L’Église face au défi de la mondialisation


L’Église face au défi de la mondialisation

William EDGAR*

Le terme «mondialisation» évoque pour certains les images de José Bové saccageant un MacDonald ou encore celle des manifestants en colère, à Hong Kong, pendant le sommet des pays les plus riches. L’évolution vers une économie mondiale ne peut, à leurs yeux, que résulter d’une hégémonie américano-europénne. Le terme «mondialisation» fait également penser, peut-être, aux événements du mois de novembre 2005 dans les banlieues défavorisées de France. Car, si les jeunes qui ont mis le feu aux voitures, etc. dans ces quartiers ne sont plus des immigrés, au sens technique, ils sont là à cause d’un des traits les plus importants de la mondialisation: la mobilité qui a entraîné, près des grandes villes, la présence de populations maghrébines et africaines noires, sans emploi et frustrées, parfois, jusqu’à la violence. A un niveau encore plus inquiétant, le terme «mondialisation» fait penser aux attentats de New York, Madrid ou Londres, perpétrés à l’aide de moyens technologiques et de communication typiquement mondiaux, sans lesquels une stratégie aussi terrifiante n’aurait pas pu être adoptée.

Il est vrai que pour d’autres, en revanche, le terme sonne de façon plus positive. Pour les néo-libéraux, la mondialisation évoque de nouvelles possibilités d’apporter la prospérité dans des pays en voie de développement, puisque les frontières d’antan n’étant plus des barrières, ces pays pourront être au bénéfice de l’apport économique de la modernité. Pour certains des défenseurs des droits de l’homme, la mondialisation favorise l’échange libre des idées et des styles de vie, sans qu’aucune autorité oppressive puisse s’y opposer. Ils prétendent, par exemple, que la chute du Rideau de fer aurait été, en grande partie, le résultat de la découverte, grâce aux médias, du style de vie existant dans les pays libres.

Les chrétiens, eux aussi, sont partagés face à l’opportunité de la mondialisation. Pour les uns, la mondialisation aplatit les différences culturelles, contraint l’humanité à se contenter d’un minimum commun. La mission risque, alors, de se heurter à l’impossibilité d’annoncer désormais l’Evangile, celui-ci étant assimilé à la modernité occidentale. D’où la publication d’un nombre important de livres et d’articles avertissant les croyants de ne pas se conformer au monde avec ses tentations plus ou moins subtiles. D’autres, les plus optimistes, proclament, à l’inverse, que la mondialisation permettra au message chrétien de franchir tous les obstacles et d’atteindre l’humanité entière. Ils estiment que l’internet, premier vecteur de la mondialisation, facilitera l’évangélisation de la même manière que l’imprimerie a favorisé la diffusion de la Réforme au XVIe siècle.

La mondialisation en observation

Quelle est la bonne analyse du phénomène de la mondialisation? Quel comportement l’Eglise devrait-elle adopter dans le contexte actuel? Pour commencer, n’y a-t-il pas lieu, à juste titre, d’être las de termes comme celui de «mondialisation»? Les nouveautés en ce domaine se multiplient. Une autre expression omniprésente est celle de la «condition postmoderne». (Le postmodernisme est, pour le moins, le mot-valise de notre génération!) Ces mots sont imprécis et utilisés de façon diversifiée jusqu’à l’opposition. Mais, avant que notre fatigue fasse place au scepticisme, puis au cynisme, avançons quelques réflexions sur la mondialisation, en remarquant, pour commencer, qu’une des raisons du flou qui marque l’expression est le phénomène lui-même. Rappelons quelques traits caractéristiques de la mondialisation tels qu’ils sont reconnus par les spécialistes, selon leurs disciplines: l’économie, la sociologie, la science politique et la science religieuse.

Pour les économistes, la mondialisation, c’est l’interdépendance des différents pays au niveau du marché et de la production. Certes, le commerce international existe depuis l’Antiquité. Mais, aujourd’hui, les produits et l’argent traversent les frontières avec plus de facilité que jamais avant. La main-d’œuvre et les moyens technologiques qui sont à la base du commerce existent partout sur la planète. Par exemple, le bureau qui effectue des réservations pour les clients de l’USAirways est en Inde. Les sociétés de diffusion, comme CNN et Viacom (qui produit les canaux de musique «M») ont des succursales partout sur la planète. La voiture Toyota est fabriquée, à meilleur compte, dans plusieurs pays en dehors du Japon.

Un des résultats ambigus de la mondialisation économique est l’enrichissement, dans les pays pauvres, des travailleurs qui sont au service de sociétés basées en Europe ou en Amérique du Nord; cet enrichissement crée un écart de plus en plus grand entre ces travailleurs et leurs compatriotes. Mais cet enrichissement n’est que relatif, car leurs salaires, significatifs pour eux, n’ont rien à voir avec les salaires payés en Occident. Aussi les sociétés sont-elles conduites à licencier du personnel et à créer du chômage dans les pays dits riches.

La mondialisation et la ville

La grande ville (avec sa banlieue) apparaît, dans cette perspective, comme le lieu le plus important où s’amplifie l’écart entre les riches et les pauvres. Grâce à des facteurs comme la communication instantanée et les transports rapides à des prix abordables, les grandes entreprises ont leur siège social en ville. On le voit à Paris, à Hong Kong, à New York: ces grands centres attirent de plus en plus de monde, car ils semblent prometteurs d’enrichissement. L’informatique est indispensable au développement des entreprises. D’ailleurs, le secteur économique qui connaît la croissance la plus rapide en nombre d’emplois est celui de la programmation et de tout ce qui touche à la cybernétique. A côté et grâce en partie aussi à l’informatique, il y a les secteurs de la finance, des assurances, de l’immobilier, ainsi que tout ce qui est lié à l’accueil et au divertissement. En même temps et paradoxalement, on observe un accroissement du nombre des personnes démunies, des sans-abri et des chômeurs. Car, la main-d’œuvre qui, autrefois, trouvait sans peine à s’employer ne le peut plus faute d’être formée en informatique ou d’avoir les diplômes requis. Une nouvelle lutte des classes apparaît, celle du «savoir» contre celle de l’ «ignorance technique».

Les sociologues remarqueraient que la mondialisation apporte une facilité de plus en plus grande pour voyager et pour communiquer. Les personnes et les idées venant de divers lieux se rencontrent. En même temps, cela favorise ce que Jacques Attali appelle le nomadisme1. Comment vivre en communauté dans ces conditions? Le fait d’être ensemble avec d’autres personnes ne crée pas un esprit communautaire et ne donne plus une vraie identité personnelle définie par l’appartenance à un groupe particulier. Paradoxalement, la rencontre avec des milliers d’individus peut être source d’isolement et affaiblit l’identité. A titre d’illustration, imaginons une foule de piétons en train de descendre une rue dans une grande ville. Que voit-on? Un grand nombre d’entre eux parlent, la tête penchée, leur téléphone à l’oreille, sans aucun contact avec ceux qui marchent à leur côté. On peut s’amuser en voyant les gestes faits pour convaincre un correspondant invisible. Ce comportement est significatif d’un manque d’esprit communautaire, puisque les personnes en train de téléphoner sont, par la pensée, dans un tout autre lieu. La rapidité des communications et de l’information permet à l’usager de se dégager des contraintes ordinaires: langues différentes, déplacement, territorialité, politique, etc. Le résultat en est une forme de nomadisme, qui permet de s’évader de la vie concrète et d’être sans identité.

Une des conséquences graves de la mondialisation est la perte du sens. Nous avons à notre disposition énormément de moyens de communication… mais pour dire quoi? Si vous êtes, par exemple, dans le train, qu’entendez-vous (par force!)? Le plus souvent, ce sont des banalités telles que, «Je suis dans le train», «Nous nous approchons de la gare», «Avez-vous reçu mon courriel?». Il arrive aussi qu’on assiste à des disputes. Comme des exhibitionnistes, les voyageurs élèvent la voix et font savoir à leur auditoire involontaire dans le wagon qu’ils ont raison, qu’ils ont été maltraités, etc. Il n’est, certes, pas question de nier l’utilité du portable dans bien des situations. Mais cet instrument est devenu comme une drogue pour beaucoup de personnes, notamment les jeunes. N’est-ce pas, en partie, parce que les gens se sentent seuls? Ils ne savent plus bien qui ils sont. C’est sans doute la raison pour laquelle des livres à succès traitent la question: La sagesse des modernes, Comment réussir sa vie?, Le jardin imparfait, etc.

En politique, la mondialisation a d’autres conséquences manifestes. Avec retard, sans doute sur la mondialisation économique, les structures de l’autorité se modifient petit à petit dans la même direction. L’Etat reste souverain et, généralement, depuis les traités de Westphalie en 1648, les pays appliquent les mêmes règles diplomatiques. Mais il est clair que cela est en train d’évoluer, en partie à cause de la mondialisation. Normalement, on se doit de respecter les alliances et de prendre les décisions dans le cadre des organismes supra-nationaux, tels que la Banque mondiale, l’ONU, etc. Mais, en pratique, c’est loin d’être toujours le cas. Il suffit d’observer les frictions énormes qui existent entre les pays d’accord pour la guerre en Irak et ceux qui ne le sont pas. Nous assistons peu à peu à la prééminence d’Interpol, qui intervient par-dessus les frontières pour favoriser ou non l’accession au pouvoir de telle ou telle personne. Comme l’a fait remarquer Zygmunt Bauman, la surveillance est passée des méthodes qui interdisent de quitter un certain espace (comme dans le cas extrême du «panoptikon» analysé par Michel Foucault) à des méthodes qui interdisent d’entrer2. Comme chacun le sait, l’immigration est un des problèmes les plus importants à résoudre pour les pays riches. Qui peut venir? Qui sera exclu? La mondialisation est donc loin d’être en place.

La mondialisation et la religion

Dans le domaine de la religion, la mondialisation a des implications significatives. Tout d’abord, il convient de noter le retour de la religion, non seulement sur la place publique, mais dans la conscience des observateurs. Il est impossible de regarder le monde actuel sans reconnaître la place importante qu’y occupent les religions.

Le concept moderne de «religion» est d’invention assez récente, avec souvent pour objectif de mettre en garde les sociétés libérales contre la menace d’un mélange trop étroit entre religion et politique. On cite, à l’appui, les cas multiples de conflits motivés, au moins en grande partie, par les convictions religieuses: l’Irlande du Nord, Al-Qaida, l’Inde et le Pakistan, Israël et la Palestine, etc. Cependant, il ne faut pas aller trop vite. Dans cette démarche, les religions traditionnelles, telles que l’islam, sont présentées comme cherchant à imposer leur conservatisme aux pays modernes. Cette interprétation des choses a une part de vérité. On pense à l’Ayatollah Khomeiny, par exemple, qui a effectué une révolution sur la base d’un islam intégriste, alors qu’il ne représente que l’exception qui confirme la règle.

Olivier Roy a montré qu’en fait, la plupart des acteurs de l’essor de l’islam des années 1970 et 1980 sont jeunes, universitaires, citadins3. Que ce soit la Fraternité Musulmane d’Egypte, la Refah en Turquie ou même, en grande partie, la révolution en Iran, les leaders sont des intellectuels, qui ont souvent fait leurs études en Occident. Il en est de même en Afghanistan et au Maroc. Les attentats de New York, de Madrid et de Londres sont moins inspirés par le Coran que par une idéologie anti-impérialiste liée à des théories économiques issues du marxisme. Autrement dit, l’islam conquérant est assez récent. Et il est mondial. D’autres religions peuvent combiner la modernité avec des éléments traditionnels comme, par exemple, le parti Bharathiya Janatha en Inde. Mais l’islam, plus que l’hindouisme, se veut religion universelle, toujours en réaction contre le colonialisme occidental.

S’il est exact que, dans un grand nombre de conflits sur la planète, le facteur religieux est présent, il n’en est pas moins vrai, pour la vision libérale ou «éclairée», que l’homme peut vivre, et même doit vivre, de telle manière que sa religion ne sorte pas de la sphère privée. L’homme «évolué» serait capable de se conduire sans être dépendant d’une doctrine ou d’un motif religieux. Or, il apparaît avec évidence, de nos jours, que la religion n’est pas simplement ce qui alimente le côté «spirituel» de la personne, mais qu’elle est l’élément qui affecte tous les aspects de sa vie. La religion protestante des Irlandais du Nord et le catholicisme des Irlandais du Sud se présentent davantage comme une réalité culturelle que comme un credo religieux. Il devient donc de plus en plus difficile de comprendre les événements du monde contemporain sans tenir compte du facteur, fortement significatif, de la religion dans son sens le plus large. Cela est particulièrement vrai dans le cadre de la mondialisation4.

La sécularisation elle-même peut revêtir un aspect religieux. Mais il est ici nécessaire d’apporter une nuance. La sécularisation a deux faces. Le côté positif est que la religion institutionnalisée – l’Eglise – ne peut plus exercer une emprise qui ne lui appartient pas sur les affaires de la cité. Selon une juste compréhension de la notion de laïcité – idée voisine de la sécularisation – aucune religion ne peut exercer sur la société une influence qui ne relève pas de sa compétence. Mais le danger de la sécularisation est de marginaliser la religion au point de lui faire perdre sa voix prophétique et son rayonnement. Cette sécularisation-là est comme une religion au bras inquisitorial. Comme le fait très justement remarquer Jean-Paul Willaime, le risque est grand de faire de la laïcité – qui a, certes, bien des qualités – une sorte de religion sans en avoir le nom. Il avertit contre la «laïcisation de la laïcité», ou athéisme de fait5. En revanche, il plaide pour «une laïcité capable d’intégrer positivement les apports sociaux, culturels et éthiques des religions dans des sociétés d’individus en quête de repères et de motivations.»6

En résumé, la mondialisation économique crée une grande interdépendance entre les pays et les personnes. Dans certains cas, cela suscite un enrichissement. Dans d’autres, un écart toujours grandissant s’établit entre riches et pauvres. Les moins privilégiés sont marginalisés et ne peuvent exercer aucun pouvoir. Ce double trait s’observe dans la grande ville et sa banlieue. La mondialisation sociologique crée un nomadisme et présente un bon et un mauvais côté. Les voyageurs modernes qui ont le goût de la découverte et de l’exploration découvrent des horizons nouveaux. En contrepartie, le risque d’une perte d’identité, du sens est grandissant. La mondialisation s’accompagne d’un retour de la religion dans son acception la plus large. La remise en question de la vision libérale, qui refusait de reconnaître la valeur propre de la religion, est sans doute une bonne chose. Mais, en même temps, le facteur religieux ajoute une force parfois redoutable à l’anti-impérialisme et risque de faire surgir une culture terroriste qui ajoute, à la technique moderne, l’«arme» des slogans intégristes.

La mondialisation selon la révélation biblique

Que dit l’Ecriture Sainte sur cette mondialisation? Nous découvrons qu’elle offre une vision qui célèbre la mondialisation dans plusieurs de ses aspects. Mais elle avertit aussi contre ce qui est «mondain». Voici, brièvement, quelques rappels. Notons, d’abord et surtout, que la Bible présente une historiographie offrant un double mouvement.

D’une part, un mouvement centrifuge, l’expansion de la race humaine, depuis la création de nos premier parents à l’image de Dieu jusqu’au peuplement de la terre et la soumission de celle-ci (Gn 1.26-30). Suite à l’interruption de la Chute, le mandat adressé aux hommes dès le commencement n’est pas abrogé. Par la grâce de Dieu, les hommes continuent à peupler la terre en la soumettant, étant vice-gérants devant le Seigneur (Gn 4.17-22; Ps 8.5-9). Même dispersés dans notre exil, rien n’est changé (Jr 29.4-7; 1P 1.1-2, 2.4-10). L’Evangile, loin de supprimer le «commandement culturel» de Genèse 1.26-30, contribue à son accomplissement. Car, en Christ, nous avons à faire de toutes les nations des disciples (Mt 28.19). Toute famille dans les cieux et sur la terre tirent leur nom du même Père et tout genoux fléchira, volontairement ou involontairement, devant lui (Ep 3.15; Ap 1.7).

D’autre part, l’historiographie biblique présente un mouvement centripète. Les fidèles de la race humaine, venant de toutes les extrémités de la terre, sont rassemblés devant leur Seigneur. Rappelons que tout commence dans un jardin, mais s’achève dans une ville. Oui, la ville, ce lieu qui est, aujourd’hui, au centre de la mondialisation, présente de bons et de mauvais côtés! Dans la Bible, la ville peut être «Babylone», mais elle peut être aussi le siège du grand roi rédempteur. Le Jardin d’Eden n’est pas simplement un jolie carré de fleurs. Car, dans le Proche-Orient ancien, le jardin est surtout le lieu de l’habitation du roi (Né 3.15; Jr 39.4; Ez 31.8-9). C’est pourquoi les nouveaux cieux et la nouvelle terre auront au centre la sainte ville de Jérusalem, sur la grande et haute montagne, avec son fleuve d’eau de la vie et l’arbre de vie avec ses douze récoltes et avec un fruit chaque mois (Ap 21.10; 22.2). Tous les peuples de la terre seront conduits vers le Dieu consolateur d’Israël, qui les mènera aux sources d’eau: «Je transformerai toutes mes montagnes en chemins, et mes routes seront rehaussées. Les voici, ils viennent de loin, les voici, les uns viennent du nord et de l’ouest, les autres du pays de Sinim…» (Es 49.11-12). Telle est la réalité «mondialiste» de la rédemption, centrée sur la ville où siège le Seigneur, et vers laquelle convergent des milliers de personnes de toutes races pour adorer.

C’est pour cette raison théologique, et pas seulement parce que cela est une bonne stratégie, que l’apôtre Paul s’est consacré aux villes pour annoncer l’Evangile et planter les Eglises. Voilà pourquoi il œuvre avec acharnement pour que réussisse la collecte à destination des chrétiens de Jérusalem, image de la cité céleste annoncée par les prophètes. Voilà aussi pourquoi la vie en Christ est comparée, par l’auteur de la lettre aux Hébreux, à une montée jusqu’à la Jérusalem céleste (12.22; cf. Ps 87). La ville est le lieu mondial par excellence. En nous y rendant, nous sommes des pèlerins, et non des étrangers ou des gens de passage. Nous sommes déjà concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu, construite comme un édifice où Dieu lui-même habite (Ep 2.19-22). Nous avons une identité et notre vie a un sens. Si nous sommes des nomades, nous ne sommes pas des sans-abri!

Cette vision biblique, à la fois centrifuge et centripète, est une vraie mondialisation réalisée par la puissance du Dieu Sauveur. Le Nouveau Testament insiste sur le rôle de l’Eglise dans ce temps où notre citoyenneté de la ville céleste est déjà une réalité, mais ne sera accomplie entièrement qu’à la venue du Christ. Car l’Eglise est une habitation, une maison spirituelle, dont nous sommes les pierres vivantes, construites sur la pierre d’angle, Jésus-Christ. Deux des premiers principes de l’Eglise sont l’égalité et la fraternité entre ses membres (Ga 3.28). Le Nouveau Testament n’abolit pas ce qui distingue les croyants les uns des autres, que ce soit leur fortune ou leur statut dans la cité. Mais il souligne avec insistance que nous avons tout en commun et que nous ne devons jamais laisser démuni un frère ou une sœur (Ac 4.32; Jc 1.27). Chacun devrait avoir accès à ce qui lui est nécessaire et lui convient.

Un sain équilibre

Il n’y a donc pas lieu d’enfermer l’Eglise comme dans un cocon. Le commandement missionnaire de Jésus (Mt 28.18-20) n’abolit pas le commandement «culturel» (Gn 1.26-30); il contribue à son accomplissement. Par conséquent, les chrétiens vivent dans la cité avec pour objectif de lui apporter la lumière du Christ (Mt 5.14-16; 1P 2.9). Ils doivent non seulement vivre en paix avec tous les hommes (Rm 12.18), mais œuvrer en accomplissant toutes les vocations légitimes (1Co 7.20-22, 10.31; Ap 21.24). Cela dit, l’Eglise doit figurer en première ligne dans le combat spirituel des enfants de Dieu.

Il ne faudrait pas penser, cependant, que tout ce qui caractérise la mondialisation est compatible avec la foi. Loin de là! En effet, Paul avertit contre la conformité au monde (Rm 12.2). La ville n’est pas seulement l’objectif du peuple de Dieu; elle est aussi un centre pour le vice. C’est dans une ville que les habitants du pays de Chinéar ont construit l’horrible tour de Babel, symbole par excellence de la puissance humaniste (Gn 11.4). Les prophéties les plus violentes sont très souvent formulées à l’encontre de villes corrompues. Que ce soit Sodome et Gomorrhe ou la «grande Babylone», le jugement contre leur corruption est net et bref: «Ainsi sera précipitée avec violence Babylone, la grande ville, et on ne la trouvera plus» (Ap 18.21; Jr 51.64). La ville peut être ce lieu de séduction où «remplie d’admiration, la terre entière suivit la bête» (Ap 13.4).

Conclusion: la mondialisation est une réalité à double tranchant. D’un côté, il y a l’unification du peuple de Dieu qui vient, de tous les coins du monde, pour adorer le Seigneur. De l’autre, il y a une conspiration à l’échelle planétaire pour corrompre les hommes. Notre tâche aujourd’hui est d’œuvrer pour le passage de la cité terrestre à la cité de Dieu. Notre tâche est de prêcher un Evangile clair, en mettant toujours en évidence la vérité et l’amour de Dieu, en évitant les outrances. Notre tâche est de lutter contre l’injustice qui sépare les riches des pauvres, les puissants des démunis. Notre tâche est de plaider pour que les gens sortent de Babylone la grande (Ap 18.4) et entrent dans la Jérusalem de Dieu, où l’on entendra «comme la voix d’une foule nombreuse, comme la voix de grandes eaux, et comme la voix de forts tonnerres, disant: Alléluia! Car le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, a établi son règne» (Ap 19.6).

* W. Edgar est professeur d’apologétique au Westminster Theological Seminary de Philadelphie (Etats-Unis) et professeur associé de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 Jacques Attali, L’homme nomade (Paris: Fayard, 2003).

2 Z. Bauman, Le coût humain de la mondialisation (Paris: Hachette, 2000).

3 Olivier Roy, L’islam mondialisé (Paris: Seuil, 2002).

4 Voir Scott M. Thomas, The Global Resurgence of Religion and the Transformation of International Relations (New York: Palgrave-Macmillan, 2005).

5 Jean-Paul Willaime, Europe et religions. Les enjeux du XXIesiècle (Paris: Fayard, 2004), 329.

6 Ibid., 345.

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