sexualité : thérapie chrétienne et reconstruction

sexualité : thérapie chrétienne et reconstruction

Jonathan HANLEY*

I. Les caractéristiques d’une thérapie chrétienne de la sexualité

Qui dit « thérapie » dit « soin d’un mal »: malheur, maladie ou mal-être. Nul besoin d’être grand scientifique pour comprendre à quel point la sexualité est un terrain de malheur, de maladie et de mal-être dans notre monde. Comme la sexualité appartient à l’ordre de la création, et non pas de la chute, elle peut aussi être source de bonheur et d’épanouissement lorsqu’elle est vécue selon les principes de son concepteur divin. Cet écart entre le concept selon Dieu et la réalité trop souvent brisée de la sexualité humaine a, de tout temps, interpellé les chrétiens que nous sommes. Nous considérons que chaque manifestation du mal, y compris dans le domaine de la sexualité, est une atteinte à la volonté de Dieu. A ce titre, le mal appelle une réaction de notre part: une repentance ou un enseignement s’il s’agit de péché, une résistance s’il s’agit de tentation, un soin s’il s’agit d’une affection. Il est donc normal que le chrétien s’inspire de sa foi pour réfléchir à la sexualité, non pas seulement en l’évoquant comme une théorie désincarnée, mais aussi en l’abordant sous l’aspect de l’expérience réelle: vécue, désirée ou regrettée, source de bonheur ou cause de mal-être.

Cette réalité de la sexualité, dans ses dimensions négatives, provoque des maladies ou affections physiques et psychiques qui doivent être soignées. Elle peut aussi causer des lésions gravissimes du cœur et des relations. Ces lésions, pour commencer à guérir, ont besoin d’un langage qui est profondément enraciné dans la Bible, même s’il n’est pas exclusivement biblique: transgression et pardon, repentance et réconciliation, respect, don de soi, engagement, fidélité. Ce vocabulaire résonne fortement avec la foi du chrétien et le conduira souvent, dans l’éventualité d’une thérapie de la sexualité, à envisager une thérapie chrétienne, c’est-à-dire qui prenne en compte sa foi en Christ d’une manière spécifique.

A) En quoi une thérapie de la sexualité pourrait-elle être spécifiquement chrétienne?

Pourquoi une thérapie chrétienne de la sexualité et pas une thérapie chrétienne des muscles et des articulations? Je propose deux éléments de réponse à cette question.

­- Premièrement, la sexualité est indéniablement relationnelle. La façon dont je me remets d’une luxation de l’épaule ne l’est pas. Or, le relationnel débouche tôt ou tard sur une moralité du bien et du mal. Nous savons que le relationnel peut être dévié, malmené, malade, brisé. Il est donc sujet à reconstruction en fonction d’une moralité du bien et du mal que le chrétien fonde sur sa foi, sur sa relation avec Dieu.

– Deuxièmement, une sexualité saine se construit sur des principes établis par Dieu et révélés dans la Bible. Une thérapie pour le chrétien posera donc ces principes divins comme base d’une reconstruction de la sexualité. Ces principes nous sont présentés dans la Bible comme des aspects de l’image divine que nous portons, pas des « caprices » de Dieu. Quand la Parole de Dieu ordonne l’engagement à vie entre partenaires sexuels, comme Christ l’enseigne en Matthieu 19, c’est parce que cette relation est une illustration de l’amour que Dieu nous porte: à vie, engagé, indéfectible et inconditionnel. En Ephésiens 5, Paul nous engage à aimer notre conjoint comme Christ a aimé l’Eglise. Cette approche entraîne des notions d’obéissance, de péché ou de transgression, notamment dans la reconstruction d’une sexualité brisée, qui nous permettent d’envisager une thérapie de la sexualité qui serait spécifiquement chrétienne.

Dès que nous parlons de thérapie, nous parlons de deux intervenants: le soignant et le soigné. Pour qu’une thérapie soit chrétienne, faut-il que les deux, thérapeute et patient, le soient aussi? Je connais des sexologues chrétiens qui soignent avec succès des patients qui ne le sont pas. Leur modèle de la sexualité est fondé sur leur conception spirituelle du monde, mais les paramètres avec lesquels ils soignent leurs malades intègrent les principes des sciences médicales et humaines qui sont les références de leurs collègues non chrétiens. De même, pour certains problèmes de la sexualité, comme une addiction à la pornographie par exemple, des chrétiens peuvent faire appel avec bonheur à des thérapeutes sans foi chrétienne, qui savent respecter les fondements spirituels de leurs patients (comme devrait le faire tout bon thérapeute).

De telles approches thérapeutiques pourraient être appelées chrétiennes, mais tant que la foi n’est pas explicitement intégrée dans la démarche thérapeutique, il manquera une dimension spirituelle au chrétien concerné. Ainsi, je préfère me limiter ici à la situation plus proche des préoccupations d’une Faculté de théologie: celle d’un chrétien – pasteur, thérapeute, conseiller en relation d’aide ou responsable spirituel – qui cherche à aider un autre chrétien. Sauf exception, mes propos sont donc à prendre dans ce cadre.

B) L’opportunité d’une thérapie de la sexualité pour le chrétien

L’opportunité d’une thérapie de la sexualité pour le chrétien est fondée sur deux considérations distinctes:

– Les problèmes de la sexualité dans le couple.

– Le brisement sexuel, qui concerne un dysfonctionnement de l’orientation sexuelle, de la relation à l’altérité sexuelle (homosexualité, bisexualité, transsexualisme, haine du sexe opposé, addiction à divers comportements sexuels, conséquences du viol, etc.).

Ces deux considérations ne sont pas sans lien, mais seront abordées sur des plans très différents. La première concerne l’épanouissement sexuel de l’individu, qui n’est ni un dû, ni fondamental au bonheur humain, contrairement à ce que le discours de la société contemporaine laisse entendre. La deuxième considération concerne la façon dont la personne vit en relation à l’autre, à tous les autres. Pas seulement son (ou ses) partenaire(s) sexuel(s). Cette dimension du rapport à la sexualité touche une multitude de domaines de la vie quotidienne comme l’équilibre psychologique, le témoignage du chrétien ou l’image de Dieu en nous.

Dans certaines circonstances, des chrétiens voudront faire appel à de l’aide professionnelle pour des troubles de la sexualité dans le couple. Les causes de ces problèmes peuvent être médicales, psychologiques ou spirituelles, et le professionnel approprié sera sollicité. Le plaisir sexuel est un élément, inventé par Dieu, qui renforce le couple, même s’il n’en est ni le fondement, ni la raison d’être. Pas plus que la conjugalité elle-même n’est le fondement ou la raison d’être de l’existence humaine, d’ailleurs.

Mais la pastorale de la sexualité, particulièrement dans sa dimension thérapeutique, est fréquemment confrontée à des situations où l’enjeu est bien plus vaste que l’épanouissement sexuel du couple, et touche à l’identité même de la personne et à son rapport à la sexualité en général. Le terme de « brisement » sexuel est approprié, car il rend compte des dégâts relationnels dans la vie des chrétiens concernés, y compris dans leurs relations à Dieu. Ils sont brisés dans leur perception du « sens divin de la sexualité », pour emprunter une expression du docteur Paul Tournier dans Bible et médecine. La question est douloureuse dans nos Eglises. Il s’agit de nos frères et sœurs d’orientation homosexuelle, des enfants dans nos écoles du dimanche qui subissent les attouchements sexuels de leur beau-père ou d’un autre membre de leur entourage, de chrétiennes qui haïssent les hommes et de chrétiens qui méprisent les femmes. Je parle des hommes et des femmes dans nos cultes pour qui chaque mention de Dieu le Père rappelle une absence, ou pire, un supplice. Les pasteurs, comme tous ceux et celles qui jouent un rôle de soignant spirituel dans la vie d’autrui, savent que le discours théorique est vide de sens s’il ne débouche pas sur une pratique compassionnelle dans ce domaine. Le terme de « reconstruction » prend ici toute sa signification.

C) Le rôle du pasteur et le rôle du thérapeute

Les rôles respectifs du pasteur et du thérapeute ne sont pas toujours délimités dans l’esprit des praticiens concernés, encore moins dans l’esprit des personnes suivies. De nombreuses personnes attendent du prêtre ou du pasteur un apport qui relève plutôt de la thérapie.

Je ne suis pas sûr qu’il faille entièrement délimiter les rôles dans ce domaine. Dans le film Jésus de Montréal, du Québécois Denys Arcand, un prêtre parle des fidèles qui viennent à la messe uniquement pour entendre que le Fils de Dieu les aime et les attend. Il continue en disant: « Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas les moyens de se payer une analyse lacanienne. Alors ils viennent ici se faire dire: Allez en paix! » Cette phrase touche du doigt une réalité incontournable de nos Eglises: de nombreuses personnes viennent à Jésus dans leur malheur, sans vraiment savoir de quoi elles ont besoin. Selon les circonstances, il serait cruel de la part d’un pasteur de renvoyer un paroissien vers un professionnel de la relation d’aide, comme il serait maladroit de la part d’un thérapeute chrétien de refuser d’entendre les aspirations spirituelles d’un patient.

En évoquant l’échange entre les apports de la théologie pastorale et les apports de la psychologie, je ne suggère pas que les pasteurs devraient forcément pratiquer la psychothérapie. Même lorsqu’un pasteur est en mesure de jouer le rôle du conseiller en relation d’aide, ce double rôle me semble contre-indiqué dans de nombreuses situations.

Plusieurs autres facteurs entravent, me semble-t-il, l’efficacité à long terme d’une thérapie de ce genre dans le cadre d’une même Eglise. Le principal est évident: dans le cas d’une issue négative à la démarche thérapeutique, c’est-à-dire un échec (ce qui n’est pas rare), le patient se retrouve du même coup privé de son soutien spirituel, car il aura du mal à maintenir une relation bénéfique avec le pasteur qui, à ses yeux, est associé à l’échec de sa thérapie.

Les soignants de la médecine ont depuis longtemps compris les avantages d’une équipe composée d’intervenants complémentaires dans la démarche de soin. Dans de nombreuses villes, on trouve un « réseau ville-hôpital » qui comprend l’équipe hospitalière, le médecin généraliste, les pharmacies, les services sociaux et, souvent, une cellule de soutien psychologique. Cette complémentarité est bénéfique au patient, mais également aux divers intervenants, car leurs compétences sont harmonisées, mieux ciblées, et donc plus efficaces. Nos Eglises auraient tout à gagner d’une approche semblable dans la prise en charge spirituelle et émotionnelle des membres nécessiteux d’une thérapie chrétienne.

II. Les objectifs d’une thérapie chrétienne de la sexualité

Avant qu’un réel travail de reconstruction puisse être réalisé, il faut savoir à quoi va ressembler l’ouvrage final! Pour les chrétiens qui s’engagent dans cette démarche, l’écart est souvent grand entre, d’une part, la réalité de départ et, d’autre part, leur vision souvent idéalisée de l’objectif à atteindre. L’un des buts de toute thérapie est d’aider le patient à ajuster ses attentes à ce qui est réalisable. De plus, les espoirs de nombreuses personnes en matière de sexualité sont souvent de pures projections façonnées par les pressions parentales ou sociétales, les mythes proposés par les médias et quelque interprétation, plus ou moins fondée sur la Bible, du couple et de la famille.

A) Que cherchons-nous à reconstruire?

Si nous acceptons que la sexualité appartient à l’ordre de la création, nous devrions pouvoir dégager un modèle idéal de la sexualité, tel que conçu dans le plan de Dieu pour l’être humain.

Je suis conscient des implications théologiques de cette affirmation. La mention d’un lien direct entre un ordre créationnel et le comportement individuel au XXIe siècle ouvre un débat qui ne peut être abordé dans le contexte présent. Elle introduit des considérations relatives à une « loi naturelle », à la révélation divine et à l’œuvre de Christ qui impliquent certains présupposés controversés, notamment celui d’un ordre créationnel qui fonde une éthique sexuelle chrétienne pertinente à l’être humain de tous les temps. Je base ma réflexion sur ces présupposés, parce qu’ils proposent un modèle qui, pour autant qu’il identifie le mal et le péché, en propose également une thérapie, une issue vers la reconstruction.

J’ai trouvé une description appréciable de cette approche dans Bible et médecine, de Paul Tournier:

« En face de l’amour sexuel, nous voyons donc les hommes adopter l’une des quatre attitudes principales que voici: celle de la « bagatellisation », qui n’y voit qu’un simple réflexe physiologique (…), celle de la divination, qui, par une surestimation, dévalorise nécessairement tout ce qui est spécifiquement humain dans l’homme (…), celle du mépris, qui y voit une fonction dégradante. Or ces trois premières attitudes présentent une étonnante parenté puisqu’elles tiennent toutes trois à cette non-fusion entre l’amour charnel et l’amour spirituel (…). La quatrième attitude, celle que nous présente la Bible, est précisément celle de la fusion entre l’amour spirituel et l’amour charnel, celle du sens divin de la sexualité, et elle est la grande réponse, je peux dire la grande médication, de tous les troubles psycho-sexuels de nos malades. A ceux qui bagatellisent le rapport sexuel, elle révèle sa vraie grandeur qu’ils méconnaissent; elle libère ceux qui le divinisent de l’esclavage où il les tenait; elle réconcilie enfin avec lui ceux qui le méprisent et leur rend la jouissance que Dieu lui-même y a attachée. »1

Cette citation qualifie de « médication » l’attitude présentée par la Bible à l’égard de la sexualité. Même si Tournier fait référence à l’acte sexuel, cette approche peut s’étendre au rapport à la sexualité en général.

Concrètement, cette démarche commence par le fondement d’une anthropologie en accord avec la vérité suivante: l’être humain tire son identité et sa valeur de l’empreinte divine qu’il porte. Cette identité s’affirme à l’exclusion de tout autre système de valorisation de l’humain, comme par exemple la rentabilité économique, le potentiel financier ou le pouvoir de séduction. Dans le domaine de la sexualité, les médias nous assènent un système d’évaluation d’autrui fondé sur son aspect physique et sa disponibilité sexuelle apparente, ce que l’on appelle parfois son charme.

Cette forme de valorisation est dommageable pour tous: ceux et celles qui ne correspondent pas au critère de séduction, mais également les personnes qui, détenant ce pouvoir de séduction, ne se voient plus qu’au travers du regard concupiscent de leur entourage. Je connais une femme qui, à plusieurs reprises pendant son enfance, s’est entendu dire par sa mère qu’elle ne lui était d’aucune valeur, car elle n’était même pas « mangeable », comme le serait éventuellement un animal. Cette remarque était symptomatique de toute leur relation, où l’affection n’avait aucune place. A l’adolescence, cette femme s’est découvert un corps capable de séduire. Comme elle n’avait jamais été valorisée par ailleurs, elle n’avait aucun repère pour se construire une sexualité fondée sur autre chose que le désir des hommes. Quinze ans plus tard, après un temps passé à vivre dans la rue, plusieurs hospitalisations et un long suivi psychiatrique, elle a découvert que Dieu l’aime telle qu’elle est. Cette compréhension a motivé sa conversion à Christ, mais elle demeure presque incapable d’accepter que Dieu et les chrétiens de son entourage l’apprécient et la valorisent sans qu’elle « serve à quelque chose ».

Une vision juste de soi-même et des autres permet de commencer la reconstruction. En matière de sexualité, ce réajustement, s’il est intégré par le patient, apporte déjà une partie de la solution. Par exemple, le besoin psychotique de séduire, qui est un dysfonctionnement de la sexualité masculine autant que féminine, trouve une amorce de réponse dans cette compréhension. Le Saint-Esprit enracine parfois de manière miraculeuse cette assurance de l’amour et de l’acceptation de Dieu dans le cœur de ceux qui se donnent à lui, mais généralement, le chrétien doit cheminer progressivement.

Le résultat final d’une reconstruction de la sexualité ne sera pas un état, mais un chemin de vie qui peut être très différent selon les individus. Certaines personnes n’aiment pas cette idée. Notre société prône une façon de vivre et de travailler qui fixe des objectifs, des paramètres d’évaluation et exige des rapports de rendement. Bien qu’une telle approche comporte de nombreux éléments très positifs, elle favorise une normalisation des processus et s’accommode mal d’une spiritualité du cheminement. La vision biblique de la spiritualité comporte des processus de transformation qui n’aboutiront pas tous ici-bas, des constatations d’incomplétude avec lesquelles nous devons composer, et un enracinement du bonheur dans la relation à Dieu et la générosité. Aucun de ces éléments n’obéit aux principes de l’économie de marché. Ils nous semblent donc étrangers ou inhabituels. Lorsque le bonheur leur fait défaut, la plupart de nos contemporains supposent qu’avec un changement de circonstances financières, affectives ou sociales, tout irait mieux. Les espoirs d’une rentrée d’argent, d’un emploi plus épanouissant ou d’un conjoint plus jeune sont parmi les moteurs principaux qui font tourner la société de consommation. Cette machine fonctionne grâce à un principe très simple: nous avons droit au plaisir. Pourquoi? Parce que « je le vaux bien », et que « la vie, la vraie », c’est cela. Ce principe est souvent masqué par une cosmétique du langage avec des expressions comme « s’épanouir », ou « se réaliser », ou « trouver son équilibre ». Nous remarquons souvent ce vocabulaire dans les attentes spirituelles des hommes et des femmes qui fréquentent nos Eglises, peut-être même dans notre propre cœur. Dans ce contexte, il peut être très difficile pour un thérapeute chrétien de faire accepter au patient que la démarche thérapeutique ne conduira pas forcément à la satisfaction des désirs.

Le bonheur, selon la Bible, se trouve quand le fidèle se tourne avec confiance vers Dieu. D’autres éléments comme l’argent, un conjoint, la longévité et le plaisir des sens sont des faveurs accordées par Dieu qui sont constitutives du bonheur, mais qui n’en sont ni les garants ni des conditions nécessaires.

L’objectif d’une thérapie chrétienne de la sexualité sera donc constitué en priorité par une relation harmonieuse avec Dieu, suivie de relations saines avec les autres, dans un esprit de grâce et non de droit, qui peut comprendre un épanouissement dans la sexualité, mais qui peut également susciter un épanouissement dans la chasteté, dans le célibat, même dans la maladie ou dans la privation.

B) La question de l’orientation sexuelle: homosexualité, hétérosexualité, bisexualité, transsexualisme, etc.

La question d’une thérapie chrétienne de la sexualité pour la personne homosexuelle se pose tôt ou tard dans presque toutes les Eglises. Les objectifs d’une telle thérapie sont moins évidents qu’il n’y paraît.

L’homosexualité se présente sous différentes formes, déterminées probablement par les causes de l’orientation homosexuelle, et certainement par le parcours de vie de la personne concernée. Plusieurs facteurs interviennent dans le projet de reconstruction du chrétien homosexuel:

– Son expérience de l’homosexualité: a-t-il vécu dans les milieux gays? Dès l’adolescence? Seulement après avoir fondé une famille?

– Sa vision spirituelle de la sexualité: a-t-il ou a-t-elle toujours vu la pratique homosexuelle comme un péché, ou cette compréhension est-elle tardive?

– Son rapport au plaisir, à la famille.

– L’éventualité d’abus sexuels dans l’enfance.

Concrètement, la reconstruction d’un homme homosexuel de 40 ans, qui a été violé par son père dans son enfance, sera abordée de manière très différente de la reconstruction d’un jeune chrétien qui est attiré par les hommes, mais qui n’a jamais vécu d’expérience homosexuelle.

De plus, l’homosexualité peut être considérée en termes d’une échelle que le sexologue Alfred Kinsey a située entre 0 et 6, de l’hétérosexualité exclusive à l’homosexualité exclusive. Cette notion, que la différence « homo/hétéro » serait une différence de degré et non une différence de nature, est très importante pour celui ou celle qui désire changer et quitter la pratique de l’homosexualité. Une personne bisexuelle aura généralement moins de mal à vivre sans relations homosexuelles que celui ou celle qui ne ressent aucune attirance pour le sexe opposé.

Pour beaucoup de responsables chrétiens, l’objectif premier de la démarche spirituelle d’un homosexuel qui se convertit à Christ est évident: l’hétérosexualité. Pourtant, le contraire de l’homosexualité, ce n’est pas l’hétérosexualité, mais la sanctification, comme pour tout chrétien. Les étapes élémentaires du cheminement chrétien pour un homosexuel sont les mêmes que pour un hétérosexuel. De plus, Jésus indique en Matthieu 19.12 que la qualité spirituelle d’une personne ne dépend pas de sa qualité sexuelle. De même que tout chrétien célibataire hétérosexuel est appelé à vivre chastement, ainsi tout chrétien célibataire homosexuel est appelé à vivre chastement. Une fois cette base posée, il me semble que la priorité ne sera pas forcément une thérapie de la sexualité. D’autres éléments de piété, de croissance spirituelle, etc., prendront la priorité dans la formation spirituelle du nouveau chrétien homosexuel. Il ou elle a besoin de découvrir les fondements de la foi, qui sont les mêmes pour tous.

Certains éléments liés à l’homosexualité peuvent provoquer l’urgence d’une thérapie de la sexualité. Par exemple, la dépendance sexuelle me semble proportionnellement plus fréquente chez les hommes homosexuels que chez leurs homologues hétérosexuels. Sans aborder les causes de cette différence, il est clair que cette éventualité fera de la sexualité une question prioritaire dans la vie de la personne concernée.

Les pasteurs, les thérapeutes et les accompagnants chrétiens de nos Eglises doivent veiller à ne pas se focaliser sur le besoin de changement chez le chrétien homosexuel, en raison de leurs propres sentiments de crainte ou de dégoût. On me pose souvent la question des conséquences pour l’Eglise (le groupe de jeunes) d’accueillir un homosexuel. D’abord, les homosexuels sont déjà dans nos Eglises. Il n’est pas question de réfléchir ou non à la possibilité de les accueillir. Ils sont déjà là, bien ou mal accueillis. Je communique avec plusieurs chrétiens, dont certains occupent des postes à responsabilité, qui sont eux-mêmes en lutte avec leur orientation homosexuelle ou qui souffrent de l’homosexualité d’un de leurs proches. J’ai récemment dirigé les obsèques d’un ami mort du sida qui avait été enseignant d’école du dimanche dans son Eglise évangélique locale et dont la bisexualité fut révélée par sa maladie. De plus, la présence d’homosexuels sur les bancs des Eglises ne causera jamais plus de dégâts dans le corps de Christ que l’orgueil, l’égoïsme et la colère n’en causent déjà.

Nous devons faire attention à la tentation de normaliser nos paroissiens. Les responsables tirent un sentiment de sécurité de l’idée que leurs paroissiens rentrent dans le moule. Nous projetons parfois sur eux nos modèles idéalisés (mariés, trois enfants!) qui sont souvent des manifestations de nos propres fantasmes sécuritaires plutôt que des objectifs spirituels pour la sexualité.

Dans ce domaine, la finalité variera beaucoup d’un individu à l’autre. Pour certains, une issue positive de la thérapie comprendra le mariage et des enfants, d’autres seront heureux de trouver les ressources en Dieu pour vivre un célibat chaste et épanoui. Cette question se pose évidemment avec une acuité particulière pour les transsexuels qui ont été opérés. Dans leur situation, une thérapie de la sexualité ne sera jamais qu’un sparadrap sur une plaie béante. Toutefois, la grâce de Dieu est efficace pour eux aussi. Mon épouse et moi avons côtoyé quatre personnes transsexuelles pendant ces dernières années, ensemble ou individuellement. Actuellement, je communique régulièrement avec une femme qui a subi une opération pour tenter de devenir un homme. L’opération a échoué en raison d’une infection nosocomiale. Cette personne s’est convertie et fréquente assidûment une Assemblée de Dieu dans une autre région de France. Nous nous retrouvons parfois dans un centre chrétien pour parler et prier ensemble pendant un jour ou deux. Sans sexualité claire, elle a choisi de retourner à son identité féminine, dans la mesure du possible. Mais il n’existe évidemment aucune thérapie chrétienne de sa sexualité qui puisse reconstruire ce qui a été détruit en elle. Dans ces circonstances, l’objectif d’une approche thérapeutique ne peut que se limiter à un accompagnement de sa croissance spirituelle au fur et à mesure qu’elle se découvre fille du Roi des rois.

Toute thérapie chrétienne de la sexualité pour des personnes dans ce genre de situation devra nécessairement avoir l’humilité de ne pas pouvoir apporter de réponse complète et définitive, dans l’attente du retour de Christ et de la résurrection.

III. Les différentes approches chrétiennes d’une thérapie de la sexualité

L’expérience prouve qu’il existe une multitude de cheminements vers l’épanouissement du chrétien, notamment dans le domaine de la sexualité. Tenir compte des particularités de chaque chrétien est une condition d’un accompagnement thérapeutique efficace.

A) Les mérites respectifs des différentes approches

Sans entrer dans le débat des mérites respectifs des différentes écoles de psychologie, il est possible de dégager quelques « tendances » de la thérapie chrétienne de la sexualité. A un extrême, tout problème psychique du chrétien est ramené à une question de comportement et de choix moral qui doit trouver réponse dans un verset de la Bible. J’ai un manuel de relation d’aide qui fonctionne selon cette optique – un fabuleux outil de référence pour trouver des textes bibliques en lien avec la personne humaine, mais quelque peu insuffisant pour les complexités de la vraie vie. A l’autre extrême, tout problème psychique ou physique du chrétien est décrit comme le résultat d’une possession démoniaque. Entre ces deux extrêmes, toutes les approches et solutions se côtoient ou se bousculent avec plus ou moins de bonheur. Certains praticiens ne jurent que par la psychanalyse, d’autres suivent fidèlement les préceptes du comportementalisme. En réalité, sans dire que tous les systèmes se valent – je n’ai ni la formation ni l’expérience pour me prononcer à ce propos -, diverses approches semblent convenir à différentes personnes.

Parmi les situations de thérapie chrétienne de la sexualité, j’ai connu des chrétiens qui ont trouvé la clé d’une conjugalité hétérosexuelle épanouie dans un retour sur les causes d’un problème de la sexualité pendant l’enfance. J’en connais d’autres qui ont tout essayé avant de vivre une délivrance miraculeuse dans une réunion de prière. Dans le domaine de l’homosexualité, certains parviennent à aimer quelqu’un du sexe opposé après un long travail de relation d’aide. D’autres décident tout simplement de ne jamais céder à leurs pulsions et se tiennent à cette résolution dans la chasteté du célibat. D’autres encore, s’étant lancés dans une longue quête ardue pour trouver la guérison, découvrent au bout du chemin la célèbre phrase: « Ma grâce te suffit. »2

Les objectifs d’une thérapie chrétienne de la sexualité peuvent aussi varier en fonction de l’individu. J’ai connu deux hommes homosexuels aux parcours relativement similaires. L’un d’eux pleurait à l’idée de ne jamais pouvoir aimer une femme et avoir des enfants – il avait besoin de cet objectif pour garder le cap dans sa lutte contre son orientation. L’autre considérait le mariage comme une obligation de résultat à laquelle il était tenu par son entourage chrétien. Cette idée lui était insupportable, et je me souviens encore de son visage illuminé lorsque je lui fis la remarque que, puisque Jésus n’avait pas intégré le mariage et la sexualité dans son propre parcours d’être humain parfait, il n’avait donc pas à se conformer aux attentes matrimoniales de ses proches pour vivre une vie chrétienne épanouie.

On me pose souvent la question des moyens pratiques pour qu’un chrétien trouve de l’aide dans ses efforts de reconstruction de sa sexualité. Quelques livres de témoignages et de réflexion ont été publiés, mais ceux qui abordent la question spécifique de la reconstruction avec un fondement biblique se comptent sur les doigts d’une main. Le programme « Torrents de vie » propose, dans certaines villes, un programme d’une trentaine de sessions en groupe clos pour aider les personnes concernées à cheminer vers la reconstruction. Leur approche thérapeutique et spirituelle semble efficace pour certains chrétiens. D’autres n’y trouvent pas leur compte. Leur approche a le mérite considérable de proposer un programme systématique du problème.

En définitive, les chrétiens qui sont parvenus à cheminer vers la reconstruction de leur sexualité l’ont fait par divers chemins. Toutefois, leur base est toujours la même: la décision de cheminer vers Dieu selon ses principes, et non pas en fonction de leur propre « réalisation » ou « épanouissement ».

B) L’influence du milieu ecclésial

L’attitude chrétienne envers les objectifs d’une restauration de la sexualité sera fortement influencée par le milieu ecclésial. Certaines formes d’Eglise conviennent mieux que d’autres au cheminement d’une personne brisée vers la reconstruction.

Nous devons faire attention à ne pas trop vite jeter la pierre aux autres Eglises, dans l’idée que la nôtre a trouvé la réponse. Très concrètement, j’aime la façon dont l’Eglise évangélique libre à laquelle j’appartiens n’hésite pas à intégrer une approche psychologique de développement spirituel du chrétien. Par contre, si vous souffrez de solitude et que vous vous ennuyez le soir, vous ne trouverez presque rien dans le calendrier de l’Eglise pour satisfaire ce besoin. Un homosexuel, qui, par exemple, avait l’habitude avant sa conversion de sortir dans des boîtes gays plusieurs fois par semaine aura beaucoup de mal à intégrer la vie de notre communauté, qu’il jugera ennuyeuse. En revanche, je connais une personne transsexuelle alcoolique et souffrant de solitude qui semble avoir trouvé une réelle solution dans le rythme effréné des réunions de son assemblée pentecôtiste locale.

Pour certaines Eglises, la vie avec Dieu doit conduire à l’épanouissement visible et à la guérison pour légitimer la foi. Le chrétien qui ne manifeste pas les signes attendus de bénédiction divine court le risque d’être pointé du doigt ou marginalisé, voire exclu.

Dans d’autres, les attentes de changement dans la vie spirituelle de l’individu sont presque inexistantes. La personne malade dans sa sexualité y découvrira peut-être une spiritualité du cheminement, mais devra se satisfaire d’un réconfort superficiel au jour le jour ou, plus souvent, à la semaine la semaine. Elle ne se verra jamais proposer une perspective d’évolution, une vision à long terme de la transformation.

Certaines Eglises considèrent la foi elle-même comme une pratique thérapeutique suffisante, soit parce qu’elles se méfient de tout apport psychologique extérieur à la Bible ou à l’autorité pastorale, soit parce qu’elles fonctionnent avec le présupposé humaniste selon lequel la foi n’a d’autre finalité que l’épanouissement du fidèle.

Une approche ecclésiale exigeante, mais équilibrée et compassionnelle, est nécessaire dans ce domaine, sans oublier que tout ne dépend pas de l’Eglise locale. Dieu est le vrai reconstructeur de ses enfants. L’être humain découvre, parfois avec étonnement, qu’il s’épanouit alors seulement qu’il intègre la place et le rôle que Dieu lui destine.


* J. Hanley a exercé le ministère de pasteur avant de devenir l’un des responsables d’une association chrétienne d’accompagnement des personnes touchées par le sida, Signe de Vie-Sida, affiliée à l’Alliance évangélique française et à la Fédération évangélique de France.

1P. Tournier, Bible et médecine (Neuchâtel: Delachaux & Niestlé, 1951), 64-65.

2 2 Co 19.9.

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