La vocation chrétienne de la sexualité
Michel JOHNER*
Du point de vue du christianisme, la vocation de la sexualité n’est pas une question qui pourrait être traitée ou réfléchie de façon isolée. Elle est une modalité particulière d’une réalité plus large et englobante, qui est, de façon générale, la relation de l’homme et de la femme, du masculin et du féminin, et les promesses qui s’attachent à leur rencontre. La sexualité ne se conçoit pas en dehors de ce cadre directeur.
Tout homme a une personnalité qui est sexuée, il vit dans un monde composé d’hommes et de femmes. Même s’il est célibataire ou moine (ou simplement chaste en matière de sexualité), il vit en relation objective avec le sexe opposé, il vit une dépendance de l’autre, ne serait-ce que par la mère et le père qui lui ont donné la vie. Tout homme vit cette existence sexuée (comme aussi la ressemblance de Dieu qui s’incarne en elle), même s’il ne vit pas de relations sexuelles au sens étroit du terme.
I. Incomplétude et interdépendance des sexes
Il y a différenciation des sexes et interdépendance. Mais quelle est l’importance de cette différenciation dans la constitution de l’identité humaine? Sans vouloir répéter tout ce qui a été dit dans la conférence précédente, l’enseignement biblique sur cette question pourrait se résumer en deux propositions principales.
– La première notion est l’idée d’une incomplétude: l’idée que la plénitude adamique (l’intégralité de ce que l’humanité représente aux yeux de Dieu) n’appartient à aucun individu en particulier, ou plutôt, ne peut lui appartenir qu’en union, qu’en conjonction avec l’individu du sexe opposé.
Il est assez courant, sur cette question, de mettre en parallèle l’enseignement de la Genèse avec celui du mythe platonicien de l’androgyne: cet être primitif, hermaphrodite, qui aurait été sectionné en deux parties distinctes, lesquelles, dans leur existence présente, ne cesseraient de se chercher mutuellement, dans la nostalgie de l’hermaphrodisme primitif.
Le mythe de l’androgyne et l’enseignement biblique ont de gros points de différences (cf. ci-dessous), mais ont en commun d’exprimer l’idée qu’un individu ne représente pas la totalité de la réalité qui s’exprime dans l’humanité. L’humanité existe sous deux modalités différentes et exclusives: le fait d’être homme exclut d’être femme et vice versa, une détermination sexuelle qui fait participer l’individu à l’humanité, tout en étant incapable de la contenir en elle seule. Cette détermination sexuelle imprègne la personnalité entière, et pas seulement le mode de fonctionnement de ses organes génitaux. Intelligence, sensibilité, affectivité, esthétique, etc. sont autant de traits dans lesquels se manifestent la masculinité et la féminité.
- D’où l’importance d’une seconde notion, qui s’emboîte sur la précédente: l’idée d’une interdépendance de l’homme et de la femme, qui ont besoin l’un de l’autre, non seulement pour vivre et se reproduire1, mais également, plus profondément, pour découvrir leurs identités respectives, pour découvrir le sens de leur masculinité ou féminité, pour vivre leur humanité tout simplement2.
Et ceci, chose remarquable, jusque dans leur existence corporelle! J’ai toujours été frappé, à ce propos, par la parole de Paul, en 1 Corinthiens 7.3-4, disant : « Que le mari rende à sa femme ce qu’il lui doit, et de même la femme à son mari. La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari, et pareillement le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme! » Il y a ici dépendance réciproque de l’homme et de la femme (et pas uniquement dépendance de la femme à l’égard de l’homme, ce qui est tout à fait remarquable et progressiste par rapport aux idées de l’époque3), une dépendance réciproque qui s’étend jusque dans la découverte de leur corps, avec tout ce que celui-ci peut représenter. Comme si, corporellement, l’homme et la femme ne se découvraient que l’un par l’autre, dépendaient, en quelque sorte, du regard de l’autre, du désir de l’autre, pour se découvrir et s’épanouir dans leur spécificité (la sexualité n’est-elle pas « le désir du désir de l’autre », selon la formule célèbre de Lacan?). Qu’est-ce qui donne sens à notre propre corps? Qu’est-ce qui lui permet d’être lui-même? C’est l’autre! Du point de vue de la foi, l’individu n’a pas sur lui-même ce pouvoir ou cette « autorité ».
Ainsi, la sexualité est sans doute une des manifestations les plus concrètes de l’incomplétude dans laquelle l’individu peut se trouver, de ce besoin de rencontrer l’autre qui est inscrit en lui, besoin de s’unir à l’autre pour pouvoir devenir lui-même, pour être révélé à lui-même. C’est là un des traits de son incarnation.
Une autre parole significative, à cet égard, c’est 1 Corinthiens 11.7-12. Ici, l’apôtre parle tout d’abord de la dépendance de la femme par rapport à l’homme: « L’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais la femme à cause de l’homme », mais il ajoute aussitôt, au verset 11: « Toutefois, dans le Seigneur, la femme n’est pas sans l’homme, ni l’homme sans la femme. Car, de même que la femme a été tirée de l’homme, de même, l’homme naît par la femme, et tout vient de Dieu. » Si la femme dépend de l’homme, l’homme est, à son tour, dépendant de la femme. Sans la femme, il ne serait pas venu au monde, il n’aurait pas accédé à l’existence.
Au travers de sa mère (ou de son père, si c’est une femme), c’est Dieu lui-même qu’il est appelé à respecter (cf. Ep 6.1-9). Ses parents sont la « métaphore de l’Origine », comme disent aujourd’hui les psychanalystes4. Les honorer est aussi une expression du respect de Dieu (cf. Dt 5.16 et Ex 20.12).
II. Sexualité et incarnation
La sexualité, en anthropologie biblique, entretient encore d’autres relations avec la théologie de l’incarnation. Notamment sous deux aspects particuliers: la sexualité est l’incarnation de l’unité du couple, elle manifeste aussi l’incarnation de l’amour conjugal.
1. La sexualité comme incarnation de l’unité du couple
Quelle est la vocation première de la sexualité conjugale? Comme l’a souligné la tradition protestante, la finalité première de la sexualité conjugale n’est pas la procréation d’enfants, mais l’unité, ou plutôt l’unification du couple lui-même. C’est de donner à son unité une forme d’incarnation, qui va la consommer et la nourrir au fil du temps5.
Selon le texte fondateur de la Genèse (2.24): « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » La « chair unique » apparaît ici comme la consommation, l’achèvement de l’union du couple. Il n’y a pas, dans ce texte fondateur, de référence à la fécondité. Cela ne veut pas dire que le lien entre la sexualité conjugale et la procréation doive être rompu (ce lien joue un rôle important dans l’éthique chrétienne de la contraception), mais que la finalité procréatrice doit être considérée comme seconde par rapport à une finalité première, qui se situe, elle, sur l’axe conjugal.
2. La sexualité comme incarnation de l’amour conjugal
L’amour conjugal, don de Dieu (Mt 19.6), n’est pas une réalité abstraite ou désincarnée. La communication de l’amour conjugal passe aussi par le corps, par les sens. La sexualité donne à la relation conjugale une forme d’incarnation.
Et cette incarnation de l’amour conjugal fait elle-même écho, en théologie biblique, à la notion générale de corporalité. Quel est, en effet, dans une perspective chrétienne, le sens de notre corporalité? Quelle relation la personne humaine entretient-elle avec son corps?
Il n’est pas dit, dans la tradition biblique, que l’homme « a » ou « possède » une chair, comme si la personne humaine trouvait dans sa chair une enveloppe, un emballage provisoire, accidentel ou temporaire. Comme si l’homme pouvait être pensé indépendamment de sa chair. Mais il est dit que l’homme « est » chair6.
Dans cette optique, la corporalité n’est pas, pour l’individu, une donnée accessoire ou accidentelle. Elle est, au contraire, la forme constante et permanente de son existence d’homme. Mon corps n’est pas « quelque chose » que « j’ »utilise, ou que « j’ »habite, car « je suis » corps. Je ne peux pas me distinguer ou m’abstraire de lui. Je n’existe pas en dehors de lui. Je ne peux pas même me penser en dehors de lui. Le corps ne se laisse pas réduire au rang d’objet. Le corps est une réalité qui appartient à la fois à l’ordre de l’objet et à l’ordre du sujet7.
Les Grecs considéraient que l’âme humaine était enfermée dans son enveloppe corporelle comme dans une prison, dont la mort viendrait la libérer. Mais la tradition biblique y oppose que la personne humaine n’a jamais eu d’existence, et n’aura jamais d’existence autrement que corporelle. Pour elle, même l’espérance eschatologique, l’espérance de la résurrection, reste l’espérance d’une résurrection corporelle8.
Or, un des domaines dans lesquels l’homme et la femme font l’expérience de cet enracinement corporel est celui de leur amour mutuel. Cet amour, par nature, débouche sur un geste, sur une relation sensuelle qui se traduit par une communion physique. La sexualité est la traduction naturelle de cet amour. Il y a peu de domaines, me semble-t-il, dans lesquels l’homme expérimente de façon aussi évidente la correspondance de sa personne et de son corps. A tel point qu’une déclaration d’amour qui ne serait pas aussi l’amour du corps de l’autre ne serait pas perçue comme crédible. On ne peut pas prétendre aimer quelqu’un et haïr son corps. Parce que l’autre n’existe pas indépendamment de son corps. Celui ou celle que j’aimerais en dehors de lui est un personnage imaginaire, qui n’existerait nulle part, sinon dans mon imagination.
III. L’origine de la différenciation des sexes: non accidentelle, mais essentielle
Ayant dit, en première partie, ce qui peut être considéré être comme un point commun entre les messages du mythe de l’androgyne et celui de la Genèse (l’idée d’une incomplétude et d’une complémentarité entre le masculin et le féminin), il est aussi important de souligner, en seconde partie, les différences qui distinguent les traditions biblique et platonicienne. Ces différences sont essentiellement de deux ordres: 1) différence quant à l’origine (et donc la nature) de la sexualité ou de la « sexualisation »; 2) différence quant à sa fin ou finalité.
En résumé: la philosophie grecque regarde comme accidentelle une différenciation que la tradition biblique regarde comme essentielle. La Bible ne reconnaît pas, à l’origine de l’histoire, l’existence d’un être humain qui réunirait, en lui-même, les attributs des deux sexes9. De son point de vue, l’homme n’a pas d’existence, ni même d’idéal, en deçà de la bipolarité masculin-féminin. Il est posé comme tel dès sa plus lointaine origine. L’homme n’a jamais existé, et n’existera jamais, autrement que sous une forme masculine ou féminine. C’est une des données constantes et permanentes de son existence. La dualité sexuelle fait partie intégrante de l’anthropologie biblique.
Cette certitude est également rendue évidente par le lien qui est posé, en théologie biblique, entre la différenciation du masculin et du féminin et la création de l’homme à l’image de Dieu, par le rapport posé entre la communion des sexes et la ressemblance de Dieu.
De quelle manière la ressemblance de Dieu s’incarne-t-elle dans la relation du masculin et du féminin? Dans la tradition biblique, le fait que l’homme ait été créé masculin et féminin a, de toute évidence, un rapport avec l’image de Dieu10. Mais quelle est la nature exacte de ce lien? La réponse n’est pas facile à donner11. Il est assez classique, en théologie protestante, d’affirmer que la relation de l’homme et de la femme représente symboliquement la relation trinitaire qui est en Dieu12. Mais quelle est la portée concrète de cette affirmation? Eric Fuchs, par exemple, dans son ouvrage Le désir et la tendresse, donne un élément de réponse en disant: « La sexualité est le signe (…) de l’altérité par laquelle Dieu révèle sa propre altérité. »13
Il faut mentionner que le discours de l’épître aux Romains sur l’homosexualité est aussi construit sur une définition analogue, puisque la relation homosexuelle est évoquée, en Romains 1.24-27, comme étant, dans le domaine de la sexualité, le prolongement symbolique de ce qu’est l’idolâtrie sur le plan spirituel. Ce n’est pas l’idée que les homosexuels seraient plus pécheurs ou idolâtres que les autres, mais que l’homosexualité est la représentation symbolique d’une forme de dérapage qui, sur le plan spirituel, traverse tout le genre humain (y compris les « hétérosexuels bien pensants »), et qui s’appelle l’idolâtrie (à savoir: le refus de l’altérité ou l’amour du semblable). L’apôtre Paul parle ici de l’homosexualité comme « visibilisant » symboliquement la relation idolâtrique dont tous les hommes sont reconnus coupables devant Dieu (cf. chapitres 1 à 3), et dont le Christ est venu les libérer (chapitre 4).
De surcroît, et en confirmation, la différenciation sexuelle n’est pas regardée par les écrivains bibliques comme une réalité négative ou consécutive à la chute, et encore moins punitive. Nous lisons dans le récit du mythe: « Doués d’une vigueur et d’un courage extraordinaires, les androgynes attaquèrent les dieux, qui, pour les punir, les coupèrent en deux! »14 Mais, en christianisme, cette différenciation n’est pas perçue comme une « coupure » ou comme une « cassure » par rapport à une réalité idéale antérieure. La différenciation des sexes n’a pas la connotation négative ou punitive qui s’exprime dans le mythe de Platon.
IV. La finalité de la différenciation des sexes: ni fusion ni confusion
Il y a une autre différence importante entre les pensées grecque et biblique, qui porte sur la finalité, ou le point focal, de la différenciation des sexes.
Dans la tradition biblique, la vocation de l’homme et de la femme à devenir « une seule chair » ne saurait être interprétée comme la confusion de leurs sexes! Cette union n’est pas la fusion de l’un dans l’autre (comme dans l’idéal hermaphrodite), mais c’est une union, une communion, une alliance, entre deux entités, qui, par ailleurs, demeurent et demeureront toujours distinctes et irréductibles.
Le modèle de cette communion est l’alliance. Or, l’alliance a pour particularité d’être une union entre des partenaires qui, dans cette union, restent distincts l’un de l’autre, entre lesquels il n’y a ni fusion ni confusion. Cette idée qui voudrait que, dans le couple, les deux partenaires se perdent l’un dans l’autre, s’entremêlent jusqu’à perdre le sens de leur individualité, est peut-être très « romantique », mais elle ne correspond pas à la vision biblique du couple.
En parallèle avec l’alliance qui unit Dieu à son peuple (auquel le mariage humain sert de miroir), on peut dire que, dans la tradition biblique, il n’est pas davantage question d’union fusionnelle au sein du couple qu’il ne pourrait y avoir d’union fusionnelle, dans la foi, entre le Créateur et ses créatures.
Il y a aussi, à ce propos, dans le protestantisme, une idée reçue dont il faut, à mon sens, se distancier, selon laquelle, au-delà de la résurrection (voire même au-delà d’une rencontre avec le Christ), il n’y aurait plus de distinctions maintenues entre l’homme et la femme, ou entre le masculin et le féminin. C’est une affirmation qui est souvent rattachée à la question de « la femme aux sept maris » (Mt 22.30 et Lc 20.35). Mais la réponse de Jésus, dans le récit, concerne la formation de nouveaux mariages (qui n’aura plus lieu dans l’au-delà) et non les relations sexuées en tant que telles. La référence au texte de Galates 3.27 (« il n’y a plus ni homme ni femme ») joue également un rôle prépondérant dans cet argumentaire, une parole qui est l’objet d’une véritable surenchère dans la pensée protestante contemporaine. Dans son contexte immédiat, la parole de l’apôtre ne concerne que la question de l’accession au salut, de la justification par la foi, dans laquelle il ne saurait y avoir d’acception de race, de sexe ou de rang social. La lecture de la Bible me porte personnellement à penser que la distinction du féminin et du masculin est transfigurée au travers de la justification par la foi et de la résurrection, mais non effacée. Je n’ai aucune raison de penser que le « corps de gloire » de la résurrection dont parle l’apôtre (cf. 1 Co 15) serait un corps asexué.
Homosexualité et carence d’altérité
Jusqu’à une date récente avait été maintenu, parmi les éthiciens protestants français, un « consensus relatif »15 pour reconnaître que l’homosexualité présente une carence objective d’altérité qui justifie que, même dans les cas les plus favorables, elle soit toujours distinguée de l’hétérosexualité. Mais un récent avis du Conseil permanent luthéro-réformé (CPLR), intitulé Eglise et personnes homosexuelles, publié le 1er février 2004, est venu accréditer l’idée que « l’altérité est au cœur de toute rencontre, quelle qu’elle soit, la différenciation sexuelle apparaissant alors comme une altérité seconde par rapport à l’irréductibilité de l’autre en tant que personne »16.
Lorsqu’on parle aux homosexuels du refus de l’altérité, ou de l’« amour du même », ceux-ci, généralement, réagissent, assez violemment, pour contester cette représentation de leurs relations et le reproche de narcissisme que celle-ci véhicule. Et il faut, à mon sens, leur donner raison sur ce point que le partenaire homosexuel n’est pas un alter ego, et que deux homosexuels font effectivement, dans leur relation, une certaine expérience de l’altérité.
Mais ceci ne nous empêche pas de rester très critique vis-à-vis de l’affirmation accréditée par le texte du CPLR, car l’« altérité » homosexuelle reste tout de même d’un genre assez particulier. Dans le meilleur des cas, il ne s’agit que d’une altérité numérique, alors que, dans un couple hétérosexuel, l’altérité est non seulement numérique, mais aussi qualitative ou « structurelle ». L’altérité des sexes est une réalité plus étendue que la simple altérité des personnes. Dans l’affirmation rapportée par le CPLR, il y a détournement du sens de l’altérité.
Dans l’optique biblique de l’altérité, seule une union hétérosexuelle peut être qualifiée de « couple », au sens fort du terme, car elle seule est une communion dans l’altérité des sexes (et non seulement des personnes), une alliance qui intériorise la différence sexuelle comme constitutive de l’union.
V. Sexualité et alliance
C’est certainement autour du concept d’alliance que nous pourrons développer davantage l’exposition de la vision biblique de la sexualité.
La plupart des éthiciens protestants français qui s’expriment, aujourd’hui, sur la sexualité ne mettent pas la sexualité en relation avec l’alliance, mais en relation avec la parole, ou même, plus précisément, avec le langage17.
Par exemple, Eric Fuchs: « Il faut s’arrêter un instant sur le rapport entre sexualité et langage. L’homme doit ‹dire› sa sexualité pour la socialiser. Sans le langage, la sexualité resterait du domaine du seul pulsionnel, de l’indifférencié, et le sens même de la sexualisation de l’homme et de la femme serait perdu; mais le langage est aussi un choix qui ne fait accéder à la conscience qu’un élément de compréhension (…). Le garçon ou la fille ne le deviennent vraiment que lorsque le langage social détermine le rôle qu’ils doivent jouer l’un et l’autre. » Et l’auteur de poursuivre son raisonnement en disant, à la page suivante: « Cette ambivalence de la fonction du langage: dire le sens possible de la masculinité et de la féminité (…) est particulièrement visible lorsqu’elle s’exerce sur la définition des rôles de l’homme et de la femme. Les travaux des ethnologues (comme Margareth Mead) ont montré la variabilité de cette définition d’une culture à l’autre. »18
Et c’est là où apparaissent, de mon point de vue, la limite et le revers de cette mise en correspondance de la sexualité et du langage dans l’éthique protestante contemporaine. La plasticité/flexibilité de la différenciation sexuelle serait-elle sans limite? susceptible des redéfinitions les plus radicales, dans le débat démocratique, à condition qu’elles restent toujours parole, langage, et non seulement pulsion? Pourquoi, dans certains débats d’actualité (comme le débat sur le concubinage ou l’homosexualité), l’éthique protestante se montre-t-elle si ouverte et complaisante? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans sa réduction de l’éthique sexuelle à une simple éthique du langage.
C’est pourquoi, il me semble personnellement plus juste et prometteur de décliner l’éthique sexuelle non autour du concept de parole, mais autour du concept d’alliance, qui est à la fois plus large et plus précis.
En effet, qu’est-ce qu’une alliance? Quel contenu lui donne l’enseignement biblique? L’alliance est un engagement qui a pour caractéristique essentielle d’être établi par une parole – en cela nous rejoignons l’affirmation précédente - mais une parole qui présente les particularités suivantes:
a) La parole de l’alliance définit a priori la nature de l’union qui se contracte (et non a posteriori, dans la dépendance des affinités subjectives). C’est une parole « instituante » au sens le plus profond du terme19.
b) C’est un engagement indéfectible, non négociable, inconditionnel, et qui se différencie en cela d’un lien contractuel.
c) C’est un engagement qui lie la vie entière de ceux qui le contractent, et qui exige l’exclusivité, à la fois dans le temps et dans l’espace (un engagement qui ne peut pas être mis au pluriel sans être dénaturé). Contracter une alliance avec quelqu’un, c’est vouloir faire sa vie avec cette personne, vouloir « vieillir à ses côtés », inscrire cette relation dans la durée (« jusqu’à ce que la mort vous sépare », dit la liturgie classique du mariage).
d) C’est un engagement qui unit des partenaires de natures différentes, qui sont et demeurent distincts l’un de l’autre, entre lesquels il n’y a ni fusion ni confusion. C’est une communion qui se déploie dans l’expérience d’une altérité structurelle qui est permanente et irréductible.
e) Une alliance, dans l’optique biblique, est aussi un engagement qui est contracté de façon publique, qui prend à témoin les tiers (il est l’inverse d’un engagement clandestin). En ce sens, il peut aussi être qualifié de « juridique » ou « civique ». Alors que la confidentialité de l’engagement dissimule souvent sa faiblesse ou les hésitations qui le traversent encore, l’engagement public renforce la vérité de l’engagement privé, et lui donne un caractère irréfutable en prenant la société à témoin. Une alliance a aussi pour particularité d’être conforme à une institution que la société a préalablement reconnue et à laquelle elle s’est identifiée.
f) Enfin – et c’est sans doute par ce point qu’il aurait fallu commencer – une alliance est un engagement qui prend Dieu lui-même à témoin, et qui s’appuie sur une parole fondatrice/instituante que Dieu a lui-même prononcée, et dont il se porte garant.
Voilà, brossé à grands traits, quel est le cadre général dans lequel, en théologie biblique, est appelée à se découvrir, se vivre et s’épanouir la sexualité.
Une retombée concrète: l’antériorité de l’engagement
Dans l’optique de l’alliance, il y a, en particulier, antériorité de l’engagement des deux partenaires sur leur union sexuelle, une antériorité qui est à la fois chronologique et logique: c’est la sexualité qui est qualifiée par la parole échangée, et non l’inverse. Ce n’est pas la jouissance partagée qui constitue ou qui conditionne l’engagement. C’est dans le cadre posé par une parole mutuellement consentie que la sexualité trouve sa vocation, sa place et son épanouissement.
Est frappant, sur ce point, l’ordre qui s’exprime dans la parole fondatrice de la Genèse: « quitter, s’attacher, devenir une seule chair » (Gn 2.24). Ce n’est pas ici l’union de la chair qui constitue l’attachement. Cet attachement est constitué par ce qu’on appellerait aujourd’hui le « consentement mutuel des époux », qui est un engagement moral, de type « allianciel ». L’union de la chair vient ensuite, à l’intérieur du cadre posé, comme la consommation de l’union, et une consommation toujours imparfaite et perfectible.
Prêter attention à cet ordre, c’est comprendre aussi que, lorsque la sexualité du couple connaît des « passages à vide » ou des « pannes », le couple n’en reste pas moins un couple, car cette jouissance, aussi importante soit-elle, n’a pas été fondatrice de son union (nourriture, certes, mais fondement, non).
A l’inverse, lorsque la sexualité a déjà sa place dans le flirt ou dans l’émoi des premières rencontres, le risque immédiat est qu’elle prenne une importance beaucoup plus fondamentale, dans la formation du couple, que celle qui lui revient. En d’autres termes, que la dimension morale (ou alliancielle) de l’engagement conjugal soit occultée par l’expérience du plaisir (ou pire encore: confondue avec lui).
En revanche, lorsque les fiancés manifestent un attachement qui est capable de patience (qui est capable de survivre, par exemple, à six mois ou une année de fiançailles sans relations sexuelles), il est manifesté par là que cet attachement n’est pas réductible à un désir sexuel, ou que l’amour des partenaires n’est pas totalement confondu avec le plaisir ou le bien-être.
Aujourd’hui, la morale contemporaine peut être extrêmement volage et superficielle en matière de sexualité. Dans ce contexte, est-ce que des adolescents/jeunes gens (et les jeunes filles, en particulier, parce que plus vulnérables) n’auraient pas toutes les raisons de mettre en doute l’authenticité d’une déclaration d’amour qui exigerait une satisfaction sexuelle immédiate (comme un sine qua non)?
Est-ce que l’autre m’aime pour moi-même, et inversement? Est-ce que la recherche du plaisir joue un rôle premier ou second dans notre attachement? Respecter une période d’abstinence, c’est permettre aux dimensions non sexuelles de l’amour conjugal de s’exprimer et de faire leurs preuves avant les autres.
Dans la mentalité contemporaine, la place nouvelle qui est reconnue aux sentiments, quasi fondatrice (ou « instituante »), aboutit, entre autres dérives, à ce que Jean-Claude Guillebaud, dans son ouvrage La tyrannie du plaisir, dénonce comme étant « le surinvestissement affectif du couple ». L’évolution, dit-il, chemine vers un surinvestissement affectif du couple, qui fait peser sur le couple une charge considérable et même étouffante. Si le couple a une durée de vie de plus en plus courte, c’est peut-être aussi parce qu’on a des attentes vis-à-vis du couple qui sont de plus en plus élevées (en termes de bonheur, d’épanouissement personnel), en tous les cas beaucoup plus élevées que celles des couples d’autrefois. C’est une morale du bonheur personnel, qui, dans la mentalité contemporaine, implique aussi ipso facto une morale du divorce, le divorce venant tirer loyalement les conséquences d’une absence d’amour, ou plutôt de désir. Le divorce n’est plus forcément présenté ou vécu comme un échec, mais comme une marque de courage et de liberté. Ainsi, conclut-il, « une nouvelle morale se substitue à l’ancienne: les comportements jadis célébrés comme méritoires se trouvent affectés d’un signe négatif. Le véritable devoir ne consiste plus à rester, mais à partir. L’impératif familial se trouve récusé au nom d’un autre commandement jugé prioritaire, celui du bonheur individuel et immédiat. Le couple sera fusionnel ou ne sera pas. »20
Dans ce contexte spécifique, le rappel de l’ordre biblique et de l’antériorité de l’engagement sur l’union sexuelle revêt, nous le pensons, une signification et une pertinence toute particulière.
VI. La portée de l’engagement sexuel
La relation entre la sexualité et l’alliance est aussi soulignée, de façon indirecte, dans l’Ecriture, par la portée reconnue à la sexualité.
1 Corinthiens 6.16
Par exemple, la parole de Paul aux Corinthiens: « Ne savez-vous pas que celui qui s’attache à la prostituée est un seul corps avec elle, car il est dit ‹les deux deviendront une seule chair. » (1 Co 6.16) Ce texte souligne, notamment, l’importance du lien que l’union charnelle tisse entre deux individus. Il met en relief la portée spirituelle et morale de cette union charnelle.
Il serait abusif, je crois, de dire que l’union sexuelle a pour effet d’établir des liens conjugaux. Violer une femme ne fait pas d’elle votre épouse! Commettre un adultère ne fait pas de vous un polygame! Votre maîtresse n’a pas, du fait des rapports sexuels que vous auriez eus avec elle, des droits sur vous équivalant à ceux de votre épouse! Mais le lien que la sexualité tisse entre deux individus n’en revêt pas moins une importance considérable. C’est un lien qui, en tous les cas, ne saurait être banalisé, rendu insignifiant ou réduit à la portée d’un simple jeu superficiel et anodin, comme cela est fait dans la morale sexuelle contemporaine: un jeu dans lequel la personne ne se donne plus, ou pense rester libre, lorsque la sexualité est ramenée à la satisfaction d’un besoin organique, qui n’engage pas davantage la personne que le boire ou le manger.
Et le message qui doit être transmis aux jeunes, aujourd’hui, en la matière, au travers de l’éducation et de la catéchèse, c’est que la sexualité, dans cette évolution, sous prétexte de se libérer, s’est en réalité considérablement appauvrie. Elle a été comme vidée de sa substance. Elle est toujours là, dans ses formes, mais sa substance n’est plus présente. La sexualité n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Exode 22.15-16
Dans l’Ancien Testament se trouve un texte législatif particulièrement significatif à ce sujet, c’est Exode 22.15-16: « Si un homme séduit une vierge qui n’est pas fiancée, et qu’il couche avec elle, il paiera sa dot, puis il la prendra pour femme. Et si le père refuse de la lui accorder, il paiera en argent la valeur de la dot des vierges. »
Ici est soulignée, également, l’importance du lien que crée la sexualité. Celui qui a couché avec une jeune femme peut être contraint à l’épouser. C’est une façon de le placer devant ses responsabilités, comme aussi de protéger la femme contre les amours de passades dont elle pourrait être la victime. A celui qui voudrait faire de la sexualité un jeu, ne créant aucun lien durable entre les partenaires, ce précepte oppose le lien étroit qui, de fait, unit sexualité et mariage. La sexualité véhicule en elle un message profond qui est à la mesure d’une alliance.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que le rapport sexuel constitue en lui-même le mariage. Le mariage apparaît ici également comme une démarche supplémentaire, et qui n’est pas automatique, comme le prouve l’existence même du précepte, comme aussi le fait que le père de la jeune femme puisse, s’il le désire, s’y opposer21. Le mariage est beaucoup plus que la sexualité: le mariage est une alliance qui définit le cadre social de la sexualité, son lieu, ses règles, sa portée, ses limites, son sens, sa vocation.
1 Corinthiens 6.18
La portée reconnue à la sexualitéest aussi mise en lumière, dans la Bible, par une autre parole de Paul, en 1 Corinthiens 6.18, lorsqu’il dit: « Fuyez l’inconduite. Quelque autre péché qu’un homme commette, ce péché est extérieur au corps. Mais celui qui se livre à l’inconduite pèche contre son propre corps. »
Du point de vue de l’apôtre, il est manifeste qu’un écart de conduite dans le domaine de la sexualité implique le corps (et par extension la personne qui s’incarne en lui) plus que dans tout autre.
Les moralistes protestants n’ont pas toujours été très à l’aise dans l’exégèse de ce verset, car ils ont développé une théologie du péché qui répugne à faire des distinctions entre différentes catégories de péché, et encore moins d’établir entre elles une forme de hiérarchie22. Mais force est de constater que la sexualité, pour l’apôtre, bénéficie d’un statut particulier. Où se situe sa spécificité? Le corps (ou la personne) n’est-il pas impliqué dans l’ivrognerie, le vol ou le meurtre, tout autant que dans les écarts sexuels? Une clé de réponse est indiquée dans les remarques suivantes: dans l’impudicité, le corps devient l’objet même du péché. La jouissance physique est recherchée pour elle-même, comme une fin en soi. C’est le corps ou la sexualité qui sont idolâtrés. Alors que, si je m’adonne au vol, au mensonge ou au meurtre, mon corps, s’il est bien sûr impliqué dans mon acte, n’est que l’instrument de ma transgression. On pourrait dire que sa participation à l’acte n’est qu’accidentelle. C’est la participation d’un outil qu’on aurait pu remplacer par un autre. Dans l’acte sexuel, par contre, le corps est bien davantage qu’un instrument, puisqu’il devient lui-même, en tant que tel, l’objet de la convoitise.
C’est la raison pour laquelle, me semble-t-il, dans la porneia, le corps et, au travers de lui, toute la personne qu’il incarne sont mis en cause beaucoup plus directement. Sans adhérer nécessairement à tous les aspects de la doctrine augustinienne sur la relation entre le péché et la sexualité, il est important de reconnaître que la sexualité entretient avec le péché des liens privilégiés, du fait de la place névralgique que la sexualité occupe dans la personnalité humaine.
La sexualité et la procréation
Enfin, une dernière considération, extrabiblique, qui désigne indirectement le lien qui unit la sexualité et l’alliance, c’est le lien qui, selon l’ordre de la création23, unit la sexualité et la procréation.
Comme l’a écrit André Gounelle, « la responsabilité d’un enfant pèse beaucoup et dure des années dans la vie conjugale. L’éventualité d’une naissance donne du poids à la relation sexuelle! Elle interdit de la considérer comme négligeable, et pousse à l’inscrire dans la durée. Et lorsque cette éventualité peut être évitée, presque à coup sûr, la relation sexuelle peut, beaucoup plus facilement, être vécue au jour le jour, elle ne concerne plus que le présent, elle n’engage plus l’avenir. Elle peut aussi facilement être vécue plus superficiellement, en ce sens qu’elle implique moins profondément les partenaires, elle a moins de conséquences pour eux! D’où une certaine dévalorisation, et une banalisation de la relation sexuelle, elle devient moins décisive, moins porteuse de sens! La sexualité est moins déterminante, elle ne se vit plus comme mettant en jeu toute l’existence! »24
Parole remarquable sous la plume d’un auteur protestant! Il est certain qu’en déconnectant volontairement sexualité et procréation, ou plutôt, pour le dire dans les termes de la morale catholique, en « enlevant à la sexualité son ouverture à la procréation », est couru le risque de la dévaloriser, de la banaliser, de la superficialiser. La relation sexuelle devient moins décisive, moins porteuse de sens. Elle ne se vit plus comme mettant en jeu toute l’existence.
La sexualité est aussi « alliancielle » par le fait qu’elle est une relation qui, par nature, place les partenaires dans la position de devenir père ou mère, un acte qui peut, par ses fruits, les lier de façon indéfectible dans la position de parents.
Il y a quelque chose de particulièrement réducteur dans le discours contemporain sur la contraception (auprès des adolescents notamment), qui laisse entendre que la légèreté ou le « vagabondage » sexuel ne serait pas un problème en soi, dès l’instant où un certain nombre de précautions ont été prises, pour éviter des conséquences non désirées, dans le domaine de la conception comme aussi dans celui des maladies sexuellement transmissibles. La morale qui s’exprime ici est de type « hygiéniste »: le safe sex (le sexe sans risque), une morale qui est totalement insuffisante pour faire de la question de la sexualité une analyse complète et pertinente.
Il s’agit, en réalité, dans la prédication et la catéchèse, d’apprendre (ou de réapprendre) un nouveau rapport à son corps, en mettant en lumière toutes les ramifications subtiles qui unissent la sexualité à l’ensemble de la vie personnelle, conjugale, familiale et spirituelle, en remettant des traits d’union partout où le péché est venu établir des ruptures. Il s’agit de redécouvrir l’ensemble du projet de vie auquel Dieu veut nous faire accéder au travers de la sexualité.
La sexualité comme mystère…
Ultimement, il y a aussi, dans la façon dont la sexualité engage la personne, une part de mystère que nous ne sondons pas entièrement, un mystère qui ne saurait être rationalisé, et qu’il faut, dans la foi, apprendre à respecter comme tel.
Et ce mystère, je le rapprocherai, pour conclure, de cette parole que l’on trouve dans les Proverbes (30.19):
« Il y a trois choses qui sont au-dessus de ma portée, dit le Sage,
et même quatre, que je ne connais pas:
la trace de l’aigle dans les cieux,
la trace du serpent sur le rocher,
la trace du navire au milieu de la mer,
et, enfin, la trace laissée par l’homme chez la jeune fille. »
* M. Johner est professeur d’éthique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
1Dans les débats autour du PACS, en 1999, Irène Théry et Sylviane Agacinski ont pris position, assez courageusement, en affirmant que la différence des sexes doit être envisagée comme une contrainte anthropologique que la délibération politique, fût-elle démocratique, ne saurait remettre en cause. Mais pour être plus précis, il n’est pas dans la pensée de ces deux auteurs que la nature dicterait ce que sont les essences de la masculinité et de la féminité. Comme le dit Eric Fassin: « Il est de leur conviction qu’elle intime à la culture de ne pas occulter la différence entre les sexes, en tant qu’elle enveloppe à la fois la finitude de chaque individu, incapable de se reproduire par lui-même, et la reconnaissance de l’altérité qui préside à la perpétuation de l’humanité. » In Au-delà du PACS, l’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité (sous la direction de D. Borillo, E. Fassin, M. Iacub, Paris: PUF, 1999), 26.
2 Comme l’a écrit K. Barth: « La créature humaine ne peut être véritablement humaine devant Dieu et parmi ses semblables qu’en étant homme par rapport à la femme, ou femme par rapport à l’homme. » K. Barth, Dogmatique (volume III, tome 1, fascicule 10, traduction de Fernand Ryser, Genève: Labor & Fides, 1960), 199.
3 Notamment les conceptions romaines selon lesquelles le statut de l’épouse est comparable à celui d’un objet dont l’époux était propriétaire, sur lequel il avait des droits, mais qui, elle-même, n’avait pas de droits sur lui.
4 Cf. par exemple Liliane Daligand, « Les racines de la violence », La Revue réformée 225 (2003), 25.
5 La tradition catholique donne, elle aussi, un contenu à la finalité conjugale de la sexualité, comme en témoigne, par exemple, ses prises de position sur la dissolution du mariage en cas de non-consommation (cf. sur ce sujet X. Lacroix, Le mariage tout simplement (Paris: L’Atelier, 1994), 106, et J. Vernay, L’Eglise catholique casse-t-elle les mariages? (Paris: Fleurus-Tardy, 1990). Mais ceci est souvent occulté par l’enseignement du catholicisme sur la contraception, et la difficulté qu’il éprouve à reconnaître la moralité de la sexualité conjugale indépendamment de son ouverture à la transmission de la vie.
6 Cf. Genèse 6.3: « Mon esprit ne restera pas toujours dans l’homme, car celui-ci est chair. »
7 Cf. M. Johner, « Introduction à la conception chrétienne du corps », dans Le corps et le christianisme, Actes du colloque universitaire organisé par la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence sous la direction de M. Johner (Aix-en-Provence: Excelsis/Kerygma, 2003), 5-12.
8 Cf. M. Johner, « Incinération et espérance de la résurrection corporelle », ibid., 68-88.
9 On peut, certes, discuter l’exégèse de Genèse 1.27. Lorsqu’il est dit « Dieu créa l’homme à son image », il est bien question d’un « Adam » (ha Adam) au sens générique d’« être humain », distinct du « mâle et femelle » (zarar hou nekeva) dont il est question dans la deuxième partie de la phrase. Seulement, selon les règles de style propres à l’hébreu (les parallélismes synonymiques), il est certain que les deux phrases en présence ne décrivent pas deux réalités qui seraient chronologiquement ou logiquement distinctes. Ces deux paroles décrivent la même et unique action créatrice de Dieu, la seconde ne faisant que développer, et expliciter davantage, ce que la première a déjà dit de façon plus succincte. Il n’y a pas d’abîme chronologique ou logique qui sépare les deux parties de la phrase.
10 En Genèse 1.26, en particulier, le parallélisme hébraïque renforce cette évidence. Lorsque l’auteur dit: « Dieu créa l’homme à son image », et ajoute immédiatement « masculin et féminin il le créa », il est certain, en vertu du parallélisme synonymique, que la seconde proposition tend à expliciter la première.
11 Cf. P. Wells, « A la recherche de l’image de Dieu… La théologie d’un paradigme perdu », revue Hokhma 80 (2002), 13ss.
12 Cf. notamment K. Barth, Dogmatique (volume III, tome 1, fascicule 10, traduction de Fernand Ryser, Genève: Labor & Fides, 1960), 197-204 et 309-356, et Dogmatique (volume III, tome 4, fascicule 5, traduction de Fernand Ryser, Genève: Labor & Fides, 1960), 275ss.
13 E. Fuchs, Le désir et la tendresse, collection le Champ éthique, no 1 (Genève: Labor & Fides, 1979, première édition), 45.
14 Cité par Elisabeth Badinter, L’un est l’autre (Poche), 271.
15 La pertinence de la référence à la théologie de l’altérité dans le débat sur l’homosexualité a déjà été mise en question, précédemment, par plusieurs théologiens protestants suisses, qui reprochent à ceux qui s’y réfèrent de conditionner la lecture des textes pauliniens par des présupposés anthropologiques qui leur seraient étrangers, en particulier par leur allégeance aux thèses de la psychanalyse lacanienne (qui occupent effectivement une place centrale dans les documents du Conseil permanent luthéro-réformé, CPLR, sur le sujet). Au sujet de l’exégèse de Romains 1, par exemple, Denis Müller écrit: « On ne s’explique les raisons véritables de la divergence que si l’on introduit dans les termes de la formalisation des présupposés matériels de type anthropologique ou ontologique par exemple. Autrement dit, la formalisation aboutissant aux catégories de limite et d’altérité est surdéterminée par un choix théologique préalable (Ansaldi, Fuchs). » D. Müller, L’éthique protestante dans la crise de la modernité (Genève: Labor & Fides, 1999), 189. Pour d’autres développements à ce propos, cf. D. Müller et Ch. Demur, L’homosexualité, un dialogue théologique (Genève: Labor & Fides, 1992), 17-20, 32-35, et les remarques méthodologiques de D. Müller dans Nouveau regard sur l’homosexualité (Montréal: Fides, 1997), 13-39.
16 Eglise et personnes homosexuelles, avis du CPLR du 1er février 2004, page 1, sous le titre « La référence aux Ecritures ».
17 Cf., par exemple, G. Crespy, « Pour une théologie de la sexualité », ETR (1977), 79, E. Fuchs, Le désir et la tendresse (Genève: Labor & Fides, 1999, nouvelle édition), 7-51 (Sexualité et Parole), 53-88 (Théologie biblique de la sexualité).
18 E. Fuchs, ibid., 31-32.
19 Cf. M. Johner, ‹La théologie de l’institution›, dans « L’Eglise: l’événement et l’institution », La Revue réformée, 210 (2000), 42-44.
20 J.-C. Guillebaud, La tyrannie du plaisir (Paris: Seuil, 1998), 365.
21 Pour la loi biblique, coucher avec une jeune femme crée des devoirs, mais pas des droits.
22 La sexualité, du point de vue de la théologie protestante, est certes marquée par le péché, comme tous les autres domaines de la vie humaine (concept de corruption extensive auquel rien n’échappe). Mais la théologie protestante a toujours été réticente à faire des distinctions subsidiaires entre les différentes actions pécheresses, par exemple entre « péchés véniels » et « péchés mortels », bien qu’une distinction de ce type soit présente dans la première épître de Jean (1 Jn 5.16). Elle ne parle pas davantage de « grands » et de « petits » péchés. Elle ne parle pas même « des péchés », au pluriel, mais toujours « du péché », au singulier, pour désigner la position de rébellion fondamentale et globale qui est celle de l’homme devant Dieu, antérieurement aux différentes actions pécheresses qui pourront, ensuite, traduire cette rébellion dans son vécu, et qui seront toutes reconnues également coupables devant Dieu (qu’elles se situent dans le domaine de la parole, de l’argent, de la pensée ou de la sexualité).
23 La référence à la catégorie du « créationnel » ou du « naturel » dans un débat éthique est fortement critiquée aujourd’hui, mais n’en conserve pas moins sa légitimité théologique. Cf. M. Johner, ‹Les critiques contemporaines de la référence à un ordre naturel›, et ‹La délégitimation de la référence à la nature par la théologie protestante contemporaine›, dans « La famille, produit culturel ou ordre créationnel fondateur? », La Revue réformée, 220 (2002), 2-38.
24 A. Gounelle, dans Couples aujourd’hui, réflexion protestante (Paris: Les Bergers et les Mages, 1983), 61.