La légitimité du prêt à intérêt chez Jean Calvin

La légitimité du prêt à intérêt chez Jean Calvin

Pascaline DEPOUHON*

Jean Calvin est souvent considéré comme le penseur qui a ouvert la porte à une pratique libre du crédit. Le lien entre la Genève financière qu’on connaît aujourd’hui et l’influence du réformateur protestant dans cette jeune république, au XVIe siècle, semble alors évident. Cependant, Calvin proscrivait le métier de banquier. Il rejoint en cela les scolastiques qui honnissaient les usuriers.

Calvin intervient dans un contexte de profonds bouleversements idéologiques, socio-économiques et spirituels. Il est né en 1509 à Noyon, en France, et le processus qui a mené à la Réforme protestante est lancé en 1517 par la publication des 95 thèses de Luther. Calvin est éduqué dans des collèges catholiques parisiens austères et est proche des cercles humanistes, avant de terminer ses études de droit à Orléans. Il rencontre le Christ et participe au mouvement initié par Luther, ce qui l’oblige à fuir à Bâle en 1534, où il rédige son œuvre majeure : l’Institution de la religion chrétienne. A l’invitation d’un autre réformateur, Guillaume Farel, il s’installe à Genève pour reconstruire les institutions de la cité qui vient d’adopter la Réforme. Calvin en est chassé en 1538 et devient pasteur à Strasbourg, où il se marie avec Idelette de Bure. De nouveau à la demande de Farel, Calvin revient à Genève en 1541. C’est là qu’il passera le reste de sa vie (il meurt en 1564) : il influencera énormément la mise en place des institutions politiques et ecclésiales de Genève, ainsi que la vie de la cité dans tous ses aspects, et notamment par la création d’une académie, lieu de formation pour les pasteurs.

Calvin s’est intéressé à l’économie comme les autres penseurs du Moyen Age et de son époque : d’un point de vue éthique et moral, marqué par la foi chrétienne. Il n’y a pas de questionnement proprement économique comme sphère à part entière, les actes économiques font partie intégrante de la vie sociale. Les hommes sont préoccupés par leur salut, il s’agit donc de chercher à entrer en relation avec Dieu. Calvin s’adresse à des chrétiens, à Genève et en France essentiellement. Genève est uniquement protestante, selon le principe « une foi, un Etat » – en vigueur ailleurs en Europe. Le pluralisme et la tolérance religieuse n’étaient pas à l’ordre du jour. La pensée de Calvin est basée sur la Bible et il n’a pas mené d’étude systématique sur la vie économique, mais, à travers ses écrits, on peut repérer des principes économiques basés sur la Bible. Pour Calvin, l’homme existe pour être en relation avec Dieu : c’est aussi comme cela qu’il conçoit l’économie comme un lieu d’expression de la foi et de vie avec Dieu. Pour lui, même si la création est déchue et donc marquée par le péché, Dieu a donné sa puissance de rédemption par le sacrifice de Jésus. La création entière peut donc être restaurée dans toutes les sphères de la vie humaine, y compris les relations économiques.

Les théologiens du Moyen Age avaient déduit de la Bible l’interdiction du prêt à intérêt, comme inique aux yeux de Dieu. Les scolastiques niaient ainsi tout bien-fondé moral au prêt à intérêt et pratiquaient, en réalité, une grande tolérance. Comme eux, le réformateur protestant associait l’usure à l’avarice, l’oisiveté et l’exploitation d’autrui[1] et sa préférence personnelle allait au bannissement de toute usure. « Je me garderais de prendre moi-même la responsabilité d’une usure, et je préférerais que le nom lui-même fût banni du monde ; mais je ne me permettrais pas de prononcer, sur un point aussi important, plus que ce que la Parole de Dieu exprime[2]. » Calvin a donc développé une autre interprétation du texte biblique, ce qui l’a conduit au renversement du principe fondamental sur le prêt à intérêt, tout en restant cohérent avec sa foi réformée, fondée sur la Bible (sola scriptura). Il a introduit la légitimité théologique de la pratique de l’intérêt dans un certain cadre : c’est dans sa « Lettre à un ami »[3], Claude de Sachin, qu’il en expose les conditions. Dans quelle mesure le réformateur a-t-il alors donné une légitimité au prêt à intérêt ?

Dans un premier temps, nous montrerons comment Calvin a mobilisé une méthodologie humaniste pour interpréter les versets de la loi de Moïse qui interdisaient textuellement la pratique de l’intérêt. Pour lui, leur application est partiellement caduque depuis la venue de Jésus-Christ : il faut seulement en retenir le principe spirituel ou moral sous-jacent. C’est ainsi qu’il introduit l’équité et la charité comme principes fondamentaux devant régir les échanges économiques.

Un point commun entre les scolastiques et Calvin se trouve dans l’approche éthique et morale des questions économiques, ce qui les conduit notamment à condamner tout gain illégitime. Il faut cependant mettre en lumière leurs présupposés théologiques respectifs, qui dénotent une position différente face aux métiers liés à l’argent. D’un côté, l’idée du salut par les œuvres a progressivement conduit à une « diabolisation » du commerce comme lieu de péché trop risqué. De l’autre, Calvin réhabilite le commerce selon une compréhension du salut fondé sur la foi et la grâce, ainsi que l’absence de séparation entre sacré et profane. C’est ce qui sera explicité dans un deuxième temps.

Enfin, nous nous demanderons comment ces principes d’équité et de charité calviniens se traduisent concrètement dans la pratique de l’intérêt. Le « riche » a la responsabilité d’utiliser pour lui les biens qu’il a reçus de Dieu et d’en distribuer au « pauvre ». Ainsi, Calvin réaffirme l’interdit de l’intérêt dans le cadre d’un prêt qui pourvoirait au nécessaire (prêt de consommation). L’ouverture qu’il propose pour l’intérêt se situe dans le cadre d’un prêt entre investisseur et entrepreneur : un prêt entre particuliers qui conduirait à une création de richesses. Dans le cas où celle-ci est effective, il est légitime de prélever un intérêt.

I. De l’herméneutique de Calvin sur la loi mosaïque aux principes de charité et d’équité

Un élément clé du raisonnement qui a conduit Calvin à renverser le principe du prêt à intérêt est son herméneutique de la loi de l’Ancien Testament. Il s’entend avec les scolastiques sur une approche morale de l’économie, qui les conduit à condamner tout gain illégitime. Cette conclusion générale commune découle cependant d’interprétations divergentes de l’Ancien Testament, notamment sur le prêt à intérêt. Imprégné de l’humanisme de son époque, Calvin en garde l’herméneutique basée sur la rhétorique antique, et l’applique à sa compréhension de la loi vétérotestamentaire. S’il rejoint les scolastiques sur une interprétation extensive du huitième commandement du Décalogue, « tu ne voleras point », il s’en éloigne pour les lois qu’il classe comme « politiques ».

1. L’interprétation calvinienne de la loi vétérotestamentaire

Calvin identifie trois types de lois différentes dans la loi donnée par Moïse : les cérémonielles, préfiguration du sacrifice salvateur du Christ, dont l’application est caduque dans la Nouvelle Alliance. Par ailleurs, il définit de la manière suivante « la loy morale : laquelle, comme ainsi soit qu’elle contienne deux articles, dont l’un nous commande de simplement honorer Dieu par pure Foy et piété : et l’autre, d’estre conjoinctz avec nostre prochain par vraye dilection ; à ceste cause elle est la vraye et éternelle reigle de justice, ordonnée à tous hommes, (…) s’ilz veulent reigler leur vie à la volunté de Dieu[4]. » La loi morale revient donc à l’exercice des deux commandements mis en valeur par Jésus, donc toujours applicables : aimer Dieu et aimer son prochain[5]. C’est pour les lois politiques que joue particulièrement un principe de rhétorique humaniste : la prise en compte du contexte historique et institutionnel. Pour Calvin, elles ont été données par Dieu aux Hébreux, en rapport avec leurs circonstances historiques. Il ne faut donc pas forcément chercher à les mettre en application à la lettre à une autre époque, pour un autre peuple – quoique tout gouvernement peut le décider s’il le juge approprié.

Dans son herméneutique, Calvin cherche le principe spirituel sous-jacent à la loi donnée dans l’Ancien Testament et cherche comment l’appliquer à son contexte. Il s’intéresse au sens du principe sans s’attacher à la littéralité du texte. Un même principe spirituel peut donc être concrétisé de manières différentes. « Pour Calvin, les lois politiques qui ont régi l’Etat d’Israël sont perçues comme des exemples historiques qui illustrent le principe essentiel de l’équité. Ce principe fondamental est une donnée permanente (…) Pour Calvin, la législation politique du peuple d’Israël est donc historiquement périmée ; cependant, le principe d’équité (qui d’ailleurs se conjugue avec celui de lacharité) qui la sous-tend est non négociable[6]. » Ce qui est toujours valide dans la Nouvelle Alliance correspond aux principes spirituels, comme la charité et l’équité, qui inspirent la loi politique. Calvin utilise cette approche pour la question du prêt à intérêt qu’il interprète comme une règle propre au peuple juif et que les chrétiens n’ont pas à s’approprier telle quelle. Les passages qui traitent de la pratique de l’intérêt ne laissent, en effet, que peu d’ambiguïté sur la façon d’agir demandée aux juifs. Le Deutéronome dispose, par exemple : « Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour de l’argent, ni pour des vivres, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt. Tu pourras tirer un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras pas de ton frère, afin que l’Eternel, ton Dieu, te bénisse dans toutes tes entreprises dans le pays dont tu vas entrer en possession[7]. »

En quoi ces versets constituent-ils une loi de type politique au sens calvinien ? Dans sa lettre à Claude de Sachin, Calvin affirme que l’interdiction de l’usure est une loi adaptée aux juifs, qui n’est plus forcément pertinente dans un cadre différent.

Ici on fait une objection que aujourd’hui aussi les usures nous seront illicites par une même raison qu’elles étaient défendues aux Juifs, parce qu’entre nous il y a conjonction fraternelle. A cela je réponds : qu’en la conjonction politique il y a quelque différence, car la situation du lieu auquel Dieu avait colloqué les Juifs et beaucoup d’autres circonstances faisaient qu’ils trafiquaient entre eux commodérément sans usures. Notre conjonction n’a point de similitude[8].

On retrouve ici le fait que le prêt à intérêt à l’époque des Hébreux – comme la plupart du temps au Moyen Age – était pratiqué essentiellement envers les personnes dans le besoin et non dans l’optique d’un investissement productif. En ce sens, les enjeux du prêt à intérêt qui ont conduit à l’interdire dans l’Ancien Testament ne sont plus les mêmes qu’à l’époque de Calvin. L’interdiction de l’usure avait été rendue nécessaire à cause des abus, comme une mesure relevant de la société provisoire[9], et non de la foi. L’usure et l’intérêt ne sont donc pas défendus en tant que tels, mais à cause des attitudes qui y sont très souvent liées : la cupidité, l’avarice, l’exploitation de l’autre. « C’est pourquoi je ne reconnais pas encore que simplement elles [les usures] nous soient défendues, sinon en tant qu’elles sont contraires à équité ou charité[10]. » D’après le raisonnement calvinien, le légalisme biblique n’est pas un bon argument pour interdire tout intérêt : déterminer ce qui est juste dépend de l’équité et de la charité.

2. L’esprit de la loi, limite à la pratique de l’intérêt

Selon Calvin, il existe un principe fondamental qui devrait inspirer toute loi : « Il convient, que icelle équité seule soit le but, la reigle, et la fin de toutes loix[13]. » Celle-ci se résume ainsi dans la formule de Jésus : « Toutes choses doncques lesquelles vous voulez que les hommes vous facent, faites leur aussi semblablement : car c’est la Loy et les Prophètes[14]. » Pour le réformateur, la raison de tant d’inimitié dans le monde est essentiellement due aux comportements des hommes qui souhaitent qu’on soit droit envers eux, mais qui ne le sont pas eux-mêmes envers les autres. Chacun cherche son propre avantage, mais pas forcément celui des autres, comme ils le font pour eux-mêmes.

Jésus-Christ doncques monstre qu’un chacun se peut servir de règle de vivre justement et droitement avec ses prochains, en faisant envers les autres ce qu’il voudroit qu’on luy fest en cas pareil. Ainsi il coupe broche à toutes vaines excuses, lesquelles les hommes inventent pour couvrir ou desguiser leur injustice : car il n’y a point de doute qu’on verroit régner entre nous une parfaite équité, si nous estions aussi bons disciples à pratiquer la charité active (si ainsi faut dire) comme nous sommes subtils docteurs à prescher la charité passive[15].

Ainsi, si l’un souhaite promouvoir la justice, qu’il commence lui-même à faire ce qu’il voudrait qu’on lui fasse.

Outre l’équité, comme principe spirituel fondamental identifié par Calvin, il faut mentionner la charité, qui correspond à l’affection fraternelle, l’amour d’autrui. A ces deux fondements s’ajoutent l’égalité et la réciprocité. Pour aimer et agir avec la même mesure envers soi qu’envers autrui, il faut considérer les autres comme étant sur un pied d’égalité. Pour les juifs entre eux, c’est l’amour fraternel qui devait primer, d’où l’interdiction de toute pratique de l’intérêt ou de l’usure. Il s’agit, en négatif, de ne pas nuire à autrui, mais également de lui rendre service, de l’aimer en actes.

Pourquoi la règle semble-t-elle[16] différente pour les relations entre les juifs et les non-juifs (ou étrangers) ? Saint Thomas d’Aquin a interprété cette autorisation en arguant que Dieu visait ainsi à éviter un plus grand mal, à savoir que les juifs se prêtent à intérêt entre eux[17]. De son côté, Calvin continue son raisonnement basé sur l’application des principes spirituels éternels. Pour lui, Dieu a accordé aux juifs de pouvoir prêter aux étrangers pour préserver le principe de l’équité. Dans la mesure où les autres peuples se prêtaient entre eux, si les juifs voulaient avoir des relations commerciales avec eux, il fallait qu’ils aient la possibilité de leur prêter eux-mêmes à intérêt. Il a également cherché la préservation de la réciprocité.

Or Moïse, en interdisant le prêt à intérêt entre juifs, a bien vu qu’il fallait néanmoins le permettre dans les échanges avec les païens, au nom d’un argument simple : si l’usure était aussi interdite envers eux, les juifs seraient désavantagés car ils devraient payer des intérêts auxquels leurs débiteurs païens ne seraient pas tenus. S’il n’y a pas « conformité mutuelle et égale », « une des parties est toujours grevée »[18].

Il permet aux Juifs pareille libertè envers les nations estranges, que les Payens se donnoyent envers les Juifs[19].

Finalement, le respect des fondements spirituels – équité, réciprocité – conduisait ici à autoriser le prêt à intérêt entre juifs et étrangers.

Qu’en est-il alors pour les chrétiens ? Là encore, Calvin fait la distinction entre ce qui relève de la loi politique et du principe spirituel : « Il est évident que [prêter à intérêt] faisait partie du régime politique juif, puisqu’il était autorisé par la loi de prêter à intérêt aux étrangers – une telle distinction n’est pas permise par la loi spirituelle[20]. » Le réformateur montre ici que le prêt à intérêt n’est pas interdit par Dieu en soi, puisqu’il l’autorisait pour les juifs envers les étrangers. De plus, la loi spirituelle ne permet pas d’acception de personne en fonction de son origine, de sa race, de sa religion, notamment. Les êtres humains sont égaux devant Dieu. Par conséquent, les chrétiens ne doivent plus observer de différence de traitement entre leurs frères dans la foi et les autres.

Depuis que le mur de séparation, qui mettait d’un côté les juifs et de l’autre les étrangers, est désormais détruit, notre condition est différente ; et par conséquent, nous devons épargner tout le monde, à la fois en ce qui concerne l’intérêt, comme tout autre mode d’extorsion ; et l’équité doit être observée, même envers des étrangers. « La maison de la foi », tient, de fait, le premier rang, puisque Paul nous commande de faire du bien en particulier à nos frères dans la foi (Ga 6.10) ; cependant, la commune société de la race humaine nous demande de ne pas nous enrichir aux dépens des autres[21].

Dans la Nouvelle Alliance, il n’y a plus de distinction entre les juifs et les « gentils », autrement dit, dans le vocabulaire biblique, les « païens » ou les « non-juifs ». Dès lors, aucun rapport d’exploitation ne doit exister envers qui que ce soit. Quoique les membres de la « maison de la foi » doivent être les premiers bénéficiaires, il n’y a aucune raison, pour un chrétien, de s’enrichir au détriment de non-chrétiens. L’amour doit être mis en pratique auprès de tous sans distinction. Cela est d’autant plus pertinent, en termes de loi politique au sens calvinien, que les chrétiens ne vivent plus en communauté relativement fermée, comme au temps des Hébreux dans l’Ancien Testament, mais qu’ils sont répandus dans le monde entier, de manière diffuse au milieu d’autres personnes qui ne partagent pas forcément leur foi. De l’abolition de la distinction entre juifs et païens, il pourrait être conclu qu’aucun intérêt ne doit être perçu par les chrétiens. La troisième partie montrera que Calvin s’écarte de cette conclusion, mais seulement dans une certaine mesure.

3. « Tu ne voleras point »

Calvin utilise, dans son herméneutique de la loi, d’autres principes de la rhétorique humaniste : le rôle de l’intention de l’auteur et la contextualisation du passage étudié dans l’ensemble du discours. Calvin replace ainsi le huitième commandement dans l’ensemble du contexte évangélique et lui donne un sens très extensif. En effet, le Christ élargit lui-même le sens de la loi donnée par Moïse en remettant en question la loi du talion, par exemple, ou en commandant à ses disciples d’aimer leurs ennemis et pas seulement leur prochain[22]. Jésus va plus loin que la loi enseignée par Moïse à un moment donné et le commandement qu’il transmet pour le temps de la Nouvelle Alliance. Il rappelle, en fait, l’intention divine de départ, en expliquant que c’est à cause de la dureté de cœur des juifs que Moïse avait autorisé certains dépassements du cadre voulu initialement[23]. Dans l’interdiction de voler ce qui appartient à autrui, Calvin cherche donc l’intention de l’auteur de la loi, c’est-à-dire Dieu. « En la loi de Dieu qu’est-il dit ? Tu ne déroberas point. Voilà un seul mot. Mais l’intention du législateur doit être regardée (…) que si nous ne subvenons selon notre faculté à nos prochains, que Dieu nous condamne, et nous tient pour larrons[24]. »

Il y a ici l’idée de la synecdoque, c’est-à-dire du commandement donné en négatif que Calvin élargit en le formulant en positif. « Tu ne voleras pas » est ainsi étendu à l’idée selon laquelle « tu donneras selon tes capacités, c’est un dû ». Dès lors, retenir un don est considéré comme un vol. Autrement dit, « d’autant que la charité est la fin de la Loi, c’est là qu’il faut prendre la définition de larcin[25] ». Il s’agit non pas seulement de s’abstenir de nuire à autrui par le vol, mais de donner selon la charité.

Etre charitable, c’est se comporter de manière droite et honnête, selon les normes connues de tous. Mais il ne suffit pas de s’abstenir de porter préjudice à autrui pour être quitte de lui. Calvin rappelle le principe de la « synecdoque » qui renverse la norme négative des commandements en exigence positive. « Il y a le commandement affirmatif annexé avec la défense (…). Dieu a obligé les hommes mutuellement entre eux à ce qu’ils mettent peine de profiter et de secourir l’un à l’autre[26], [27].

Calvin éclaire un commandement de quelques mots par les principes spirituels fondamentaux qui inspirent, pour lui, toute la loi. La règle d’équité se dégage ainsi de la citation suivante, extraite du Commentaire du Livre de l’Exode, sur ce passage du Décalogue.

Nous obéirons donc au commandement, si étant contents [nous contentant] de notre condition nous ne tâchons à faire gain, sinon qu’honnête et légitime ; si nous ne désirons point nous enrichir, en faisant tort à notre prochain ; si nous ne machinons point de le détruire pour attirer à nous son bien ; si nous ne mettons point notre étude à assembler richesses du sang ou de la sueur d’autrui ; (…) et non seulement cela, mais quand nous verrons certains en pauvreté, que nous communiquions à leur indigence, et soulagions leur nécessité par notre abondance. Finalement que chacun regarde en quoi il est obligé du devoir de son office envers les autres, afin de s’acquitter loyalement[28].

Un gain honnête est celui qui n’est pas néfaste pour autrui : il s’agit de se comporter selon ce qu’on aimerait qu’autrui fasse pour nous et de s’en abstenir dans le cas contraire. Si on souhaite la pérennité de son entreprise, on ne doit pas avoir l’intention, par exemple, de faire disparaître son concurrent. Le gain honnête se réalise dans un état d’esprit de contentement. Si on sait se satisfaire de ce que l’on a, il est plus facile d’avoir une attitude inspirant une manière juste de s’enrichir, en recevant, par exemple, tout surplus comme une grâce. A contrario, la convoitise génère une agressivité qui peut aboutir à la volonté de nuire à autrui puisqu’il détient ce qu’on désire.

L’étymologie du terme « usure » l’identifie à la fraude : au cours des siècles, l’usure a représenté l’emblème du gain malhonnête. Cependant, Calvin interprète plusieurs passages bibliques – notamment le Psaume 15 – qui mentionnent l’intérêt et l’usure, en élargissant ces notions à tout contrat non équitable, c’est-à-dire à tout contrat qui permet de gagner de l’argent iniquement. Dans le livre d’Ezéchiel, Calvin remarque que le prophète semble condamner « tout accroist », lorsqu’il parle d’intérêt et d’usure, « mais il n’y a point de doute qu’il regarde aux moyens injustes et cauteleux de gaigner, desquels les riches rongeoyent le povre populaire[29] ». Ce sont les moyens iniques d’accumuler des richesses qui sont remis en question, selon Calvin, et non l’usure ou l’intérêt proprement dits[30]. L’injustice trouvée dans un contrat de prêt à intérêt correspond à l’argument essentiel des scolastiques contre l’usure. Pour Denis Ramelet, au-delà du rejet total de l’intérêt, ces derniers ont surtout combattu les profits illégitimes[31].

Les scolastiques voyaient dans l’usure une telle occasion de chute qu’ils l’ont définie comme injuste, sans en distinguer l’attitude de cœur du contractant. Si les scolastiques, comme Calvin, condamnent toute occasion de gagner une somme d’une manière illégitime, ils ne donnent pas la même ampleur que lui à cette condamnation. Cette position a conduit les premiers à condamner toutes les activités de commerce, alors que le second a réhabilité celui-ci.

II. Scolastiques et Calvin : présupposés théologiques et considération du commerce

La différence d’approche du commerce par les scolastiques et par Calvin est enracinée, notamment, dans des conceptions divergentes sur la place des œuvres dans le salut. C’est toujours en regard de celui-ci que ces théologiens abordent l’économie, d’où la prégnance de la morale. Mais les présupposés théologiques respectifs des deux parties induisent des avertissements plus ou moins forts sur le commerce. D’un côté, l’idée du salut par les œuvres a progressivement conduit à une « diabolisation » du commerce, comme lieu trop risqué de péché. De l’autre, Calvin réhabilite le commerce, selon une compréhension du salut fondé sur la foi et la grâce, ainsi que sur l’absence de séparation entre sacré et profane.

1. La place des œuvres dans la théologie de Calvin

Avec le sola gratia et sola scriptura, un autre point essentiel de la Réforme est la conception du salut par la foi seule, sola fides (1). La théologie scolastique place plutôt les œuvres comme déterminantes à ce sujet. Pour Calvin, les œuvres découlent de la repentance (2). La « foi seule » ne relègue pas au second plan la responsabilité de chacun dans ses actes, au contraire.

Au Moyen Age, il règne une « ambiance d’angoisse » face à la possibilité de se trouver, un jour, devant le jugement de Dieu[32]. L’enseignement de l’Eglise catholique de l’époque ne conduit pas, de fait, à une assurance d’être sauvé et de vivre éternellement avec Dieu, puisque le salut « se gagne » selon les actes accomplis pendant la vie terrestre. Le péché ne se combat pas par l’action de transformation du Saint-Esprit en l’homme, mais par les pénitences et les œuvres. « On appliquait aux péchés un code de pénitences préétablies, inspirées des peines édictées par les lois barbares. On n’amendait pas son être, on rachetait sa faute[33]. » L’Eglise tâchait ainsi de faire régner l’ordre. Dieu ressemblait alors aux anciennes idoles que l’on contentait par des offrandes. Dans ce sens, l’usurier est considéré comme étant condamné par ses œuvres. Si le salut est fondé sur les œuvres et si l’usure en tant que telle est un péché, l’usurier se condamne lui-même par son métier. Sa seule chance de salut est la restitution de tous ses biens, pratique encouragée par l’Eglise. La théologie du salut a évolué, ensuite, pour tenter de le promettre aux personnes qui n’auraient pas eu le temps de réparer tous leurs péchés sur terre. De là vient l’invention du purgatoire : celui qui n’a pu réaliser suffisamment d’œuvres salvatrices sur terre a une autre chance de « gagner son paradis ». Le purgatoire correspond à un temps entre la mort terrestre et la vie avec Dieu. Il concerne les personnes qui ont reçu la grâce de Dieu : il mène automatiquement au paradis, mais la personne passe avant un moment dans un feu purificateur. Le passage de l’un à l’autre est accéléré par la prière des proches et le paiement d’indulgences. Ainsi, un usurier qui se repent sur son lit de mort peut espérer être sauvé même s’il n’a pas eu le temps de réparer ses torts lors de sa vie terrestre. Pour Jacques Le Goff, cette conception du salut redonne de l’espoir et allège le joug qui pèse sur les usuriers[34]. On peut dire que, malgré une conception très négative de l’usurier, les théologiens scolastiques ont tenté d’adapter le dogme pour rendre plus compatibles leur métier et leur salut.

Martin Luther a tiré des Ecritures un enseignement tout à fait différent que reprend Calvin. Pour les réformateurs, l’homme ne peut se sauver lui-même. Il doit d’abord connaître l’Evangile, car sans lui, « nous ignorons les grands biens et promesses que Jésus-Christ nous a faites, la gloire et la béatitude qu’il nous a préparées[35] ». La connaissance de l’Evangile doit être saisie par la foi, « comme une ferme et solide confiance du cœur, par laquelle nous arrêtons sûrement en la miséricorde de Dieu qui nous est promise par l’Evangile[36] ». Ainsi, la foi en l’Evangile donne la conviction du salut, de l’appartenance au Royaume de Dieu[37].

Si les œuvres n’ont pas de rôle salvateur dans la théologie de Calvin, celui-ci ne prône pas pour autant l’absence d’actions résultant de la foi ; bien au contraire : « Car, parce que la foi n’est point une chose oisive, il faut qu’elle soit connue par les œuvres[38]. » Les œuvres sont le signe manifeste d’une foi agissant intérieurement. « Notons que les bonnes œuvres sont nommées fruits de repentance. Car repentance est une chose intérieure qui gît au cœur et en l’âme ; mais puis après elle montre ses fruits par le changement et amendement de vie. (…) Il faut donc commencer par le cœur ; mais il est nécessaire quant et quant de montrer notre repentance par des œuvres[39]. » Le cœur étant transformé, les actes le sont également. Un des fruits de la réception de la grâce consiste, en effet, en une obéissance volontaire de l’homme à Dieu.

Pour Calvin, il n’y a donc pas de morale authentique sans vie spirituelle : toutes les œuvres doivent être couvertes par la justice de Christ, l’action de celle-ci étant rendue possible dans la vie d’un homme par sa foi en Jésus. Cette morale est fondée sur la liberté, pas sur la loi. Il ne s’agit pas d’obéir à des règles rigides, ou de réaliser un certain nombre  de pénitences ou d’œuvres requises. Il s’agit de suivre une personne – Jésus – dans le cadre d’une relation d’amour avec elle, guidée par la Parole de Dieu et le Saint-Esprit. « Tant que la doctrine littérale de la loi domine, et déploie sa vigueur, sans l’esprit de Christ, les affections désordonnées de la chair ne sont point réprimées pour cela, mais plutôt s’échauffent davantage pour jeter tant plus fort leurs bouillons. Dont s’ensuit que le règne de la justice ne vient point à être établi, sinon quand Christ nous affranchit de la domination de la loi.[40] » Ainsi, à l’encontre de la conception habituelle de la morale ou de l’éthique, perçues comme des cadres aidant l’homme à « réaliser sa vocation humaine aussi complètement que possible[41] », Calvin expose la loi comme une pierre d’achoppement. Pour lui, il est, en effet, impossible à l’homme corrompu de se soumettre parfaitement aux exigences d’une morale, puisque sa nature le pousse au péché. La liberté de faire le bien n’existe alors que par celle qu’apporte Jésus-Christ. Calvin replace systématiquement tout acte dans la perspective de la relation avec Dieu : les œuvres sont le fruit de la communion avec Jésus. Calvin considère que la « religion non seulement est le chef de justice et vertu, mais est quasi l’âme, pour lui donner vigueur. Car jamais les hommes ne garderont entre eux l’équité et dilection [amour], sans la crainte de Dieu[42]. » La justice ne peut donc s’établir que dans le cadre de la foi chrétienne vécue.

Tout comme les scolastiques l’affirment, les réformateurs croient que les œuvres seront le point de référence sur lequel les hommes seront évalués au jour du jugement dernier. Seulement, les deux courants théologiques ne placent pas les œuvres dans la même perspective. Pour les premiers, le jugement sera prononcé en fonction des œuvres en tant que telles et ce sont elles qui sauvent. Pour la Réforme, les hommes seront jugés d’après leurs actes, car ceux-ci rendent témoignage de la foi de celui qui les a accomplis. Les œuvres réalisées sur terre influeront sur les récompenses célestes, mais c’est la foi qui sauve : le salut est un don gratuit et il ne peut se gagner par des actes. Calvin a tellement insisté sur les œuvres que certains lui ont reproché de développer un nouveau salut par les œuvres. Cependant, il existe une divergence fondamentale : « Le zèle actif du calviniste est stimulé par la seule et inébranlable certitude qu’il est sauvé par l’unique et souverain décret de Dieu, tandis que le catholique croit devoir agir moralement pour influencer le décret final de Dieu[43]. » L’assurance du salut motive le protestant à agir et à manifester la réalité du Royaume de Dieu.

Si Calvin affirme que tout est grâce et que l’action du Saint-Esprit est nécessaire, il ne dédouane pas pour autant l’homme de sa responsabilité, ni face à Dieu, ni face aux hommes. La morale de la liberté lui demande  d’être diligent dans la conduite de sa vie ; la grâce est là pour le lui permettre, sans être soumis au péché. Les œuvres ne sont pas censées être ponctuelles ou dispersées, mais intégrées dans la vie quotidienne, celle-ci correspondant à un tout cohérent qui doit glorifier Dieu. La doctrine réformée établit le fait que chaque chrétien doit chercher ce à quoi Dieu l’appelle en fonction de ses qualités personnelles et être créatif, entreprenant. C’est de cette manière qu’il agit dans la liberté et de façon responsable avec la grâce reçue en Jésus-Christ. En insistant sur la responsabilité individuelle et en situant les œuvres comme conséquences de la repentance, Calvin ouvre la voie à une pratique du commerce conforme à la foi.

2. La réhabilitation du commerce dans la pensée calvinienne

Le raisonnement développé sur le purgatoire est valable pour l’usure, mais également pour tout métier lié à l’argent : les scolastiques ont, de fait, entretenu une vision similaire à celle des philosophes grecs antiques. Pour Aristote en particulier, le commerce implique l’abus d’autrui : il est donc intrinsèquement injuste ; l’usure n’en est que l’exemple extrême. Les scolastiques ont donc conseillé aux catholiques de fuir le commerce comme occupation professionnelle.

D’après la conception sotériologique des réformateurs, par contre, les œuvres ne justifient pas : le métier n’influence pas le salut. Ce n’est pas l’acte en soi qui est pervers – comme la vente ou l’achat de marchandises impliquant une transaction monétaire –, c’est l’intention avec laquelle le marchand agit qui peut l’être. Calvin va même plus loin en affirmant que le commerce fait partie de la création originelle divine. Dans son commentaire sur la parabole des talents[44] de l’évangile de Matthieu, Calvin écrit :

Il n’y a pas de différence entre le naturel et les dons de l’Esprit ; car il n’y a ni puissance, ni industrie ou dextérité, qu’on ne doive reconnaître venue de Dieu. Ceux qui emploient en bons usages les grâces qu’ils ont reçues de Dieu, il est dit qu’ils trafiquent ; car la vie des fidèles est bien proprement comparée à un train de marchandise, parce qu’ils doivent comme faire échange et troquer les uns avec les autres, pour entretenir la compagnie. Davantage, l’industrie de laquelle un chacun exerce sa charge, et la vocation même, la dextérité de bien conduire, et autres grâces, sont comme marchandises, parce que la fin et l’usage en est, qu’il y ait une communication naturelle entre les hommes[45].

Les échanges économiques sont donc voulus, imaginés par Dieu dès le départ. Il impartit à chacun des dons particuliers afin qu’ils soient mis au service des autres, notamment à travers le travail. Le commerce permet la construction d’un lien entre le producteur et le consommateur. Ainsi, Calvin considère le commerce comme faisant partie de l’ordre originel créé par Dieu et le lieu d’échange des fruits du travail (les « marchandises ») des uns et des autres. Les échanges reflètent des liens sociaux : le rôle du commerce est ainsi de stimuler les relations, la « communication » entre les hommes. La capacité de travailler vient de Dieu ; ce qui compte, c’est de « bien en user ».

Avec la chute, l’ordre économique originel a été perturbé, ce qui remet en question la fluidité des échanges. « Calvin dénonce en maintes occasions ‹le gaspillage›, ou au contraire ‹le stockage, l’accaparement et la spéculation› comme autant de manifestations de l’égoïsme et du péché des hommes, corrompant l’ordre naturel de l’économie qui devait, selon le dessein de Dieu, assurer à toutes les créatures de quoi vivre en abondance[46]. » Les ressorts égoïstes des hommes ont fait que le commerce a été identifié par les auteurs païens comme un domaine intrinsèquement injuste et, donc, contraire à la nature. Cependant, dans le cadre de la société provisoire au sens calvinien[47], l’économie et le commerce font partie de la volonté de Dieu : ils existent toujours pour pourvoir aux besoins des hommes. Calvin croit que « la fin du trafic entre les hommes est d’assurer à chacun ce dont il a besoin ; c’est de soulager l’humanité. Le commerce, selon l’ordre de Dieu, est un bienfait dont les effets doivent se répercuter sur l’ensemble de la collectivité. Il doit être toujours rapporté à cette fin pour la gloire de Dieu[48]. » Le commerce peut être exercé dans la justice, s’il est fondé sur la poursuite du dessein divin originel : les besoins du prochain constituent le critère de justice et la gloire de Dieu le but ultime.

Pour Calvin, l’argent a une valeur communautaire : la recherche du profit individuel détruit l’ordre économique divin et les relations sociales. L’argent doit donc servir à  l’utilité commune et être recherché afin de pourvoir aux besoins de tous. Là encore, il est un outil qui favorise les relations : « C’est un trait d’union entre les hommes, par lequel ceux-ci peuvent se communiquer mutuellement les biens dont ils disposent[49]. » La manipulation de l’argent ne doit donc pas être rejetée et réservée aux non-chrétiens, selon une philosophie dualiste qui mépriserait les biens matériels. Ceux-ci, comme l’argent, doivent être compris comme faisant partie des provisions de Dieu pour les hommes. Ensuite, ce qui rend l’argent « juste » ou non dépend de son utilisation. C’est ainsi que Calvin définit un « ministère du riche », qui éclaire le « mystère » de la pauvreté.

III. Principes économiques calviniens appliqués au prêt à intérêt

Des principes mis en pratique dans le « ministère du riche » et le « mystère du pauvre » découlent les règles que pose Calvin pour une pratique légitime du prêt à intérêt.

1. « Ministère du riche et mystère du pauvre »

La gestion des biens matériels est un lieu pour la mise en pratique de la charité et de l’équité. Elle dépend notamment de ce qui est considéré comme la source des richesses. Pour Calvin, tout don vient de Dieu, « Que combien que nous ayons toutes sortes de biens en grande abondance, nous n’avons toutesfois rien que par la seule bénédiction de Dieu, d’autant que c’est elle seule qui nous administre tout ce que de quoy nous avons besoin[50]. » C’est à lui que toutes choses appartiennent et il en dispose comme il le veut : les richesses sont donc dispensées par Dieu selon son choix souverain, dans un don gratuit. Cette gratuité représente la grâce de Dieu : les biens matériels sont donnés et non gagnés par de quelconques mérites humains, comme le travail par exemple. « C’est la grâce de Dieu qui donne la semence et fournit la nourriture, même aux laboureurs qui sèment et desquels on pense que, par leur labeur, ils nourrissent eux et les autres[51]. » En ce sens, les richesses matérielles recèlent une vertu pédagogique pour initier les hommes à la bonté gratuite et souveraine de Dieu, en Jésus-Christ. De plus, elles sont dotées d’une valeur spirituelle, en ce qu’elles constituent une image de la vie céleste et du Royaume de Dieu, caractérisés par l’abondance. Les richesses matérielles et financières sont conçues par Dieu pour amener les hommes à lui, et non pour les en détourner. Les richesses se reçoivent dans un état d’esprit reconnaissant envers la Providence, mais elles ne doivent pas former un objet de préoccupation. A l’inverse, bien qu’elles soient dispensées gratuitement par Dieu, elles ne doivent pas inciter l’homme à l’oisiveté, à l’imprévoyance ou à l’activisme. Le don gratuit et souverain de Dieu ébranle la sécurité et l’orgueil dans lesquels les hommes pourraient faussement placer leurs possessions ou leur travail, et les garde responsables. « Car d’où vient que les riches sont tant arrogans, et se plaisent par trop en mesprisant les autres, sinon qu’ils pensent estre bien heureux, et imaginent que rien ne leur défaut ? (…) Quelle folie doncques est-ce d’espérer en icelles [les richesses] ? Mais en Dieu vivant qui nous baille toutes choses[52]. » Dans la conception calvinienne, cette recherche de sécurité doit être trouvée en Christ.

Calvin ne fait pas de la pauvreté ou de la richesse un état spirituel particulier, à l’opposé des scolastiques, qui avaient valorisé la pauvreté, comme étant une meilleure situation d’identification à Christ. Il propose, au contraire, le contentement quel que soit le niveau de revenu. Calvin encourage ainsi à ce « que nous apprenions de porter aussi patiemment et d’un cœur aussi paisible pauvreté, que d’user modérément de l’abondance. Tous ceux qui veulent servir à Dieu sans feintise, se doivent étudier, à l’exemple de l’apôtre, de pouvoir porter l’abondance et l’indigence (Phil., ch. 4, v. 12) ; à savoir, de se tenir modérément en abondance, à avoir bonne patience en pauvreté[53]. » Un chrétien doit pouvoir se réjouir, en toutes circonstances, que sa situation soit objectivement difficile ou aisée[54]. Du point de vue de la foi, la pauvreté doit être supportée avec patience et reconnaissance pour la provision, aussi petite soit-elle. Nous retrouvons ici le pragmatisme de Calvin : il ne prêche pas seulement la confiance en la provision divine, mais il l’accompagne d’action pour que les plus démunis reçoivent effectivement ce dont ils ont besoin ; les hommes sont les collaborateurs de l’œuvre divine.

Selon Calvin, l’ordre socio-économique voulu par Dieu comprend une répartition des richesses déséquilibrée : cela stimule les échanges et la circulation des biens entre les hommes en les rendant interdépendants. En ce sens, les difficultés matérielles sont supposées être temporaires. Sur terre, une image de cette harmonisation des situations est possible dans l’Eglise, lorsque les croyants comprennent et mettent en pratique leur rôle. Dans le monde séculier, le déséquilibre est entretenu à cause de l’accaparement et de la recherche égoïste du profit, notamment par la confiance dans les richesses visibles. Cet environnement économique fluctuant et instable maintient les inégalités. Dans cette perspective, Calvin conçoit la pauvreté durable comme issue du péché collectif. Cependant, il remarque que Dieu est assez puissant pour pourvoir aux besoins de tous : il existe donc un sens à la permanence de la pauvreté.

Or, venons maintenant à ce qu’il dit : Qu’il y aura toujours des pauvres. Notamment ceci a été prononcé afin que nous sachions que Dieu veut éprouver notre charité ; car il est assez riche pour fournir à chacun tout ce qui lui serait besoin ; et cela n’advient poins de chicheté qu’il ne déploie ses trésors. Pourquoi donc est-ce que Dieu permet qu’il y ait des pauvres ici-bas, sinon d’autant qu’il nous veut donner occasion de bien faire ?[55]

Calvin considère donc que la pauvreté existe pour éprouver le cœur des plus aisés et leur donner l’occasion de manifester leur amour et leur foi en donnant aux autres. Il s’agit du « ministère du riche » et du « mystère du pauvre ».

Nous l’avons dit, le riche bénéficie gratuitement de la Providence souveraine : ses biens ne lui appartiennent pas en propre. Par conséquent, il doit les consacrer à Dieu en se considérant comme l’intendant des ressources divines. La manière dont le riche use de ses biens découle de sa relation d’amour et d’obéissance au Christ, afin qu’ils soient mis « au service et à la gloire de Dieu[56] ».  L’épreuve de foi du riche consiste à vivre sobrement en jouissant de ces bénédictions matérielles pour lui-même, et en les distribuant aux plus démunis que lui qui sont dans le besoin, sans rien attendre en retour. Le riche manifeste ainsi la grâce de Dieu : « Christ requiert des siens une libéralité gratuite, qu’ils mettent peine d’aider aux povres, desquels on en peut attendre aucune récompense[57]. » Il s’agit d’un don gratuit qui ne crée aucune dette de reconnaissance, ni attente d’un don réciproque quelconque. La récompense viendra éventuellement de Dieu ; mais, là aussi, Dieu est souverain et il n’y a aucun automatisme. Les plus démunis représentent donc une occasion pour Dieu de tester le cœur des plus aisés : ils sont ses « procureurs ». Calvin écrit ainsi en plaçant Dieu à la première personne : « Que vous ne me fraudiez point de ce qui m’appartient ; je constitue les pauvres mes procureurs pour l’aller recueillir[58]. »

Il faut noter, par ailleurs, que ces positions spécifiques ne concernent pas, dans la pensée calvinienne, des catégories sociales distinctes de riches et de pauvres. Chacun peut tour à tour être l’un ou l’autre. De plus, il n’existe pas de définition quantitative de la richesse dans la pensée de Calvin : chacun est le riche d’un autre. Dans cette perspective, le critère de discernement pour savoir combien donner repose sur le besoin d’autrui. Le don peut mener à des privations personnelles lorsque l’ensemble de la communauté traverse une crise. Les dons découlent de la relation d’amour du croyant avec le Christ et, au bout du compte, chacun est responsable devant Dieu : c’est à lui que les comptes seront rendus. Sans définition quantitative de la richesse, nous pouvons toutefois trouver un critère limitatif à celle-ci dans la pensée de Calvin. La richesse est juste dans la mesure où elle n’est pas un affront pour les plus démunis : l’inégalité ne doit pas être trop flagrante, ni impliquer une extrême pauvreté. Cela rejoint le principe d’équité selon lequel chacun est encouragé à faire aux autres ce qu’il voudrait qu’on lui fasse. A l’inverse, la libéralité ne doit pas aller jusqu’à la prodigalité, c’est-à-dire distribuer ses ressources à fonds perdus : « Or ce seroit une fole prodigalité de jetter à la volée ce que Dieu nous a donné[59]. » En effet, il ne faudrait pas que l’encouragement à la générosité génère un système d’assistanat où les plus démunis restent dans leur condition. Pour Calvin, ceux-ci doivent profiter de ce qui leur est donné pour vivre au mieux provisoirement en attendant d’avoir le moyen de subvenir eux-mêmes à leurs besoins. Tous ceux qui le peuvent sont appelés à travailler et à ne pas perdurer dans un état de pauvreté. C’est pourquoi Calvin a concrètement, en son temps, non seulement encouragé la charité privée et publique, mais suscité également la création d’emplois, notamment pour les réfugiés français[60].

2. Le prêt de production

La Bible condamne la perception d’un intérêt là où devrait être pratiquée la charité, par un prêt sans intérêt ou un simple don. Elle ne dit rien de la situation dans laquelle le prêt d’une somme génère un surplus par son investissement. Calvin est contre la pratique de l’intérêt dans le cas où elle aggrave l’état de pauvreté du débiteur. En revanche, il justifie le prélèvement d’un intérêt lorsque l’emprunteur a augmenté sa richesse grâce au prêt. Calvin différencie ainsi le prêt de consommation – destiné à un soutien financier temporaire pour pourvoir aux besoins nécessaires – du prêt d’investissement, ou prêt de production, qui a pour but « la mise en œuvre d’une nouvelle entreprise rémunératrice[61] ». Le second type de prêt n’entre pas dans le cadre de l’interdit biblique : il s’agit des « types d’usures » que la Bible ne condamne pas d’après Calvin. D’ailleurs, il écrit qu’il serait « bien à désirer que les usures fussent chassées de tout le monde même que le nom en fût inconnu. Mais parce que cela est impossible il faut céder à l’utilité commune [62]. » Calvin rappelle ici le caractère « politique » de la loi vétérotestamentaire interdisant l’intérêt. Si le principe d’adaptation de la loi aux circonstances contemporaines de la Réforme est appliqué, cela conduit à l’acceptation de l’usure dans le cas de création de richesses. En effet, l’utilité commune de l’époque requiert la pratique du crédit pour accompagner le développement économique florissant, celui-ci apportant une justification à la rémunération d’un prêt. Il faut ajouter à cet argument l’application du principe d’équité.

De fait, le réformateur trouve équitable que, dans cette situation, le créditeur reçoive une partie de la richesse que son argent a permis de créer. « Si un homme riche et aisé désirait acheter un champ, et empruntait une partie de la somme requise à quelqu’un d’autre, celui qui lui prête l’argent ne devrait-il pas recevoir une part des revenus de la ferme, jusqu’à ce que le principal fût remboursé ?[63] » Le partage des bénéfices entre le créditeur et le débiteur apparaît ici comme la meilleure expression du principe d’équité. C’est la partie du raisonnement calvinien qu’ont particulièrement bien retenue ceux qui se sont réclamés de lui pour justifier le développement du crédit. Cependant, Calvin écrit à Claude de Sachin : « Que celui qui emprunte fasse autant ou plus de gain de l’argent emprunté[64]. » Que se passe-t-il dans le cas où l’investissement réalisé grâce à un emprunt ne génère pas le profit escompté ? Le principe d’équité mène alors au partage des risques. Il apparaît que Calvin souscrit à un type de prêt qui ressemble davantage à une prise de participation dans le capital d’une entreprise qu’à un prêt bancaire. « Le prêt à intérêt auquel Calvin donne sa bénédiction constitue une forme de ‹contrat de société›, qui a pour caractéristique de mettre en commun les bénéfices et les risques. Certains auteurs l’appellent ‹prêt participatif›, dont l’intérêt se calcule en proportion non pas de la somme prêtée, mais du profit réalisé par l’emprunteur. Ce qui évite de ruiner une entreprise temporairement déficitaire[65]. » Cette démarche est cohérente avec l’idée du prêt sans intérêt accordé à un particulier dans une situation de pauvreté : le but est de l’aider à sortir de ses difficultés, afin qu’elles restent temporaires, et non de les rendre plus éprouvantes. D’après Calvin, le prêt accordé à une entreprise doit également lui permettre de grandir, sans peser davantage sur son bilan si elle se trouve déficitaire. Il s’agit donc bien d’une légitimité reconnue à l’intérêt seulement dans le cas d’une création de richesses réelle, et pas simplement dans le cadre d’un investissement ou d’une entreprise. La logique de solidarité évangélique prévaut là encore sur une logique d’entreprise purement économique.

Au-delà du prêt d’investissement proprement dit, Calvin semble aussi autoriser la présence d’un intérêt lorsque l’emprunteur a les moyens de le payer.

Si un homme riche et aisé qui a assez bon revenu, ou grand patrimoine, emprunte de l’argent de son voisin, est-ce à dire que cet autre voisin fera mal s’il prend quelque profit de son argent ? Celui qui emprunte est plus riche que l’autre, et s’en pourrait facilement passer ; mais il a envie d’acheter quelque héritage dont il aura bon revenu ; à quel propos le créancier sera-t-il défraudé de son droit quand son argent apportera profit à l’autre, voire qui est plus riche que lui ? Nous voyons qu’il peut quelque fois advenir, que celui qui prendra intérêt ne sera pas pourtant à condamner immédiatement, pour autant qu’il ne fait rien qui soit contraire à la loi de Dieu[66].

Calvin suggère finalement une approche au cas par cas : il n’y a pas de loi générale, mais chaque opportunité de prêt doit être étudiée à la lumière de l’Evangile et, en particulier, des principes d’équité et de charité. L’idée de permettre un prêt à intérêt entre deux personnes aisées n’est pas contradictoire avec la volonté d’éviter la mise en place d’une relation d’asservissement. Si la présence d’un intérêt n’appauvrit pas l’emprunteur et ne le rend pas dépendant de son créditeur, l’intérêt peut être justifié.

La légitimation de l’intérêt pour un prêt d’investissement reflète la position calvinienne qui diverge de celle des scolastiques sur la question de la fécondité de la monnaie. Le paragraphe suivant présente les arguments scolastiques philosophiques que Calvin a critiqués.

3. L’argumentaire de Calvin face aux objections philosophiques des scolastiques

Jean Calvin n’a pas cherché à construire un commentaire systématique des arguments scolastiques contre l’intérêt. Il s’est essentiellement prononcé sur la question de la stérilité de la monnaie, en rejetant cette position. Les scolastiques ont repris à leur compte l’idée aristotélicienne selon laquelle la monnaie n’est pas de nature productive, d’après la formule selon laquelle pecunia pecuniam non parit[67]. Pour eux, il est donc par nature injuste que le prêt d’une somme d’argent engendre un surplus[68]. La nature de la monnaie repose sur sa fonction d’intermédiaire des échanges et d’étalon monétaire. Comme intermédiaire, elle ne peut pas être considérée comme une marchandise, ce qui intervient lorsque le paiement d’un intérêt est envisagé. Comme étalon de mesure de la valeur des biens, la monnaie ne doit pas changer de valeur au cours du temps. Or, le taux d’intérêt n’est pas toujours le même, ce qui sous-entend que le prix de l’argent fluctue. « C’est en effet parce que la monnaie prêtée est détruite par l’usage de l’emprunteur et qu’elle demeure, comme la monnaie remboursée, instrument de mesure, qu’elle ne saurait être ni une même marchandise à deux dates successives, ni deux marchandises distinctes, mais une mesure qui se retrouve identique à elle-même à travers deux objets parfaitement substituables[69]. » Toute rémunération est dès lors impossible pour les scolastiques.

De son côté, Calvin considère la monnaie comme une marchandise comme les autres. Il est évident que l’argent seul ne peut produire aucun fruit de lui-même et Calvin argumente qu’il en est de même pour la terre : c’est le travail allié aux marchandises qui les fait fructifier. Puisque la terre peut faire l’objet d’une location, pourquoi en irait-il autrement pour l’argent ? « L’argent n’est-il pas plus fructueux es marchandises, que aucunes possessions qu’on pourrait dire ? Il sera loisible de louer une aire en imposant tribut, et il sera illicite de prendre quelque fruit de l’argent ? Quoi ? Quand on achète un champ, à savoir si l’argent n’engendre pas l’argent ? Les marchands comment augmentent-ils leurs biens ?[70] » Pour Calvin, « la monnaie est stérile seulement si elle est laissée inutilisée[71] ». Par conséquent, lorsque l’argent est investi, il peut générer un surplus. Arnaud Berthoud remarque cependant à ce sujet que « Calvin confond l’argent et sa destination productive par quoi l’argent devient un capital[72] ». C’est pourquoi les scolastiques opèrent une distinction entre la chose et l’usage de la chose : pour eux, un intérêt additionné au principal revient à faire payer deux fois la même chose[73]. Pour Saint Thomas d’Aquin, il n’est pas possible de prêter à intérêt un bien consomptible, car son usage implique un transfert de propriété. A ces injustices s’en ajoute alors une autre : il est injuste de gagner de l’argent sur quelque chose qui ne nous appartient plus[74].

Les scolastiques cherchent alors ce qui fait l’objet d’une vente en dehors du bien prêté dans un contrat de prêt. Les successeurs de Saint Thomas d’Aquin ont défini le temps comme étant, dans ce cas, la marchandise vendue. Or, pour eux, il est injuste de faire payer le prix du temps, car celui-ci est par nature un bien public, inaliénable et appartenant à Dieu[75]. Calvin ne semble pas avoir réagi sur l’idée de l’intérêt comme prix du temps. D’après sa conception de la propriété, tout appartient à Dieu, pas seulement le temps. Par conséquent, si vendre quelque chose qui est la propriété de Dieu est impossible, il serait impossible de vendre quoi que ce soit. A la suite de son raisonnement, Arnaud Berthoud souligne que pour Calvin « aussi le prêt est une affaire de temps, mais la philosophie et la recherche d’une rationalité et d’une essence des choses ne l’intéresse pas. Calvin n’est pas philosophe et sa théologie n’est pas spéculative (…). Son intervention ici comme ailleurs est marquée par un esprit évangélique et une éthique de la liberté. Que lui faut-il dire ou que faut-il prêcher face au bouillonnement des affaires, des échanges et des prêts qui donne vie à Genève et dans toute une partie de l’Europe ?[76] » Calvin ne cherche pas à définir la nature des choses, mais il développe une approche plus pragmatique des questions qui se présentent à lui, en accord avec la Parole de Dieu.

La morale calvinienne se limite à l’éclairage biblique, sans réflexion philosophique approfondie comme chez les scolastiques. Au-delà de la monnaie qu’il conçoit comme féconde, Calvin se prononce donc peu par rapport aux arguments développés par ses prédécesseurs sur la nature de la monnaie et du prêt. Nous pouvons simplement noter un dernier cas où il trouve le prélèvement d’un intérêt justifié, tout comme les scolastiques : lorsque l’emprunteur ne rembourse pas au terme fixé par malveillance. « Si une mauvaise paye tergiverse et prolonge le terme avec le dommage de son créancier, serait-il convenable que sa malice et mauvaise foi lui profite pour avoir frustré ? Certes je crois que personne ne niera qu’il ne doive payer usure de la somme, pour la récompenser de sa perte. Je sais qu’on nomme cela intérêt, mais ce m’est tout un[77]. » Ce cas s’apparente au titre extrinsèque du damnum emergens. Il faut toutefois relever que le retard dans le remboursement est dû à une intention frauduleuse dans ce que décrit Calvin : encore une fois, c’est l’attitude de la personne qui est en cause. Un simple non-remboursement du capital à terme, s’il s’agit d’une situation où l’emprunteur a fait de son mieux pour assurer ce remboursement, ne conduirait probablement pas Calvin à légitimer le prélèvement d’un intérêt. Cela correspondrait davantage, pour lui, à une occasion d’exprimer la grâce de Dieu en rééchelonnant la dette, dans la mesure où cela ne met pas dans le besoin le créditeur lui-même.

Une fois le prêt rémunéré justifié dans un certain cadre, il reste une question : quel taux doit être pratiqué ? Dans le raisonnement de Calvin se dégage une certaine attention portée à l’« utilité commune », que nous pourrions, aujourd’hui, nommer « intérêt général ». Calvin est attaché à la responsabilisation individuelle, mais également à un encadrement étatique de l’intérêt. Il se situe dans la ligne des pratiques de son époque[78]. Calvin attribue à l’Etat un rôle de garant en ce qui concerne la répartition équilibrée des ressources[79]. Cela se manifeste notamment par la « légifération » sur un taux d’intérêt maximum. En effet, Calvin conçoit le coût d’un prêt non seulement au niveau de la personne qui emprunte, mais également à l’échelle de l’ensemble de l’économie. In fine, l’intérêt est payé par le consommateur, ce qui a une influence sur le coût de la vie. Ceci ne doit pas avoir pour résultat une augmentation excessive des prix. « Que nous ne regardions point seulement la commodité privée de celui avec qui nous avons affaire, mais aussi que nous considérions ce qui est expédient pour le public. Car il est tout évident que l’usure que le marchand paie est une pension publique. Il faut donc bien aviser que le pache[80] soit aussi utile en commun plutôt que nuisible[81]. » Nous retrouvons ici le concept d’utilité commune : si l’intérêt influe sur le cours des prix, l’Etat doit veiller à leur niveau pour tous, étant la seule instance capable d’être garante à l’échelle collective. C’est sous l’influence de Calvin que les autorités genevoises ont limité le taux d’intérêt à 5% et, plus tard, à 6,66%[82]. Calvin rappelle également que, quelle que soit la loi en la matière, le chrétien doit se demander quelle est la solution juste dans son cas, selon la loi de Dieu. Cette dernière reste le point de repère et non la loi civile ou la norme sociale. La barrière légale, à un « taux relativement bas pour l’époque », « devait empêcher que ne se développe immédiatement le prêt à intérêt à Genève et que n’apparaissent des prêteurs professionnels auxquels le réformateur est strictement opposé[83] ». L’Etat genevois a utilisé la loi comme « aiguillon » pour engager ses citoyens à pratiquer le bien.

Conclusion

« Si j’ai fait de la banque, ce n’est pas par calvinisme ! Mais c’est parce que le calvinisme a fait que la banque s’est développée à Genève[84] », s’exclame un des banquiers genevois actuels interrogés par Daniel Alexander et Peter Tschopp dans leur enquête sur « l’empreinte de Calvin sur les notables de Genève ». Dans cette enquête, les banquiers genevois[85] établissent une filiation assez claire entre la doctrine de Calvin et l’existence de leur profession. Il n’est guère douteux que Calvin a entrouvert la porte pour une pratique plus généralisée du prêt à intérêt. Cependant, ce n’était nullement son intention, et surtout pas dans le cadre d’un établissement financier qui fait du prêt à intérêt son métier. De nombreuses étapes ont dû avoir lieu entre-temps, où certains points de la doctrine calvinienne ont été mis en exergue – comme l’autorisation du prêt à intérêt – et d’autres en veilleuse – comme le fait de donner sans attendre en retour une partie de ses ressources avant d’envisager de prêter. Dans cette perspective, notre analyse soutiendrait plutôt une position similaire à celle d’Ulrich Körtner, citant l’historien Karl Holl. « Peu après la mort de Max Weber, un historien de l’Eglise, Karl Holl (1866-1926), dans une étude sur la pratique de l’usure dans l’Eglise réformée, a démontré que jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le calvinisme a été ‹résolument opposé aux ambitions capitalistes›, et qu’ensuite seulement, en raison de son éthique du métier en partie compatible avec le capitalisme et d’une manière quasiment tragique, ‹il est devenu, en Angleterre et en Amérique du moins, l’un des plus solides piliers des ambitions capitalistes›. Jusqu’en plein XVIIe siècle, il n’était pas rare, en France, aux Pays-Bas et en Angleterre, que des banquiers et des prêteurs fussent rappelés à la discipline ecclésiastique fondée sur les règles rigoureuses de Calvin[86]. »

Finalement, l’originalité de Calvin repose essentiellement sur sa légitimation théologique d’une certaine pratique du prêt à intérêt et de l’économie en général. Avec lui, tout chrétien peut s’engager dans le commerce. Dans une époque où la foi imprégnait tous les domaines, cela apporta une libération. Le prêt à intérêt, comme toute transaction commerciale, doit être marqué par l’équité et la charité. Calvin a été extrêmement prudent sur la définition du cadre du prêt. Pour résumer sa perspective, l’intérêt est légitime si le prêt a pour but un investissement qui créera de la richesse et si un bénéfice est réalisé.


* P. Depouhon (Houriez), consultante en stratégie, organisation et conduite du changement, pascaline.depouhon@gmail.com.

[1] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, tome I, « Sur la concordance ou harmonie composée de trois évangélistes a sçavoir S. Matthieu, S. Marc, et S. Luc », Paris, 1854, Librairie de Ch. Meyrueis et Compagnie, d’après l’édition française imprimée à Genève par Conrad Badius en 1561.

[2] « I should, indeed, be unwilling to take usury under my patronage, and I wish the name itself were banished from the world ; but I do not dare to pronounce upon so important a point more than God’s words convey. »

J. Calvin, Commentaries on the Last Four Books of Moses. Arranged in the Form of a Harmony, Baker Book House, Grand Rapids, Michigan, 1998, Exode, 22.25, 130.

[3] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I. Pour une publication récente de la lettre à Claude de Sachin, cf. E. Dommen & M. Faessler, « Calvin et le prêt à intérêt », in P.H. Dembinski (dir.), Pratiques financières. Regards chrétiens, Desclée de Brouwer, Paris, 2009.

[4] J. Calvin, Institution de la religion chrestienne, Librairie Honoré Champion Editeur, 1911, texte de la première édition française (1541), deuxième fascicule, 766-767.

[5] Marc 12.28-31.

[6] P. Berthoud, « Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des Réformateurs, et de Jean Calvin en particulier », in La Revue réformée, « Protestantisme et libertés » (Carrefour théologique, Aix-en-Provence, mars 2007), 244, 2007/5, 95.

[7] Deutéronome 23.20-21. Autres passages similaires : Exode 22.24 et Lévitique 25.35-38.

[8] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I.

[9] L’histoire humaine pour Calvin comporte plusieurs étapes : la création de la terre et des hommes par Dieu, période pendant laquelle ils vivent en harmonie avec leur Créateur. Celle-ci est brisée par la chute, moment où le péché est entré dans l’être humain : c’est la période de la société déchue. La société provisoire concerne l’époque commencée par le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, qui rend de nouveau accessible la relation avec Dieu. Le péché est toujours présent, mais par la foi dans l’œuvre rédemptrice du Fils de Dieu, il est possible de retrouver l’harmonie initiale avec Dieu. Cette période est provisoire, dans la mesure où sa finalité se trouve dans le retour du Christ, moment à partir duquel les hommes qui auront cru en lui vivront dans sa présence pour l’éternité.

[10] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I.

[11] J. Calvin, Institution de la religion chrestienne (1541), 768.

[12] Evangile de Matthieu 7.12, dans la version citée par Calvin, J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I, 200.

[13] J. Calvin, Institution de la religion chrestienne (1541), op.cit., 768.

[14] Matthieu 7.12, dans la version citée par Calvin, J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I, 200.

[15] Ibid., 201.

[16] Il faut rester ici au conditionnel, dans la mesure où les passages du Lévitique et du Deutéronome pourraient mener à des conclusions différentes.

[17] J. Frierson, « Changing Concepts on Usury : Ancient Times Through the Time of John Calvin », in American Business Law Journal, 7 (1969/2), 121.

[18] F. Dermange, « Calvin, père du capitalisme ? », in D. Bolliger, M. Boss, M. Hébert, J.F. Zorn (dir.), Jean Calvin, les visages multiples d’une réforme et de sa réception, Editions Olivétan, Lyon, 2009, 229. Il cite J. Calvin, Commentaires sur les cinq livres de Moïse, Genève, 1564, Op. Calv., tome XL.

[19] F. Dermange, « Calvin, père du capitalisme ? », art. cit., note 1, 128.

[20] J. Calvin, Commentaries on the Last Four Books of Moses. Arranged in the Form of a Harmony, Baker Book House, Grand Rapids, Michigan, 1998, 127.

[21] J. Calvin, ibid., 128. « Since the wall of partition, which formerly separated Jew and Gentile, is now broken down, our condition is now different ; and consequently we must spare all without exception, both as regards taking interest, and any other mode of extortion ; and equity is to be observed even towards strangers. ʻThe household of faithʼ, indeed, holds the first rank, since Paul commands us specially to do good to them (Gal vi. 10) ; still the common society of the human race demands that we should not seek to grow rich by the loss of others. »

[22] « Vous avez entendu qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis ne de pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. (…) Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis. » Mt 5.38-44.

[23] Mt 19.8.

[24] A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, Editions Médecine et Hygiène, département Georg, Genève, 2008, 221.

[25] J. Calvin, Commentaires sur les cinq livres de Moïse, Exode, 20.15, 422, op. cit., 223.

[26] J. Calvin, ibid., Exode, 20.15, 422.

[27] F. Dermange, « Calvin, père du capitalisme ? », op. cit., 224.

[28] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (Ed. 1560), Labor et Fides, Genève, 1955, II, viii, 8, 167-168, in P. Berthoud, « Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des Réformateurs, et de Jean Calvin en particulier », art. cit., 100.

[29] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Livre des Pseaumes, Librairie de Ch. Meyrueis et Compagnie, Paris, 1859, 98.

[30] Pour trouver un autre exemple que celui qui est décrit ci-dessus, cf. J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Livre des Pseaumes, ibid., Ps. 15.5.

[31] D. Ramelet, Calvin et le prêt à intérêt, quelle rupture avec la scolastique ? (à paraître).

[32] Olivier Millet, professeur de littérature de la Renaissance, in C. Reussner, « Jean Calvin (1509-1564), portrait sensible », film diffusé par « Présence protestante » et France 2, Editions Meromedia, I. Fievet, Rossignol, avec le soutien du Musée international de la Réforme, du Musée de la Ville de Noyon et de la Société des amis du Musée Jean Calvin de Noyon.

[33] J. Le Goff, La Bourse et la vie, économie et religion au Moyen Age, Hachette, Paris, 1986, 84.

[34] J. Le Goff, ibid., 112.

[35] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, tome I, 195, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 197.

[36] J. Calvin, Catéchisme français publié en 1537, Genève, 1878, in Op. Calv., tome XXII, 33, in J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I, 198.

[37] « Quiconque se trouve en Jésus-Christ et est membre de son corps par foi, celui-là est assuré de son salut. » Calvin, Congrégation sur l’élection éternelle de Dieu, Op. Calv., tome VIII, 114. « (…) par la connaissance de l’Evangile nous sommes faits enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, combourgeois des saints, citoyens du royaume des cieux, héritiers de Dieu avec Jésus-Christ. » J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., tome I.

[38] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, Jacques, 2.18, ibid., tome I, 218.

[39] J. Calvin, ibid., Matthieu, 3.8, puis Luc, 18.1, 218.

[40] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, Romains, 7.5, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 213.

[41] A. Biéler, ibid., 213.

[42] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (1560), II, ii, 24, in P. Berthoud, « Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des Réformateurs, et de Jean Calvin en particulier », art. cit., 98.

[43] A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 486.

[44] Dans cette parabole, Saint Thomas d’Aquin et Calvin sont d’accord pour interpréter le terme d’« intérêt » comme métaphorique. Ils ne prennent donc pas la situation de cette parabole comme un encouragement à faire fructifier son argent à la banque. Il s’agit plutôt d’une condamnation de l’oisiveté.  « Qu’il faloit bailler l’argent a quelque banquier, afin que pour le moins l’usure feist tousjours la somme plus grande. Christ veut seulement dire qu’il n’y aura point d’excuse pour les paresseux, qui suppriment les dons de Dieu, et passent leur vie en oisiveté. Dont aussi nous recueillons qu’il n’estai plus louable devant Dieu, que ceux qui apportent quelque proufit à la société commune des hommes. » In J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., Luc, 19.23, in T. d’Aquin, Somme de théologie : II-II, qu. 77 et 78, tomes I et II (1984), III (1985), IV (1986), Editions du Cerf, 1984, tome II, qu. II-78.

[45] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., Matthieu, 25.15 et 20, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, 235.

[46] A. Biéler, ibid., 245.

[47] Cf. ci-dessus, note 10.

[48] A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, ibid., 449.

[49] A. Biéler, ibid., 453.

[50] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Livre des Pseaumes, Ps 65.11 ; in A. Biéler, ibid., 227.

[51] J. Calvin, ibid.,  2 Corinthiens, 9.10, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 307.

[52] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., 1 Timothée, 6.17, 261.

[53] J. Calvin, Institution de la religion chrétienne (1560), III, xx, 4 et 5, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 217.

[54] En insistant sur le désir divin de donner avec abondance, Calvin ne construit pas pour autant une théologie de la prospérité : il n’assure pas la plénitude en toutes circonstances. En effet, le réformateur ne nie pas la difficulté de la vie, ni l’existence de la pauvreté ainsi que d’autres épreuves.

La théologie de la prospérité est une approche selon laquelle Dieu donne systématiquement la prospérité matérielle à ceux qui croient en lui et qu’il bénit. En filigrane, cette compréhension conduit à juger qu’un croyant manque de foi ou qu’il n’est pas béni par Dieu lorsqu’il est pauvre matériellement.

[55] J. Calvin, Sermon XCV sur le Deutéronome, 15.11-15, Op. Calv., tome XXVII, 337-338, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 316.

[56] J. Calvin, Leçons et expositions familières sur les douze petits prophètes, Genève, 1565, Michée 4.13, in A. Biéler, ibid., 315.

[57] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., Matthieu, 5.42, 370.

[58] J. Calvin, Sermon CXLI sur le Deutéronome, 24, 19-22, Op. Calv., tome XLVI, 632, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 327.

[59] J. Calvin, Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, op. cit., Matthieu, 5.42, 170.

[60] A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 156.

[61] M. Johner, « La liberté et l’argent : calvinisme et économie », in La Revue réformée, « Protestantisme et libertés » (Carrefour théologique, Aix-en-Provence, mars 2007), 244 (2007/5), 115.

[62] J. Calvin, « Lettre de Jehan Calvin à quelqu’un de ses amis », datée du 7 novembre 1545, Op. Calv., tome X, in A. Biéler, La Pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 457.

[63] « If any rich and monied man, wishing to buy a piece of land, should borrow some part of the sum required of another, may not he who lends the money receive some part of the revenues of the farm until the principal shall be repaid ? » In J. Calvin, Commentaries on the Last Four Books of Moses, 130.

[64] J. Calvin, « Lettre de Jehan Calvin à quelqu’un de ses amis », datée du 7 novembre 1545, Op. Calv., tome X, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 460.

[65] M. Johner, « La liberté et l’argent : calvinisme et économie », art. cit., 116-117.

[66] J. Calvin, Leçons ou Commentaires et expositions sur les vingt premiers chapitres des Révélations du prophète Ezéchiel : qui sont les dernières leçons qu’il a faites avant sa mort, Genève, 1565, cf. texte latin, Op. Calv., tome XXXIX, Ezéchiel 18.8 et 17, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 469.

[67] In R. De Roover, « La pensée économique des scolastiques », Publications de l’Institut d’études médiévales, Montréal, 1971, 80.

[68] Nous pouvons remarquer que, sur cette question, la position des scolastiques a parfois été ambiguë : « The various interpretations of that prohibition were, in truth, often unclear and sometimes contradictory. Even Aquinas claimed one thing in one place and its opposite in another: in the Summa Theologiœ (II-II, qu. 61, art. 3 and qu. 78, art. 1), for example, he asserts in one place that money is sterile, and in another compares it to a seed that, once planted, will yield fruit. St. Bernardino of Siena, in De evangelio œterno (sermon 34, art. 1), took the seed analogy even further in reference to money which, once invested in an enterprise, becomes capital. » In G. Erner, « Christian Morality, the Medieval Turning Point », in International Social Science Journal, 57 (2005:185), 471.

[69] A. Lapidus, « La propriété de la monnaie : doctrine de l’usure et théorie de l’intérêt », in Revue économique, 1987, 1102.

[70] J. Calvin, « Lettre de Jehan Calvin à quelqu’un de ses amis », in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 458.

[71] « Money is barren only if allowed to remain unemployed. » In J. Frierson, Changing Concepts on Usury : Ancient Times Through the Time of John Calvin, 124.

[72] P. Berthoud, « Liberté et justice sociale : l’apport de l’Ancien Testament dans la pensée des Réformateurs, et de Jean Calvin en particulier », art. cit., 4.

[73] « Recevoir un intérêt pour de l’argent prêté est de soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas ; (…) Pour s’en convaincre, il faut se rappeler que l’usage de certains objets se confond avec leur consommation ; ainsi nous consommons le vin pour notre boisson, et le blé pour notre nourriture. (…) du fait même que l’on en concède l’usage à autrui, on lui concède l’objet. Voilà pourquoi, pour les objets de ce genre, le prêt transfère la propriété. » In T. d’Aquin, Somme de théologie, tome III, qu. 78, art. 1, 491.

[74] Pour une critique de l’argumentation thomiste sur le prêt à intérêt, cf. A. Lapidus, La propriété de la monnaie : doctrine de l’usure et théorie de l’intérêt. Il relève notamment la confusion que fait Saint Thomas d’Aquin entre biens consomptibles et biens fongibles.

[75] A. Lapidus, « La propriété de la monnaie : doctrine de l’usure et théorie de l’intérêt », art. cit., 1103.

[76] A. Berthoud, « Calvin et le taux d’intérêt », conférence donnée le 13 novembre 2009 lors de la session sur « Les idées économiques, sociales et environnementales de Calvin », au colloque « A la source de la pensée de Jean Calvin », Université d’Orléans, 5.

[77] J. Calvin, Commentaires sur les cinq livres de Moïse, Exode, 22.25, in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 464.

[78] L’Etat a légiféré sur un taux maximum dans plusieurs pays d’Europe, comme en France au XIIIe siècle (deux deniers par livre et par semaine pour un prêt de consommation), en Espagne sous Charles Quint et Philippe II, qui reconnaissent la légitimité du prêt à intérêt tant que le taux ne dépasse pas 12%, ou encore en Angleterre avec Henri VIII, qui le fixe à 10% en 1545. Cf. A. Biéler, ibid., 167.

Autour du XVIe siècle s’opère progressivement un transfert du contrôle de l’usure de l’Eglise vers l’Etat. Cf. L. Fontaine, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Gallimard, 2008, 197.

[79] C’est une des raisons pour lesquelles Calvin a soutenu le vote de lois somptuaires à Genève : « Au début de 1544, à la requête des prédicants, le Conseil vote des fonds pour l’entretien des pauvres. C’est à cause de cette extrême pauvreté des uns, d’ailleurs, que Calvin proteste contre le luxe des autres ; la charité chrétienne ne peut tolérer que certains dissipent leurs biens pendant qu’il en est qui manquent du nécessaire. » Il s’agit de préserver un équilibre entre les hommes : ni la pauvreté, ni la richesse ne sont une vertu ou un vice en elles-mêmes, mais l’écart de richesse ne doit pas être insultant pour les personnes démunies. » In A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 159, d’après le Registre du Conseil de Genève, 14 janvier 1544, Op. Calv., tome XXI, 328, et 14 février 1542, Op. Calv., tome XXI, 291.

[80] Contrat.

[81] J. Calvin, « Lettre de Jehan Calvin à quelqu’un de ses amis », in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 460.

[82] Loi sur le prêt à intérêt du 19 février 1544, confirmant celle du 17 janvier 1538, E. Rivoire et V. van Berchem, Les sources du droit du canton de Genève, Aarau, 1927-1935, tome II, 343 et 466, et tome III, 48 sq., in A. Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, op. cit., 168.

[83] A. Biéler, ibid., 168.

[84] D. Alexander, P. Tschopp, Finance et politique : l’empreinte de Calvin sur les notables de Genève, Labor et Fides, Genève, 1991, 114.

[85] Edouard Pictet, un autre banquier genevois, réagit de manière un tant soit peu plus mesurée : « Il ne faut pas oublier que l’attitude du ‹calviniste› est certainement déterminante vis-à-vis des banques, du commerce de l’argent, des prêts à intérêt. Nos banques sont issues directement de la doctrine de Calvin, qui, contrairement à l’Eglise catholique, permettait le prêt à intérêt et a levé un certain interdit qui régnait sur ces questions économiques et financières, et qui sont à l’origine de nos maisons. (…) Il y a un impact, une tradition (…) Si ma famille s’est dirigée de ce côté-là c’est en partie à cause de l’influence de Calvin sur ces problèmes purement matériels. » In D. Alexander, P. Tschopp, Finance et politique : l’empreinte de Calvin sur les notables de Genève, op. cit., 115.

[86] U.H.J. Körtner, « Calvinisme et capitalisme », in M.E. Hirzel, M. Sallmann, Calvin et le calvinisme : cinq siècles d’influences sur l’Eglise et la société, Labor et Fides, Genève, 2008, 258.

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