Prédestination et élection

Prédestination et élection

Paul WELLS*

La Bible présente cette question de façon différente de celle qui a été utilisée, en général, en Occident et, plus particulièrement, en philosophie ou même en théologie chrétienne.

En Occident, Dieu et l’individu ont été considérés comme deux acteurs : l’un, Dieu, est l’Etre suprême et l’autre, l’individu, doit être libre. Le résultat est un face à face des deux.

Les solutions proposées insistent soit sur la souveraineté de Dieu qui domine sur l’individu (l’homme est déterminé, sa liberté est illusoire, ce qui se passe est inévitable, à la manière de l’Islam), soit sur la liberté de l’homme qui se dresse face à un dieu inconnu et mystérieux pour sauvegarder sa liberté (les formes de l’humanisme moderne). Cette opposition est à l’origine du désarroi que de très nombreuses personnes éprouvent autour de nous, car elles se sentent ballottées entre le destin et la chance, si elles ne croient pas, en même temps, un peu aux deux.

La Bible a une démarche tout autre et présente une réalité totalement différente qui n’oppose pas, de façon abstraite, le déterminisme et la liberté. Son point de départ est une communion entre Dieu et l’homme, et cette perspective change tout.

La Bible utilise, il est vrai, beaucoup de mots, parfois proches du langage philosophique – prédestination, pré-connaissance, élection, volonté, décision, choisir, appel – mais elle le fait dans un contexte qui est toujours celui d’un rapport entre un Dieu personnel et un être humain responsable et libre de ses décisions.

L’élection est un fait biblique impossible à nier. Dieu a choisi la descendance de Sem, il appelle Abraham, Isaac et non Ismaël, Jacob et non Esaü, David et non Saül, Israël et non les nations, le reste d’Israël et non le peuple infidèle. Ce reste est, finalement, Jésus-Christ, le vrai fils « appelé hors d’Egypte ». L’histoire biblique est une histoire concrète d’élection, qui dépend du choix de Dieu dans lequel la volonté de Dieu s’exprime. Elle a son centre et son point culminant en Jésus-Christ qui est l’élu par excellence. En Christ, Dieu appelle un peuple ; le fait d’appartenir à Christ est une expression de l’élection divine.

La révélation de l’élection n’est donc pas une réalité théorique ou abstraite ; elle est la reconnaissance d’un appel, appel qui intervient dans l’histoire des humains pour la bouleverser. Ce fait est souligné de cinq façons :

  • L’élection est très souvent liée, dans la Bible, à un appel personnel et historique et elle est reconnue à cause de cet appel. Il n’y a pas d’autre manière de connaître l’élection divine que par cet appel et par la réponse qui y est faite. L’intervention de Dieu change tout dans une vie. Romains 8.30 est typique, à cet égard : l’appel suppose une réponse. L’élection n’est pas une théorie abstraite de la souveraineté de Dieu.
  • L’élection est communautaire. On n’est pas élu pour rester seul dans sa chambre ; on est élu avec d’autres pour faire partie d’un peuple, le peuple de Dieu, qui lui appartient. Notre élection est connue et vécue avec d’autres.
  • C’est pour cette raison que, dans le Nouveau Testament, l’élection est toujours en Christ et avec d’autres. Le peuple de l’Ancien Testament attend le Sauveur, le peuple du Nouveau confesse et célèbre le salut. On est appelé à suivre Christ pour faire partie du grand nombre de ceux qui sont à lui. Etre élu, c’est être à Christ ; être à Christ, c’est être élu. La réalité de l’élection se reconnaît uniquement par rapport à Christ. Il n’y a donc pas de connaissance de l’élection en dehors de la foi en Christ, ce qui élimine toute spéculation. Il n’y a pas d’autre réponse, en effet, à la question : « Puis-je savoir ce que Dieu a fait, dans son éternité, pour me prédestiner ou non ? » que celle de la foi et de l’assurance du salut qu’elle apporte.
  • Quand la Bible parle d’élection ou de prédestination, c’est toujours en référence à l’amour de Dieu. En s’exprimant, l’amour chasse la peur et, en Christ, nous voyons l’amour de Dieu pour les pécheurs. Dans son amour, Dieu intervient dans nos vies et, en comprenant le sens de sa grâce, nous l’aimons en retour. L’élection est scellée dans une relation où s’exprime l’amour vrai. Dieu prédestine, parce qu’il aime d’avance comme en Romains 8.29. Et nous l’aimons en retour.
  • L’élection va toujours de pair avec le service (relire Ephésiens 2.4-10, 1 Pierre 2.9-10). Elle se manifeste par un changement de vie, un passage des ténèbres à la lumière et par l’accomplissement des œuvres que « Dieu a préparées d’avance » pour que nous les fassions.

Le fil conducteur qui relie ces cinq expressions de l’élection incompréhensible et souveraine de Dieu est la foi. Humainement, l’élection est, en effet, impossible à expliquer par la raison. Elle est même opposée à ce qui nous paraît raisonnable ou juste et peut paraître relever de l’injustice et de l’orgueil.

Cela explique aussi que la question difficile des non élus – de ceux que Dieu n’appelle pas – reste sans réponse pour nous, parce que cette réalité est extérieure au cercle de confiance établi par la foi. La Bible affirme, et l’expérience le montre, que certains sont appelés et d’autres non, mais elle ne nous donne pas les informations, que nous aimerions peut-être avoir, sur qui sont les non élus, ni sur pourquoi Dieu a agi ainsi.

En affirmant l’élection en Christ, la seule chose que nous devons nous dire et nous rappeler à propos des « autres » – ceux qui ne sont pas appelés et que Dieu « laisse » – c’est que Dieu, qui est amour, est toujours juste : laissons donc cette question, paisiblement, entre ses mains et veillons à accomplir la tâche que le Christ nous a confié d’annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile à tous (Mt 25.19-20).

* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence, dont il est le Doyen.

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