L’usage thérapeutique du clonage et des cellules souches embryonnaires


L’usage thérapeutique du clonage et des cellules souches embryonnaires1

Le document, ci-après, Utilisations médicales du clonage et des cellules souches embryonnaires, a été établi à la suite de discussions du groupe de travail Bioéthique et biotechnologies de la commission Eglise et société de la Conférences des Eglises européennes. La conférence est une organisation régionale œcuménique couvrant l’ensemble de l’Europe et comprenant 126 Eglises de toutes traditions (protestantes, orthodoxes, anglicanes, vieille-catholique), à l’exception de l’Eglise catholique romaine.

Ce document a été examiné lors d’une récente réunion du comité exécutif de la commission, qui est convenu qu’il devait être mis à la disposition du comité d’éthique de la Commission européenne comme première réflexion sur la question. Son objectif consiste à fournir des informations et à stimuler les discussions avec les Eglises membres de la conférence. Le comité exécutif a admis que le document reflète les différentes opinions des Eglises membres de la conférence et, compte tenu de ces différences, il présente des observations sur les utilisations thérapeutiques du clonage et des cellules souches embryonnaires.

Le comité exécutif demande instamment qu’avant l’adoption de toute législation sur les questions de l’utilisation des cellules souches et du clonage pour les thérapies fondées sur la transplantation de cellules , un large débat public soit organisé en Europe, dans le cadre duquel différentes questions pourraient être soulevées d’une manière compréhensible pour l’ensemble du public2.

Le comité exécutif a reconnu qu’il s’agit là d’une question très complexe et il estime que toute réflexion éthique doit tenir compte de cette complexité. Bien que certaines Eglises membres de la conférence ou certains membres de l’ensemble de ces Eglises adoptent des positions claires et opposées, nous sommes persuadés que seul un tel débat et un examen approfondi peuvent contribuer à l’adoption de décisions prudentes évitant de s’engager sur une pente dangereuse, c’est-à-dire de commencer par certaines utilisations limitées des recherches portant sur les cellules souches et d’aller ensuite progressivement jusqu’au clonage reproductif. En particulier, le comité exécutif a souligné que si des mesures permettant une approche plus libérale dans ces domaines devaient être prises (certains de ses membres préfèrent que tel ne soit pas le cas), des limites précises devraient être définies, de sorte qu’aucune décision d’aller au-delà ne soit prise sans réflexion supplémentaire et sans action mûrement réfléchie.

La commission Eglise et société devra approfondir certaines questions théologiques et éthiques fondamentales liées à la perception de valeurs conflictuelles relatives notamment à la vie, à la mort et à l’humanité, en tenant compte du fait que le débat ne peut pas être ramené, comme cela a souvent été le cas dans les médias, à des formules opposées telles que «tuer les embryons» contre «sauver la vie de malades» ou «le respect de l’embryon» contre «une vision purement utilitariste».

Le comité exécutif espère également que le débat ne sera pas soumis à de trop grandes pressions économiques et commerciales menant à des décisions qui pourraient être regrettées par les générations futures3.

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Introduction

Le clonage de la brebis «Dolly» à l’Institut Roslin d’Edimbourg en 1997 ainsi que l’isolement de cellules souches embryonnaires humaines par deux groupes de chercheurs aux Etats-Unis en 1998 ont ouvert de nouvelles possibilités remarquables dans le traitement d’un grand nombre de maladies dégénératives. Ils permettent de créer des cellules de remplacement pour traiter des maladies incurables telles que la maladie de Parkinson, les défaillances du myocarde et les diabètes. En principe, de telles thérapies fondées sur la transplantation de cellules sont les bienvenues. Certains considèrent, en effet, que la perspective de disposer de thérapies sur des maladies incurables constitue une raison suffisante pour aller de l’avant dans les recherches sur les différentes méthodes envisageables. Toutefois, certaines de ces méthodes suscitent de sérieuses préoccupations éthiques quant à l’utilisation des embryons comme source de cellules et à l’utilisation de techniques de clonage.

Il importe donc d’apprécier correctement les conséquences en matière d’éthique des recherches portant sur la transplantation de cellules et sur les thérapies fondées sur ces transplantations et d’utiliser les résultats de cette évaluation comme guide pour les prochaines étapes. En Europe, le rapport du directeur de service de la santé publique du Royaume-Uni (commission Donaldson) sur les utilisations médicales potentielles des cellules souches humaines et du clonage embryonnaire et les questions éthiques qu’elles posent a été publié au mois d’août 20004. Il est probable que d’autres pays européens examineront également ces questions dans leur cadre législatif respectif.

Les Eglises européennes sont en première ligne du débat éthique relatif à l’utilisation du clonage et des cellules souches. L’Eglise d’Ecosse, en particulier, dialogue, entre autres, avec les chercheurs de l’Institut Roslin depuis plusieurs années. Ledit rapport examine de manière critique les questions d’éthique soulevées par l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines et des embryons clonés. Il est basé sur des observations communes adressées à la commission Donaldson5, ainsi que sur des réflexions postérieures à propos de ce rapport du Society, Religion and Technology Project et du Board of Social Responsibility de l’Eglise d’Ecosse.

Pour de nombreuses Eglises et de nombreux chrétiens en Europe, la recherche sur des embryons comprenant leur destruction délibérée est totalement inacceptable. Ils estiment que les nouvelles propositions doivent être rejetées pour des questions de principe liées au statut de l’embryon. Ces raisons ont été examinées en détail en beaucoup d’autres lieux. Il s’agit là d’un débat très important. Toutefois, le présent document met l’accent sur une question adressée aux pays qui acceptent actuellement des recherches limitées sur l’embryon, ainsi qu’à d’autres pays d’Europe et du reste du monde qui ont peu ou pas de réglementation dans ce domaine. Nous leur demandons si les nouveaux domaines de recherche empiètent également sur une nouvelle limite morale et, si tel est le cas, si cette limite doit ou non être franchie.

Le point de départ du présent document ne peut qu’être la situation du Royaume-Uni, car c’est dans ce pays qu’un grand nombre des découvertes scientifiques pertinentes ont été faites et que c’est le gouvernement britannique qui a été le premier dans le monde à prendre des initiatives pour présenter des propositions de loi sur ces recherches. Les Eglises du Royaume-Uni sont également en première ligne du débat éthique. Par conséquent, plusieurs exemples cités seront liés à la situation au Royaume-Uni, mais il est probable que des discussions semblables auront lieu dans d’autres pays d’Europe. Les situations nationales présenteront naturellement d’infimes différences, mais, selon nous, les discussions éthiques d’ensemble se concentreront probablement sur des questions similaires.

Une discussion relative aux utilisations thérapeutiques du clonage et des cellules souches embryonnaires a déjà commencé au sein du groupe de travail Bioéthique et biotechnologie de la commission Eglise et société de la Conférence des Eglises européennes. Le présent document est issu d’une première étape de ces discussions. Nous sommes conscients que les réflexions doivent se poursuivre, étant donné la complexité de la question, les valeurs en jeu, l’urgence d’un débat le plus large possible en Europe, qui soit compréhensible pour le public, sans simplifier les choses à l’excès, et enfin, mais non par ordre d’importance, la nécessité de résister aux pressions pour aller de l’avant aussi vite que possible dans ce domaine extrêmement sensible, comme souligné au point 4, «Conclusions et débat public».

A) Aspects scientifiques

De nombreuses maladies humaines, telles que la maladie de Parkinson, certaines insuffisances cardiaques, leucémies et diabètes, impliquent la dégénérescence irréversible des cellules. Si une méthode pouvait être trouvée pour créer des cellules humaines intactes et les greffer chez un patient, la progression de telles maladies pourrait être ralentie, voire même arrêtée. On est techniquement encore loin de disposer d’une telle méthode, mais les études effectuées sur les souris donnent à penser que cela sera possible un jour.

Les cellules souches embryonnaires sont des cellules spéciales présentes juste avant le début de la différenciation embryonnaire. A ce stade, elles peuvent générer tout type de cellules du corps humain et elles peuvent également être conservées pendant très longtemps en culture en laboratoire. Au mois de novembre 1998, après de nombreuses années de recherche, ces cellules ont été isolées pour la première fois. En principe, il est dorénavant possible de prendre un embryon humain, d’extraire ces cellules et de les pousser chimiquement à générer tout type particulier de cellule humaine – celles de peau, de cœur, cellules nerveuses, etc. Certains tissus de l’adulte produisent également des cellules souches qui pourraient aussi être reprogrammées, mais jusqu’à présent elles semblent beaucoup plus limitées quant au type de cellules susceptibles d’être généré.

La principale source d’embryons serait ceux qui n’ont pas été utilisés après des traitement de fertilisation in vitro. Par définition, leur type générique serait autre que celui du patient et ils risqueraient d’être rejetés, puisqu’il s’agirait de tissus étrangers. La technique de clonage par transfert de noyaux utilisée pour créer la brebis «Dolly» peut constituer un moyen de résoudre ce problème. Des cellules sanguines ou des cellules de la peau pourraient être prélevées sur une personne atteinte de la maladie de Parkinson, par exemple, et être transplantées dans un ovule humain vidé de son noyau, ayant fait l’objet d’un don. On obtiendrait ainsi un embryon humain cloné provisoire constituant la copie génétique du patient. L’embryon ne serait pas implanté pour créer un bébé cloné, mais serait utilisé comme source de cellules souches embryonnaires. Ces cellules seraient poussées à générer des cellules nerveuses ayant les mêmes caractéristiques génétiques que le patient, qui risqueraient moins d’être rejetées.

Le rapport Donaldson recommande d’étendre les recherches limitées sur les embryons humains autorisées au Royaume-Uni pour qu’elles constituent une source de cellules souches. Il demande également que des recherches soient effectuées sur la création d’embryons humains clonés qui seraient reprogrammés pour obtenir des cellules de remplacement utilisées pour un grand nombre de maladies dégénératives. Il propose d’effectuer des recherches sur les maladies mitochondriales en utilisant certains éléments des techniques de clonage.

B) Aspects éthiques

Les principales questions éthiques à examiner sont les suivantes:

1. Est-il acceptable de reprogrammer un embryon humain de sorte qu’au lieu de devenir un bébé il fournisse certains types de cellules?

2. Si l’on juge le clonage reproductif d’êtres humains inacceptable, peut-on admettre l’utilisation de procédés de transfert de noyaux pour créer des embryons humains clonés dans le seul but de produire des cellules souches humaines?

3. Dans les deux cas, pourrait-il exister d’autres méthodes thérapeutiques viables permettant d’éviter l’utilisation d’embryons?

4. S’il était nécessaire d’effectuer des recherches limitées sur l’embryon pour mettre ces méthodes au point, ces recherches seraient-elles admissibles?

5. Serait-il acceptable de transférer un noyau de cellule humaine dans un ovule de vache énucléé afin d’obtenir une chimère non viable qui serait reprogrammée pour produire certaines cellules humaines?

6. Les risques inhérents à la thérapie fondée sur le remplacement de cellules sont-ils acceptables?

Nous notons que le besoin de cellules souches embryonnaires pourrait être faible ou inexistant si les cellules souches adultes pouvaient être mieux reprogrammées qu’on ne le pense actuellement. Il s’agit là probablement d’une option à laquelle il convient d’accorder la priorité la plus élevée en matière de recherche. Toutefois, la présente discussion doit avoir pour point de départ la thèse scientifique actuelle selon laquelle on ne peut pas estimer que des cellules souches adultes pourraient toutes être utilisées ainsi. En effet, un certain nombre de chercheurs estiment que différentes méthodes doivent être utilisées pour obtenir les cellules de remplacement correspondant à différentes maladies. En l’état actuel des connaissances, ces méthodes nécessiteraient probablement toujours l’utilisation d’embryons.

a) Le statut de l’embryon humain

Les recherches en cause portent sur le traitement de maladies humaines extrêmement graves. On souhaite vivement trouver des traitements pour des maladies telles que la maladie de Parkinson et les diabètes. Cela ne justifie cependant pas d’utiliser systématiquement des embryons, sans examen préalable des questions intrinsèques d’utilisation de l’embryon qu’impliqueraient les recherches et les thérapies proposées. Par conséquent, avant d’apprécier les conséquences de l’utilisation d’embryons, il convient de poser une question liminaire. Les recherches proposées ne devraient-elles pas ne pas être effectuées sur l’embryon lui-même, quelles que soient les maladies susceptibles d’être traitées?

C’est à juste titre que nous reculons devant l’idée de tuer un être humain pour obtenir des éléments ou des cellules de remplacement pour une autre personne. Pouvons-nous utiliser un jeune embryon pour fournir ces cellules? Les législations et les perspectives nationales varient à travers l’Europe, reflétant de profonds conflits éthiques quant à la nature de l’embryon. Pour résumer, ce conflit oppose schématiquement deux pôles contraires et différents points de vue intermédiaires.

Selon l’un des pôles extrêmes, le jeune embryon n’est rien de plus qu’un amas de cellules. La recherche sur les embryons humains est admissible, étant donné qu’ils ne sont pas développés et ne survivraient pas en dehors de l’utérus, et les embryons peuvent également être utilisés de manière habituelle comme source de cellules souches. Cela serait pleinement justifié par les résultats médicaux potentiels.

Selon les thèses de l’autre pôle, l’embryon est un être humain dès la conception, aucune recherche ou utilisation n’étant admissible, à l’exception de celles qui bénéficient à cet embryon déterminé. Tout procédé impliquant la création d’embryons indispensables, y compris pour fournir des cellules de remplacement, est donc rejeté. De nombreux chrétiens estiment qu’à partir du moment où Dieu a créé une vie, même au stade embryonnaire, l’homme n’a pas le droit de la détruire. Il s’agit d’une question de principe, quelle que soit l’utilisation de l’embryon. Les défenseurs de cette thèse sont en faveur de l’utilisation exclusive de cellules souches ou de cellules de remplacement obtenues à partir de tissus adultes. Toute utilisation d’embryons serait éthiquement inadmissible.

Comme exemple de position intermédiaire, on peut citer celle de l’assemblée générale de l’Eglise d’Ecosse qui a examiné une série de questions embryologiques en 19956. Elle a déclaré que l’embryon humain est inviolable dès la conception, mais reconnu que les recherches en question pouvaient malgré tout être admises avant le développement de la ligne primitive, dans des circonstances exceptionnelles, compte tenu de la gravité de certaines affections. Il s’agissait initialement de la stérilité et de maladies génétiquement transmissibles. La question qui se pose est la suivante: les recherches sur les cellules souches embryonnaires et la thérapie fondée sur le remplacement de cellules proposées relèvent-elles de catégories éthiques existantes ou impliquent-elles un changement éthique par étapes en matière d’utilisation de l’embryon?

Dans la mesure où les adeptes de cette position admettent les recherches sur l’embryon à certaines fins limitées, une part d’instrumentalité est acceptable envers l’embryon. Il se pose alors la question de savoir si cela revient à admettre l’ensemble des utilisations instrumentales ou seulement certaines d’entre elles. Toutefois, si l’on prend l’exemple des applications actuellement autorisées au Royaume-Uni, on peut faire valoir que, pour la plupart d’entre elles, l’embryon est traité comme une entité en tant que telle. La différence avec les nouvelles recherches proposées est que celles-ci semblent réduire l’embryon à une simple source d’éléments utiles, en l’occurrence de cellules.

On peut estimer qu’un jeune embryon étant potentiellement susceptible de générer toutes les cellules du corps humain, il ne s’agit pas de le détruire, mais de le pousser à générer certaines cellules et pas d’autres. Ce qui est préoccupant, cependant, c’est qu’en même temps on empêche l’embryon de poursuivre son développement complet normal. En faisant en sorte que l’embryon ne produise qu’un certain type de cellules, on l’empêche de générer l’ensemble des cellules. Il ne s’agit pas de prélever une «coupe» de l’embryon mais de le reprogrammer entièrement. Cela entraînerait un profond changement d’éthique quant à ce qui est considéré comme acceptable en matière d’embryon. La position intermédiaire sur le statut de l’embryon, qui est ambiguë actuellement, se rapprocherait alors de l’idée que l’embryon ne constitue rien de plus qu’un «amas de cellules». Le lien avec la naissance d’un enfant se relâcherait encore davantage.

La législation en vigueur au Royaume-Uni reprend un principe établi dans le rapport Warnock de 1984, selon lequel l’embryon devrait bénéficier d’un «statut spécial»7. Cette notion a été mal définie, pourtant on ne voit pas comment l’embryon conserverait un «statut spécial» s’il n’est plus dorénavant considéré comme une source pratique de cellules de remplacement. Les nouvelles propositions semblent aller beaucoup plus loin pour ne considérer le jeune embryon que comme un moyen de parvenir à certaines fins.

Par conséquent, nous concluons que ce qui est prévu constituerait un changement éthique profond quant à ce qui est considéré comme acceptable en matière d’embryons. On ne peut admettre que des embryons puissent être utilisés aux fins susmentionnées que sur la base d’un raisonnement purement utilitariste. Or, c’est bien ce que fait le rapport Donaldson en dernière analyse. Il affirme ne pas «manquer de respect» à l’embryon en ce qui concerne son statut éthique, dès lors que celui-ci est utilisé au bénéfice de la santé humaine. Il suggère que, si l’on peut soutenir que les bénéfices potentiels des traitements de maladies incurables sont plus grands que ceux du traitement de la stérilité, les nouvelles propositions pourraient effectivement conférer un plus grand respect à l’embryon compte tenu des objectifs plus nobles de son utilisation (4.10). Cet argument est fondé sur l’idée que l’embryon constitue un moyen de parvenir à certaines fins, mais en envisageant des fins potentielles plus importantes.

Toutefois, en 1998, un rapport du Ministère britannique de l’agriculture sur le clonage animal a souligné que les animaux ont une valeur intrinsèque. Ils peuvent être utilisés à différentes fins, mais certaines utilisations ne devraient en aucun cas être autorisées8.

b) Les embryons humains clonés

Nous nous félicitons que l’accent n’ait pas été mis sur le clonage des êtres humains, au rejet presque universel duquel les Eglises ont été parmi les premières à donner une base éthique claire9 10. Il convient également de noter que, jusqu’à présent, le développement du clonage animal s’est fréquemment caractérisé par des problèmes de gestation, d’anomalies fœtales et de mortalité précoce des animaux nouveau-nés. Par conséquent, il est clair que dans un proche avenir il serait criminellement imprudent de tenter de cloner des êtres humains, nonobstant même les objections éthiques très fortes. L’utilisation du clonage par transfert de noyau pour créer des embryons ayant le bon type génétique en vue de produire des cellules de remplacement comporte encore d’autres dilemmes moraux, outre ceux examinés ci-dessus pour les embryons humains en général.

Premièrement, il semble illogique d’admettre la création d’un embryon humain cloné dès lors que l’on sait parfaitement qu’il faudra le détruire pour des raisons éthiques, puisqu’il est contraire à l’éthique de le laisser se développer en un bébé cloné. La deuxième objection tient à ce que cela implique la création délibérée d’un embryon à des fins autres que la reproduction, même si cette question n’est pas propre au clonage. L’utilisation d’embryons «surnuméraires» générés par des techniques d’aide à la procréation consisterait à utiliser un embryon qui devrait de toute manière être détruit.

Troisièmement, vient l’argument tiré du gradualisme. Une fois des embryons humains clonés créés, il serait beaucoup plus facile pour une personne malavisée de passer à l’étape suivante et de les implanter, ou pour une personne suffisamment fortunée d’avoir recours à un traitement clandestin à l’étranger. Cela souligne la nécessité de disposer de législations nationales claires dans les Etats qui n’en ont pas encore, pour interdire dans le monde entier la pratique du clonage humain.

La création et l’utilisation d’embryons clonés ne devraient pas être autorisées comme procédé thérapeutique général. Nous demandons que la priorité soit accordée aux recherches sur les transferts de noyaux cellulaires qui visent à éviter l’utilisation d’embryons, par programmation directe d’un type de tissus adulte à l’autre. On pourrait peut-être prélever un échantillon sanguin et le reprogrammer directement en groupe de cellules nerveuses, par exemple. Cette méthode est naturellement encore plus spéculative que celles examinées ci-dessus, mais différents procédés ont été envisagés récemment. D’un point de vue éthique, elle mettrait fin à la plupart des objections mentionnées plus haut.

Une autre raison peut encore être citée. Le comité d’éthique des collaborateurs de Roslin, la société Geron Biomed, a demandé que la technique en question soit accessible au plus grand nombre et ne soit pas uniquement destinée aux riches. Il est fort peu probable qu’il y ait suffisamment de donneuses d’ovules pour soigner les millions de patients potentiels en Europe. Par conséquent, une méthode pour produire des cellules de remplacement sans utilisation d’embryons devrait être trouvée. En l’état actuel des choses, cependant, cela serait probablement impossible sans effectuer des recherches sur l’embryon humain pour mettre le procédé au point. On se trouve confronté à un dilemme éthique important: faut-il autoriser un nombre déterminé et très limité d’expériences afin d’obtenir les données nécessaires pour éviter de telles utilisations d’embryons à l’avenir? Certains plaideraient à contrecœur pour que des recherches très limitées soient effectuées à cette seule fin, mais si elles semblent ne pas pouvoir être menées à bien, il conviendrait d’y mettre fin et de ne pas continuer à utiliser de manière habituelle des embryons dans le cadre des thérapies cellulaires.

c) Cellules hybrides animal-homme

Un autre moyen de parvenir aux mêmes objectifs pourrait consister à produire des embryons humains non viables dans des ovules de vache. L’idée serait de prendre une cellule humaine et de procéder à un transfert dans un ovule de vache énucléé. Le passage d’un courant électrique permettrait de les fusionner et de pousser la cellule humaine à se diviser comme s’il s’agissait d’un embryon humain, mais d’un embryon non viable11. Au stade du blastocyste de la division, les cellules souches seraient extraites et cultivées comme des cellules somatiques humaines. Nonobstant les énormes problèmes techniques que cela pose, il faudrait être tout à fait sûr que l’utilisation d’un ovule de vache comme hôte de la cellule humaine n’a pas d’effets négatifs sur les éventuelles lignées cellulaires humaines. En outre, cette méthode ne résoudrait pas les problèmes éthiques. Même si elle permettait d’éviter de créer un embryon humain, un mélange aussi intime de matériel génétique humain et animal soulèverait une objection éthique intrinsèque majeure pour la plupart, indépendamment des nombreux risques encourus.

d) Organes clonés distincts

La discussion qui précède portait principalement sur les cellules de remplacement. Telle semble être l’application thérapeutique la plus probable, mais il a également été question de créer des organes clonés entièrement distincts pour procéder à des dons. On est loin d’en être là et cela semble pratiquement impossible. La création in vitro d’éléments distincts du corps humain en vue d’éventuels remplacements d’organes poserait également d’importantes questions liées à la nature de l’être humain. Une vision purement réductrice et utilitariste des organes humains ne pourrait y trouver aucune signification spécifique au-delà d’un éventuel intérêt médical. Ceux qui ont une idée plus holistique de l’être humain pourraient bien trouver cette possibilité monstrueuse. La nature des expériences sur les animaux que cela impliquerait pourrait également soulever des objections éthiques insurmontables. La création d’une grenouille sans tête a été citée comme possible ligne de recherche12. Une telle intervention sur un animal devrait certainement être exclue en toute circonstance comme étant contraire à l’éthique13. Il s’agit là, il est vrai, d’un exemple extrême, mais qui montre que des questions sérieuses pourraient se poser même au stade de la recherche.

e) Efficacité et sécurité

Si une ligne de conduite présentant de graves difficultés d’ordre éthique devait être suivie, ils serait indispensable d’être honnête quant à ses chances de succès. Il existe une liste impressionnante d’obstacles expérimentaux à surmonter. Personne ne sait dans quelle mesure les cellules clonées auraient des effets positifs sur les patients ni quels sont les risques que des cellules issues de cultures cellulaires deviennent cancéreuses, comme le journal New Scientist le fait observer14. On court donc le risque de donner de faux espoirs aux personnes affectées des maladies en cause.

Conclusions et débat public

Nous avons présenté, dans leurs grandes lignes, une série d’objections éthiques importantes envers l’extension de recherches sur l’embryon dans le cadre desquelles l’embryon serait utilisé uniquement comme source de cellules de remplacement. Pour ceux qui s’opposent, par principe, aux recherches sur l’embryon, l’objection est totale. Pour ceux qui défendent des thèses plus nuancées, l’extension de telles recherches mettrait fin à l’actuel compromis éthique dans certains pays, tels que le Royaume-Uni, pour parvenir à une situation où l’embryon ne jouirait plus d’un réel statut spécial et ne serait plus considéré que comme un moyen de parvenir à certaines fins. Par ailleurs, on peut se demander si l’animal ne jouit pas de davantage de respect intrinsèque que les embryons humains. L’utilisation du clonage par transfert de noyaux pour créer des embryons d’un type génétique compatible en vue de produire des cellules de remplacement soulèverait d’autres problèmes éthiques. Compte tenu de l’ensemble de ces préoccupations, l’accent devrait être mis sur les recherches portant sur des méthodes de remplacement des cellules évitant l’utilisation d’embryons.

Il s’agit là de questions litigieuses qui donneront lieu à une série d’opinions différentes tant dans nos propres Eglises que parmi la population européenne dans son ensemble. Il est compréhensible que, dans le cas d’une telle évolution scientifique, le grand public ait des connaissances limitées sur les cellules souches et qu’il règne une certaine confusion dès que le terme «clonage» est utilisé. Il ressort de plusieurs enquêtes menées au Royaume-Uni que si le public s’oppose relativement clairement au clonage reproductif, il ne comprend pas bien ce que sont les cellules souches et le clonage non reproductif. Nous avons constaté, lors de discussions avec des profanes, au sein des Eglises ou en dehors de celles-ci, que peu d’entre eux comprennent les techniques en cause. Un large débat public dans la société civile européenne est donc nécessaire. Les questions évoquées dans le présent document ne doivent pas faire uniquement l’objet de discussions à huis clos au sein de commissions d’experts ou de votes hâtifs de parlementaires, qui pour la plupart peuvent, en l’état actuel des choses, ne pas en savoir beaucoup plus que l’homme de la rue. Nous demandons donc instamment qu’avant de légiférer sur les problèmes particuliers posés par la thérapie de remplacement des cellules fondée sur les cellules souches et le clonage, un large programme de discussions publiques soit lancé en Europe.

Nous avons conscience des pressions exercées par les communautés scientifiques et médicales pour aller de l’avant afin de ne pas retarder la mise en œuvre de thérapies et ne pas perdre d’occasions en faveur d’autres pays, mais ce ne sont pas là les seuls facteurs importants. Même dans les pays qui ont adopté une législation autorisant certaines utilisations limitées d’embryons, les lois en question ne permettent pas automatiquement toute nouvelle utilisation proposée par les scientifiques. Le «gradualisme» consiste à procéder à des changements éthiques importants sans s’en rendre compte, par ce qui paraît constituer des séries de pas limités et logiques. Lorsque nous prenons du recul et examinons cette évolution dans un contexte plus large, semble-t-il que nous soyons allés trop loin? La société a certainement besoin de plus de temps pour discuter et prendre des décisions.


1 Texte de la commission Eglise et société de la Conférence des Eglises européennes (5 septembre 2000).

2 La question s’est posée aux présidents Clinton et Bush au début de leur mandat (n.d.l.r.).

3 K. Jenkins est directeur du comité exécutif de la commission Eglise et société de la Conférence des Eglises européennes.

4 Ministère de la santé (2000), Stem Cell Research: Medical Progress With Responsibility, rapport du groupe d’experts du directeur du service de santé publique (rapport Donaldson), HMSO, Londres.

5 Eglise d’Ecosse (1999), Submission to the Chief Medical Officer’s Expert Group on Cloning (CEGC), octobre 1999, Society, Religion and Technology Project et Board of Social Responsibility, Eglise d’Ecosse, Edimbourg.

6 Eglise d’Ecosse (1996), Pre-Conceived Ideas. Rapport du Board of Social Responsibility à l’assemblée générale de 1996 de l’Eglise d’Ecosse, St. Andrew Press, Edimbourg.

7 Ministère de la santé (1984), Report of the Committee of Inquiry in Human Fertilisation and Embryology (rapport Warnock), HMSO, Londres.

8 Farm Animal Welfare Council (1998), Report on the Implications of Cloning for the Welfare of Cloned Livestock, PB 4132. Ministère de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation, Londres.

9 Eglise d’Ecosse (1997), «Cloning Animals and Humans», rapport supplémentaire à l’assemblée générale de l’Eglise d’Ecosse, mai 1977, p. 36/22, et déclarations 35 et 36 du Board of National Mission, p. 16.

10 EECCS (1998), Cloning Animals and Humans – An Ethical View, Commission œcuménique européenne pour l’Eglise et la société, Bruxelles.

11 P. Cohen (1998), «Organs Without Donors», New Scientist, 14 novembre 1998, p. 6.

12 Sunday Times (19 octobre 1997), Londres, «Headless Frog Opens Way for Human Organ Factory».

13 Ministère de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation (1995), Report of the Committee to Consider the Ethical Implications of Emerging Technologies in the Breeding of Farm Animals (Banner Reprot), HMSO, Londres.

14 P. Cohen (1986), «Hold the Champagne», New Scientist, 14 novembre 1998, p. 5.

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