Si Dieu sait tout, pourquoi prier ?


Si Dieu sait tout, pourquoi prier ?

L’omniscience divine et la prière

Justin DAUNER*

«Si Dieu sait tout, pourquoi prier?» Cette question, que nous allons aborder, surgit dans de nombreuses conversations. Elle est parfois posée dans un but polémique, comme argument contre la foi; de nombreux chrétiens formulent aussi la même interrogation. Si Dieu a déjà la connaissance de tout ce que nous pouvons lui dire, la prière ne devient-elle pas une pratique vide de sens et dépourvue d’intérêt pour chacune des parties en cause? Ou bien, puisqu’il nous est ordonné de prier, cela n’implique-t-il pas que Dieu aurait besoin de notre prière?

La question mérite d’être traitée, non seulement dans un souci apologétique afin de répondre aux objections qui sont élevées contre la foi, mais afin d’éclairer une question dogmatique qui préoccupe certains. Etre au clair sur cette question est important.

Comme le fait remarquer C.S. Lewis, notre vie de prière en dépend1, non seulement sur le plan pratique, mais aussi parce que notre doctrine de Dieu est concernée.

Les deux notions en cause, apparemment contradictoires, sont, d’une part, la nécessité de la prière et, d’autre part, l’omniscience de Dieu. Selon la logique humaine, l’omniscience divine exclurait d’emblée la nécessité de la prière, et la pratique de la prière serait une manière de contester la connaissance parfaite de Dieu. Or, une doctrine orthodoxe implique le respect des deux notions.

I. La nécessité de préserver ces deux doctrines

Nous allons voir en quoi le fait de conserver les deux doctrines est la seule solution satisfaisante, puisque rejeter une des deux nous mènerait à rejeter Dieu tel qu’il est décrit dans la Bible et à nous tourner vers un «dieu» imparfait, ce qui équivaudrait à de l’idolâtrie.

Du point de vue biblique, la doctrine de l’omniscience de Dieu n’est pas vue comme infirmant la nécessité de la prière: Jésus lui-même fait ce rapprochement entre la connaissance parfaite de Dieu et l’importance de la prière, lorsqu’il dit: «En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.»2

Or, ce qui est frappant dans cet enseignement, c’est que Jésus ne voit pas l’omniscience de Dieu comme opposée à l’acte de la prière. Bien au contraire, il utilise cette connaissance divine comme argument en faveur de la prière, comme si la prière était justement fondée sur le fait que Dieu en a la prescience. L’argumentation est donc inversée. Comment comprendre cela? Ce n’est possible que si l’on admet que le Christ a une compréhension de l’omniscience de Dieu qui diffère de celle que l’on peut avoir.

Le fait d’opposer la connaissance parfaite de Dieu et la nécessité pour l’homme de prier nécessite de négliger deux éléments importants de la connaissance de Dieu: tout d’abord, elle n’est pas seulement factuelle, elle est aussi personnelle. Ensuite, les attributs essentiels de Dieu n’ont pas nécessairement les mêmes caractéristiques que la révélation qu’il nous en fait (en d’autres termes, il peut y avoir une différence entre l’«omniscience essentielle» de Dieu et son «omniscience économique»).

1. Omniscience factuelle ou personnelle

L’idée que les doctrines de la connaissance parfaite de Dieu et de la nécessité de la prière sont opposées repose nécessairement sur l’opinion que la connaissance qu’a Dieu de la réalité est uniquement factuelle. Si Dieu sait tout, aucune information ne peut lui être utile. Cependant, dire que sa connaissance est seulement factuelle équivaut à tomber dans l’erreur de la pensée moderne qui voit en Dieu un être impersonnel.

Or, dans la pensée de la Bible et de la Réforme, Dieu est infini et personnel. Ainsi, sa connaissance concerne non seulement des faits, mais aussi les personnes. Il ne s’agit pas uniquement pour Dieu de tout savoir, il s’agit aussi de connaître tous les êtres humains. L’omniscience ne signifie pas seulement que Dieu connaît toutes choses, mais aussi qu’il connaît toutes les personnes. La connaissance de Dieu n’est pas analogue à celle d’un ordinateur, qui accumule des données impersonnelles; elle pourrait plutôt être comparée (avec toute la prudence que nécessite une telle comparaison) à la connaissance d’un être humain, factuelle et personnelle.

Dans une telle perspective, l’omniscience de Dieu ne remet pas en cause l’importance de la prière, mais elle en accroît la valeur. Une connaissance factuelle parfaite exclut pour Dieu la nécessité d’entendre nos prières; une connaissance personnelle parfaite implique la volonté d’être en communion et en communication avec nous. Si Dieu n’a pas besoin d’entendre nos prières pour savoir ce que nous voulons lui dire, il n’annule pas la valeur de la prière, car son omniscience ne se limite pas à cette connaissance de faits.

De plus, même la connaissance factuelle parfaite de Dieu n’exclut pas la prière. En effet, un bon nombre de textes centraux de la Réforme, comme les Canons de Dordrecht3, insistent sur le fait que la souveraineté de Dieu n’exclut pas l’action ou la responsabilité humaine (ainsi, les hommes ne peuvent justifier leur rejet de Dieu par la doctrine de la prédestination). De même, on peut dire que l’omniscience de Dieu n’exclut pas la nécessité et la responsabilité de notre action, en l’occurrence de la prière.

2. Omniscience essentielle et économique

Auguste Lecerf, dans son enseignement sur la prière, affirme que notre prière n’a pas d’effet sur la gloire essentielle de Dieu mais sur sa gloire déclarative4. Ainsi, il montre que la prière ne rend pas Dieu plus glorieux en soi, mais qu’elle permet de mieux montrer qu’il l’est. L’attribut divin de la gloire reste inchangé, mais la révélation de cet attribut est amplifiée. Il semble plausible de dire qu’on peut étendre cette idée à l’omniscience de Dieu.

Ainsi, l’omniscience essentielle de Dieu ne peut en aucun cas être changée par notre prière, puisque tout changement impliquerait soit que sa connaissance n’était pas parfaite avant le changement, soit qu’elle l’était et ne l’est plus. L’attribut divin de l’omniscience ne peut qu’être immuable, sans quoi on ne peut plus parler d’omniscience mais seulement d’une connaissance supérieure à la nôtre.

Toutefois, si notre prière ne peut affecter l’omniscience divine, elle peut apporter des changements à la façon dont cette omniscience est révélée. Le fait de prier ne donne pas plus de connaissances à Dieu, mais il permet de montrer de façon bien plus évidente que Dieu sait tout. Notre prière change la gloire déclarative de Dieu, comme l’a montré Lecerf, mais elle est incapable de changer sa gloire essentielle. Autrement dit, elle ne change pas son omniscience ontologique, mais elle change son «omniscience déclarative».

Ainsi, notre prière ne s’oppose pas à l’idée d’omniscience; au contraire, elle est un facteur de la révélation de celle-ci, puisqu’elle la manifeste d’une manière plus explicite. Tout comme un prisme ne change pas la lumière mais la rend visible sous une autre forme, la prière ne change pas la connaissance de Dieu mais la met en valeur d’une manière spéciale.

De quelle manière notre prière manifeste-t-elle le fait que Dieu sait tout? Il semble que la prière ait sa place dans l’économie de l’omniscience de Dieu grâce à deux de ses effets. D’abord, elle révèle l’omniscience de Dieu en contraste avec notre connaissance limitée; ensuite, elle révèle la connaissance parfaite de Dieu par la découverte a posteriori que nous faisons de l’action de Dieu. Etudions ces deux types de manifestations.

La première raison pour laquelle on peut dire que notre prière manifeste l’omniscience de Dieu est la différence infinie entre notre savoir fini et son omniscience illimitée. Ainsi, il nous arrive souvent de ne pas avoir une connaissance suffisante d’une situation pour faire des demandes explicites à son sujet, ce qui n’empêche pas Dieu, qui connaît cette situation, d’écouter notre prière et même d’y répondre. A ce sujet, il est intéressant de rappeler le passage de l’épître aux Romains (8.26), où Paul exprime l’idée que Dieu, par l’Esprit Saint, complète ce qui manque en sagesse à nos prières.

Le second facteur est la prise de conscience a posteriori de l’action de Dieu. C’est ainsi que nous discernons, après une intervention de Dieu, que sa providence était à l’œuvre déjà avant notre prière, ce qui manifeste la supériorité de la connaissance de Dieu sur la nôtre.

Un des exemples bibliques de cette action de Dieu précédant notre prière est le récit d’Actes 12.3-17. Ce texte montre clairement que l’Eglise, qui priait pour la libération de Pierre (v. 5), était encore en prière une fois que Pierre a été libéré (v. 12). On le voit, Dieu agit pendant – et même parfois avant – que nous n’exprimions une prière, et il a une connaissance parfaite, là où la nôtre est limitée.

II. Les fonctions de la prière

Il nous faut aborder maintenant quelle est la fonction de la prière, dont la signification et les objectifs sont plus ou moins mal compris.

Estimer que l’omniscience de Dieu pourrait annuler l’importance de la prière repose sur l’idée que la prière a essentiellement une fonction d’information. Selon cette conception, la seule conséquence de la prière est une transmission de connaissances. Or, ce n’est pas là l’unique fonction de la prière, ni même l’unique fonction de quelque communication humaine que ce soit. Il faut reconnaître que la prière a une multiplicité de fonctions qu’il convient de tenter de distinguer. Nous aborderons, surtout, les fonctions relationnelle (ou d’alliance), pédagogique (ou élenchtique), liturgique (ou d’adoration) et d’imploration.

1. La fonction alliancielle de la prière

Un exemple humain qui illustre bien cette fonction de la prière est le mariage: lorsqu’on dit à son conjoint qu’on l’aime, il ne s’agit pas uniquement de la transmission d’une information. Au contraire, l’objectif principal d’une telle déclaration est d’entretenir la relation qui a été créée par l’alliance du mariage. La parole prononcée, dans cet exemple, renvoie à une réalité relationnelle plus profonde et fortifie cette réalité.

De même, la prière ne consiste pas uniquement dans le fait d’informer Dieu. Elle vise à entretenir une relation personnelle entre Dieu et nous (en tant que peuple de Dieu ou individuellement), relation qui a été initiée par son alliance. De même que dans l’analogie du mariage, la parole prononcée dans la prière renvoie à une réalité relationnelle plus profonde et sert à l’alimenter (non pas que l’amour de Dieu ait besoin d’être rendu plus grand; c’est plutôt le côté humain de la relation qui a besoin d’être fortifié).

Quelle place cette prière a-t-elle dans l’alliance? Une lecture attentive révèle un élément intéressant à propos des alliances conclues ou renouvelées dans la Bible. En effet, celles-ci sont toujours dues à l’initiative divine. On peut citer par exemple l’alliance noahique due à l’initiative divine du salut face au déluge (Gn 6.18), l’alliance abrahamique due à l’initiative divine de son appel (Gn 15.18), ou encore l’alliance davidique due au choix de Dieu (Ps 89.3-4). Toutefois, la prière – et donc l’action humaine – fait toujours partie intégrante de ces alliances, non en tant que cause de l’alliance, mais en tant que conséquence.

La prière humaine a une fonction alliancielle, non dans le sens où elle rend l’alliance possible (sans quoi la pérennité de l’élection serait due au mérite humain et non à Dieu), mais dans le sens où elle est rendue possible par l’alliance. En tant que réponse humaine, elle n’est possible que si une relation avec Dieu a été rétablie, ce qui dépend de l’initiative divine et de la conclusion d’une alliance.

A ce sujet, il est intéressant de noter que le Catéchisme de Heidelberg place la prière dans la section concernant la reconnaissance envers Dieu. La question 116, en particulier, affirme qu’il faut prier parce que «la prière est la principale partie de la reconnaissance que Dieu réclame de nous»5. Ainsi, la prière tient une place importante dans l’alliance, mais seulement en tant que conséquence de celle-ci.

2. La fonction pédagogique de la prière

Cette seconde fonction de la prière comporte bien une information, mais il ne s’agit pas, comme dans la perspective que nous cherchons à dépasser, d’une information faite de notre part envers Dieu, mais du mouvement inverse. Dans cette fonction, en effet, Dieu nous fait connaître ce que nous avons besoin de savoir. L’information n’est pas ascendante (de nous vers Dieu) mais descendante (de Dieu vers nous).

Dans ce domaine, l’omniscience de Dieu, loin d’être opposée à la prière, lui donne plus d’importance, puisqu’il s’agit non pas d’une information humaine limitée, mais d’un enseignement donné par la seule personne qui sait tout. Cela explique peut-être, entre autres, la citation de Jésus en Matthieu 6.86, puisque, dans ce cas, l’omniscience de Dieu est réellement un facteur d’encouragement à la prière.

Il faut distinguer deux facettes de cet aspect de la prière: d’un côté, il y a une pédagogie positive, dans laquelle Dieu développe en nous notre connaissance et notre sagesse, et, de l’autre côté, on trouve une pédagogie négative ou élenchtique, dont l’objectif est de mettre en lumière le péché qui est en nous.

Le Catéchisme de Genève affirme: «(Il faut) que Dieu lui-même nous enseigne comment nous devons le prier, et qu’il nous conduise comme par la main, en sorte que nous ne fassions que le suivre.»7Or, cette instruction est faite, comme le montrent les questions suivantes, par le Notre Père. C’est donc par la prière que nous apprenons. De plus, il est logique qu’en communiquant avec quelqu’un qui a une plus grande connaissance que nous (et à plus forte raison, avec quelqu’un dont la connaissance est parfaite), notre sagesse s’accroisse.

Dans le second cas, on trouve un certain nombre d’exemples bibliques, puisque c’est par cette fonction de la prière qu’est accomplie la confession des péchés à Dieu. Ainsi, on peut mentionner les exemples de la prière de Daniel (en Dn 9), dont le but est de reconnaître devant Dieu les péchés du peuple, ainsi que la fin de l’épître de Jacques (5.16), qui parle de la prière en faveur d’un chrétien pécheur.

3. La fonction liturgique

Dans le contexte d’une prière d’adoration, la question de l’omniscience de Dieu ne se pose pas, puisqu’il n’est pas nécessaire d’informer Dieu de sa gloire. Cette fonction de la prière vise plutôt à déclarer la gloire de Dieu, qui est déjà connue et de Dieu et de nous. Il n’y a pas ici de place pour une notion d’information, car tous ceux qui sont impliqués dans cette prière (à la fois Dieu et nous) sont déjà informés.

Quel est donc le but de ce type de prière, si ce n’est pas d’informer? Quelle est la cause d’une prière d’adoration? Dans la Bible, la cause principale invoquée pour ce type de prière est la nature même et les actes de Dieu. On en trouve de nombreux exemples, parmi lesquels nous n’en relèverons que quelques-uns: «Célébrez l’Eternel, car il est bon, car sa bienveillance dure à toujours!» (Ps 118.1) «Louez l’Eternel, vous toutes les nations, glorifiez-le, vous tous les peuples! Car sa bienveillance pour nous est efficace.» (Ps 117.1-2) «Louez l’Eternel! Car l’Eternel est bon. Psalmodiez en l’honneur de son nom! Car il est favorable.» (Ps 135.3)

Dans le cadre de la prière liturgique, il faut en mentionner un genre particulièrement important: la prière communautaire. Le livre des Actes, en particulier, insiste sur le fait que l’Eglise s’est développée en parallèle avec la prière (voir surtout Ac 1.14 et 2.42)8. La Parole de Dieu nous fait d’ailleurs parvenir certaines prières communautaires (les Psaumes employés pour le culte dans le Temple), de même que l’histoire de l’Eglise. Cela montre aussi l’importance des prières liturgiques rédigées (par opposition aux prières «spontanées»).

Or, dans le cas de ces prières rédigées, il n’est pas non plus question d’information, puisqu’elles sont utilisées de nombreuses fois, que l’on en connaisse le contenu ou non. L’important est donc bien d’exprimer une louange de Dieu et non de l’informer.

4. La fonction d’imploration

Cette dernière fonction correspond à un aspect important de notre réflexion: la dimension pratique de la prière. L’omniscience de Dieu n’annule pas la nécessité de la prière pour l’homme car, même lorsque nous «faisons connaître à Dieu nos demandes», notre objectif n’est pas seulement de l’informer, mais de le prier d’agir. Nos prières d’intercession ne se limitent pas à des demandes abstraites, elles appellent Dieu à une action dans le monde matériel.

Ainsi, même si Dieu sait tout – y compris nos besoins – il est important de le prier, car la prière ne se limite pas à des paroles ou des connaissances. Elle a des effets dans le monde réel. Le but de notre prière n’est pas uniquement une parole désincarnée, c’est aussi un appel à l’intervention concrète de Dieu.

En fait, dans la perspective biblique, l’efficacité de la prière n’est pas seulement encourageante pour notre vie de prière – bien plus, elle est essentielle à la prière, puisqu’elle en est une des causes. Les Psaumes (en particulier en 34.4 et 81.7) parlent de l’exaucement par Dieu comme étant au centre de la prière. L’épître de Jacques (5.17-18) rappelle aussi que «la prière agissante du juste a une grande efficacité».

Cela paraît évidemment inacceptable dans une perspective postmoderne dans laquelle on établit une dichotomie entre la foi, considérée comme irrationnelle et abstraite, et la raison, rationnelle et concrète. En effet, une telle optique implique nécessairement que Dieu ne puisse pas agir dans le monde matériel. Si l’analyse critique de cette philosophie dualiste n’entre pas dans le cadre de notre étude, il convient toutefois de faire quelques remarques en réponse à cette vision limitée de la toute-puissance de Dieu.

La question de la validité de la causalité dans un système fermé (sans intervention surnaturelle possible) est traitée entre autres par Auguste Lecerf. Ce déterminisme universel, comme il le fait remarquer avec raison, «n’est pas une constatation de la science, c’est l’acte de foi d’une religion qui s’oppose à la nôtre»9. Il explique ensuite que les lois naturelles considérées immuables ne le sont que toutes choses égales par ailleurs, ce qui n’est pas le cas s’il y a intervention divine!

Conclusion

Quelques conclusions s’imposent à nous: l’idée qu’il existe une contradiction logique entre l’omniscience de Dieu et sa volonté que nous priions n’est pas acceptable dans le cadre d’une théologie orthodoxe. En effet, comme il a été dit dans la première partie, l’omniscience de Dieu n’est pas opposée à notre prière. Au contraire, si elle est bien comprise (comme quelque chose de plus qu’une connaissance impersonnelle, et comme quelque chose de plus qu’une omniscience ontologique), elle sera un des fondements de la prière.

Pourquoi cela est-il important dans le cadre d’une pensée orthodoxe? D’abord, parce que, en affirmant la non-contradiction de ces deux idées, on affirme la cohérence logique de la foi chrétienne. Si la pensée du christianisme n’est pas un rationalisme sec et désincarné, elle est toutefois rationnelle. Ainsi, affirmer cela nous permet de ne pas voir notre foi comme quelque chose de fondamentalement irrationnel. La foi chrétienne implique tout l’homme, y compris sa raison, puisque son enseignement ne se contredit pas lui-même, ce qui permet une réflexion théologique intelligente.

La seconde raison est la suivante: si, pour nous, ces deux enseignements chrétiens semblent paradoxaux (tout comme ceux de la double nature du Christ et de la Trinité), ils ne le sont pas pour Dieu. Du point de vue de Dieu, les liens entre l’humanité de Christ et sa divinité, entre l’unité et la diversité dans la Trinité, entre sa connaissance parfaite et son exigence que ses enfants le prient, sont exhaustivement connus.

Si nous voulons que notre enseignement se rapproche le plus possible de la pensée de Dieu (ce qui est le but de tout théologien orthodoxe, ainsi que de tout catéchète), il est nécessaire de garder ces doctrines ensemble. Cela ne signifie pas que nous puissions en avoir la même compréhension que lui: sa compréhension est parfaite, contrairement à la nôtre. Mais plus notre théologie cherchera à harmoniser ces deux données, plus notre pensée sera conforme à celle de la révélation que Dieu nous donne et à sa sagesse.

Nous sommes donc exhortés, en tant que chrétiens à titre individuel et en tant que communauté chrétienne, à la prière, à une prière diversifiée, car la prière a de nombreux buts. Et si nous nous sommes contentés d’en observer quatre parmi les plus importants, il faut reconnaître qu’il en existe bien plus.

Il y a place pour une prière qui suit une «formule» (comme le Notre Père), mais ceci ne doit pas enfermer nos prières dans une uniformité impersonnelle. Nos prières, au contraire, devraient refléter la diversité de nos identités et des situations dans lesquelles Dieu nous place. Ainsi, elles deviendraient plus proches de la réalité.

Dans la pensée biblique, n’en doutons donc pas, aucune opposition n’existe entre l’omniscience de Dieu et l’exhortation à la prière qui nous est adressée.

* J. Dauner est étudiant en maîtrise à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 C.S. Lewis, Si Dieu écoutait(Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1970), 28.

2 Mt 6.7-8.

3 Canons de Dordrecht (Aix-en-Provence: Kerygma, 1988), 53.

4 A. Lecerf, «La prière et les problèmes dogmatiques qui s’y rattachent», in La Revue réformée, 5 (1954:3), 37.

5 Catéchisme de Heidelberg (Aix-en-Provence: Kerygma, 1986), 117.

6 «Ne leur ressemblez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.»

7 J. Calvin, Catéchisme de Genève(Aix-en-Provence: Kerygma, 1991), 98.

8 Voir, à ce propos, J. Martinez, Théologie de la prière (Valence: Editions LLB, 1995), 111ss.

9 A. Lecerf, op. cit., 53.

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