Des ministères négligés

Des ministères négligés*

Supporte les souffrances,
fais l’oeuvre d’un évangéliste,
remplis bien ton ministère.
(2 Timothée 4:5)

Les quelques pages que nous vous proposons ont pour objet d’éveiller aux problèmes que rencontre aujourd’hui le ministère de prédicateur ou d’évangéliste itinérant. Nous mettrons l’accent surtout sur l’évangéliste. Quelles en sont les particularités? Quelles difficultés rencontre-t-il et pourquoi éprouvons-nous de l’inquiétude en constatant que la relève n’est pas assurée? De fait, nous pensons qu’il est temps de reconnaître la nécessité de ce ministère et d’encourager, de manière efficace, ceux que le Seigneur y appelle.

A) Les qualités requises

Les qualités indispensables à l’itinérant ne sont pas nécessairement les mêmes que pour d’autres serviteurs de Dieu. La première est certainement, comme pour tout autre, une piété profonde. Aucun message ne peut avoir d’impact réel si la vie spirituelle de celui qui Rapporte n’est pas en harmonie avec lui. D’un prédicateur dont le ministère s’exerce auprès d’un plus large public, l’auditeur est en droit d’attendre davantage, en particulier sur les plans de l’éloquence et du contenu. On accepte mal qu’un Français multiplie les incorrections de langage, même si les chrétiens les plus spirituels peuvent en faire abstraction pour ne considérer que le contenu du message.

Mais ils sont rarement les seuls visés par l’Eglise qui fait appel à un itinérant

  • Par la nature de son appel, l’évangéliste doit être « le docteur des ignorants » appelé à s’adresser à l’homme de la rue (parfois à l’homme dans la rue) pour mettre à sa portée les doctrines éternelles. On sait que, dans la prédication, s’il est simple d’être compliqué, il est compliqué d’être simple! C’est surtout sur ce point qu’il doit développer l’art difficile de se faire comprendre par tous.

Une expérience réelle de la vie et des problèmes humains est tout aussi capitale. Elle fondera le style de rapproche. Les mêmes qualités sont souhaitables pour un jeune pasteur qui commence son ministère; pourtant, il est évident qu’on pardonnera plus facilement à ce dernier les lacunes dues à l’inexpérience.

L’itinérant devient aisément le confident de chrétiens qui n’ont pas osé s’ouvrir à leurs conducteurs spirituels. Il doit avoir une qualité d’écoute hors du commun et, là encore, une réelle expérience des divers problèmes qui lui sont confiés.

L’Eglise, pour le passage d’un itinérant, multiplie volontiers les efforts de publicité. Si l’orateur déçoit, les efforts ultérieurs seront sérieusement compromis, tant auprès des chrétiens désormais difficiles à mobiliser à nouveau qu’auprès des personnes extérieures.

Une excellente formation théologique est tout aussi indispensable. Si quelque erreur est enseignée, elle touche un auditoire beaucoup plus large, et les conséquences d’un enseignement non biblique seront bien plus graves.

L’évangéliste sera surtout un gagneur d’âmes, animé d’un esprit de conquête. On notera que le verbe « gagner » ne se trouve pas moins de cinq fois en 1 Corinthiens 9:19-23, texte que l’on pourrait bien considérer comme la charte de l’évangéliste.

L’itinérant a besoin, à tous égards, de la meilleure formation. L’apôtre Paul, l’itinérant par excellence, avait reçu, aux pieds de Gamaliel, une formation telle que nul n’aurait pu la contester.

B) Qui peut discerner?

Peut-on espérer d’un futur serviteur de Dieu qu’il ait une pleine conscience d’avoir reçu de Dieu ces diverses qualités indispensables? L’idéal est que celles-ci soient reconnues par les enseignants qui l’ont vu vivre ou par les communautés dans le cadre desquelles il a déjà exercé un ministère.

Le Seigneur est capable de donner à l’un de ses enfants la conviction nécessaire pour choisir sa forme de service. Mais l’illusion est toujours possible. L’exemple de Barnabas et de Saul est instructif. C’est l’Esprit saint qui s’est adressé aux chrétiens d’Antioche et qui leur fit comprendre que ces deux hommes étaient appelés à ce ministère d’itinérant: « Mettez-moi à part Barnabas et Saul pour l’oeuvre à laquelle je les ai appelés. » (Ac 13:2) Saul ou Barnabas en auraient-ils pris d’eux-mêmes l’initiative?

Y a-t-il beaucoup d’Eglises qui soient assez à l’écoute de l’Esprit pour entendre une telle injonction? Habituellement, une Eglise est d’autant moins disposée à se passer d’un serviteur de Dieu pour lui permettre un ministère plus large qu’elle lui en a découvert les qualités. Comment surmonter cet aspect de l’égoïsme de chapelle?

  • Et la famille?
    Quand le choix de l’« itinérance » intervient peu après l’appel au service du Maître, certaines conséquences vont forcément transformer le style de vie familial. L’évangéliste a-t-il le droit d’imposer à son épouse et à ses enfants de très fréquentes et longues absences? Nous ne savons pas si Barnabas était marié. Paul ne l’a vraisemblablement jamais été. Est-ce à dire qu’un itinérant doive être et demeurer célibataire? Pierre, les autres apôtres et les frères du Seigneur emmenaient leur femme avec eux (1 Co 9:5)! Peut-on considérer comme secondaire le devoir à l’égard de l’épouse et des enfants? L’itinérance réclame une grande abnégation du conjoint lié au foyer. Attendre que les enfants aient atteint une certaine autonomie pour accomplir un tel ministère peut être affaire de simple sagesse. De plus, servir Dieu dans le cadre d’une assemblée avant de se mettre au service de l’ensemble permet d’acquérir l’expérience pastorale et simplement humaine si utile à un ministère large. Que la femme puisse, dès lors, accompagner son mari est également extrêmement précieux. Elle peut ainsi le seconder plus pleinement dans la prière, faire plus réellement sien son combat. Marié depuis quarante ans, un vieil évangéliste pouvait dire qu’il n’avait en réalité que vingt ans de mariage.
    L’itinérance n’est pas de tout repos. Avec l’âge, ne devient-elle pas de plus en plus lourde? N’est-il pas dommage, dès lors, d’attendre pour l’exercer? Il est possible, en effet, que le calendrier d’un itinérant doive être allégé avec l’âge. Mais l’impact d’un ministère ne repose pas sur le nombre de réunions assurées. Tel se souvient encore d’une série présentée par Albert Nicole. Il était âgé et aveugle, mais quelle autorité émanait de ce vieillard!

C) Itinérance nécessaire

Ce que nous avons dit des qualités spéciales requises de l’itinérant souligne en même temps la nécessité de ce ministère. Il n’est pas fréquent qu’un serviteur de Dieu ait, à la fois, les dons d’évangéliste, de docteur et de prophète! Or ces ministères sont tous indispensables à la croissance spirituelle des Eglises. C’est pourquoi, ceux chez qui telle ou telle de ces qualifications est nettement reconnue devraient être mis à la disposition de l’ensemble des Eglises. On ne devrait pas considérer l’appel à leurs services comme un luxe superflu. Bien sûr, organiser leur passage risque d’entraîner des dépenses inhabituelles, mais y renoncer peut entraîner de graves carences.

Il serait injuste de passer sous silence l’un des dangers de l’itinérance. Les Eglises peuvent être tentées de faire appel à un « spécialiste », d’organiser une campagne sans pour autant s’impliquer elles-mêmes durablement. Il est plus facile de compter sur le passage de l’itinérant que de s’engager de façon permanente. La campagne est un effort après lequel on se donne le droit de souffler jusqu’à la suivante. On se donne bonne conscience. On a « fait de l’évangélisation » ou « de la formation ». Le ministère d’itinérant devient ainsi, bien involontairement, un oreiller de paresse.

Ce danger bien réel n’occulte pas, cependant, ce qu’un tel ministère peut avoir de capital pour la vie d’une Eglise ou de l’Eglise. Nos doutes devraient disparaître au seul souvenir de la manière dont tous les apôtres l’ont pratiqué.

  • L’évangéliste
    Pourquoi les évangélistes sont-ils si rares qu’il faille parfois attendre leur visite des mois ou des années? Leurs incessants voyages ne donnent-ils pas l’impression qu’ils sont fréquemment en vacances?
    Pourquoi l’évangéliste est-il une denrée rare? Il apparaît pourtant en troisième position dans la liste d’Ephésiens 4:11, cité avant les pasteurs et docteurs qu’il risquerait même de mettre au « chômage technique » s’il venait à disparaître. Le ministère de ces derniers ne dépend-il pas en partie du sien puisqu’il consiste normalement en un travail de suite?
    La plupart du temps, l’évangéliste est un itinérant. Il l’est en premier lieu à l’exemple du Christ. (« Jésus allait de ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. » Le 8:1.) Et à l’exemple d’un Philippe que l’on vit en Samarie, à Azdod ou à Césarée (Ac 8:5 et 26:40) et qui avait pourtant femme et enfants (Ac 21:9).
    L’évangéliste est un moissonneur. (« Autre, disait Jésus, est celui qui sème, et autre celui qui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner ce que vous n’avez pas travaillé. » Jn 4:37-38.)
    Pour utiliser une métaphore qui sous-tend l’idée d’une nouvelle naissance, nous dirons que c’est un ACCOUCHEUR. Pour que son ministère porte du fruit, les Eglises doivent être « enceintes », sur le point d’accoucher au passage de l’évangéliste. La question, alors, ne se pose plus de savoir à quelles familles appartiennent les « bébés en Christ ».
    En effet, ce n’est pas l’évangéliste qui est le père spirituel de ceux qui naissent de nouveau à l’occasion de son passage. Il est comparable à la sage-femme qui aide aux accouchements mais qui n’est pas la mère du bébé. Il incombe à la famille de le prendre en charge. La sage-femme, elle, le travail accompli, s’éclipse pour s’impliquer ailleurs. Ainsi en est-il partiellement de l’évangéliste itinérant.
    Il est évident que l’évangéliste travaille ainsi à l’extension de l’Eglise, entrant dans le travail de ceux qui ont semé (Jn 4:38″), aidant les communautés dans leurs nécessaires programmes d’évangélisation.

D) Qu’est-ce qu’un itinérant?

Généralement, l’itinérant est un serviteur de Dieu dont le ministère s’exerce dans le cadre des Eglises qui font appel à lui. D lui arrive également d’exercer un ministère d’édification ou de formation des chrétiens. Il peut aussi, et en même temps, exercer un ministère local tout en restant disponible pour se rendre là où son intervention est souhaitable (et souhaitée). L’itinérant peut avoir le charisme d’évangéliste, celui de docteur ou de prophète (étant entendu que nous utilisons ce terme dans le sens large: celui d’un homme à qui Dieu communique une prédication particulièrement inspirée, répondant à des besoins parfois connus de lui seul). Mais Dieu lui en a parfois confié plusieurs, sinon tous.

Trois écueils doivent donc être évités: celui d’attendre tous les dons de l’itinérant; à l’inverse, celui de considérer l’itinérance comme le seul fait des évangélistes, comme si elle n’avait pas d’importance pour les autres ministères; enfin, celui de ne demander qu’une même forme de « prestation » à un itinérant à qui Dieu a, pourtant, confié plusieurs dons. Tel prédicateur, qui a été entendu ici comme évangéliste, est demandé ailleurs pour l’évangélisation alors qu’il a peut-être autant de qualités « doctorales ». Tel autre qui aura, d’abord, donné quelques conférences d’un caractère plus technique et culturel ne se voit confier rien d’autre alors qu’il a un charisme d’évangéliste contraignant mais inexploité. L’apôtre Paul n’était-il pas à la fois docteur, pasteur, évangéliste et missionnaire?

E) Une formation d’itinérant?

Si le ministère d’itinérant est une nécessité pour les Eglises, ne faudrait-il pas demander aux écoles ou aux facultés de théologie de « former des itinérants »?

On ne devient pas plus évangéliste que pasteur par un diplôme universitaire. C’est, au même titre que tous les autres ministères ou charismes mentionnés dans la Bible, un don de l’Esprit souverain dans ses choix. La formation de

l’itinérant est, d’abord, l’affaire de l’Eglise locale. Philippe, pour le prendre à nouveau en exemple, a été choisi parce qu’il rendait un bon témoignage et se trouvait, comme les autres diacres nommés, « plein d’Esprit saint et de sagesse », prêt à accomplir les tâches bien humbles du diaconat (Ac 6:2-5).

  • D’autre part, l’évangéliste n’est pas un franc-tireur qui vit libre de toute organisation ou contrainte ecclésiastique. Il est, au contraire, issu de l’une ou l’autre composante de l’Eglise, uni à elle, la servant dans sa diversité et il en est un membre parmi d’autres. Sans doute tient-il du prophète souvent isolé de l’Ancien Testament. Pour résumer, ou plutôt illustrer, son appel de façon biblique, je citerai le texte d’Amos 7:14,15: « Amos répondit à Amatsia: Je ne suis ni prophète ni fils de prophète… L’Eternel m’a pris derrière le troupeau et il m’a dit: Va, prophétise à mon peuple d’Israël. »

L’enseignement que Paul donne à Ephèse dans l’école d’un nommé Tyrannus pendant deux ans nous conduit à établir un parallèle avec les établissements d’enseignement biblique.

Le rôle des écoles bibliques est, d’abord, de communiquer à de futurs hommes de Dieu une connaissance biblique aussi sérieuse, aussi complète que possible. Celle-ci est nécessaire à toutes les formes de ministère. Et c’est le plus souvent « avec le temps » que tel étudiant se montrera doué (de Dieu) pour un ministère plutôt que pour un autre. S’il faut encourager à l’itinérance ceux chez qui les qualifications pour tel ou tel ministère se trouvent particulièrement nombreuses, est-il possible de les faire naître? Sans doute doit-on au moins encourager et contribuer à les développer. Les enseignants des diverses disciplines seront pour cela attentifs à reconnaître, le plus tôt possible, ces « talents » afin d’orienter tel étudiant vers une formation approfondie ou complémentaire sans pour autant le pousser à entrer rapidement dans un ministère itinérant.

L’itinérant idéal sera un serviteur de Dieu particulièrement doué, mais ayant aussi la formation la meilleure et la plus complète, étant entendu que tout cela serait stérile si sa piété personnelle et sa conduite n’étaient pas au-dessus de tout reproche ou si l’amour de Dieu ne l’habitait pas.

Même si ses études ne débouchent pas immédiatement ni nécessairement sur un ministère itinérant, l’éventualité d’y être appelé un jour doit pousser le futur serviteur de Dieu à ne rien négliger de ce qui peut contribuer à le préparer et à l’équiper pour cela. Il faut une excellente culture générale, une réelle maîtrise de la langue, une solide connaissance biblique et théologique, de la pédagogie, voire une saine psychologie… et en même temps un amour profond pour Dieu et pour les perdus. En un mot, quiconque se prépare à servir Dieu doit avoir la prétention d’acquérir une solide et large formation, non pour briller ou être considéré, mais pour être le plus apte à ce service.

  • La quadrature du cercle
    On remarquera peut-être que, si les itinérants indispensables doivent faire preuve de tant de qualités, en trouver assez est la quadrature du cercle. C’est partiellement vrai, mais la pénurie d’hommes de Dieu conformes à l’exigence divine doit-elle conduire à gommer celle-ci? Là où Dieu rencontre la volonté de service et le désir d’une réelle piété, ne peut-il pas susciter les autres éléments indispensables à ce service? Cela conduit à rappeler l’exhortation de Jésus: « La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. » (Mt 9:37-38.)
    Il faut encourager l’itinérance et enseigner sa grandeur et ses servitudes à ceux que les enseignants des diverses disciplines verront doter des qualifications nécessaires. Un enseignement adapté est nécessaire. Pourquoi, au sein du programme et des cours de l’année académique, les facultés et les écoles bibliques ne prévoiraient-elles pas un créneau spécifiquement consacré à équiper de futurs évangélistes?

F) Les motivations au ministère d’itinérant

Lorsque l’appel à l’itinérance vient de l’extérieur, certains pièges sont à éviter. Quels sont ces pièges?

On constate que les étudiants des écoles bibliques ou des facultés sont de plus en plus nombreux à envisager un ministère spécialisé plutôt que le service pastoral. La raison semble bien être la peur des responsabilités, parfois lourdes, liées au ministère pastoral. Le pasteur doit, tout au long de l’année, préparer de nouveaux messages, suivre, dans la cure d’âme, des cas douloureux et souvent si lourds que la résistance psychologique est mise à rude épreuve. Il se trouve parfois dans une toute petite Eglise de quelques dizaines de membres seulement. Aussi peut-il sembler peu valorisant de dépenser tant d’énergie pour une poignée de personnes.

Certains penseront peut-être aussi que le ministère d’itinérant fait échapper au stress et à l’insignifiance relative. L’itinérant s’adresse à des foules, il est connu, recherché, cité… De plus, changeant fréquemment d’auditoire, il peut prêcher à bien des reprises les mêmes messages en les peaufinant. Surtout, il ne lui est pas demandé de suivre les cas difficiles. Quand ils lui sont présentés, il donne quelques conseils… et il peut ensuite les oublier.

Tout ceci, très partiellement exact, peut tenter quelqu’un animé d’un réel désir de servir Dieu mais que les responsabilités effraient.

En réalité, l’itinérant est loin de pouvoir échapper au stress. Il ne saurait, s’il a quelque conscience de son devoir, oublier ceux qui s’ouvrent à lui ou qui lui écrivent et dont la gravité des problèmes explique qu’ils aient attendu son passage pour parler.

Il y a longtemps que les foules ne sont plus au rendez-vous, à moins que l’on s’appelle Billy Graham ou Luis Palau. L’un des soucis de l’itinérant est de convaincre les Eglises qu’il est disposé à venir, quelle que soit l’importance probable de l’auditoire. Et s’il y a quelque satisfaction à s’adresser à un public plus nombreux, la préparation, donc le travail, se doit d’être d’autant plus sérieuse. L’itinérant ne saurait se soustraire à une constante mobilisation. Les efforts dans lesquels il se trouve engagé se succèdent avec de rares répits.

L’itinérant peut-il se contenter de proposer un certain nombre de messages bien préparés et sans cesse améliorés qu’il apportera de lieu en lieu? Sans doute y a-t-il des messages qui sont partout utiles. Mais il est peu probable que l’itinérant se satisfasse de les répéter pour deux raisons apparemment contradictoires: a) son public n’est jamais le même et il lui faut une grande souplesse et une grande disponibilité à Faction de l’Esprit pour que son message s’adapte réellement aux problèmes des divers auditoires qu’il affronte; b) d’autre part, il y a, dans son auditoire, des personnes qui l’ont tellement apprécié qu’elles s’efforcent de le suivre ou de le retrouver. C’est pourquoi il est illusoire de penser que l’itinérant a moins de travail de préparation à fournir!

Enfin, devenir itinérant à cause de la griserie que peut faire naître la présence de très nombreuses personnes rassemblées pour vous écouter est le plus mauvais motif qui soit. C’est là une tentation permanente qui, si l’on y succombe, conduit toujours à la catastrophe.

G) Les difficultés de l’itinérance

i) La concurrence

Certaines des difficultés du ministère d’itinérant sont d’ordre matériel. Le prédicateur itinérant est rarement engagé avec un salaire défini. Il doit compter sur les dons des Eglises pour faire « bouillir la marmite ». D’où la tentation de se construire une « chasse gardée ». S’il appartient à une « oeuvre d’évangélisation » qui lui assure un revenu, celle-ci ne peut vivre que dans la mesure où ses agents sont utilisés et appréciés. Mais qu’arriverait-il si l’oeuvre embauchait plus d’agents que les Eglises n’en réclament? Certains refus de candidatures n’ont peut-être pas eu d’autre cause que la crainte d’une concurrence interne. Il est manifeste que les Eglises sont de moins en moins « prenantes ». Un autre risque est celui des rapports ou lettres de nouvelles dans lesquels les résultats – lorsqu’il y en a – sont surévalués. Comment susciter la générosité avec des rapports foncièrement honnêtes si rien ne semble s’être passé?

ii) Les finances

Nous avons parlé du coût d’un déplacement. Les itinérants n’exigent pas un cachet et ils se déplaceraient même s’ils devaient assumer eux-mêmes leurs frais de déplacement. Comme les Eglises auraient alors mauvaise conscience, elles renoncent parfois à faire appel à eux.

iii) Les absences

Le ministère d’itinérant peut être particulièrement problématique pour un jeune obligé de laisser au foyer son épouse et ses enfants. H est vrai que le rythme actuellement choisi par la plupart est empreint d’une certaine sagesse et permet que le temps d’absence ne soit pas supérieur au temps de présence au foyer. Il n’en reste pas moins que l’itinérant est parfois obligé de s’absenter alors que sa présence à la maison semblerait plus que souhaitable.

iv) La frustration

De plus en plus souvent, l’itinérant n’est invité que pour le week-end, à savoir, tout au plus, une réunion le samedi soir, le culte du dimanche matin et une réunion l’après-midi. La cause en est peut-être la difficulté de « faire bouger les gens » en semaine. On peut le comprendre, mais il y a là un motif de frustration pour l’itinérant. Accomplir un travail en profondeur demande beaucoup plus de temps. Le passage d’un météore peut éblouir, mais il ne laisse pas grand-chose derrière lui.

v) Le combat

II est d’autres difficultés liées au combat spirituel aigu qu’implique le fait de l’itinérance. Ce n’est pas sans raison qu’une série de réunions demandée à un itinérant est appelée « campagne ». Les puissances adverses sont d’autant plus actives que la « campagne » le met en péril. Le prédicateur invité est parfois confronté à des situations inattendues et déplorables.

Dans tel endroit, il découvrira que l’effort n’a pas été signalé aux autres Eglises évangéliques de la région, parce que l’Eglise invitante n’a aucune relation fraternelle avec elles, sans qu’aucune raison de fidélité à l’Ecriture le justifie.

Ailleurs, un groupe musical a été programmé sans que le prédicateur ait été consulté. Si incroyable que cela puisse paraître, il est arrivé que des personnes présentées comme chanteurs ou musiciens viennent, s’installent, multiplient inutilement les décibels de leur prestation, puis démontent le lourd matériel pendant que le prédicateur tente de se faire entendre.

Mais il y a plus. Le style de musique et l’esprit dans lequel est accomplie la prestation musicale sont parfois tels que l’itinérant doit, pour apporter son message, surmonter une forte tension spirituelle. Tout se passe comme si la partie musicale avait été le moyen d’introduire dans le lieu une fraction de l’armée adverse. Un itinérant bien connu a raconté qu’il s’était trouvé, au moins une fois, incapable, pour cette raison, d’apporter le message attendu.

Il arrive souvent qu’aucun moment de prière n’a été prévu avec le groupe musical ou avec le pasteur. Dans ces cas, l’itinérant a l’impression de partir, seul, en première ligne sans aucun soutien de la troupe.

  • L’évangéliste est un serviteur du Seigneur impliqué dans la plus violente des luttes spirituelles qui consiste essentiellement à ravir à Satan quelques-unes de ses victimes pour les conduire au Christ. Tout son temps y est consacré! La guerre qu’il mène l’oppose sans cesse aux puissances des ténèbres qu’il défie au nom de Jésus. A coup sûr, il figure parmi leurs cibles privilégiées.

    C’est dire à quel point celles-ci « !’affectionnent ». Brûlant du feu sacré, il fait parfois impression sur les hommes qui se hasardent à le complimenter. S’ils savaient! Dans le secret de sa vie, l’évangéliste est sans cesse à genoux au propre comme au figuré, seul au sein de luttes stupéfiantes d’intensité, tremblant de faiblesse, pleurant sur ceux qui meurent, criant au ciel pour ceux qui vivent déjà l’enfer ici-bas. Et nous pouvons comprendre l’exhortation de Paul à Timothée: « Supporte les souffrances, fais l’oeuvre d’un évangéliste… » Pourtant son coeur exulte quand il annonce le plus grand, le plus beau des messages. Très averti des problèmes du moment, il tente, avec l’aide de Dieu, d’y répondre Bible en main. Il lit, réfléchit beaucoup et fait régulièrement sa revue de presse, cherchant à placer l’Evangile au coeur de l’actualité. Mais c’est surtout le saint Livre qu’il consulte en quête de réponses appropriées. Il se doit de garder le « teint frais » en Christ malgré ennuis, fardeaux, soucis personnels, afin que le message n’en pâtisse point. Il a, pourtant, femme, enfants, problèmes de vie quotidienne. Son épouse, il faut le dire, est exceptionnelle pour endurer séparations répétées, sacrifices, retombées des combats de première ligne. Un brin taquine, ne lui arrive-t-il pas de lui dire à son retour de campagne: « Tu as dû être bien encouragé pour que l’ennemi m’ait si spécialement visée pendant ton absence! » Il est fort dommage qu’elle soit si souvent la grande oubliée.

    L’évangéliste répond à un mandat divin (Ac 13:47). Il appartient au Christ et à l’Eglise (Ep 4:11). Quelque part, il est aussi prophète en ce qu’il appelle à un retour à Dieu. Il ne se prêche pas lui-même. C’est Christ, le Seigneur, qu’il prêche (2 Co 4:5).

    Son Modèle par excellence: le Christ évangéliste itinérant (Le 8:1).

    Son ministère: convaincre les hommes (2 Co 5:11).

    Son comité: la Sainte Trinité (Ac 6:6-10), sans exclure un comité humain.

    Son point d’attache: l’Eglise à laquelle il appartient et qui le recommande au ministère (Ac 13:3).

    C’est donc un serviteur des plus exposés qui a largement besoin de la prière des frères! Quand les efforts sont bien préparés, quelle joie cependant et quelle communion avec les Eglises autour de « nouveau-nés » dans la foi! Ceux qui sèment et ceux qui moissonnent se réjouissent ensemble (Jn 4:37). Quelle grâce!

H) Des chanteurs évangélistes

Ces itinérants rencontrent des difficultés d’un autre ordre. Il fut un temps où ils pouvaient se déplacer avec une simple guitare. Aujourd’hui, il semble qu’il faille déployer un matériel sonore capable de rivaliser avec celui des vedettes de la chanson profane. Le public qu’attire ce genre de manifestation n’en attend probablement guère moins. Or, tout cela coûte très cher. Et c’est l’engrenage. Le coût du déplacement étant élevé, l’appel à ce type de service est plus rare. Les chanteurs évangélistes sont donc poussés à proposer des prestations plus alléchantes, mais d’autant plus onéreuses,

donc plus difficiles à programmer… Certains méritent cependant d’être largement utilisés; la qualité des paroles et de la musique leur permet d’avoir un réel impact sur des personnes du dehors et du dedans.

Voici l’essentiel de ce que nous a communiqué l’un d’entre eux au sujet de son ministère:

  • Bien que tous n’aient pas reçu le don d’évangéliste, chacun est appelé à confesser Jésus (Mt 10:32) et possède au moins un charisme à mettre au service des autres (1 P 4:10). Les dons artistiques viennent du Seigneur et la Bible fait une place de choix à la musique [musique et chants dans les rassemblements de l’Eglise; musicothérapie au bénéfice de Saul (1 S 16:23); ou arme de guerre (2 Ch 20:22)]!

    Rien ne s’oppose, bien au contraire, à ce que l’activité artistique soit jointe à celle d’évangéliste. Fond et forme ont tout pour faire bon ménage, la Parole de Dieu étant destinée à des êtres créés sensibles et émotionnels. Je suis persuadé que l’évangélisation tire bon profit de l’appui esthétique que lui prodigue la pratique de Fart.

    Le double ministère de chanteur-évangéliste (ou « évangéliste par le chant ») procure bien des satisfactions, entre autres celle de la variété de l’activité (dont la création de programme et la composition), la joie d’associer passion artistique et proclamation du plus beau des messages; nombreux contacts et rencontre de chrétiens de toutes dénominations…

    Mais bien des difficultés s’y rattachent aussi: fatigue due aux déménagements constants du matériel; stress engendré par les réglages; absence de suivi des nouveaux convertis (on vient, on chante, on repart!); diversité d’auditeurs aux attentes musicales différentes et risque d’éveiller les sentiments plutôt que de conduire à une salutaire réflexion.

    Il faut certainement veiller enfin à ne pas provoquer chez ceux à qui l’on s’adresse l’attitude que dénonçait Ezéchiel (33:32):
    « Voici, tu es pour eux un chanteur agréable, possédant une belle voix et habile dans la musique. Ils écoutent tes paroles, mais ils ne les mettent point en pratique. »

I) Les risques de la fidélité

Plus encore que les pasteurs dans leur communauté, l’itinérant – qu’il utilise le seul don verbal ou qu’il y joigne un don artistique – doit avoir le souci d’apporter, là où on l’invite, un message prophétique, au sens précédemment défini. Il est indéniable que Dieu, plus que jamais en ces temps préapocalyptiques, réclame la sainteté, une réelle coupure d’avec l’esprit et les pratiques du « monde ». Or, un tel message n’est pas le bienvenu. Dans certains cas – hélas, pas si rares! -, la fidélité du message aux exigences bibliques ferme des portes. Certaines Eglises ne font plus appel à tel itinérant parce que son message a été une dénonciation de pratiques que le laxisme ambiant tolère jusque dans les Eglises. Tel responsable d’Eglise aura peut-être le désir de réinviter ce serviteur de Dieu, mais il n’arrivera pas à mobiliser les « fidèles » qui estiment l’itinérant trop peu « tolérant ».

Conclusion

Pour que le ministère des itinérants prenne ou retrouve la place qu’il mérite, il faudrait une nouvelle prise de conscience de son importance et un changement de mentalité au sein des Eglises, parmi les responsables des instituts bibliques et facultés de théologie, ainsi que chez les futurs serviteurs de Dieu et les frères déjà à l’oeuvre. Cela signifierait:

  • Reconnaître que l’Eglise, pour croître, a besoin de tous les ministères accordés par l’Esprit; que ceux-ci, pourtant, ne se rencontrent pas tous chez chacun des serviteurs de Dieu; que les Eglises ont souvent besoin, pour s’épanouir, du charisme reçu par tel autre frère extérieur; que cela fonde la légitimité et la nécessité de ministères itinérants.
  • Admettre que le ministère d’itinérant demande des qualités humaines: une excellente connaissance biblique et théologique, une très bonne culture générale, un sens sûr de l’étiquette, de la pédagogie et de la psychologie, et cela au même titre qu’il exige les qualités spirituelles: piété profonde, amour pour Dieu et pour les perdus.
  • Prendre conscience que ces qualités nombreuses et variées sont le fruit d’un apprentissage dont un ministère prolongé au sein d’une Eglise locale fournit peut-être le meilleur cadre.
  • Prendre conscience du fait que l’intéressé n’est pas le plus apte à s’en reconnaître les qualités et que l’appel à un tel type de ministère passe plutôt par la reconnaissance que d’autres en feront.
  • Pour les enseignants des écoles et facultés évangéliques, mettre au nombre des préoccupations primordiales le souci de reconnaître l’aptitude à ce ministère et d’aider l’étudiant qui en paraît pourvu à en saisir l’importance afin de mieux l’aider à s’y préparer.
  • Pour chaque Eglise locale, ouvrir l’horizon au-delà de ses propres besoins afin de ne pas garder jalousement pour elle seule les qualités exceptionnelles qu’elle a pu reconnaître chez l’un de ses responsables.
  • Comprendre que la nécessité de l’expression de toutes les formes de ministère dans l’Eglise est capitale, même si cela demande un effort financier supplémentaire.
  • Pour les unions d’Eglises et oeuvres missionnaires, envisager avec sérieux de prévoir, officiellement, en leur sein, l’existence d’itinérants aux qualités reconnues et de les porter financièrement et spirituellement.
  • Enfin, pour tous, une fois ce type de ministère reconnu, faire de son émergence et de son développement un sujet de prière persévérant.

* Ce texte est le fruit d’un travail de réflexion entrepris au sein du groupe des itinérants RÉPIT (Retraite pour les évangélistes pionniers et itinérants travaillant en France). Il nous a été soumis par Y. Perrier, qui est évangéliste itinérant.

 

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