Réflexions sur le texte « l’usage thérapeutique du clonage et des cellules souches embryonnaires »

Réflexions sur le texte « l’usage thérapeutique du clonage et des cellules souches embryonnaires »

Rosine CHANDEBOIS

Ouvrir un large débat au sujet du clonage humain et de l’utilisation de cellules embryonnaires à des fins thérapeutiques, comme le propose le groupe de travail Bioéthique et biotechnologie de la Conférence des Eglises européennes est, effectivement, indispensable et urgent. Cependant, parce qu’il doit rester compréhensible pour un large public, il est à craindre que les discussions portent essentiellement sur des opinions – on sait combien elles sont faciles à manipuler – et sur des craintes plus ou moins intuitives – que de fausses informations suffiraient à apaiser. Il serait donc prudent, avant d’ouvrir un tel débat, de solliciter les avis de nombreux chercheurs qui ont innové dans différents domaines (embryologie, génétique, médecine, psychologie, théologie) afin de pouvoir évaluer les arguments que les partisans des essais peuvent opposer aux objections de ceux qui entendent les faire interdire purement et simplement. Les comptes rendus de ces débats partiels seraient alors présentés de telle sorte qu’ils soient à la portée du grand public.

Dans cette perspective, nous jugeons utile d’ajouter au texte évoqué quelques précisions et quelques suggestions.

Le problème qui est au centre du débat concerne le respect dû au jeune embryon. Pour en relativiser l’importance, on met en avant les épreuves de patients: pour les délivrer de leurs souffrances, il n’y aurait – soi-disant – aucun inconvénient à «charcuter» ce que l’on présente comme des amas informes de cellules, puisqu’ils ne souffrent pas et ne sont réclamés par personne. En raisonnant de la même manière, on pourrait impunément pallier le manque d’organes à transplanter en tuant sous anesthésie générale des enfants trouvés ou des clochards solitaires. L’œuf fécondé est assurément un être humain à part entière: à l’instar de n’importe quel être vivant, il est un organisme «quadrimensionnel». En termes plus précis, les modalités de l’émergence progressive de son organisation révèlent une «forme spécifique de son espèce dans la dimension du temps».

Il est étonnant qu’une question connexe n’ait pas été posée. Si on décrète qu’il est licite de sacrifier des embryons humains, d’en fabriquer à volonté, de se livrer sur eux à toutes sortes d’expériences, d’en tirer des pièces de rechange pour le plus grand confort des patients, n’est-il pas à craindre que le psychisme des enfants – puis des adultes qu’ils deviendront – ne soit plus ou moins profondément perturbé et que l’on assiste à la montée de nouvelles formes de barbarie? Interroger des psychologues à ce sujet serait probablement plus efficace pour faire admettre la dignité de l’embryon que de chercher à définir les droits de celui-ci.

Il ne faudrait pas que les inquiétudes provoquées par la «chosification» de l’embryon humain détournent l’attention des problèmes posés à l’adulte, résultant de la négligence du principe de précaution. Certes, les techniques de clonage (notamment le remplacement du noyau de l’ovule) sont parfaitement bien maîtrisées. Leurs applications en médecine, par contre, ont été fondées sur les vues réductionnistes du développement, imposées comme un scientifiquement correct. On ignore ainsi toute une somme de données laissées pour compte, concernant l’ovule, la genèse des organes, la dynamique tissulaire de l’adulte. On perd de vue que des cellules embryonnaires auxquelles une certaine identité tissulaire a été conférée par un quelconque traitement in vitro n’ont pas une physiologie normale. Même si ce n’était pas le cas, les injecter directement à un adulte les priverait des «instructions» que la descendance reçoit d’autres tissus de l’embryon tout au long du développement. D’autre part, il y a tout lieu de craindre que le transfert des cellules embryonnaires à l’adulte perturbe les interactions cellulaires impliquées au maintien des activités physiologiques normales de ses tissus.

Une allégorie pourrait aider le public à le comprendre. La construction de l’Europe soulève bien des difficultés. On pense qu’il faudrait un homme de l’envergure de Charlemagne pour les surmonter. Imaginez que l’on trouve le moyen de le ressusciter. Avec l’expérience qu’il a acquise vers l’an 800, il sera dans l’incapacité de comprendre les problèmes qui se posent actuellement. Devant, néanmoins, donner des directives, il ne fera que semer la confusion. Substituer au noyau d’un ovule un noyau prélevé sur le patient à traiter ne ferait certainement qu’aggraver la situation puisque les embryons obtenus, d’apparence normale aux premiers stades, sont destinés à mourir dans des délais plus ou moins brefs (peut-être, sauf de rares exceptions, si on utilise des ovules humains; à coup sûr, s’ils proviennent d’espèces éloignées, comme de vaches ou de porcs).

Il ne faudrait pas excuser cette rétention d’information en alléguant l’impossibilité, pour une équipe de spécialistes, de se tenir au courant des progrès réalisés dans d’autres domaines de la biologie. Cette impossibilité apparente est essentiellement la conséquence de changements dans les méthodes et la gestion de la recherche fondamentale, et plus encore dans les mentalités des biologistes qui semblent de moins en moins conscients des répercussions sur l’humanité des erreurs qu’ils sont appelés à commettre, alors que les progrès techniques les rendent de plus en plus dangereuses. Avec l’inversion de la rationalité et le réductionnisme, des hypothèses se sont figées en un scientifiquement correct qu’il est à peu près impossible de mettre en question, surtout si les médias, toujours à la recherche du sensationnel, l’ont présenté comme une prouesse de la science, ont fait miroité des guérisons miraculeuses, et si les applications peuvent rapporter gros.

Ne serait-ce pas aux comités d’éthique d’appeler les chercheurs à l’humilité, à donner plus d’importance à la vérité qu’aux applications, de prier les médias de ne pas vendre la peau de l’ours avant qu’il ne soit tué, de trouver la solution pour mettre fin à une censure abusive?

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