L’Église résistera-t-elle ?
Paul WELLS*
Les Eglises issues de la Réforme, « établies » en Occident, sont confrontées, aujourd’hui, à plusieurs problèmes, le plus grand étant celui de l’amenuisement des communautés ecclésiales locales: les générations nouvelles sont difficiles à intégrer et à « fidéliser ». La relève n’est plus assurée de façon naturelle, car la tradition religieuse ne va plus de soi. De plus, associer aux communautés des personnes extérieures au christianisme est très malaisé. Avoir une « théologie de la conversion » est considéré par beaucoup comme inacceptable et les conversions sont peu nombreuses.
Jusqu’à récemment, la misère de l’Eglise se dissimulait derrière des façades institutionnelles impressionnantes. Aujourd’hui, il est devenu difficile d’y maintenir le discours « tout baigne ». Dans les Eglises marquées, depuis 1968, par un développement du pluralisme religieux caractérisé par l’impuissance de la parole et l’impossibilité d’un message univoque, l’Evangile est considéré comme le « présent » du salut dont témoigne « un vécu » transformé, et l’accent est mis sur « l’ici et maintenant » du Royaume, sur l’humanité renouvelée, sur une « théologie du monde ». Le présupposé de ce point de vue était et reste, très souvent, un universalisme théologique implicite: tous les hommes seront sauvés ou, en d’autres termes, l’Evangile est un message de réconciliation universelle pour le monde. Dans les débats théologiques, une tension irréductible s’établit souvent entre les tenants d’une Eglise plus confessante présentant de façon verbale l’Evangile, insistant sur le salut personnel, et les tenants d’une Eglise pluraliste et ouverte pour qui Christ a assuré le salut de tous les êtres humains.
Les bouleversements, intervenus dans le monde depuis la chute du mur de Berlin, ont rendu difficile le maintien de toute naïveté, à moins de fermer volontairement les yeux. Le COE, en particulier, a été repris pour certaines de ses actions passées de « solidarité » en raison de leur caractère unilatéral. Récemment à Harare, l’orage a grondé à cause du problème du ministère féminin et de l’acceptation de l’homosexualité.
Les événements des dix dernières années montrent une évolution rapide de la société tandis que le changement des mentalités va bon train. La modernité avec ses espoirs implose en une « postmodemité » sans boussole – « l’automne froid de la civilisation occidentale ».
Nous vivons une période de désorientation; tout, autour de nous, semble en voie de déstructuration: la géopolitique, la politique, les guerres, l’économie, la famille, la vie sociale, les savoirs qui éclatent, les rôles incertains des sexes, etc. Résultat: désillusion, sentiment d’anomie, d’épuisement et de non-appartenance, ennui, indécision, incertitude quant à l’avenir, difficultés d’insertion sociale à tous les niveaux…
Ces caractéristiques de la société contemporaine se retrouvent dans bien des Eglises, mais de façons diversifiées. Du côté des « évangéliques », une incertitude se précise quant à l’efficacité de la parole seule pour communiquer la Bonne Nouvelle, et la nécessité de raccompagner d’actes concrets se renforce. Une nouvelle attitude se manifeste face aux oeuvres d’entraide de toutes sortes. En même temps, une certaine révolution – limitée, sans doute – tant doctrinale qu’éthique se produit, et des comportements considérés comme mondains il y a peu sont désormais acceptés sans question. Les évangéliques deviennent-ils « néo-évangéliques », façon polie de dire qu’ils adoptent des attitudes rejetées par eux comme « libérales » il y a vingt ans?
Dans d’autres milieux ecclésiastiques, on prend conscience, lentement, que la modernité et ses mythes sont en quelque sorte démasqués. A l’image de ce qui s’est produit dans les
Main-line Churches aux Etats-Unis, le déclin menace les « grandes Eglises » en Europe. Les sentiments qui ont motivé un certain nombre de projets humanitaires ont disparu avec l’optimisme moderniste. Les problèmes de société s’aggravent: le racisme, l’immigration clandestine, les nombreux démunis et sans-logis, les « affaires » avec la désillusion qu’elles suscitent vis-à-vis de la classe politique, l’embrasement de l’Afrique, du Kosovo et de la Palestine, la pollution, etc. l’Homo technicus semble pris en défaut, sauf en ce qui concerne les possibilités de frappe militaire. Mais devant d’autres problèmes, son impuissance devient évidente et suscite découragement et même désespoir chez beaucoup alors que, globalement, la population occidentale poursuit, de façon insouciante, sa course vers plus de bien-être matériel.
Tout en prenant au sérieux le caractère disloqué de la situation actuelle, il importe de garder au coeur l’espérance que le peuple de Dieu a un avenir, qu’un « reste » agit avec une vision biblique et non fragmentée de sa vocation historique. Dieu, et non l’homme, reste le Maître de l’histoire. L’Eglise institutionnelle et les puissances politiques peuvent chanceler, il y aura toujours un peuple de Dieu qui restera fidèle!
Cette espérance est encore vacillante chez beaucoup. Notre époque donne l’impression, soit d’en rester au discours du passé et de se réfugier dans des idéaux irréalistes et surannés, soit de basculer dans un optimisme sans fondement, autour de divers thèmes comme l’a été, et l’est encore, celui de l’Europe et de l’euro, par exemple. Dans bien des Eglises, faire preuve de réalisme n’est pas chose aisée, et grande est la tentation de se protéger en affirmant que tout va bien. Ce type de discours ne constitue-t-il pas, paradoxalement, une sorte de constat global d’échec de l’Eglise en Occident?
Quelle est la cause fondamentale du mal? L’acceptation, dans nombre d’Eglises, d’un discours banalisant car « horizontaliste », subjectiviste et relativiste. Il n’y a plus de message à délivrer sur la réalité de Dieu, sur la vérité de sa Parole et sur la certitude de son intervention dans l’histoire pour nous sauver. Bref, il n’y a plus de théologie et là où la théologie est évacuée, la spiritualité finit dans la superficialité.
L’expérience spirituelle est recherchée en dehors de l’Eglise.
Ainsi, nous en sommes arrivés à ce qui, nous l’espérons, n’est qu’un creux de vague et non un point de non-retour sur une pente descendante. L’histoire le dira. Quoi qu’il en soit, elle portera sûrement de lourds jugements sur les compromissions de l’Eglise, des hommes d’Eglise et des chrétiens au XXe siècle, sur nous-mêmes!
Que peut faire le chrétien? La persévérance dans les trois valeurs actives de renseignement biblique: la foi, l’espérance et l’amour. Persévérer dans la fidélité à la doctrine des apôtres, unique chemin de salut, persévérer dans la prière pour le réveil et, dans la confusion actuelle, essayer d’avoir un comportement et un discours dépourvus d’ambiguïté quant à l’espérance qui est en Christ.