Faut-il «réinventer l’église» ? Réflexions autour du livre de B. McLaren


Faut-il «réinventer l’église» ?
Réflexions autour du livre de B. McLaren

Donald COBB*

Rares sont les livres récents circulant dans nos milieux évangéliques qui font autant parler d’eux que Réinventer l’Eglise de Brian McLaren!1Si pour les uns, activement engagés dans la société où ils vivent, il s’agit d’un écrit «qui les a enfin compris», nous aurions affaire, pour les autres, à un livre «dangereux» voire, à la limite, hérétique2. Difficile, dès lors, d’avoir suffisamment de recul pour en soupeser sereinement les mérites et les faiblesses!

La tâche est rendue d’autant plus difficile par le fait que McLaren mélange allégrement les genres. Comment apprécier à sa juste valeur un livre qui, tout en se situant sur un terrain essentiellement pratique (l’auteur est avant tout un pasteur), inscrit pourtant ses réflexions dans un cadre qui se veut philosophique, à savoir celui du «postmodernisme»? Et, qui plus est, s’articule en rapport, non avec nos situations et cultures européennes, mais avec celles, très spécifiques, des Etats-Unis! Cependant, vu l’ampleur du débat, une appréciation à la fois bienveillante et sans complaisance – c’est-à-dire responsable – est nécessaire: nécessaire pour reconnaître et prévenir des affirmations excessives ou potentiellement nuisibles aux Eglises. Mais nécessaire aussi pour pouvoir retenir ce qui serait susceptible d’aider ces dernières dans la situation à laquelle elles sont confrontées en ce début de XXIe siècle, dans un Occident devenu largement «postchrétien».

Nous ne voulons pas faire ici une critique théorique et philosophique approfondie de Réinventer l’Eglise. Notre propos est bien plus modeste: nous situant sur le plan de la pratique, nous poser la question de savoir quels sont les forces, faiblesses et éventuels dangers d’un livre qui se veut utile pour l’Eglise d’aujourd’hui3.

I. Le contexte du livre

Il semble opportun de faire un premier avertissement: dans sa version française, le livre de McLaren fait partie d’une collection particulière, intitulée évangile@notreculture.fr. Il vient ainsi rejoindre d’autres livres4qui, d’une certaine façon, sont autant de tentatives de s’interroger sur la façon de présenter l’Evangile et de vivre l’Eglise dans une situation inédite, car radicalement déchristianisée. La précision n’est pas sans importance. En effet, s’il s’agit de juger un livre par ses propres mérites, il convient également de tenir compte des motivations qui ont conduit les éditeurs à sa traduction et à sa publication. Prendre conscience de ce fait nous invite d’emblée à adopter une distance critique par rapport à l’ouvrage, à tenir compte de tout ce que ce dernier peut avoir de provisoire dans ses conclusions, mais aussi à nous laisser poser certaines questions au travers de sa lecture, questions qui peuvent nous conduire plus loin dans notre propre réflexion d’Eglise – quitte à y donner d’autres réponses que McLaren lui-même5.

Précisons également que Réinventer l’Eglise fait encore partie d’une «sous-section» de cette collection, intitulée Domaine étranger. Il s’agit donc bien d’une traduction à partir de l’américain, avec des rugosités et, parfois, des expressions un peu heurtées ou malencontreuses telles que l’on peut en rencontrer dans ce genre d’exercice6, mais aussi – et cela nous paraît plus important encore – un certain décalage culturel, qui fait que ce qui est dit ne correspond pas toujours à ce que nous pouvons connaître dans nos situations européennes. L’aveu de l’auteur que ce qu’il dit «n’est pas immédiatement transposable dans un autre milieu» est à la fois louable et réaliste7.

II. Eléments à retenir pour une Eglise «réinventée»

A) Repenser l’Eglise pour une situation inédite

De quoi s’agit-il dans ce livre? L’auteur commence par constater le décalage entre, d’un côté, l’Eglise actuelle, qui s’est laissé façonner dans beaucoup de domaines par le modernisme ambiant, et, de l’autre, l’époque à laquelle elle se trouve réellement, à savoir notre société non plus moderne, mais «postmoderne». La société a évolué, elle a quitté les rivages du modernisme et passe actuellement par de profondes mutations; alors que l’Eglise, elle, est restée «en rade» ou, en changeant légèrement de métaphore, «au bout du quai»!

McLaren se donne donc pour objectif d’imaginer à quoi pourrait ressembler une Eglise délestée de son héritage «moderniste», redéfinie par les besoins du monde actuel: une Eglise qui se trouverait «de l’autre côté»8, c’est-à-dire qui serait passée par les transformations nécessaires pour préserver la pertinence de son message dans ce monde nouveau. La perspective fondamentale du livre peut se résumer par une citation de F. Schaeffer, citation qui est d’autant plus percutante qu’elle a été formulée il y a plus de trente-cinq ans:

«L’Eglise d’aujourd’hui va passer à la moulinette et devrait donc se préparer, se mettre à parler de sujets d’actualité et abandonner les débats qui ont vingt ou trente ans. Si nous avons trouvé difficiles les quelques années qui viennent de s’écouler, qu’advien­dra-t-il quand nous serons confrontés aux réels changements qui arrivent?

»Demander à nos jeunes d’être conservateurs est une des plus grandes injusti­ces que nous leur infligeons. (…) Etre conservateur aujourd’hui, c’est se tromper sur toute la ligne parce qu’ainsi nous entretenons le statu quo et les choses en l’état ne nous appartiennent déjà plus.»9

En réponse à ce mot d’ordre, l’auteur propose douze «pistes» de réflexion (correspondant aux douze chapitres du livre) pour donner un visage plus concret à cette Eglise «réinventée» et l’aider à avancer dans la nouvelle situation.

B) Une Eglise qui sache s’adapter à la situation

Pour le principe déjà, on peut saluer l’effort de McLaren. Bien qu’il ne soit pas le seul à le faire, l’auteur a le mérite de souligner que, dans une société où l’on assiste – sur le plan de la spiritualité notamment – à des bouleversements qui vont plus en profondeur que tout ce que l’Occident a connu jusqu’ici10, l’Eglise ne peut simplement poursuivre son chemin comme si le contexte était le même qu’au XIXe ou même au XXe siècle. Elle doit se poser la question de l’adéquation entre sa mission et le contexte particulier où elle est appelée à l’accomplir.

C’est sans doute ici que la réflexion de l’auteur est la plus pertinente; en parlant de la nécessité de «changer radicalement» (la première «piste» du livre), McLaren met en avant l’idéal d’une Eglise qui serait prête à relativiser, voire à refonder sa forme et ses structures pour favoriser le message qu’elle véhicule et qui, lui, reste toujours prioritaire. A ce propos, l’image biblique des outres qui n’ont d’autre fonction que de contenir du vin, et qui ont besoin d’être remplacées de temps à autre, tombe juste11. Comme le dit McLaren, il importe d’être à tel point attaché au contenu – à l’Evangile – que nous ayons un regard toujours critique et quelque peu détaché sur le contenant. Certes, cela bousculera nos manières habituelles de regarder l’Eglise et ses structures apparemment immuables! Mais il importe de nous poser la question: nos façons de procéder favorisent-elles réellement l’annonce et la compréhension de l’Evangile ou en constituent-elles, au contraire, des entraves?

Les deuxième et troisième «pistes de réflexion» («redéfinir la mission» et «pratiquer la pensée systémique») vont dans le même sens et soulèvent des points tout aussi importants. Comme le dit très justement l’auteur, l’Eglise a, au cours des siècles, «tout fait et son contraire» (y compris entreprendre des croisades, combattre la recherche scientifique, ou encore la gober de façon irréfléchie). Pourtant, dans beaucoup de circonstances, il y a lieu de se demander si elle a vraiment pris au sérieux la mission qu’elle était censée remplir12. A partir de là, McLaren propose de passer l’ensemble de notre vie ecclésiale au crible de cette mission: nos activités en tant que chrétiens aident-elles réellement l’Eglise à avancer dans son appel? Ou nous y engageons-nous simplement par tradition ou encore parce que cela correspond à nos intérêts personnels? Si le critère est l’accomplisse­ment de la mission de l’Eglise, une évaluation sérieuse peut se faire, non en fonction du goût ou des tendances de chacun, mais compte tenu de la manière dont les différentes actions contribuent, ou non, à l’avancement de cette mission au sein du monde:

«Dans l’Eglise nouvelle, c’est la mission qui deviendra l’arbitre dans [les] conflits. Laquelle des deux approches nous aidera le mieux à accomplir notre mission? Ce point fera encore l’objet de débats, mais disposer d’une mission pour arbitrer représente un grand pas en avant.»13

L’Eglise se doit de concevoir ses activités en fonction de sa mission et non l’inverse. Cela confère à nos programmes d’Eglise un statut relatif et, par définition, transitoire, constamment modifiable. Par conséquent, poursuit McLaren, le meilleur atout que nous puissions posséder n’est pas – par exemple – notre désir d’imiter l’Eglise du Iersiècle, comme si une telle chose était possible ou même souhaitable. C’est bien plutôt une capacité à rester souples et à adapter nos manières de faire à la situation actuelle14.

C) Eglise et communauté, apologétique et authenticité

Parler d’une Eglise «réinventée», c’est encore, pour McLaren, mettre en avant l’aspect communautaire de la foi chrétienne. Il y a là un deuxième axe de réflexion salutaire, à savoir une remise en question de l’individualisme qui fait partie intégrante du monde moderne mais aussi, souvent, de nos piétés protestantes et évangéliques. McLaren souligne à juste titre que la foi chrétienne ne part pas de l’individu, mais de la création, et qu’elle embrasse de son regard «le groupe tout entier: famille, communauté, Eglise, écosystème, planète et univers»15. De la sorte, la rédemption ne vise pas simplement l’individu (ou une agglomération d’individus), mais la recréation, la transformation du cosmos entier.

Cela ne peut manquer d’avoir des conséquences sur notre ecclésiologie et, en particulier, notre manière de vivre en chrétiens. Le but de l’Eglise, dans cette perspective, n’est pas d’abord de former des chrétiens, individuellement, mais une communauté rachetée et transformée. Non pas qu’il y ait là une quelconque opposition intrinsèque; mais combien souvent constatons-nous dans nos Eglises une tendance à partir de l’individu, à concevoir notre prédication et nos activités d’Eglises essentiellement comme les moyens d’édifier le chrétien individuel dans savie de foi? Or, la mission de l’Eglise consiste, entre autres, à remettre en valeur «un idéal de communauté». En cela, elle correspondra à la perspective du Nouveau Testament, avec sa très forte, non pas tant insistance sur le salut de l’individu, que l’édification du royaume de Dieu16.

Est-il besoin de rappeler qu’une telle vie de communauté remplit déjà une fonction apologétique indéniable – fonction que préconise le Nouveau Testament lui-même: «Que tous soient un; comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.» (Jn 17.21)17

Il est à souligner qu’une des préoccupations de McLaren est en effet l’apologétique, la démonstration de la pertinence du message chrétien dans un monde qui ne voit plus d’emblée l’importance d’y prêter l’oreille. A ce titre, McLaren parle de la nécessité d’«élaborer une nouvelle apologétique» (la «sixième piste»). Qu’entend-il par là? Sans entrer dans les détails, on peut noter que, pour l’auteur, l’apologétique doit se concevoir moins comme une réaction contre les différentes pensées non chrétiennes ou antichrétiennes (une apologétique «en creux», si l’on veut) que comme une présentation cohérente, pertinente et, surtout, positive de la foi18. C’est également une apologétique qui respecte le mystère d’un Dieu qui est plus grand que les mots que nous employons pour le décrire, qui reste fixée sur l’essentiel au lieu de se braquer sur les combats secondaires et qui parle avec respect de ceux avec qui elle a des différends19.

Un point qui revient souvent à ce sujet – et c’est encore à saluer – est l’importance d’une présentation de l’Evangile qui mette en relief «non seulement la crédibilité, mais aussi l’authenticité»20, une présentation qui comprenne qu’une démonstration concrète et vécue de notre foi aura, sur quantité de nos contemporains, un impact tout aussi grand que les explications logiques et raisonnées de nos croyances21.

Mentionnons, enfin, l’insistance de McLaren (c’est sa septième «piste») sur l’importance pour l’Eglise d’apprendre une «nouvelle rhétorique», afin de présenter l’Evangile – que l’Apocalypse qualifie bien d’«éternel» (Ap 14.6) – avec pourtant des «mots» nouveaux que nos contemporains, de plus en plus éloignés d’une culture judéo-chrétienne, puissent entendre et comprendre. A ce sujet, un prolongement par rapport à nos situations européennes peut se faire sans difficulté: dans un Occident où des cathédrales millénaires se trouvent au milieu de quantité de nos grandes villes, renforçant l’impression que l’on sait ce qu’est l’Eglise, n’est-il pas vrai que la fraîcheur et la radicalité libératrice de l’Evangile ont bien du mal à se faire percevoir? N’est-ce pas vrai que l’intime interdépendance de l’Eglise et de la culture occidentale – ce que nous appelons couramment la  «chrétienté» – fait que le christianisme est souvent considéré comme un simple phénomène historique et sociologique et que l’on n’a donc plus besoin de prendre ses prétentions au sérieux? D’autre part, combien souvent, dans nos cultes ou même dans notre témoignage spontané, parlons-nous de façon à garantir que seuls les initiés pourront comprendre ce que nous disons (le fameux «patois de Canaan»)?22Il n’est peut-être pas exagéré de dire, avec McLaren, que c’est en grande partie dans l’effort constant de trouver de nouvelles façons de dire le même message et d’en montrer la pertinence pour notre société du XXIe siècle que se trouvera la santé de la future Eglise en Occident.

III. Lorsque «réinventer» signifie perdre

A beaucoup de niveaux, McLaren offre donc une réflexion vigoureuse, qui encourage à reposer la question de la vie de nos Eglises en termes de pertinence et de créativité. Cela reste vrai, d’ailleurs, même si l’on peut se demander si certains éléments de cette Eglise «réinventée» ne relèvent pas simplement du bon sens et ne s’appliquent pas tout autant à l’Eglise «de ce côté-ci» qu’à celle «de l’autre côté»!23Ayant dit cela, le lecteur averti butera contre plusieurs éléments contestables, pour ne pas dire troublants, et qui représentent bien plutôt une perte de clarté, voire de substance, qu’une avance. Il s’agit d’en rendre compte ici.

A) Des faits au service de la rhétorique?

La fougue de McLaren rend la lecture de Réinventer l’Eglise stimulante; il serait difficile de qualifier l’ouvrage d’ennuyeux, et malgré une traduction en français qui n’est pas toujours à la hauteur de la rhétorique, on sent bien la formation littéraire de l’auteur. Pourtant, les envols oratoires et affirmations percutantes sont souvent au prix de l’équilibre. Ainsi, bien que McLaren en appelle constamment à une appréciation nuancée, fair-play de la société postmoderne, ses propres affirmations – notamment au sujet de l’Eglise – recourent régulièrement à des descriptions massives, à l’emporte-pièce et à des caricatures faciles qui, tout en mettant en vedette certaines idées fortes, font l’impasse, finalement, d’une réflexion posée.

Il s’agit là d’une tendance qui traverse tout l’ouvrage de McLaren. Limitons-nous, à titre d’illustration, à un exemple touchant à la différence entre modernité et postmodernité pour ce qui est de la présentation de la vérité: «Dans le monde moderne, nous pouvions manier une proposition comme une épée, un concept comme un marteau.»24Face à une telle description quasi manichéenne, on est tenté de se demander si l’on parle du même modernisme et si ce qui est aujourd’hui inexcusable l’était vraiment au temps de la modernité! Certes, l’image est saisissante, mais la réalité ne s’en trouve-t-elle pas quelque peu malmenée?25

A côté de cette habitude de s’y prendre comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, McLaren laisse planer une certaine ambiguïté dans ses propos, de sorte qu’il est souvent difficile de savoir ce qu’il pense réellement, si l’on doit être d’accord ou non avec ses propos. Et c’est peut-être là l’aspect le plus troublant de ce livre : à savoir un certain flou qui plane sur l’ensemble de ses affirmations et idées. D’un côté, l’auteur souligne que le message de l’Eglise se doit, plus encore que par le passé26, d’être «logique, intelligent, plausible» et les preuves à l’appui solides; un peu plus loin, il parle d’un discours «clair et [cohérent]»27. Cependant, de l’autre, on est souvent amené à se demander ce qu’implique vraiment telle ou telle affirmation. De fait, dans bon nombre de passages, il est possible de prendre ce que dit McLaren dans un sens, mais aussi dans une direction tout à fait opposée. La démarche se veut peut-être «postmoderne», mais on peut craindre que cela n’aide pas l’Eglise à clarifier sa réflexion28.

Cette tendance à cultiver un flou sur le plan du contenu peut, par moments, susciter une frustration compréhensible chez le lecteur. Au chapitre 10, par exemple, McLaren souligne l’importance d’«anticiper», mais son conseil reste à tel point général qu’on n’est finalement pas très avancé. Certes, l’Eglise doit anticiper; mais que doit-elle anticiper? Comment le faire? Dans quels domaines? Faute de précision, l’auteur nous laisse avec un slogan accrocheur mais inconsistant, et qui risque de n’être, finalement, qu’une vérité «bateau».

B) Une analyse déficiente: modernisme et postmodernisme

Ce qui est frustrant dans certains domaines peut devenir réellement problématique dans d’autres. C’est notamment le cas ici. L’essentiel du livre de McLaren touche à la manière d’être Eglise en situation de «postmodernité» et à la nécessité de rompre avec son contraire, le modernisme. Or, sur toute la question du «postmodernisme» (on préfère généralement, en France, le terme d’«ultramoderni­té»), McLaren donne l’impression d’une assez grande naïveté. Sans doute y a-t-il là une part de différence culturelle entre l’Amérique, traditionnellement très conservatrice sur le plan des valeurs et de la religion, et l’Europe, où le phénomène de sécularisation est beaucoup plus avancé. Toujours est-il que, d’après l’auteur, la plupart des postmodernes croiraient réellement à la vérité, mais ils ne la veulent pas dans la version «dure» que les chrétiens ont l’habitude de leur servir29. De même, les «postmodernes», loin de banaliser la vérité, au contraire, l’estiment à tel point importante qu’ils refusent de prêter le terme à n’importe quelle affirmation30.

Ici encore, McLaren appuie ses assertions sur des caricatures percutantes mais qui, par moments, frôlent l’inconscience: «L’homme moderne réclame ‹des faits, rien que des faits› mais les postmodernes, eux, demandent bien davantage. Donnez-nous des valeurs, un but, du sens, une mission à accomplir, de la passion, de la sagesse, de la foi et de l’esprit.»31Or, face à de telles affirmations, il est difficile de ne pas se poser la question (sur laquelle il faudra d’ailleurs revenir): d’une part, McLaren présente-t-il un modernisme qui caractérise et mine réellement nos Eglises? Ou nous fait-il simplement miroiter un croque-mitaine évangélique qui lui permet de replacer le «postmodernisme» dans une lumière plus favorable? D’autre part, qu’en est-il vraiment de son analyse du postmodernisme? C’est un sentiment qui ne manque pas de bienveillance à l’égard de nos contemporains, mais je doute fort que cela rende réellement compte de la situation. Sans aller dans les détails sur ce point, contentons-nous de dire que l’analyse de McLaren se trouve régulièrement en porte-à-faux avec celle des sociologues du religieux32; à la lumière des travaux sérieux et documentés de ces derniers, les affirmations de McLaren paraissent bien optimistes, pour ne pas dire manquer de réalisme.

Cette analyse superficielle conduit McLaren à passer à côté des vrais enjeux. Pour lui, si l’apologétique chrétienne pose problème dans notre société actuelle, ce n’est pas parce qu’elle affirme la vérité, mais c’est à cause de sa prétention à connaître celle-ci de façon exhaustive: «Les personnes postmodernes ne rejettent pas l’idée d’une vérité absolue mais sa connaissance absolue.»33Là encore, des questions se posent, tout d’abord savoir si l’apologétique chrétienne a jamais affirmé détenir la connaissance exhaustive sur quoi que ce soit (même s’il est vrai qu’en tant que chrétiens, nous nous comportons parfois comme si nous la détenions)!34 Mais, plus profondément, le problème du postmodernisme ne touche pas à la connaissance absolue de la vérité, mais bien au statut de la vérité elle-même: celle-ci existe-t-elle réellement et, surtout, peut-elle avoir un caractère contraignant? C’est là que se situent le véritable enjeu et le vrai défi de l’apologétique chrétienne en situation d’ultramodernité. Aussi peut-on craindre que McLaren ne risque de «jeter le bébé avec l’eau du bain» lorsqu’il conclut: «Pour ma part, j’irai jusqu’à dire que le terme même de vérité absolue n’a plus son utilité.»35

C) Une vérité au nez de cire?

Cette dernière affirmation conduit à ce qui est certainement le point le plus contestable du livre, à savoir la place de la vérité dans la vie de l’Eglise, et la compréhension que nous pouvons en avoir.

McLaren souligne à plusieurs reprises qu’en tant que chrétiens, bien qu’étant de tendances différentes, «nous avons plus de choses en commun que nous le pensons»36. En d’autres termes, nos divisions d’Eglises portent souvent sur des questions finalement très secondaires. C’est vrai et cela mérite d’être dit. Cependant, quand il s’agit de faire une énumération de ces points secondaires, McLaren se limite à l’aspect formel – les programmes de catéchèse pour les enfants, la manière dont nous essayons d’atteindre les gens de l’extérieur et de faire croître l’Eglise, des systèmes de gestion des finances ou du bénévolat et ainsi de suite. Or, peut-on vraiment dire que nos divisions ecclésiales sont réellement motivées par ces différences-là? De même, lorsque McLaren passe des aspects formels au plan doctrinal, son conseil est de mettre en avant le «tronc commun» de ce qui nous unit plutôt que de mettre en exergue ce qui divise… mais, là encore, sans que ce tronc commun soit jamais identifié de façon explicite37. De la sorte, alors que sur ce point nous nous devons d’avoir une pensée limpide, McLaren nous laisse dans un flou plus ou moins total quant à la question du contenu qui peut effectivement unir.

Dans ce même ordre d’idées, McLaren préconise d’élargir notre approche de la spiritualité: par exemple, adopter à tour de rôle la spiritualité typique des quakers, celle des évangéliques, des moines bénédictins, mettre côte à côte (et, c’est l’implication, sur un pied d’égalité) l’étude de Calvin et de Thomas d’Aquin, et ainsi de suite38. Encore une fois, McLaren réagit à juste titre contre une certaine spiritualité évangélique trop exclusive et l’utilisation abusive des points secondaires pour diviser les Eglises. Mais on ressort de la lecture du livre avec l’impression que, finalement, toutes les spiritualités se valent, à condition d’être affublées d’une étiquette chrétienne, et que la meilleure spiritualité serait, en fait, celle qui parviendrait à les intégrer toutes. Une fois de plus, au-delà des questions de forme, celle du contenu – c’est-à-dire du rapport avec la vérité – reste entière.

Ce même problème revient avec acuité dans l’encouragement que McLaren lance au «libéraux» comme aux «conservateurs» à «apprendre les uns des autres», et «à devenir quelque chose de nouveau tous ensemble dans le monde nouveau»39. Dans l’absolu, l’idée n’est peut-être pas totalement dépourvue de mérite. Difficile de ne pas se demander, pourtant, dans quelle mesure la relativisation de nos doctrines spécifiques en tant qu’évangéliques, relativisation inhérente à une telle démarche, n’impliquerait pas l’abandon de certains éléments essentiels de l’Evangile. D’où la question: dans quelle mesure ces éléments sont-ils réellement importants pour McLaren et dans quelle mesure doivent-ils l’être pour nous?40

Au cœur de la démarche se trouve posée, une fois de plus, la question de notre capacité de connaître la vérité. Cela se voit clairement dans l’idée maîtresse de la cinquième «piste» («ressusciter la théologie au même titre que l’art et la science»): du fait que la théologie est une tentative humaine de rendre compte de la Parole de Dieu, elle a un caractère foncièrement relatif. La même idée revient ailleurs, lorsque McLaren dit: «Je crois que le christianisme est vrai, mais pas la version que j’en donne ni [celle] que vous en donnez d’ailleurs. (…) Je crois que Jésus est vrai, mais je ne crois pas que le christianisme soit vrai dans aucune des versions qu’on en donne.»41Clairement, la relativité frappe tout ce que nous disons en tant que chrétiens, aussi bien nos formulations théologiques que nos confessions d’Eglise et nos appréciations éthiques: Dieu est plus grand que nos mots et notre compréhension de Dieu et de sa Parole est toujours marquée par le péché (c’est précisément pour cela que l’Eglise n’a jamais réussi à formuler une confession de foi détaillée et exhaustive qui rallie l’ensemble de ses parties). Pourtant, cela implique-t-il que nous devions rester agnostiques quant à la véracité des points essentiels de la foi chrétienne ou du message d’ensemble de l’Ecriture? Si la réponse globale de l’Eglise durant ses vingt siècles d’existence a toujours été négative, il semblerait difficile, dans l’optique de McLaren, d’y répondre de la même façon42.

D) Contre quelle Eglise «moderne» McLaren réagit-il?

Quel est, finalement, le «front polémique», le vrai souci – déclaré ou implicite – du livre de McLaren? Manifestement, l’auteur réagit, parfois vertement, contre l’Eglise infectée par la «modernité». Mais de quelle Eglise s’agit-il au juste? Poser cette question n’est pas s’arrêter sur un point de détail supplémentaire. C’est au contraire trouver une clef permettant de comprendre quelque chose de fondamental au sujet de Réinventer l’Eglise. Deux phénomènes, assez spécifiques au mouvement évangélique américain, aident, en effet, à expliquer le positionnement de McLaren dans quantité de ses affirmations.

McLaren dit explicitement avoir grandi dans un milieu ecclésial particulièrement étroit, «fondamentaliste», selon l’expression consacrée43. Pour qui a pu connaître le paysage religieux des Etats-Unis dans les années 1970 et 1980 (c’est-à-dire durant la période de formation de l’auteur), il est possible de se faire une idée de ce dont il peut s’agir: des Eglises de tendance baptiste, indépendantes, dispensationalistes, très littéralistes dans leur interprétation de l’Ecriture (considérée comme la seule acceptable), et très à cheval sur certains «codes» ou règles bien délimités44. De telles Eglises se caractérisaient souvent par leur style de culte dépouillé, à la fois de toute liturgie développée (ce qui serait du «rituel») et de tout débordement «enthousiaste». Elles se reconnaissaient aussi à leur conception très tranchée – presque manichéenne – de la société, et à l’insistance de se couper du «monde» (tout en étant, paradoxalement, extrêmement patriotiques!). Dans une Amérique encore très pratiquante, les remarques désobligeantes et moralisatrices à l’égard des non-chrétiens – y compris du haut de la chaire – n’étaient pas rares. Il est évident que la description que nous venons de brosser ne s’applique pas intégralement à toutes les Eglises de ce style; il s’agit pourtant d’une réalité ecclésiale et sociologique qui a bel et bien existé et, dans une certaine mesure, existe encore45.

A cela, il faut ajouter un deuxième phénomène, à savoir les Mega churches – Eglises composées de plusieurs milliers de membres – comme celles de Saddleback (Rick Warren) ou de Willow Creek (Bill Hybels), grandement influencées par le «mouvement de la croissance d’Eglise» (church growth movement) que le missiologue Don A. McGavran a lancé dans les années 1950 et 1960. On peut encore remarquer à ce sujet que les années 1970 et 1980 ont vu, aux Etats-Unis, un foisonnement de stratégies et de méthodes s’inspirant de recherches démographiques et sociologiques, voire parfois psychologiques, pour provoquer la croissance des Eglises, et dont les résultats étaient régulièrement tenus pour «assurés».

Notons, enfin, qu’il y a eu aux Etats-Unis une évolution chez beaucoup de chrétiens et communautés appartenant à la mouvance évangélique de type fondamentaliste-isolationniste vers les «méga-Eglises», une ouverture progressive à la culture américaine de consommation et aux stratégies de vente46.

Or, dans ce double contexte, on comprend mieux la réaction de McLaren, d’une part, contre une prédication et une spiritualité étriquées, simplistes, souvent dénuées de «mystère» (et donc influencées, à ce niveau précis, par la modernité) et, d’autre part, à l’égard d’une version elle aussi «moderne» de l’Eglise, s’appuyant pour sa réussite sur des statistiques ou démarches technologiques et non, de façon radicale, sur la puissance de l’Evangile. De fait, dans quantité de ses affirmations, ce contre quoi McLaren réagit n’est pas tant le «modernisme», au sens philosophique du terme, qu’une tendance étroite et isolationniste, ou encore une vision d’Eglise éblouie par les statistiques et les techniques de succès. Mais c’est dire que la vision d’Eglise avancée par McLaren se situe en fait tout autant par rapport à ce milieu précis que vis-à-vis de l’ultra-modernité.

Il en découle deux conclusions capitales. Premièrement, l’analyse de McLaren ne colle pas toujours avec l’Eglise européenne et la situation où celle-ci se trouve. Mais, deuxièmement, les solutions proposées cherchent souvent – sans, d’ailleurs, que cela soit toujours dit de façon explicite – à redresser certains excès «fondamentalistes». Elles ne sont donc pas nécessairement pertinentes face aux conditions précises dictées par l’ultramodernité; dans certains cas, elles peuvent même représenter un acquiescement face à celle-ci. En d’autres termes, le «rêve» d’une «Eglise réinventée» chez McLaren n’est pas seulement celui d’une Eglise équipée pour la mission dans l’ultramodernité; c’est, tout autant, celui d’une Eglise qui aura rompu avec certaines tendances gênantes du milieu d’origine de l’auteur, quitte à embrasser, pour cela, des présupposés et conclusions de l’ultramodernité elle-même. Ce constat est capital, car il implique qu’à recevoir telles quelles certaines attitudes prônées par McLaren, l’Eglise se trouverait, non pas mieux positionnée pour proclamer et vivre l’Evangile en situation d’ultramodernité, mais au contraire affaiblie dans la substance même de son message.

Conclusion: faut-il réinventer l’Eglise?

Le livre de McLaren échappe, finalement, à une analyse tranchée. D’un côté, il foisonne d’intuitions, de remarques perspicaces et laisse percevoir un authentique désir de voir l’Eglise accomplir sa mission dans un monde en mutation. Mais, de l’autre, la vision d’une Eglise qui se trouverait «de l’autre côté» de cette transformation de modernité en «modernité-post» est viciée, voire par endroit minée de l’intérieur, par des éléments qui risquent de porter atteinte au contenu de l’Evangile que cette Eglise sera appelée à y proclamer.

Faut-il donc, eu égard à cette dernière remarque, rejeter Réinventer l’Eglise de façon unilatérale? C’est l’impression que pourrait donner la dernière partie de notre présentation. On peut, effectivement, s’inquiéter des portes que l’auteur ouvre à un affadissement de la vérité biblique, comme aussi de l’évolution de McLaren sur un certain nombre de questions depuis la parution du livre. Une mise en garde vigoureuse s’impose très clairement ici.

En même temps, Réinventer l’Eglisea peut-être quelque chose qu’ont peu de livres de ce genre (du moins en langue française) et qui mérite que l’on y réfléchisse, à savoir un appel à regarder longuement en face l’Eglise dont nous faisons partie – à nous regarder en face – et à nous demander, avec lucidité, si notre façon de dire et de vivre l’Evangile auquel nous croyons contribue réellement à ce que la pertinence et la puissance de ce dernier soient perçues de nos contemporains… ou si, par des habitudes ecclésiales qui se sont agglutinées autour du message, l’Evangile ne passe pas pour étriqué, déphasé ou désuet. Cet appel de McLaren est d’ailleurs d’autant plus à prendre à cœur qu’il n’est assorti d’aucun pessimisme inhérent, aucune trace de fatum devant la réalité d’une Eglise en Occident qui se trouve, de fait, en situation de «postchrétienté». Il y là, peut-être, quelque chose de la foi… plus précisément de la foi en Christ qui a donné sa promesse: «Je bâtirai mon Eglise, et les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle.» (Mt 16.18)

Finalement, c’est peut-être avant tout en cela que réside la plus grande valeur de Réinventer l’Eglise: non pas dans des propositions auxquelles chacun pourra adhérer sans réserve, mais dans les interrogations qu’il exprime, les «pistes» globalement balisées et le défi lancé de reprendre la réflexion dans nos situations, de la prolonger et de l’approfondir pour le bien de l’Eglise. Non pas, certes, pour que nous cherchions à «réinventer» quelque chose dont la construction relève, en définitive, d’un Autre. Mais pour être sûrs que nos efforts fassent ressortir, et n’occultent pas, l’ouvrage de l’Architecte et «Concepteur» principal. Si le livre de McLaren nous aide à poser plus clairement, plus lucidement, la question du témoignage, au sein de l’ultramodernité, de cette Eglise-là, il nous aura rendu un service important, combien même nous ne pourrions pas toujours le suivre dans les réponses qu’il propose.

* D. Cobb est professeur de Nouveau Testament et de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 B. McLaren, Réinventer l’Eglise. Communiquer l’Evangile dans un monde postmoderne (Valence: Ligue pour la Lecture de la Bible, 2006), 206 pages.

2 Nous pensons, d’une part, aux témoignages spontanés de plusieurs laïcs qui se sont exprimés lors de la journée débat organisée par la Ligue pour la Lecture de la Bible, en septembre 2006, autour du livre de McLaren et, d’autre part, aux avertissements pressants et répétés des responsables de Vigisectes.

3 Le présent article est la refonte partielle d’une conférence donnée lors de la journée mentionnée ci-dessus, en réponse à une demande précise: «Relever les aspects de la pensée de l’auteur qui vous paraissent positifs, intéressants, ambigus, voire dangereux, de soulever les interrogations et les défis que vous a inspirés la lecture de cet ouvrage.» Cette demande explique l’objectif très ciblé de notre article. Il va de soi que si nous avions dû faire une critique de l’ensemble des livres de McLaren (dont Réinventer l’Eglise est le seul à avoir été traduit en français) notre démarche s’en serait trouvée quelque peu modifiée.

4 Mentionnons, en particulier, D. Brown, Une Eglise pour aujourd’hui. Expressions nouvelles sur un fondement immuable(Marne-la-Vallée: Farel, 2001), idem, Passerelles. Entre l’Evangile et nos contemporains (Marne-la-Vallée: Farel, 2003), J. Hanley, Une Eglise rayonnante. Le témoignage de la grâce (Marne-la-Vallée: Farel, 2003), et M. Moynagh, L’Eglise autrement. Les voies du changement (Paris: Empreinte Temps Présent, 2003).

5 C’est explicitement la démarche préconisée par S. Lauzet dans sa préface: «Ce livre ouvre des perspectives nouvelles. (…) Bien sûr, tout n’est pas transposable mais pourquoi ne pas oser explorer telle ou telle piste? (…) S’il est vrai que ‹c’est du choc des idées que jaillit la lumière›, alors de telles discussions ne peuvent être que productives.» Réinventer l’Eglise, 10. C’est d’ailleurs cette même démarche que recommande l’auteur lui-même; ibid., 18 s.

6 Regrettons quand même que la traduction n’ait pas été davantage soignée. Si, dans l’ensemble, la lecture n’en souffre pas trop, on rencontre pourtant trop fréquemment des anglicismes, des contresens, voire des incorrections sur le plan grammatical, ce qui donne au livre une allure finalement assez «amateur».

7 Ibid., 8.

8 C’est le titre de l’ouvrage en anglais: The Church on the Other Side («L’Eglise de l’autre côté»).

9 Cité in ibid., 18s.

10 Cf., par exemple, F. Lenoir, Les métamorphoses de Dieu. La nouvelle spiritualité occidentale (Paris: Plon, 2003), 214ss et passim.

11 Réinventer l’Eglise, 25s et 45ss. McLaren reprend en fait ici les réflexions de H. Snyder, qui propose l’analogie entre structures ecclésiales et outres à vin dans ses livres The Problem of Wineskins. Church Structure in a Technological Age (Downers Grove: InterVarsity, 1975 [2e éd. révisée, 1996]) et The Community of the King (Downers Grove: InterVarsity, 1977 [2e éd. révisée, 2004]).

12 Réinventer l’Eglise, 30.

13 Ibid., 45. Cf. encore, à la page 44: «Le programme de l’Eglise (sic)est la somme des actions entreprises pour que l’Eglise réalise sa mission.»

14 Ibid., 25s.

15 Ibid., 37.

16 «L’Eglise est par nature une communauté en mission, une communauté qui existe dans, par et pour la mission. Mais la communauté n’est pas simplement utilitaire, un outil pour la mission. Non, la mission elle-même conduit à la création d’une communauté authentique dans l’Esprit de Jésus-Christ. C’est le Royaume de Dieu.» Ibid., 38. Notons par ailleurs que la centralité du royaume de Dieu pour la mission de l’Eglise revient à plusieurs reprises dans le livre de McLaren.

17 Cf. à ce sujet E. Clowney, L’Eglise(Cléon d’Andran: Excelsis, 2000),10s.

18 Réinventer l’Eglise, 77ss.

19 Ibid., 81s.

20 Ibid., 83.

21 La citation qui suit est typique des affirmations de McLaren sur le sujet: «Dans l’Eglise réinventée, les mots ne feront pas tout. Notre message sera celui de toute une vie, paroles et actions. On ne pourra plus espérer parler de la foi sans exprimer l’amour par des actes, sinon personne ne voudra écouter. Là encore, l’intégrité sera de mise par le biais d’une rhétorique qui englobe le dire et le faire.» Ibid., 90s.

22 Ce même point est développé dans l’excellent article de T. Keller «Evangelistic Worship», dont on trouvera de larges extraits dans le livre de D. Brown, Une Eglise pour aujourd’hui, 112ss.

23 Touchant à l’eschatologie, par exemple, McLaren encourage à repenser notre doctrine, voire à inventer «une nouvelle eschatologie»; ibid., 130ss. Cependant, d’après ce qu’il en dit, cette nouvelle eschatologie semble plus ou moins conforme à celle que l’on trouve déjà dans la théologie de la Réforme. On peut se demander si, dans beaucoup de cas, l’étiquette «nouveau» ne risque pas, sous la plume de l’auteur, soit de tomber dans la présomption, soit de se réduire à un slogan à effet «choc», semblable aux techniques publicitaires utilisées dans la vente commerciale.

24 Réinventer l’Eglise, 157.

25 Un autre exemple, là encore assez typique, se trouve à la page 152, où McLaren pose la question: «Quel type de voisin préférez-vous? Un évangéliste fâché, enclin à porter des jugements, ou un postmoderne tolérant?» Faut-il vraiment choisir entre les deux?

26 Ibid., 71.

27 Ibid., 83 et 91.

28 Ce qu’il dit au sujet de la tradition fournit une bonne illustration de cette ambiguïté. A la «piste» quatre («échanger les traditions contre la tradition»), McLaren encourage le lecteur à rejeter la tentation de ne voir l’authentique tradition de l’Eglise qu’en rapport avec son propre milieu et à embrasser (de façon finalement assez hétéroclite) les «traditions» de l’ensemble de l’Eglise universelle, deux fois millénaire. Or, il est clair que chaque milieu d’Eglise contient une richesse souvent contestée par les autres: la beauté de la liturgie dans le catholicisme romain, l’enracinement historique des Eglises protestantes (régulièrement balayé d’un revers de main par les Eglises dites «évangéliques»), ou la spontanéité des communautés «charismatiques», souvent méprisée par les Eglises traditionnelles… qui en manquent parfois totalement! Prise en ce sens, l’exhortation à s’approprier l’héritage de toute l’Eglise constitue un bon antidote aux tendances isolationnistes de beaucoup de nos Eglises. En même temps, lorsque l’auteur affirme que, dans la tradition chrétienne (noter le singulier), «(…) il est question de doctrines, d’histoire, de figures emblématiques, de codes moraux, sans parler du patrimoine artistique (…)» (ibid., 57, nous soulignons), un doute s’insinue: y a-t-il une différence entre l’appropriation éclectique que l’on peut faire de cette «tradition» (mais d’après quels critères?) et le pluralisme doctrinal que l’on voit dans la plupart des Eglises dites libérales?

29 Ibid., 144.

30 Ibid., 145.

31 Ibid., 171 (c’est nous qui soulignons). Cf.encore à la page 144: «(…) j’ai pu constater que la plupart des postmodernes sont plus nuancés à ce propos qu’ils n’en ont l’air quand ils sont piqués au vif par des chrétiens qui manquent de finesse et leur reprochent d’avoir abandonné toute idée d’absolu. En réalité, tout ce qu’ils veulent, c’est un peu plus de douceur et de paix.» (Nous soulignons.)

32 Nous pensons ici aux différentes analyses de F. Lenoir, D. Hervieu-Léger, F. Champion et J.-P. Willaime.

33 Réinventer l’Eglise, 145.

34 La confusion que font McLaren et d’autres auteurs du mouvement dit de l’«Eglise émergente» entre connaissance véritable (quoique partielle) et connaissance exhaustive est traitée en profondeur par D.A. Carson dans son livre Becoming Conversant with the Emerging Church. Understanding a Movement and its Implications (Grand Rapids: Zondervan, 2005), 87ss et passim.

35 Réinventer l’Eglise, 145 (souligné dans le texte).

36 Ibid., 53.

37 Ibid., 58.

38 Ibid., 61.

39 Ibid., 164.

40 Il en est de même d’une opposition potentiellement problématique entre le «dogmatisme moderne» et la centralité du Christ. Lorsque, à la page 147, McLaren affirme que «le dogmatisme insiste sur des points particuliers, la foi ne connaît que Christ», on ne peut s’empêcher de se demander: peut-on vraiment dissocier la foi en Christ des questions, difficiles mais nécessaires, du caractère perdu de l’homme et du destin final de celui-ci? Certes, l’attachement au Christ est bien plus important que nos spécificités dénominationnelles en matière d’ecclésiologie ou d’eschatologie, pour ne mentionner que ces deux; nous avons à nous repentir de certaines divisions où des points d’interprétation sont devenus des armes pour donner le bâton à nos frères ennemis (en Christ!). Mais McLaren entend-il par là que, à condition d’être attaché au Christ, les questions de la déchéance de l’homme, d’une séparation éternelle d’avec Dieu ou de la manière précise dont l’œuvre de la croix nous sauve sont sans importance réelle? Une réponse claire n’est pas donnée dans le livre (cf. p. 148!). D’ailleurs, l’évolution de McLaren sur ces questions depuis la parution du livre en 2000 n’est pas particulièrement rassurante. Cf. à ce sujet, D.A. Carson, Becoming Conversant with the Emerging Church, 166 ss.

41 Réinventer l’Eglise, 151.

42 Il en est, d’ailleurs, de la vérité éthique comme de la vérité doctrinale: par moments, McLaren donne l’impression que l’Eglise ne devrait pas «se crisper» sur les questions d’homosexualité, d’avortement, entre autres, mais s’occuper des interrogations qui touchent la société actuelle (surpopulation, tribalisme ethnique, notamment), et qui seraient pour lui les «vraies» questions; ibid., 127.

43 Cf., entre autres, ibid., 56. Voir encore, du même auteur, A Generous Orthodoxy (El Cajon, CA-Grand Rapids: EmergentYS-Zondervan, 2004), 35s.

44 Par exemple: ne pas boire d’alcool, ne pas fumer, ne pas porter les cheveux longs (pour les garçons) ou courts (pour les filles), ne pas porter de pantalon (encore pour les filles). La liste – dont on retrouve plusieurs éléments dans le livre de McLaren – pourrait facilement s’allonger.

45 On trouve bien évidemment de tels milieux d’Eglise en Europe aussi, mais ils n’ont ni tout à fait le même caractère ni, surtout, la même force numérique qu’aux Etats-Unis.

46 Cf. P. Wells, «Le rôle de l’Ecriture dans l’identité protestante. Relativisme et biblicisme », La Revue réformée 57:4 (2006), 27-32.

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