdu de la nature humaine de notre Dieu et Seigneur, Jésus-Christ, Dieu le Fils, égal au Père, engendré par lui de toute éternité et maintenant, les temps étant accomplis, conçu Fils de l’homme par l’action du Saint-Esprit dans le sein de la vierge Marie. C’est en ce sens que nous devons comprendre les paroles réconfortantes de l’apôtre Paul :
Nous tous, qui le visage dévoilé, reflétons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit. (2 Corinthiens 3.18)
[1] Les deux premiers textes de ce dossier ont été présentés à la demande du journal Réforme pour représenter une position catholique romaine et protestante sur ce sujet. Ce dossier n’a pas vu le jour et La Revue réformée le publie, en ajoutant le texte de Jean-Marc Berthoud. Nous remercions le père E. Cothenet d’avoir accepté notre proposition de reprendre son texte dans nos pages.
[2] J. Calvin, Institution chrétienne, I, xv, 4, cf. II, ii, 17, Kerygma/Excelsis, 2009, 139.